« Dalva » d'Emmanuelle Nicot : Relooking réussi
Dalva s'en tire sans les honneurs dans le genre codifié du récit psychologique d'émancipation dont l'évolution n'est pas encore pour demain. C'est l'histoire d'un relooking réussi qui manque de profondeur même s'il faut bien sûr laisser du temps au temps. Avant d'être, dans sa deuxième partie, le récit du retour d'une enfant vers les dernières lueurs d'une enfance manquée parce que gâchée, le film d'Emmanuelle Nicot accumule tellement de tares qu'il faut répéter à nouveau ce qui ne va pas dans le formatage de ce cinéma qui recourt systématiquement aux mêmes clichés et répond de plus en plus à l'appel de l'humiliation.
« Dalva », un film d'Emmanuelle Nicot (2022)
Avant d'être, dans sa deuxième partie moins pénible et plutôt réussie, le récit du retour d'une enfant vers les dernières lueurs de son enfance manquée parce que gâchée, Dalva accumule dans sa première partie tellement de tares qu'il faut répéter à nouveau ce qui ne va pas dans le formatage de ce cinéma d'auteur belge francophone et international qui recourt systématiquement aux mêmes clichés et répondant à l'appel, certes ici temporaire, de l'humiliation. Après Un monde de Laura Wandel, Close de Lukas Dhont ou encore Le jeune Ahmed des frères Dardenne, voilà encore un film qui se déroule dans un cadre scolaire ou institutionnel et durant le passage de la fin de l'enfance à l'adolescence. On croit à une mauvaise blague mais non : serait-ce le nouveau Graal pour obtenir une aide du Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles et cie ? La première scène de Dalva veut nous foutre un poing dans la gueule et nous nous demandons dans quel calvaire dardenno-lafossien nous sommes encore tombés. Heureusement, le film se tire vers le haut, il évite la spirale négative de l'immersion, l'asphyxie comme la crise cardiaque à force de ne plus savoir respirer. « L'immersion c'est la régression, le grand bleu virant au noir de la pulsion de mort, un nihilisme »(1). Ce nihilisme, Dalva le met à mort dans sa deuxième partie avec une délicatesse que n'ont pas tous ses contemporains.
Avant de voir comment le film d'Emmanuelle Nicot évite la noyade, il est impossible de passer sous silence une première partie qui sent le renfermé avec ses clichés à la pelle. La séquence d'ouverture est le premier d'entre eux. Fond noir, des cris se font entendre tandis que les premiers crédits du générique défilent. Puis, à l'écran, Dalva qui se déchaîne parce que les policiers emmènent Jacques, qui est en réalité son père. Elle crie son nom, elle ne dit pas "papa", deuxième cliché bien lourdingue qui fonctionne certes mieux ici parce qu'il ne se limite plus à la communication conflictuelle entre un enfant rebelle et un parent (comme dans Continuer de Joachim Lafosse ou Lola vers la mer de Laurent Micheli). Il prépare en même temps le terrain à la construction du hors-champ du film. Toujours dans la même séquence (!), Dalva respire fort, elle a le souffle coupé, comme dans un nombre incalculable d'autres films refermés sur eux-mêmes. Verra-t-on un jour un personnage mourir essoufflé dès la première scène ? On rêve de ce qui serait un grand pied de nez. Guillaume Nicloux l'a fait récemment dans La Tour en éliminant un agaçant petit garçon après 15 minutes. On aurait aimé que les frères Dardenne en fassent de même avec Tori dans Tori et Lokita !
