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Rayon vert, Histoires de spectateurs, Majeur en crise et Chambre verte : découvrez les catégories les plus singulières du Rayon Vert.

La forêt dans la première partie de Eureka
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« Eureka » de Lisandro Alonso : L’incompréhension du monde

20 juillet 2024
Par la mise en simultanéité dans un même récit de plusieurs époques et de plusieurs lieux, de différents modes de représentations des autochtones et de la domination qu’ils subissent, Eureka de Lisandro Alonso rend compte de la condition amérindienne saisie au travers des structures oppressives qui en modèlent les contours.
Carmen et Antonia dans L'image permanente
BRIFF

« L'image permanente » de Laura Ferrés : Sauver les âmes mouvementées

14 juillet 2024
Dans L'image permanente, la photographie ne vole pas les âmes. Elle les sauve, le temps d'une rencontre, de la morosité dans laquelle elles baignent, ces impasses temporaires dans lesquelles le passage du temps a forcé Carmen et Antonia à se replier. Mais les choix esthétiques de Laura Ferrés sont avant tout au service de son empathie pour les personnages et d'un humour décalé qui adoucit l'influence du passage du temps : Carmen et Antonia sentent encore le souffle d'un sauvetage de leur vie dans leur dos, ce souffle permanent qui rappelle qu'heureusement rien n'est jamais joué.
La fin du film sur la plage dans In Water
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« In Water » de Hong Sang-soo : Seul sur la plage le jour

23 juin 2024
Le flou est une composante de tous les films d'Hong Sang-soo. Il est introduit par l'alcool qui va réorganiser l'existence des personnages ou, inversement, ceux-ci ne savent pas toujours où ils vont, le flou enrobant leur vie et l'alcool vient y apporter un peu de clarté. Le flou a ainsi toujours circulé dans les deux sens, avec les joies et les peines qui l'accompagnent. Celui que matérialise le cinéaste dans In Water n'est au fond que l'expression imagée traduisant la solitude, la mélancolie et la volonté d'en finir d'un jeune cinéaste tournant son film testamentaire.
Fran (Daisy Ridley) s'imagine morte dans une forêt dans Sometimes I Think About Dying
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« Sometimes I Think About Dying » de Rachel Lambert : Blanche-Neige sort de la forêt

20 juin 2024
Sometimes I Think About Dying est bien plus qu'un film arty et poseur. Portrait impressionniste d’une jeune femme angoissée, cette nouvelle mouture du décidément fructueux cinéma indépendant américain mélange le conte au naturalisme pour donner à penser la névrose.
Toute la bande lors d'un combat dans la rue dans Outsiders
Rayon vert

« Outsiders » de Francis Ford Coppola : L’or des visages

16 juin 2024
Les jeunes visages de Outsiders promettent de l’or. Entre les courses vaines face à la violence et la fixité illusoire face aux écrans, entre la lumière des couchers de soleil et les brûlures nées du courage, le visage de Johnny (Ralph Macchio) abrite peut-être le rayon doré secret du film.
Les militaires lors d'un cérémonie dans le cimetière dans Jardin de pierre
Le Majeur en crise

« Jardins de pierre » de Francis Ford Coppola : Mémoire d'outre-tombe

16 juin 2024
La période des années 70 aurait vampirisé le cinéma de Coppola. Draculéen, il ne laisserait pas la moindre goutte de sang. Les années 80 en regorgent pourtant, dans un cinéma d'apparence différent. Derrière les beaux costumes, les belles voitures, sourd déjà le pessimisme dans Peggy Sue s'est mariée, en 1986, une tristesse qui se concrétisera un an plus tard, avec Jardins de pierre, qui refait la guerre du Vietnam. Entre les deux tournages, meurt le premier fils de Coppola, John Carlo, à l'âge de 22 ans, dans un accident de bateau. Un drame, un film, qui demandent, qui exigent : comment remonter sa vie ? Comment refaire communauté, en famille comme en Amérique, quand la mort vous empêche, trop tôt, le matin, de réinventer votre drame ?
Kathleen Turner avec sa couronne au bal de fin d'année dans Peggy Sue s'est mariée
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« Peggy Sue s'est mariée » de Francis Ford Coppola : Les illusions perdues

