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Critique

Sans égard pour la brûlante actualité, l'exercice critique au Rayon Vert tient alternativement plus de la crise, de la pesée ou de la criée que du jugement lancé depuis une quelconque chaire du bon goût.

La famille Sully dans Avatar 2 : La Voie de l'eau
Critique

« Avatar 2 : La voie de l'eau » de James Cameron : Hydrocéphale on est mal

17 décembre 2022
L'hydrocéphalie est une anomalie pathologique, un trouble du liquide cérébro-spinal dont l'excès perturbe le cerveau. On croit avoir la tête bien pleine, elle est remplie d'une eau qui asphyxie la pensée. Avatar 2 : La voie de l'eau est un avatar monumental du post-cinéma, le cinéma liquidé dans les eaux bleues du langage binaire et d'un imaginaire réactionnaire, l'esprit des traditions tribales coulé dans la méga-machine techno-militaire. L'hydrophilie confine à l'hydrocéphalie et si James Cameron fait de grands ronds dans l'eau, c'est une suite de petits zéros.
Lee Kang-sheng et Anong Houngheuangsy dans "Days" de Tsai Ming-liang
Critique

« Days » de Tsai Ming-liang : Ce qui s'épanche et penche

13 décembre 2022
Lee Kang-sheng n'est pas l'acteur fétiche de Tsai Ming-liang : il en est la condition, alpha et oméga, trois décennies déjà, on ne s'en lasserait pas. On ne sait pas ce que peut un corps et celui de Lee est le corps du désir de Tsai, moins une énigme (qui laisserait entendre qu'il y a du sens et un autre à le résoudre) qu'un mystère (faisant silence de ce que l'on ne peut dire et qu'il faut taire). L'écoulement est un miroir biface, le tain d'une double imprégnation. Si Lee est l'autre dont Tsai a tant besoin, l'homo-érotisme retourné en hétéro-narcissisme et les épanchements mieux que les mots, c'est en prenant tout le temps qu'il faut, le dur désir de durer qui s'écoule en douceur, pour montrer ce que le temps fait au visage en y faisant voir cette vieille compagne toujours déjà là : la mort au travail. Mais celle de qui, Tsai ou Lee ? Ce qui s'épanche sans piper mot a des penchements frisant aujourd'hui l'aporie.
Laurence Coly (Guslagie Malanda) au tribunal dans Saint Omer
Critique

« Saint Omer » d’Alice Diop : Soutenir la langue et tenir à son irréparable

26 novembre 2022
C’est une histoire de trait d’union, celui d’une ville – Saint-Omer et sa cour d’assises – qui manque dans le titre d’un film qui y trouve son lieu en faisant au procès des sauvageries maternelles mythiques celui des langues soutenues dont les liaisons font tant défaut au cinéma français. Le film d’Alice Diop impressionne en faisant entendre dans la langue ce qui soutient l’expression de son accusée, qui fait silence autour de l’énigme de son infanticide. Il perd cependant en puissance de position par des interpositions qui, plus que la transposition d’un fait divers dans une fiction qui sait ce qu’elle doit au documentaire, indiquent la limite d’un geste tendu par son désir de réparation et de consolation. Si le ventre des mères blessées abrite aussi l’universel, c’est moins en trait d’union qu’en démarquant une non réconciliation.
Léo (Eden Dambrine) avec sa famille dans leur champ de fleurs dans Close
Critique

« Close » de Lukas Dhont : Des larmes, du signifiant et pipi au lit

4 novembre 2022
Semblant découvrir ou inventer le mélodrame, Lukas Dhont se livre avec son second long métrage à un grand exercice d'exorcisme par les larmes et d'allégorisation constante, au gré de scènes et de plans pétris de sens. Échappant de peu au label "film d'humiliation à la belge", lequel compte maintenant quelques fleurons du genre, Close soulève tout de même à sa vision une question légitime : comment un film aussi lourd et naïf a-t-il pu remporter un Grand prix au Festival de Cannes ?
Jean Dujardin sur le terrain de l'attentat dans Novembre
Critique

« Novembre » de Cédric Jimenez : La guerre de civilisation ? Les incivilités d’une fiction

22 octobre 2022
Hier, quand on pensait machine de guerre, on pensait à Gilles Deleuze, à sa pensée machinique et les connexions nécessaires aux agencements expérimentant l’équivalence entre la création et la résistance aux micro-fascismes. Aujourd’hui, il y a des machines de guerre qui sont des films de guerre qui prennent activement leur part dans la guerre en cours, qui n’est pas seulement le combat de l’État contre l’islamisme mais une guerre de civilisation, cette machine de guerre idéologique à l’heure où l’extrême-droite est devenue hégémonique. Novembre, qui est très loin d’annoncer le frimaire du cinéma, préfère donner dans la frime d’un enrégimentement volontaire rabattant la lutte antiterroriste sur le clash des civilisations.
Sami Slimane en Jésus christique dans Athena
Critique

« Athena » de Romain Gavras : Le capitaine Flam est-il fasciste ?