Dalva commence donc très mal et on s'accroche péniblement, en soupirant de lassitude. Et voilà que Dalva fait pipi au lit, comme dans Close et bien d'autres films qui jouent aujourd'hui la carte de l'urologie en prétendant montrer ou penser quelque chose en recourant à l'humiliation. On ne souffle plus, on enrage. Et puis on voit le sang des premières menstruations de Dalva. No comment, on se dit qu'il n'y aura rien à sauver (à tort). La suite de la première partie du film, dans laquelle Dalva se retrouve dans un refuge, recycle tous les codes du film de décrochage. Or, plutôt que de choisir l'immersion asphyxiante pour son personnage déjà essoufflé, Emmanuelle Nicot saute par-dessus le piège du nihilisme en installant très vite une quête de légèreté et de liberté. Elle n'évite cependant pas la scène de danse en suspension clignotant à mille feux pour bien montrer au spectateur que Dalva est en train de muer. C'était malheureusement attendu au cahier des charges, comme si ce type de scène, répétons-le encore, était le seul moyen de signifier qu'un personnage se reconnecte à son corps et à son esprit. Si Abdellatif Kechiche dans ses Mektoub, My Love ou un petit film qui n'a l'air de rien comme A Chiara de Jonas Carpignano ont repensé la place de la scène de suspension musicale, on rêve de voir un film qui lui tordrait le cou, façon Grande Bouffe, où un personnage s'envolerait dans le ciel à force de léviter ou se mettrait à tourner indéfiniment comme une toupie.
L'intérêt de Dalva se trouve dans sa deuxième partie et réside principalement dans la façon dont Emmanuelle Nicot construit son hors-champ. Dalva est une enfant modelée en femme adulte. Est-ce une initiative de sa part ou bien est-ce un fantasme de son père ? A-t-elle construit un personnage pour mieux se détourner de la violence du réel ? La réponse n'est jamais donnée et Dalva, jusqu'à sa libération, traîne cette fiction comme un refuge. L'anachronisme est pourtant évident et il donne du grain à moudre au spectateur. Sur ce point, le film s'avère très efficace puisqu'un processus va se mettre en place, Dalva va en effet se changer progressivement en enfant pré-adolescente. Exit le rouge à lèvres, le chignon et le chemisier : voilà Dalva relookée à la mode, façon génération Angèle & Roméo Elvis avec un training old school. Un remodelage pour un autre ? De Dalva, on ne saura pas grand chose si ce n'est qu'elle change de look et que ça lui va bien. Mais si tout processus de reconstruction prend du temps et avance pas à pas, le film ne va cependant pas très loin et s'interdit presque toute digression potentiellement constructive. Il a cependant le mérite de ne pas trop en dire, ce qui fait indubitablement du bien à l'heure où des films pachydermiques comme The Whale de Darren Aronofsky ou The Son de Florian Zeller triomphent. Dalva appelle sans fioritures une légèreté et une libération, certes convenues mais espérées, à l'image de cette scène où la future ado danse les cheveux relâchés dans le vent.
Si le film ne prête pas franchement à rire (la pénible scène d'ouverture l'interdit pratiquement), mais qu'il est quand même en quête d'une forme de légèreté, peut-être qu'un humour discret se distille par endroits (ou alors nous avons l'esprit bien mal tourné), notamment dans le centre d'accueil où séjourne Dalva et, pourquoi pas, dans la manière dont Emmanuelle Nicot utilise l'acteur Jean-Louis Coulloc'h qui incarne Jacques, le père pédophile. Alors qu'il était l'objet du fantasme de Lady Chatterley dans le film de Pascale Ferran, c'est à son tour de s'en créer un, et pas des moindres, puisqu'il est maladif, pervers et illégal. Le gentil garde-chasse est maintenant un monstre. Étrangement, il demeure aussi mutique. Les personnages mémorables joués par Jean-Louis Coulloc'h ont besoin du hors-champ pour évoluer. Cela préserve un certain mystère autour de sa relation avec Dalva et en même temps son silence comme sa posture, lors de la scène de visite en prison, le condamnent indubitablement. Nulle ambiguïté malsaine ici et c'est tant mieux car il y a des sujets dont on ne peut pas renverser l'équation, et surtout pas au nom de la provocation chic et arty de ceux qui pissent du Haneke sans le comprendre. Dalva s'en tire donc sans les honneurs dans le genre codifié du récit psychologique d'émancipation (certes bien moins pesant qu'ailleurs) dont la disparition (ou même l'évolution), semble-t-il, n'est pas encore pour demain.
Notes