16 juin 2024
S'il était possible, referait-on sa vie ? Effacerions-nous nos erreurs pour se rendre un peu plus digne de cette blessure d'où l'on vient ? En 1986, Francis Ford Coppola envoie Peggy Sue dans le passé pour tenter de nous apporter une réponse. Même dans le pire, même dans l'infamie, Peggy Sue récidiverait, reconduirait sa vie dans une philosophie paradoxale du renoncement qui s'apparente au soulèvement, et ne se mesure pas, une victoire remportée dans la défaite qui provoquerait non pas le désespoir mais une joie tragique.
Natalie et Killer jouent à Simon Says dans Les Gens de la pluie
Rayon vert

« Les Gens de la pluie » de Francis Ford Coppola : Femme de pierre

16 juin 2024
Dans Les Gens de la pluie, Natalie est moins faite de larmes que de pierres. Elle résiste plus qu'elle ne se dissout. En ce cens, sa trajectoire dessine les contours d'un grand film féministe qui contient en même temps les germes, les aspirations et le rapport à l'utopie du laboratoire à venir de Francis Ford Coppola.
Tim Roth regarde une horloge dans L'homme sans âge
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« L'Homme sans âge » de Francis Ford Coppola : La troisième rose, la dernière, la trémière

16 juin 2024
L'Homme sans âge est un retour au cinéma, une seconde chance après dix ans d'absence et bien des atermoiements. La jouvence du numérique offre alors au vieux démiurge, toujours un peu bateleur, une occasion renouvelée de faire œuvre d'horloger, mais à seule fin de réitérer qu'il n'y a jamais lieu de se réconcilier avec le temps, pour des vieillards qui rajeunissent et des enfants qui vieillissent trop vite. La remontée de la jungle des origines du langages abrite en vérité le secret malade des amours décomposées, ce cœur blessé qui refait le cinéma de toute une vie pour à la fin consentir à laisser vivre le souvenir immortel de l'aimée. L'aiguille de l'horlogerie, avec ses images comme autant de miroirs à retardement, est la tige d'une rose et si elles viennent toujours par trois, la dernière est une rose trémière, celle qu'un homme dépose sur le seuil de lui-même, une fois délivré du démon totalitaire de la démiurgie.
(Elle Fanning) hante les rêves de Hall Baltimore dans "Twixt"
Rayon vert

« Twixt » de Francis Ford Coppola : Écrin de sang

16 juin 2024
Faux film de genre, faux film de vampires, prétendu entre-deux mineur dans la carrière de Francis Ford Coppola, Twixt brouille les pistes pour mieux proposer, dans une trouée, une introspection à la fois cathartique et prophétique. Sous la figure tutélaire d'un Edgar Allan Poe en guide rêvé, le film apparaît in fine comme un écrin aux atours fantastiques et sanglants, pour mieux ceindre l'intention principale de son auteur : rendre hommage à sa famille, et particulièrement à ses enfants, de la plus belle des manières.
Harry Caul (Gene Hackman) écoute une conversation dans Conversation secrète
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« Conversation secrète » de Francis Ford Coppola : À la recherche du temps perdu

16 juin 2024
Peut-on filmer sa propre histoire, celle d'un enfant reclus longuement dans sa chambre dès l'âge de cinq ans ? À partir d'un grand film sur la paranoïa, Conversation secrète est la tentative de Coppola de forer son passé, reconstituer un centre où se loger durablement. Mais a-t-on jamais vu quiconque habiter un trou noir, celui de l'enfance ?
Deux musiciens jouent de la trompette dans Cotton Club
Le Majeur en crise

« Cotton Club » de Francis Ford Coppola : Croches et croche-pattes, du blanc sur le noir

16 juin 2024
Cotton Club danse, ses jeux formels sont endiablés, claquettes du musical et mitraillettes du film de gangster, mais les danses de l'éléphant blanc sont boiteuses. À peine amorcée, la critique de l'appropriation culturelle est aussi vite annulée au nom d'une hégémonie du spectacle qui a le blanc pour accord majeur, et les noirs de rester une minorité malgré l'apologie du jazz et sa créolité. L'enflure d'un spectacle qui l'est d'abord pour lui-même, avec son budget faramineux, sa centrifugeuse cinéphile et ses immixtions mafieuses est un ventre à deux poches, avec le génie empêché de Francis Ford Coppola et Robert Evans, son démon contrariant. Les croches musicales y sont des croche-pattes qui arrivent toutefois à battre la mesure des motifs fétiches d'un cinéaste impuissant à se désendetter de ses obligations, rivalités mimétiques, vampirisation mafieuse et jeunesse menacée d'un gâtisme prématuré.
Jack (Robin Williams) s'amuse avec un papillon, aussi éphémère que lui
Le Majeur en crise

« Jack » de Francis Ford Coppola : La fragilité spectaculaire de l’étoile filante