28 septembre 2022
Athena, dernier film en date de Romain Gavras, fournit, à son corps défendant, les images d’une guerre civile que d’aucuns fantasment quotidiennement, alimentant le ventre de la bête immonde dont il entendait pourtant se défendre. Paradoxalement, à se situer politiquement contre l’extrême-droite, Athena, à force d’être contre devient antipode, se situe tout contre, jusqu’à en épouser les formes autant que les forces réactionnaires.
Florence Pugh et Harry Styles forment le couple "parfait" dans "Don't Worry Darling"
Critique

« Don’t Worry Darling » d’Olivia Wilde : Coquille vide

24 septembre 2022
Bel objet concocté avec savoir-faire, Don't Worry Darling d'Olivia Wilde entretient son "mystère" de manière roublarde durant les trois quarts de sa durée avant de révéler avec fracas son vrai sujet, son "message". Presque aussi stérile que la mini-polémique qui le précède, le film pâtit de l'allégorie de la coquille vide qu'il met en place dès ses premières scènes, tant il en est une également.
Le milliardaire russe prend en photo sa femme sur le croisière dans Sans filtre
Critique

« Sans filtre » de Ruben Östlund : La bêtise durera toujours...

18 septembre 2022
Dire que Sans filtre de Ruben Östlund donne un aperçu de l'état du monde relève de l'hérésie. Ce film profondément misanthrope, avec son incapacité à saisir quoi que ce soit de l'état actuel d'une société assombrie par les crises économiques et migratoires, est une pochade souvent odieuse qui ne vaut pas plus qu'une dissertation du niveau d'un lycéen crâneur, laissant toute pointe d'humanité à quai.
Vincent Lindon et Juliette Binoche s'enlacent dans Avec amour et acharnement
Critique

« Avec amour et acharnement » de Claire Denis : La tristesse au fond

17 septembre 2022
On a longtemps aimé le cinéma de Claire Denis parce qu’il était immunisé contre l’hystérie. Désormais l’hystérie l’a emporté, dans les grandes largeurs qui sont d’abyssales profondeurs. C’est un débondage en règle, les vannes grandes ouvertes menant à un tout petit siphon. L’hystérie est un naufrage et Claire Denis s’acharne à y engloutir l’amour que l’on pouvait avoir pour son cinéma. L’hystérie est la dernière métaphysique dont se repaît le cinéma français et se livrer à son hégémonie, qui est une tristesse et une détresse, c’est se faire l’otage sacrificiel des vedettes passées maître dans l’art d’en tirer profit, Juliette Binoche et Vincent Lindon. Dans Avec amour et acharnement , Claire Denis voudrait faire l’examen sérieux d’une hystérie haussée au niveau du malaise de civilisation, elle finit infectée par son sujet, otage de ses acteurs et captive de sa scénariste, comme l’enfant que dévore le divorce de ses parents.
dans Trois mille ans à t'attendre
Critique

« Trois mille ans à t'attendre » de George Miller : We Don't Need Another (Magical) Negro

30 août 2022
Comment croire aux récits quand triomphe la narratologie ? L'expertise est une accumulation saturée de savoirs qui finit en désamour de la connaissance elle-même. La science des récits est mutilée tant qu'elle n'accueille pas dans son lit le démon de la narration, qui est un bon génie. Les fiançailles du mythos et du logos devront être aussi les retrouvailles amoureuses de l'orient et de l'occident. Mais dans Trois mille ans à t'attendre il s'agit d'un amour particulier, celui d'une bourgeoise blanche et vieillissante revenant à la vie dans les bras d'un bel oriental, peau d'ébène et bien musclé. Dans la boîte aux loukoums rêvant de L'Aventure de Madame Muir de Joseph L. Mankiewicz, on finit par retomber sur l'os de ce pauvre vieux « Magical Negro ».
Xan (Luis Zahera) et Antoine (Denis Ménochet) parlent à table au bar dans As Bestas
Critique

« As Bestas » de Rodrigo Sorogoyen : Bêtes (à manger du foin)

24 août 2022
Bête et bêtise : deux mots plus que jamais liés dans As Bestas et tout le cinéma de Rodrigo Sorogoyen. En tant que spectateur, nous attendons autre chose que de nous faire balader bêtement avec des artifices de scénario et de mise en scène qui ne dépassent jamais le programme imposé sur papier. Aux quatre films pachydermiques écrits par le duo Sorogoyen-Peña, on leur préférera le très étrange Stockholm, réalisé en 2013, qui portait la promesse d'un tout autre cinéma.
Otis James (Daniel Kaluuya) à cheval dans le désert face aux extraterrestres dans Nope
Critique

« Nope » de Jordan Peele : Le magicien ose moins qu’il dose

12 août 2022
Le cinéma fait lever les yeux, le grand les écarquille, le bon en fait voir le blanc. Avec un troisième long-métrage qui demande contre toute une tradition de se méfier de ce qui vient du ciel, Jordan Peele aimerait souffler un peu d’air frais dans la sphère de la culture saturée. Mais l’enflure guette, même en ayant les pieds sur la terre du western. Nope est exemplaire d’un cinéma si conscient de lui-même qu’il doit accomplir des prouesses pour simplement réussir à retomber sur ses pieds. Lever les yeux au ciel n’est pas sans danger, le risque étant celui de la voracité et de l’indigestion, ufologie pour ironiser et méta-cinéma pour tenter encore de moraliser le spectacle. Nope est un film littéralement gonflé, qui ne raconte rien sinon ce qu’il en est des blockbusters crevant les plafonds avant d’éclater comme des ballons.
Tori et Lokita face au Cuistot
Critique

« Tori et Lokita » de Jean-Pierre et Luc Dardenne : Mécanique de l’écrasement

11 juillet 2022
Avec Tori et Lokita, les frères Dardenne s'essaient au film coup-de-poing et plongent leur personnage principal, la pauvre Lokita, dans un tourbillon d'humiliations en tous genres dont le spectacle mécanique et métronomique ne peut conduire qu'à l'écrasement pur et simple de ce personnage sacrificiel. Si une piste est envisagée vers un salut possible, vers une dignité retrouvée, par l'intermédiaire de l'enfant sorcier Tori, la volonté unilatérale des Dardenne de faire de Lokita un "exemple" ne permet pas à cette piste-là de dépasser l'esquisse, et la porte entrouverte est bien vite refermée.
Buzz l'éclair, le jouet de Pixar
Critique

« Buzz l’éclair » : Pixar et la culture du navet

9 juillet 2022
Sorte de produit dérivé hybride, film inspiré d'un jouet tiré d'un film, « Buzz l’éclair » marque l'entrée de Pixar dans l'ère du pastiche, voire même du "navet" conscient de lui-même, comme en témoignerait un étrange dialogue inaugural. Tout, dans cet étrange produit, est en tout cas rompu au système Pixar et au fonctionnement de la machine Disney, qui semble avoir ainsi érigé l'autoparodie au rang d'art.
Alain Chabat et Léa Drucker explique leur incroyable histoire dans Incroyable mais vrai
Critique

« Incroyable mais vrai » : Quentin Dupieux et une certaine idée de l'enfer

11 juin 2022
Il n'est pas toujours facile pour le spectateur d'habiter le monde dantesque de Quentin Dupieux. Le cinéaste se montre intransigeant, radical, et sa vision de l'enfer terrestre constitue, dans toute sa cohérence, une œuvre à part. Enfer et folie, tel est encore le programme d'Incroyable mais vrai qui, dans le même temps, peut être vu comme un film un peu moralisateur.
Laurent (Rahim) et "la" femme (Efira) dans "Don Juan"
Critique

« Don Juan » de Serge Bozon : Le charme de l’imperfection

7 juin 2022
Dans le Don Juan de Serge Bozon, le Don Juan du titre ne séduit pas toutes les femmes mais une seule femme à travers toutes. Une idée évanescente de la figure mythique de Don Juan s'en dégage et donne au film sa saveur particulière, fondue dans un moule de comédie vaguement musicale. C'est de la fragilité de sa forme que Don Juan tire paradoxalement sa force, tout en restant un film difficile à appréhender, dont l'équilibre instable fait néanmoins le charme.
Alice (Ludivine Sagnier) voit Lou à son école dans La Ruche
Critique

« La Ruche » de Christophe Hermans : Le pesticide des clichés

5 juin 2022
C'est le devoir de la critique de mener encore certains combats, et un des nôtres consiste à riposter contre le formatage du cinéma d'auteur belge francophone et international fondu dans un moule psychologico-réaliste. La Ruche de Christophe Hermans en constitue un énième exemple déprimant : on en peut plus de voir ces corps à la dérive s'égratigner entre eux et rechercher une fausse grâce sur le son d'une danse exaltée. Cinéma de l'étouffement où les clichés et les dialogues lourdingues agissent comme un pesticide.
Alice (Marion Cotillard) en larmes dans Frère et Sœur
Critique

« Frère et Sœur » d'Arnaud Desplechin : Malin génie

2 juin 2022
Il y a des rancœurs qui ont le génie pour enjeu et sa reconnaissance disputée fait le sel des existences jetées dans la bataille érigeant l’hystérie familiale en l’épopée chérie des rivalités artistiques. Énième chapitre offert à la réécriture de son roman familial en cinéma, Frère et sœur d’Arnaud Desplechin sale outrageusement son goût du romanesque parce qu’il n’en ignore pas l’affadissement suite aux remâchements du style. L’auteur fait le tour du propriétaire de son royaume et si le génie y est roi, il s’agit d’un malin génie. En s’accaparant la part du lion taillée sur le dos de tout et tous, personnages et références, le malin génie impose que la reconnaissance, si elle part de lui, doit à la fin lui revenir. Dans ces affaires, on n’est jamais mieux servi que par soi-même, le maître étant pour lui-même son plus zélé valet.
Harper (Jessie Buckley) dans le tunnel dans la forêt dans Men
Critique

« Men » de Alex Garland : Le mâle engendre le mâle

22 mai 2022
Alex Garland signe avec Men un troisième film retors et un peu lourdingue qui surfe sur la vague des films post-MeToo tout en évitant in extremis la caricature totale grâce à un travail fantasmagorique sur la question du deuil. Néanmoins, plutôt qu’une grande allégorie féministe, le film pourrait être vu aussi comme une critique de ce que cette « ère » a pu engendrer comme atmosphère de peur constante, de méfiance voire de détestation entre les femmes et les hommes.
Pearl (Mia Goth), la vieille femme de X
Critique

« X » de Ti West : Proposition décente

17 mai 2022
X de Ti West se situe sur le plan du désir. La vengeance froide et puritaine propre aux grandes figures du slasher laisse place à un jeu autour de la sexualité. Le sang finira certes par couler (loi du genre oblige !), et c'est un peu dommage qu'il le fasse de manière très classique, mais le film restera une affaire de sexe qui repose au fond sur une proposition décente, une volonté de désirer encore.
Anne (Anamaria Vartolomei) danse dans un bar dans L'évènement
Critique

« L’Événement » d’Audrey Diwan : Venger sa race, manger sa classe ?