16 juin 2024
Film mineur, de commande, constamment moqué, Jack fait depuis longtemps figure de vilain petit canard dans la filmographie de Francis Ford Coppola. Le film mérite cependant d'être revu à l'aune d'éclairages rétrospectifs, pour apparaître étonnamment comme très personnel de la part du cinéaste. Développant toute une dialectique de la fragilité, une philosophie de l'éternel enfant et une allégorie de l'étoile filante, il permet à Coppola de rendre, quinze ans avant Twixt, un hommage discret à ses enfants.
Les trois enfants dans le centre de vacances abandonné dans The Florida Project
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« The Florida Project » de Sean Baker : Le palais de leur enfance

12 juin 2024
La banlieue industrielle et kitsche que filme Sean Baker à hauteur d'enfants dans The Florida Project devient un monde merveilleux qui renvoie le parc Disney World et ses promesses à ses propres illusions. Contrairement à Disney qui cherche à tout polir et infantiliser (et non enfancer), le film se construit sur une terre de lutte sociale et économique que Sean Baker ne cherche jamais à cacher ni à moraliser.
Mike Faist, Zendaya, Josh O'Connor durant la scène d'amour à trois dans Challengers
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« Challengers » de Luca Guadagnino : Match amical, match inachevé

31 mai 2024
S’il ne tient pas ses promesses de match sulfureux entre tennis et désir, Challengers parvient sur le fil à s’échapper de sa mécanique programmée. En changeant sa manière de servir, le personnage de Patrick ouvre le film à d’autres possibles et fait surgir d’autres manières de jouer et de vivre.
Furiosa (Anya Taylor-Joy) monte sur un camion dans Furiosa : une saga Mad Max de Georges Miller.
Rayon vert

« Furiosa : une saga Mad Max » de George Miller : La pétroleuse de son malheur

24 mai 2024
Avec la saga Mad Max, le genre post-apocalyptique peut joyeusement retraduire en parodie carnassière la barbarie intrinsèque d'une civilisation industrielle dont l'économie fossile fait violence à tout le vivant qu'il considère comme un gynécée dont il peut à loisir piller le ventre. Le désert a beau être de désolation, il ne s'oppose en rien à une prodigalité carnavalesque qui a pour flux sanguin et cruel le pétrole, la matière fécale de la terre dont l'extraction est un viol. Y pousse cependant une plante étrange qui a pour nom Furiosa mais elle est une fleur de malheur quand le fruit conservé de l'éden perdu est la blessure qui pourrit dans son cœur. Le roi pêcheur est une reine vengeresse, la pétroleuse suractive dans l'accroissement du désert.
John Ryder avec son revolver dans la voiture dans Hitcher
Le Majeur en crise

« Hitcher » de Robert Harmon : L'homme de main de l'Amérique

21 mai 2024
Selon de nombreux commentateurs, à l'heure des présidentielles, deux Amériques irréconciliables s'affronteraient, celle de Donald Trump, nostalgique de l'hooverisme viriliste, celle de Joe Biden, prompte à rekennedyser les États-Unis, une manière gauche de vivre. Une grille de lecture souvent utilisée par la critique cinématographique elle-même. En 1986, Hitcher, qui vient de ressortir en salles, l'invalide. Il n'y a jamais eu deux Amériques, mais une seule, née d'un crime initial, que son homme de main est venu solder définitivement dans le film pour dire que l'Amérique n'a jamais rien eu d'autre en partage que ce seul patrimoine commun : sa violence constitutive.
Une vue d'une rue de New York dans News from home
Rayon vert

« News From Home » de Chantal Akerman : Dialectique urbaine

16 mai 2024
Au début des années septante, Chantal Akerman s’installe pendant plusieurs mois à New York. Là-bas, la jeune réalisatrice fréquente l’avant-garde du cinéma expérimental et réalise plusieurs courts et moyens-métrages. En 1976, elle revient à New York pour y tourner les images de la ville qui viendront accueillir la lecture des lettres que sa mère lui envoyait quelques années plus tôt. Ainsi nait News From Home, d’un premier décalage temporel qui place le film sous le signe de l’écart. Tout le film s’articule ainsi autour de forces antagoniques qui se font l’écho du conflit interne qu’expérimente la cinéaste à cette époque et qu’elle transmet aux spectateurs sous la forme d’une œuvre physique et éreintante.
Le jeune prêtre et le curé dans Le Journal d'un curé de campagne
Rayon vert

« Journal d’un curé de campagne » de Robert Bresson : De combat et d’agonie pour le camé