9 mai 2022
Audrey Diwan, compagne à la ville de Cédric Jimenez, aurait-elle réalisé un film de droite à tendance libérale avec L’Événement (2021), à l’instar du regrettable Bac Nord ? Ou comment un certain cinéma, après avoir opéré son tournant sécuritaire, promeut la logique de la libre entreprise de soi au pays de la macronie.
Dario Argento et Françoise Lebrun s'enlacent dans Vortex
Critique

« Vortex » de Gaspar Noé : Aïe, dégueu

16 avril 2022
Dans Irréversible, un violeur surnommé le Ténia était à chercher là où le parasite se terrait, dans le dédale intestinal d'une boîte de nuit qui s'appelait le Rectum. Aussi épais soit-il, le gag est à prendre très au sérieux, en étant le noyau d'une vision du monde infernale et puérile dont le cercle conjoint l'adolescence à la sénescence. Avec Vortex, Gaspar Noé assume jusqu’au bout, il faut lui reconnaître son jusqu’au-boutisme : le rectum il y est et il ne tient pas spécialement à en sortir, le ténia bien au chaud, lové dans le boyau du cinéma, ce corps en tant qu'il est mort et dont l'adoration cinéphile tient lieu d'exercice thanatopraxique.
Des réfugiés congolais se protègent des bombes dans L'Empire du silence
Critique

« L'Empire du silence » de Thierry Michel : Bouteille à la terre

12 avril 2022
L'Empire du silence est né d'une colère, celle du silence de la communauté internationale sur la situation toujours chaotique en République démocratique du Congo. Mais cet empire du silence s'étend métaphoriquement sur plusieurs niveaux de sens. C'est la règle d'or d'un pays qui ne cesse de manipuler et d'effacer les traces des atrocités commises dans son histoire, une histoire écrite par les gagnants contre laquelle chaque contre-image, aussi atroce soit-elle, compte. C'est aussi le silence des forêts et du fleuve Congo, deux géants ténébreux qui portent les croyances et la mémoire funeste de tout un pays.
Les 4 policiers (Álex García, Hovik Keuchkerian, Patrick Criado, Roberto Álamo) dans Antidisturbios
Critique

« Antidisturbios » de Rodrigo Sorogoyen et Isabel Peña : Le silence des bourreaux

30 mars 2022
Antidisturbios est une mini-série qui devrait être regardée en mode split screen, par écran interposé, comparativement au documentaire de David Dufresne, Un pays qui se tient sage, sorti sur les écrans en 2020, la même année que la série. Un film documentaire, une série de fiction partageant un intérêt commun pour la question/la gestion des violences policières, l’époque aidant, mais en une approche radicalement différente : quand le documentaire de David Dufresne donne le sentiment de tenir les coupables de cette violence (pour le dire massivement, une police qui ne serait plus républicaine mais gardienne des seules valeurs de la bourgeoisie), la circonscrivant l’enfermant dans sa caméra-vérité mais l’appauvrissant ce faisant, cette violence, au contraire, dans la mini-série, ne cessant jamais de circuler ni de s’échanger entre les protagonistes, effacerait le crime comme la possibilité d’enquêter, le monde entier, l’enquêteur lui-même, le spectateur, tous responsables d’une violence dont la bavure policière ne serait que l’extrême pointe.
Hélène (Vicky Krieps) et Fernand (Vincent Lacoste) marchent dans la rue dans De nos frères blessés
Critique

« De nos frères blessés » de Hélier Cisterne : Celui qui n'a pas trahi, celui-là a été trahi

26 mars 2022
La rengaine entonnée par De nos frères blessés est sur-entendue : la grande histoire par le petit bout de la lorgnette, les faits à hauteur de l'humain, l'affaire des personnes plutôt que celle des forces impersonnelles. Destituer les majuscules de l'histoire au nom des petites généricités de l'intimité reste une opération consensuelle, favorable à toutes les réductions, toutes les trahisons. Entonner la rengaine du petit bout de la lorgnette comme s'y prête Hélier Cisterne, c'est entamer les paroles d'une chanson connue, celle des amours plus transparentes que les engagements politiques. C'est aussi déclamer à la cantonade qu'il y a des justes qui le sont moins pour des idées que par vertu. C'est encore verser dans le gros tonneau du cinéma français la vie de Fernand Iveton, vie d'exception et d'exemplarité tristement passée au laminoir de rassembleuses banalités.
Benedict Cumberbatch sur la plaine dans The Power of the Dog
Critique

« The Power of the Dog » de Jane Campion : Que la bête meure et l'homme aussi

21 janvier 2022
1925, le western a atteint son crépuscule, son âge d'or derrière lui. Pourtant ses acteurs rêvent encore de jouer les prolongations même si celles-ci continuent d'exercer leurs mirages à l'encontre de leur désir le plus profond. Une affaire de rayonnement fossile, d'hystérésis. The Power of the Dog est l'histoire d'une révérence, celle qu'il faut tirer à l'adresse du souverain qui intimement sait qu'il est le roi pêcheur d'un royaume de terres vaines. La révérence s'en double cependant d'une autre faite à une conception du cinéma confinée, les simplismes de la thèse moulés dans une manière des plus rigidifiées. Tanner le cuir des clichés, qu'ils soient d'aujourd'hui ou du siècle dernier, est une opération risquée jusqu'au cynisme valorisant l'élimination des retardataires d'un patriarcat en sursis.
Adam Sandler montre un bijou dans Uncut Gems
Critique