8 mai 2024
Journal d’un curé de campagne décrit de l’intérieur une série de rencontres comme autant d’épreuves dans l’ordre de la croyance que la guerre aura fragilisée. Une suite de séances de lutte engagée entre l’homme de la foi et les diverses incarnations du renoncement spirituel (jusqu’à l’intérieur même de l’Église) et, à la fin, une accumulation d’échecs pourtant sanctionnée par une victoire – la plus belle car la plus imprévisible. Le film de Robert Bresson d’après Georges Bernanos est un grand film agonistique en tant qu’il est soulevé par une fièvre agonique, de combat et d’agonie pour le camé, le curé addict à la grâce qui manque.
Melissa (Hafsia Herzi) tire à la mitraillette dans Borgo
La Chambre Verte

« Borgo » de Stéphane Demoustier : Lettre à une inconnue

6 mai 2024
Borgo n'est pas un film noir sur le banditisme corse ni un film carcéral. Il est le film d'un Apache en quête de son indienne. Une investigation impossible sur son actrice, Hafsia Herzi, pour témoigner de sa mélancolie atone, sans pathos, qu'on dit parfois blanche.
L'infirmière Sylvie Hofmann à l’hôpital dans Madame Hofmann
Rayon vert

« Madame Hofmann » de Sébastien Lifshitz : Fermer les écoutilles

20 avril 2024
Avec Madame Hofmann, Sébastien Lifshitz complète la galerie déjà riche de ses portraits au féminin. Sous son regard, Sylvie, soignante quasi retraitée de l’hôpital nord de Marseille, illumine l’écran. Elle pourrait apparaître comme une héroïne un brin statufiée, symbole idéal et sacrificiel de l’hôpital public en pleine crise, mais Sébastien Lifshitz parvient, au plus près des corps, à échapper à cette célébration politiquement dangereuse. Il capte, bien plutôt, les mécanismes insidieux de la souffrance professionnelle, et nous met face aux déterminismes sociaux qui poussent les femmes, en premier lieu, à s’oublier pour le bien collectif.
Maxime Mounzouk et Youri Solomine dans la Taïga dans Dersou Ouzala
Rayon vert

« Dersou Ouzala » d'Akira Kurosawa : Le cœur d'un golde

20 avril 2024
Le triangle d'or de l'amitié est une pomme de paradis dont le cœur est brisé à fendre l'âme, mais la brisure creuse en chacun de nous son ombilic. C'est, contre tout humanisme, l'histoire vraie racontée par Dersou Ouzala d'Akira Kurosawa. Avec ce film qui vient en relève de l'insuccès de Dodes'kaden, son auteur retrouve la forêt aux sortilèges et s'y fraie un nouveau chemin, sachant y revenir à chaque fois qu'il faut faire la part des choses quand il faut rendre au peuple de ses autres tout ce que le double qu'il est leur doit. Et c'est pour à nouveau emprunter sa piste préférée, celle de la queue du tigre, dans le risque assumé de lui marcher dessus. Comme japonais, Akira Kurosawa est un cinéaste double, russe au cœur golde.
Ray (John Magaro) avec un revolver à la main dans LaRoy.
Histoires de spectateurs

« LaRoy » de Shane Atkinson : Se rater magistralement et en toute amitié

16 avril 2024
LaRoy met en scène un grand bal d'identités mouvantes où le ratage s'impose comme une éthique de vie. Le premier film de Shane Atkinson donne ainsi à penser une grande question : N'est-il pas plus appréciable de rater magistralement sa vie comme on l'entend, en toute plénitude et en restant fidèle à ses affects comme à ses sirènes, plutôt que de réussir en faisant des compromis et en se laissant modelés par les autres ?
Román rencontre le groupe d'amis près de la rivière dans Los delincuentes
Le Majeur en crise

« Los delincuentes » de Rodrigo Moreno : La liberté suffira

15 avril 2024
Los delincuentes propose une expérience radicale à son spectateur : celle d’éprouver non pas le fait d’être libre comme un état, mais comme un processus de libération. Rodrigo Moreno explore deux univers, plongeant à la fois au plus profond du monde clos incarné par la banque et au plus intense du monde ouvert par la passion vécue par les personnages auprès de Norma et la perte de tous les repères qui les cloisonnaient.
Un photo de l'exposition Chantal Akerman Travelling à Bozar et au Jeu de Paume.
Histoires de spectateurs