« Uncut Gems » de Benny et Joshua Safdie : Le déclin du rêve américain

17 janvier 2022
Après Mad Love in New York (2016) et Good Time (2017), avec lequel, pour ce dernier, les frères Safdie ont obtenu une reconnaissance internationale, le binôme est revenu à la réalisation avec Uncut Gems en 2020. Film attendu, dès lors, le plus abouti, sans doute, avec une star de la comédie, Adam Sandler, les frères Safdie y reprennent pour décor macroscopique New-York la déglinguée comme personnage de premier plan imprimant son rythme aux personnages comme sa loi, New York la déglinguée, avec comme décor microscopique une bijouterie au sein de laquelle les destins se font et se défont sur fond de paris et prêts sur gages afin que son propriétaire (Adam Sandler) reste à flot comme en vie. Jeux de (mal-)chance comme de hasard auxquels s’adonne le propriétaire des lieux, dont l’existence ressemble au barillet plein d’une roulette russe, pistolet en main tenu par Adam Sandler sur la tête du rêve américain.
Samba (Stéphane Bak) et Lara (Alice Da Luz Gomes) dans les rues de Bamako dans Twist à Bamako
Critique

« Twist à Bamako » de Robert Guédiguian : Mali qui lui en a pris

11 janvier 2022
Il y a un drame à renvoyer dos à dos socialisme d'hier et islamisme d'aujourd'hui au nom des vieux airs nourrissant la nostalgie, autre colonialisme mais celui-là est culturel, cela ne compterait pas. Robert Guédiguian est pour sa part confiant qu'avec Marx liquidé resterait cependant l'essentiel, l'Amérique des consommations de notre jeunesse, twist again. Voilà ce que raconte Twist à Bamako qui se conclut par un autre twist, celui d'un réalisateur obstiné à faire au cinéma la nique à ses propres idéaux. Le twist tue quand il tient du désaveu, celui d'un matérialisme de pure façade ajointé à un didactisme sans politique. Robert Guédiguian rejoint ainsi Ken Loach et Nanni Moretti dans la triste série des réalisateurs dont les amertumes et déplorations font durer plus que de raison l'agonie de la social-démocratie.
Tony (Ansel Elgort) et Maria (Rachel Zegler) se rencontrent au bal dans West Side Story
Critique

« West Side Story » de Steven Spielberg : Consensuel, colossal

27 décembre 2021
West Side Story : l'entreprise interroge mais on ne s'étonne pas longtemps que Steven Spielberg en ait initié le remake, lui qui incarne la jonction entre la fin de l'âge classique hollywoodien et le devenir-disneyien de l'industrie du divertissement. L'opération de cinéphilie est alourdie par les manières publicitaires de son artificier qui croit bon d'en rajouter, toujours plus, toujours trop, sur l'appariement parfois ballot des nouvelles conventions sociétales. Si la version de 2021 gagne en lucidité sur un processus de gentrification relégué dans le hors-champ de la version de 1961, les ruines urbaines abritent les mêmes schémas spielbergiens, adolescents refusant de grandir dans un monde post-apocalyptique, qui disent la vérité d'une culture saturée quand elle n'a pas d'autre objet qu'elle-même.
Bill Murray, Dan Aykroyd, Harold Ramis et Ernie Hudson luttent contre Gozer dans SOS Fantomes
Critique

« SOS Fantômes » : Hantologie fascistoïde

15 décembre 2021
Existerait-il des germes fascistoïdes à la base de la saga SOS Fantômes ? Derrière la comédie et le fun, analyse d'une logistique de la mort et de la neutralisation de l'autre quand celle-ci n'a pas pour but de sauver le monde.
Gilles Lellouche en pleine intervention en banlieue dans BAC Nord
Critique

« BAC Nord » de Cédric Jimenez : L’excrémenteur

10 décembre 2021
BAC Nord a-t-il un point de vue sur « la banlieue », celle des quartiers nord de Marseille ? De droite, répond une partie des commentateurs dans un geste qui se voudrait critico-salvateur. Plutôt, s’il fait à droite, et pas à côté, c’est pour lâcher sa grosse commission, comme le chien d’Antoine, dans le film, ferait sur le trottoir d’un Sud que Nino Ferrer ne reconnaîtrait même plus. BAC Nord laisse ainsi sa marchandise, des récréments-pas-que-canins versus la drogue verte olive des trafiquants. Il faudrait donc en remonter jusqu’au côlon du film pour s’apercevoir que ce qu’il cancérise de son propos n’est pas simplement « la banlieue » mais d’abord et avant tout son propre discours, comme la police crapuleuse qu’il souhaitait pourtant réhabiliter ardemment. Ou comment à vouloir rehausser ses principes comme lui refaire une beauté, faire du visage de la police un agrément, Cédric Jimenez se confond en excréments.
Tilda Swinton dans Memoria
Critique

« Memoria » d’Apichatpong Weerasethakul : Un bruit qui rend fou

30 novembre 2021
Memoria est le film du bruit qui rend fou parce qu'il est celui d'un cri étouffé, le cri réprimé de l'exilé dont la tête explose, le trou dans la tête par où manque le pays natal qui fuit partout. Memoria c'est malheureusement aussi le trou mais sans la trouée, le bang qui ouvre en fracassant avant de s'évanouir dans les murmures de tropes et réflexes ressassés, la dérive téléguidée qui n'excède aucune des conventions d'un cinéaste replié sur ses idiosyncrasies. Memoria raconte l'histoire d'un échec mais celui-ci s'assume comme tel, l'échec d'une incapacité à s'inscrire dans un territoire particulier et d'une préférence finale pour les étoiles.
NTM en concert dans Suprêmes
Critique

« Suprêmes » d’Audrey Estrougo : La banlieue se cache pour mourir

26 novembre 2021
Suprêmes, film cerise sur le ghetto (Mafia K’1 Fry), est un biopic sur les débuts du groupe de rap français NTM, aux accents délibérés de « banlieue-film », un cinéma qui n’entend pas simplement être biographique mais critique. Un banlieue-film qui, cependant, finit par s’avaler dans son génie, produisant un son malheureusement trop attendu, trop entendu, qui sous couvert de dresser un constat social, ne libère pas le regard du « ghetto » à la française, mais en redouble comme il en capitonne les murs. Un film sur NTM qui le viderait de NTM, le déposséderait de la possibilité de son île : un cinéma qui priverait chacun du « monde de demain ».
Lucie Zhang et Makita Samba discutent dans Les Olympiades
Critique

« Les Olympiades » de Jacques Audiard : Fluide glacial

12 novembre 2021
L'heure serait venue, celle de la réforme et son autocritique certaine. Jacques Audiard admet de faire débander les archétypes d'un virilisme dont souffrent les hommes qui ont la masculinité en excès pour prendre le pouls de l'époque qui est à la redéfinition souple et relâchée des relations entre les genres. Si l'Olympe a pour horizon de séduction la fluidité, c'est dans Les Olympiades une patinoire de béton sur laquelle glissent des figures allègres coiffant les promesses d'un libéralisme de la jouissance au poteau des normes d'un conservatisme de glace. Les figures libres se révèlent imposées quand la fluidité ne liquide en rien la ligne dure du consensus, avec l'amour féminin sauvant de la jouissance masculine et le deuil rappelant au sujet les devoirs symboliques de la filiation.
Valeria Bruni-Tedeschi et Pio Marmaï à l'hôpital dans La Fracture
Critique

« La Fracture » de Catherine Corsini : Bobos partout, cinéma nulle part

11 novembre 2021
La France va mal, la France a mal, elle a des bobos partout, amours à la dérive, Gilets jaunes en colère, hôpital en danger. Une métaphore servira en la circonstance de suture, la fracture qui appelle des réparations appropriées. Mais la chirurgie de La Fracture est une médecine à la Knock qui ne prend soin de rien quand le social en galère est un raffut de demandes ramenées aux plus petits dénominateurs communs, le bordel et l'hystérie. Le cinéma d'auteur en replâtrage des bobos du social n'a pas alors d'autre volonté que de mettre KO assis son spectateur.
Valérie Lemercier sur scène dans Aline
Critique

« Aline » de Valérie Lemercier : Comique biopic

8 novembre 2021
Biopic musical qui se décale vers la comédie ou comédie qui se décale vers le biopic musical, le film de Valérie Lemercier sur Céline Dion s’éloigne singulièrement de la satire ou de la parodie que l’on pouvait attendre ou craindre, et affirme son étrangeté, sa bizarrerie, à la fois par son refus systématique de la moquerie et par la composition « monstrueuse » du personnage d’Aline.
Mike (Clint Eastwood) s'occupe de son cheval au ranch dans Cry Macho
Critique

« Cry Macho » de Clint Eastwood : Et la mort n’aura pas d’empire...

5 novembre 2021
Cry Macho, film somme mais non pas testamentaire du cinéma de Clint Eastwood, révèle la vérité de son diamant, en un autoportrait cinématographique, à travers les thèmes de l’enfance et de la question de la mort autant que par la forme qu’il emprunte, qui redéfinissent les contours de son libertarianisme sur le plan existentiel et politique. Cinéma monde, aurait sans doute dit Serge Daney, à partir de la vie d’une cellule, un journal intime qui n’en demeurerait pas à l’entre soi, qui s’ouvrirait au grand soir.
Hakan à son toboggan dans "All-In"
Critique

« All-In » de Volkan Üce : Surmonter le nihilisme

1 novembre 2021
Dans All-In, son second long métrage, Volkan Üce place sa caméra dans un hôtel « all-inclusive » en Turquie et suit plus particulièrement deux jeunes hommes faisant des expériences contradictoires de ce microcosme qui recrée des rapports de force et de classes constitutifs de la société dans son ensemble. À travers le regard blasé de Hakan et l'innocence d'Ismaïl, All-In s'achemine vers une fin en forme de conclusion moraliste, lors de laquelle les deux « héros » auront au moins tiré quelque chose de positif : la possibilité de « surmonter le nihilisme ».
Marguerite de Carrouges (Jodie Comer) dans l'ombre dans Le Dernier duel
Critique