Exposition « Chantal Akerman. Travelling » : Bifurquer entre les mondes

13 avril 2024
L'exposition « Chantal Akerman. Travelling » est une invitation à bifurquer et à se mouvoir dans les mondes où Chantal Akerman nous emmène. Bifurquer physiquement, avec notre corps et nos affects, mais aussi pour rencontrer ses mots, sa pensée. Bifurquer, comme à l'entrée de l'exposition au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, du chemin tout tracé vers le sentier dissimulé sur le bas-côté, pour ressortir plus loin, après avoir voyagé dans des temps racontés par la cinéaste, en arpentant seulement quelques couloirs et une dizaine de salles.
Arthur (Josh O'Connor) tient son objet dans La Chimère
Rayon vert

« La Chimère » d'Alice Rohrwacher : Territoire contaminé

29 mars 2024
Avec La Chimère, Alice Rohrwacher, tout en continuant à questionner le rapport des sociétés modernes au passé et à la sacralité, emmène son cinéma vers de nouvelles contrées formelles. Elle s'intéresse à des émanations du passé qui peuplent notre monde et recèlent une force qu’il s’agit de réapprendre à percevoir. La Chimère est même pris d’une fièvre, son territoire étant infecté par des mouvements de films contaminants jaillissant du sous-sol.
Raphaël Thiéry dans L'Homme d'argile
Rayon vert

« L'Homme d'argile » d'Anaïs Tellenne : La matière de l’art

24 mars 2024
Avec L'Homme d'argile, Anaïs Tellenne s’attèle au mythe de Pygmalion en explorant à son tour la question des rapports de l’art et du monde. Si le film conclut bel et bien à la possibilité d’une métamorphose, c’est en fait à une double métamorphose que le spectateur est confronté : comme dans le mythe, la statue prend effectivement vie, mais cette transformation trouve son pendant dans le consentement de l’homme à devenir la statue qui le représente, car il ne supporte pas de disparaître aux yeux de la femme qu'il aime.
le moine franciscain Guillaume de Baskerville (Sean Connery) dans la lumière dans Le nom de la rose
Le Majeur en crise

« Le Nom de la rose » de Jean-Jacques Annaud : Le mammouth et le rasoir

22 mars 2024
Le Nom de la rose – le livre d'Umberto Eco – est un roman philosophique qui adjoint à une généalogie médiévale du détective, une enquête spéculative sur la disparition du second tome de la Poétique d'Aristote dédié à la comédie. Le Nom de la rose – son adaptation cinématographique par Jean-Jacques Annaud – est d'une autre étoffe, celle d'un pachyderme. L'usage circonstancié du rasoir d'Occam, qui prescrit une économie parcimonieuse dans l'explication des faits, élimine ainsi le superflu des graisses spectaculaires pour atteindre au cœur de notre affaire, qui n'a que très peu à voir avec les puissances subversives du rire et de la comédie. Le mammouth engage ainsi à se méfier des traits épais d'un médiévisme grossier.
Johnny Marco (Stephen Dorff) et sa fille Cleo (Elle Fanning) dans le divan dans Somewhere
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« Somewhere » de Sofia Coppola : Une oasis au-dessus du désert

11 mars 2024
Somewhere de Sofia Coppola montre comment un apprivoisement a fonctionné et est dépassé. Cleo vient combler l'absence de repères dans la vie de son père Johnny, ainsi que les interstices entre les corps et les silences. Ensemble, ils construisent une oasis sur le désert, en attendant la pyramide.
Paul (Timothée Chalamet) et Chani (Zendaya) s'embrassent dans le désert dans Dune : Deuxième partie
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« Dune : Deuxième partie » de Denis Villeneuve : Trois déserts font une pyramide

6 mars 2024
Le premier volet de l'adaptation par Denis Villeneuve de Dune, le chef-d'œuvre de Frank Herbert, était un film d'installation. Sa grandeur n'y était que d'apparats. Le space-opera interstellaire y était fondu dans le marbre d'une monumentalité pleine de componction. L'érection d'intimidantes illustrations considérait de loin un monde posé en allégorie du nôtre, celui d'une impérialité qui n'a pas cédé sur ses propensions religieuses malgré les acquis sophistiqués de la rationalité, et d'une crise de la production qui a pour surface d'inscription les forces climatiques d'un vaste désert, avec son énergie à extraire et ses indigènes à circonvenir. Le second volet crée la surprise en prenant à rebours la déception première. Il gagne en ampleur parce qu'il prend tout le temps nécessaire à filer la tresse complexe des grands récits qui surdéterminent un destin comme autant de voix et d'interpellations contradictoires, pour en compliquer en dernière instance l'avènement, sournoisement assombri. Une voix obscène qui commande et contrôle revient à la fin au blockbuster de Denis Villeneuve lui-même, n'ignorant pas qu'il est souterrainement parlé par elle. Si l'épopée est épicée, c'est en ouvrant les portes de la perception comme le disait William Blake, mais à seule fin d'y plier espace et temps – autrement dit la Terre et tous les flux d'argent qui l'enserrent.
Pharaon de Winter dans le jardin à la fin de L'Humanité
Rayon vert