« Le Dernier duel » de Ridley Scott : Deux hommes, une femme, trois perspectives

26 octobre 2021
Que le fracas guerrier et viril des armes n’assourdisse pas la plainte d’une femme ; qu’au contraire une parole féminine fasse retentir le différend fondant le choc des armures et des épées, des lances et des boucliers, voilà ce dont Le Dernier duel fait la promesse avant d’y revenir au nom des impératifs du spectacle. Les jugements ordaliques sont aussi ceux de la critique du film historique qui a fait croire qu’il compterait jusqu’à trois au nom de l’éthique des vérités féminines avant de revenir au duel des vieilles rivalités masculines et mimétiques.
Nora (Maya Vanderbeque) en cours dans son école dans Un monde
Critique

« Un monde » de Laura Wandel : L'asphyxie en partage

18 octobre 2021
Si Un Monde peut par moments faire illusion, notamment lorsqu'il convoque le spectre d'Ana Torrent de L'Esprit de la ruche, il n'est au final qu'un film coup de poing de plus reposant sur un dispositif soi-disant ingénieux mais au fond éculé, et une fin qui a pour seul but d'envoyer une bonne claque au spectateur. Il est vraiment dommage qu'une jeune cinéaste annoncée comme prometteuse réalise un premier film comme celui-là dont une seule vision suffit déjà péniblement à faire le tour.
Julie (Renate Reinsve) court dans la rue dans Julie (en 12 chapitres)
Critique

« Julie (en 12 chapitres) » de Joachim Trier : J’aurais voulu être un artiste

15 octobre 2021
Avec sa voix-off littéraire et sa construction romanesque en chapitres, Julie (en 12 chapitres) s’affirme en tant qu’objet hautement « artistique » pour livrer une vision de l’artiste à la fois sombre et élitiste, teintée de misanthropie. En suivant son héroïne Julie à travers toute une série d’atermoiements, de choix successifs et contradictoires la menant, au final, à s’extraire du monde pour mieux l’observer, Joachim Trier théorise sur la figure de l’artiste « hors-sol » et s’empêtre dans une posture altière et méprisante.
Guillaume Canet au piano dans Lui
Critique

« Lui » de Guillaume Canet : Et moi, et moi, et moi…

6 octobre 2021
Dans sa dernière fiction autocentrée, Lui, Guillaume Canet se met doublement en scène au cœur d’un casting de comédiens usuels du cinéma français « grand public », qu’il utilise comme autant de poupées parlantes uniquement bonnes à le mettre en valeur, « lui », et à débiter ses mots d’auteur. Cet ersatz d’un mauvais film de Bertrand Blier aurait dû s’appeler Moi, tant il ne tourne qu’autour de la personne de l’acteur-réalisateur.
Leïla (Leïla Bekhti) et Damien (Damien Bonnard) assis dos à dos dans l'atelier dans Les Intranquilles
Critique

« Les Intranquilles » de Joachim Lafosse : L'art de ne pas avoir honte

30 septembre 2021
S’il donne l’impression, dans la première partie du film, de vouloir tout faire pour se « contenir », contourner ses vieux tics et ses vieux démons pour présenter un film « vierge » à un regard tout aussi « vierge », oublieux de tout le passif du réalisateur, Joachim Lafosse ne peut s’empêcher de retrouver sa vraie nature une fois l’illusion dissolue. Les Intranquilles développe alors toute une théorie de l’acceptation de soi en tant que cinéaste-roi, avec toutes ses tares et surtout sans honte : rien ne viendra jamais fondamentalement modifier la physionomie de ce cinéma autosatisfait et étranger à toute forme de remise en question. Mais il faut lui pardonner : il est comme ça, il ne changera pas.
Y (Avshalom Pollak) dans le désert dans Le Genou d'Ahed
Critique

« Le Genou d'Ahed » de Nadav Lapid : Les Chevilles de Nadav Lapid

30 septembre 2021
L'enfer existe sur Terre, c'est Israël et la seule chose à lui opposer consiste pour l'un de ses citoyens à tenter d'être moins mauvais qu'un pays qui, littéralement, lui sort par les trous de nez. Si Le Genou d'Ahed de Nadav Lapid est d'une certaine manière une parabole, c'est en la prenant au pied de la lettre parce que la parabole se tient à côté de la parole en faisant entendre le mystère même du fait de parler. Au pied de la lettre, la véhémente parabole d'un pays infernal qui fait la misère à ses habitants est un cri de colère qui, malgré une hystérie défensive, parvient à faire entendre entre deux coups de semonce la semence d'un silence plus profond appartenant à ceux qui souffrent d'aimer malgré tout la chose qu'ils haïssent à la folie.
Issachar (Maxi Delmelle) et Zabulon (Harpo Guit) essayent de tirer sur un piegon dans Fils de plouc
BRIFF

« Fils de plouc » de Harpo et Lenny Guit : Joyeux bordel

28 septembre 2021
Fils de plouc, par sa filiation avec plusieurs grandes figures de la comédie américaine, fait souffler un vent nouveau sur la comédie belge francophone en l'arrachant à son populisme tout autant qu'à son (sur)réalisme poétique coquet et stérile. Ce qui compte, dans Fils de plouc, c'est de rire avec eux, dans un joyeux bordel, et non de rire d'eux comme c'est parfois le cas dans la comédie de terroir wallonne.
Alexandre (Denis Podalydès) en réunion sous une serre dans la start-up dans Les 2 Alfred
Critique