« L'Humanité » de Bruno Dumont : Politique de la responsabilité

4 mars 2024
Tout commence par un crime chez Bruno Dumont. Mais qui en répondra ? Qui en supportera la charge ? Des illuminés, à propos duquel se déroule la véritable enquête dans L'Humanité, qu'il nous faudra sans doute reprendre sans jamais être certain d'en avoir abouti l'examen.
Freddy couché dans l'herbe dans
Rayon vert

« La Vie de Jésus » de Bruno Dumont : Les bruits qui pleurent

4 mars 2024
Du vrombissement des mobylettes au silence devant le ciel, La vie de Jésus peut s’entendre comme un voyage à travers les bruits du monde. Ses personnages tentent de combler leur vide intérieur par le bruit des moteurs ou par la musique, vaines tentatives de domestiquer la violence en eux. C’est par l’acceptation du silence qu’une possibilité de salut peut survenir.
L'étreinte finale dans "Hadewijch"
Histoires de spectateurs

« Hadewijch » de Bruno Dumont : Ce qui n’advient pas

4 mars 2024
Tout comme le personnage d’Hadewijch, Céline, qui est à la recherche d’une illumination, d’une expression terrestre du divin qui lui permette de comprendre sa propre existence, il aura fallu au spectateur une révélation - ou plutôt une reconnaissance, une familiarité - lors d’une vision récente du film pour lui donner du sens. Reconnaître dans un film un lieu arpenté dans la vie est une de ces trouées permises entre le réel et l'écran, tout comme y voir dans un temps incertain un acteur que l'on sait décédé. C'est une des manifestations du sacré dans le profane que permet le film de Bruno Dumont, quand bien même il deviserait sur l'impossibilité d'une incarnation terrestre de ce fameux sacré, du divin.
Les deux acteurs de Twentynine Palms dans le désert
Rayon vert

« Twentynine Palms » de Bruno Dumont : Construire et s’auto-détruire

4 mars 2024
Dans Twentynine Palms, deux cinémas — contraires et inconciliables — engagent une lutte pour gagner l'émotion du spectateur : d'un côté, la sexualité crue et le sentiment morbide de l’existence propres au naturalisme, de l’autre, les expériences formelles d’un cinéma expérimental. Ce processus bipolaire donne au troisième film de Bruno Dumont sa singulière qualité de rendre sensible l’incompatibilité absolue entre le naturalisme outrancier d’une partie du cinéma contemporain et la recherche artistique.
Laura Paredes dans un champ avec ses lettres dans Trenque Lauquen
Rayon vert

« Trenque Lauquen » de Laura Citarella : Disparition fleurissante

14 février 2024
Tenter d'écrire sur Trenque Lauquen revient à se fondre dans son écosystème à la fois sensible et fantastique, qui doit beaucoup à David Lynch. Laura Citarella revisite aussi bien Twin Peaks que Mulholland Drive à travers un récit d'émancipation qui reste néanmoins solidement ancré dans la terre, jusqu'à raconter l'histoire d'un réenracinement. Le film nous rappelle aussi à toutes nos Laura intérieures, celles que nous avons aimées et laissées partir définitivement.
Lydia (Hafsia Herzi) et son bébé dans Le Ravissement
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« Le Ravissement » d'Iris Kaltenbäck : La vie dérobée

12 février 2024
La folie est « le plus vif de nos dangers, dit Foucault, et notre vérité peut-être la plus proche ». Iris Kaltenbäck, dans Le Ravissement, premier film incroyable d'intelligence cinématographique, en réalise le traitement sensible, raconte l'histoire d'un amour fou, dans un traité du désespoir qui apprendrait à vivre.
Le Majeur en crise

« Ma part de Gaulois » de Malik Chibane : Mon nom est-il Personne ?