« Les 2 Alfred » de Bruno Podalydès : Le doudou des doux dingues du 2.0

27 septembre 2021
On s'attendait à ce que la comédie morde un peu, au mieux égratigne, il n'en est rien. Les 2 Alfred relève moins de la sociologie critique que de la réflexologie. La rondeur et le moelleux des frères Podalydès fonctionnent comme un massage, moyennant quoi on peut retourner dans le bocal de la start-up nation, le cœur léger. C'est pourquoi le film prend place sans problème dans le petit monde confiné qu'il moque gentiment, digne d'une projection organisée dans le cadre d'un exercice de team building. Le doudou dont ont besoin les doux dingues du 2.0, c'est le film aussi. Ce texte, écrit en dyade, n'oubliera néanmoins pas aux moins deux sillons que creuse Bruno Podalydès : la nécessité vitale de former des binômes et la puissance affective du doudou lorsqu'il n'est pas au service de la parentalité comme solution contre les aliénations propres au capitalisme contemporain.
Mathieu Vasseur (Pierre Niney) et Philippe (André Dussollier) en pleine discussion dans Boîte noire
Critique

« Boîte noire » de Yann Gozlan : La théorie du complot décomplotée

24 septembre 2021
Le cinéma français, après s’être cousteauisé, s’intéressant au son venu des (bas-)fonds, block des sous-marins dans Le chant du loup (2019), écoute désormais aux portes du 7e ciel, dans Boîte noire (2021), s’envoie littéralement en l’air pour exploser en plein vol comme un AF 447 disparaîtrait en pleine mer sous la direction du pilote Yann Gozlan. Un film sur une boîte noire, développant une métathéorie du complot, une théorie de la théorie du complot, mais qui serait plus complotiste que le complot qu’il entendait dénoncer. Ou comment Boîte noire passe du chant du loup au chant du cygne.
Fern (Frances McDormand) dans le désert dans Nomadland
Critique

« Nomadland » de Chloé Zhao : La politique des barrières

20 septembre 2021
Nomadland, le dernier film de Chloé Zhao, offre des perspectives intéressantes du point de vue d’une critique qui assumerait d’être son propre contradicteur. Une critique non pas pour et contre à la fois, antipode à se vouloir bien tempérée, ménageant le oui/le non, critique nomade parce qu’incapable de se situer, critique insituable ce faisant, mais une critique qui accepterait de s’exposer au risque qui est le sien, celui de l’interprétation, qui assumerait son doute comme son obligé, le dérèglement interprétatif, pour ne pas dire sa folie. Car Nomadland peut, au minimum, offrir deux types de lectures a priori antinomiques. Le film pourrait d’abord être perçu comme une critique du way of life américain, auquel cas, de ce point de vue, son anticonformisme réinstallerait autrement sur des assises plus fermes son modèle plutôt qu’il ne le ruinerait ; il pourrait au contraire être aperçu comme un hommage à ce modèle, s’offrant une chance cinématographique, en reconsidérant la question de la frontière comme celle de la conquête de l’Ouest à travers la figure de son pionnier.
Youri (Alséni Bathily) vole à travers la cage d'escalier de son immeuble dans Gagarine
Critique

« Gagarine » de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh : Animation culturelle, décollage immédiat

17 septembre 2021
Gagarine tourné dans la cité du même nom avant sa destruction milite pour qu'un imaginaire en remplace un autre et si le communisme ne fait plus lever les yeux, peut-être que la science-fiction pour adolescents prolongés le pourrait. Le film de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh est conçu comme la navette décollant d'une terre stérile mais le lancement concerne moins ses habitants que les animateurs culturels se servant de leur cité comme de la rampe de lancement de leur fusée. Gagarine organise ainsi la démonétisation du mot de rêve quand il ne sert qu'à faire décoller au firmament du cinéma consensuel et encensé ses enchanteurs qui en sont les thuriféraires intéressés.
Paul Atréides (Timothée Chalamet) et sa mère dans le désert dans Dune
Critique

« Dune » de Denis Villeneuve : Une vocation de marbre

16 septembre 2021
Dune : le serpent de mer est un ver des sables. Le monument de la science-fiction glisse entre les doigts des amateurs de l'épice d'Arrakis désirant la convertir en poussières d'or. Le temps des mues nouvelles pilotées par Denis Villeneuve donne l'occasion de faire le point vérifiant le rapport profond, esthétique et politique, des tentatives d'adaptation de l'inadaptable cycle de romans de Frank Herbert avec leur contexte de production, industriel autant qu'historique.
Un révolutionnaire s'attaque aux bourgeois dans Nouvel Ordre (New Order)
BRIFF

« Nouvel ordre » de Michel Franco : Rien de neuf sous l’éternel soleil de la misanthropie

7 septembre 2021
Avec son titre ironique, son Mexique dystopique et sa vision extrêmement noire et désespérée du monde et de la nature humaine, Nouvel ordre de Michel Franco semble tout faire pour parer à la moindre critique et au moindre débat. Il est en quelque sorte le point culminant d’un cinéma de la misanthropie qui échappe à toute tentative de décantation et ne cultive aucun mystère. Tout est dit, tout est montré. Le film devient alors une démonstration.