8 février 2024
Faire république autrement, depuis la périphérie d'une banlieue, par le truchement du cinéma, en racontant des histoires, est-ce (encore) possible ? Livrer un plaidoyer pour une identité nomade pour tous les déracinés greffés sur une racine qui changerait continuellement au contact du monde extérieur ? Réaliser un film pour décadastrer un pays qui s'enrichirait de tout ce qui l'effleure, inventer une identité-nomade en devenir où chacun aurait sa Part de Gaulois ? Le dernier film de Malik Chibane créolise la République. Il serait temps que chacun y vienne prendre sa part. 
Stefan Gota et Liyo Gong dans la forêt dans Here
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« Here » de Bas Devos : Dans la soupe, une luciole

6 février 2024
Here de Bas Devos nous plonge dans l'immanence de l'ordinaire en offrant une expérience en pointillé de l'état de félicité que l'on peut percevoir à certains moments de notre vie et qui réside dans le présent parfait qui n'a d'autre fin que d'exister.
Gene Kelly et Leslie Caron dansent dans Un Américain à Paris
Rayon vert

« Un Américain à Paris » de Vincente Minnelli : Paris, une capitale de rêve pour l'Amérique

29 janvier 2024
Un Américain à Paris représente à la fois l'apogée du classicisme hollywoodien et l'un des chefs-d'œuvre de la comédie musicale, un genre qui aura tout particulièrement imposé le rayonnement du cinéma étasunien à l'époque de l'après-guerre. L'apogée est un feu d'artifices dont le bouquet ne manque toutefois pas d'interroger sur la suavité des fleurs qui le composent, diffusant le parfum enivrant de l'appropriation culturelle. Après tout, Vincente Minnelli est à la manœuvre et son art, qui est immense, a toujours été obsédé par les puissances de séduction et de capture du rêve faisant des rêveurs ses meilleurs pollinisateurs.
Les cuisiniers dans Menus-plaisirs
Rayon vert

« Menus-Plaisirs – Les Troisgros » de Frederick Wiseman : La dictée du goût

19 janvier 2024
Il en irait d’un implicite, une réclame de prestige contre une image-miroir, celle du cinéma documentaire comme art culinaire. Une pareille économie symbolique donne au contrat synallagmatique la saveur acquise des grandes gastronomies, la cuisine trois étoiles des Troisgros en vis-à-vis de celle de l’un des auteurs de documentaire parmi les mieux établis. La transaction frôle ainsi les quatre heures pour démontrer la réciprocité de ses engagements, et les limites qui lui sont aussi imparties dans les services rendus d’une commensalité indiscutée.
Rufus dans un jardin avec une cigogne dans Chant d'hiver
Rayon vert

« Chant d'hiver » d'Otar Iosseliani : Rien (ne se perd), rien (ne se crée), tout (se transforme)

9 janvier 2024
Mieux Otar que jamais. Otar Iosseliani est le cinéaste des métamorphoses et des métempsycoses, des affairements et des circulations dont les mobiles sont l'image en mouvement d'un faux mouvement essentiel. Sa ritournelle préférée, c'est de rire des rengaines de l’Histoire, des césures superficielles qui ne rompent en rien avec un fondement d'invariants sédimenté. Le plus grand ennemi d'un poète des cyclicités, travaux, jours et saisons, un grand hédoniste doublé d'un Hésiode de notre temps, aura toujours été d'hypostasier ce qui devient en ne revenant jamais tout à fait au même. Maintenant qu’Otar est parti, les années d’hiver semblent promises à durer plus que de raison, en donnant l’illusion de s’éterniser. Pourtant, comme le clame la vieille chanson géorgienne qui aura inspiré le titre de son ultime film : « C'est l'hiver, ça va mal, les fleurs sont fanées, mais rien ne nous empêchera de chanter ».
Les deux amis au bar dans Les feuilles mortes
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Les Épiphanies : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma 2023

6 janvier 2024
Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2023 : ni hiérarchie, le moins de jugement de goût possible, que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.
Mia (Garance Marillier) marche dans la rue dans Rue des dames
Rayon vert

« Rue des dames » de Hamé Bourokba et Ekoué Labitey : L'économie du coup de pression

24 décembre 2023
L’air de rien, Rue des dames dame le pion à ce qui régente aujourd’hui le grand échiquier du cinéma français. Ce film, pas toujours bien chantourné mais toujours très inspiré, instruit néanmoins ce qui est si peu raconté et documenté, à savoir l’économie grise des petits services rendus, tous ces coups de pouce qui ont pour envers des coups de pression, coups de coude et sales petits coups tordus, et les décompensations qui en représentent le solde de tout compte.
Hirayama (Kōji Yakusho) et sa nièce assis dans le parc dans Perfect days
Rayon vert

« Perfect days » de Wim Wenders : L’inconfort ontologique

23 décembre 2023
Perfect Days repose sur un mouvement en spirale plongeante qui emmène le spectateur dans les eaux troubles du monde affectif d’Hirayama, sous la surface de la béatitude, au contact de l’agitation intérieure d’une sensibilité aux prises avec le monde qui n’a pour seule ambition que d’accéder à l’apaisement.
La famille en promenade dans Still Walking
Rayon vert

« Still Walking » de Hirokazu Kore-eda : Les intermittences de la mort

20 décembre 2023
Nul ne déchiffrera jamais l'abîme de la mort. Mais dans Still Walking, Hirokazu Kore-eda parvient à glisser sa caméra dans la nervure. Pour nous faire vivre à hauteur de l'événement, parce qu' « il faut bien tenter de vivre » (Paul Valéry).
Toute l'équipe des morts en train de filmer un souvenir dans After Life
Histoires de spectateurs

« After Life » de Hirokazu Kore-eda : De la terre à l'infini

20 décembre 2023
Ce texte est une histoire de spectateur, celle d'un homme qui aurait pu devenir un ami, autour d'After Life de Hirokazu Kore-eda, qui était son film préféré. Comme dans une infinité d'autres histoires, un film se déplace dans nos vies pour lui donner du sens et déplier nos secrets.
Les enfants livrés à eux-mêmes dans l'appartement dans Nobody Knows
Rayon vert

« Nobody Knows » de Hirokazu Kore-eda : l’enfance retrouvée

20 décembre 2023
Nobody Knows assemble des scènes attendues en les dépouillant de leurs effets au point d’en faire de véritables non-événements sous-tendant paradoxalement une tragédie pourtant implacable. La douleur et la violence sont douces dans le film de Kore-eda, dont l'horizon est le silence : celui d’Akira et de Saki qui enterrent Yuki sans dire un mot, celui des adultes qui ne voient pas ou feignent de ne pas voir ce qui se déroule sous leurs yeux, mais aussi celui du spectateur sans voix face à tant de beauté et de douleur contenues.
Tous les enfants du film I Wish : Nos vœux secrets
Rayon vert

« I Wish : Nos vœux secrets » de Hirokazu Kore-eda : Rencontre d’un TGV et d’un volcan

20 décembre 2023
Avec I Wish, Kore-eda propose un voyage à vitesse variable. Pour accompagner ses jeunes enfants qui traversent l’île de Kyushu, deux figures tutélaires semblent se détacher : le volcan et le TGV. Le véritable enjeu du voyage, dévoilé secrètement à son terme, se trouverait peut-être ailleurs, dans la rencontre intérieure entre ce qui bouge et ce qui ne bouge pas.
Doona Bae dans "Air Doll" de Hirokazu Kore-eda
Rayon vert

« Air Doll » de Hirokazu Kore-eda : À bout de souffle

20 décembre 2023
Dans Air Doll, un film atypique dans sa filmographie, Hirokazu Kore-eda utilise le personnage de Nozomi, une poupée gonflable dotée d'un coeur, pour exposer une vision du monde mélancolique. Dans ce film qui souffle constamment le chaud et le froid, l'apprentissage de Nozomi sera l'occasion d'exposer l'importance des mots, mais aussi de rendre un hommage au langage du cinéma des premiers temps et de développer un rapport unique à la vie et à la mort, dans une sorte de cycle sans cesse renouvelé.
Shingo et ses parents dans Après la tempête
Rayon vert

« Après la tempête » de Hirokazu Kore-eda : L’avenir se conjugue au présent

20 décembre 2023
Dans Après la tempête, Hirokazu Kore-eda pointe comme source de questionnement majeur la perte de ses deux parents : il veut retranscrire le trouble qui l’a saisi, et les changements profonds opérés dans ce moment de bascule existentiel. En cela, le film semble être une forme de réponse très personnelle du cinéaste à la question du devenir soi pour qui se sent orphelin de tout.
Tous les acteurs sur la plage dans Et la fête continue !
Rayon vert

« Et la fête continue ! » de Robert Guédiguian : Le chœur des insatiés

4 décembre 2023
Quand tout s'écroule, des exercices d'admiration trament, en parallèle d'une pédagogie située les décombres, la possibilité d'un peuple. Avec de nouvelles topiques qui revigorent les lieux communs, les exercices d'admiration de Robert Guédiguian sont d'adoration dédiée à celles et ceux qui vivent en ne pouvant pas faire autre chose que lutter – le chœur des « insatiés ».
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