Logo du Rayon Vert Revue de cinéma en ligne
Pearl (Mia Goth), la vieille femme de X
Critique

« X » de Ti West : Proposition décente

Guillaume Richard
X de Ti West se situe sur le plan du désir. La vengeance froide et puritaine propre aux grandes figures du slasher laisse place à un jeu autour de la sexualité. Le sang finira certes par couler (loi du genre oblige !), et c'est un peu dommage qu'il le fasse de manière très classique, mais le film restera une affaire de sexe qui repose au fond sur une proposition décente, une volonté de désirer encore.

« X », un film de Ti West (2022)

Au regard de l'histoire du slasher et du survival, deux genres gores qui ont fini par se croiser au fil des décennies, X de Ti West, sans être révolutionnaire, apporte une touche d'originalité en travaillant les questions du désir et du moralisme inhérent à son expression ou son refoulement. Car on ne le sait que trop bien : le dévergondage et la liberté sexuelle sont souvent réprimandés dans ce type de films où les méchants se plaisent à déchiqueter les jolies filles et ceux qui ont le malheur de s'adonner au sexe, quand ils ne massacrent pas sans scrupule les ados stéréotypés qui ont le malheur de passer un week-end au milieu des bois ou au pays des rednecks. Dans X, ce récit archétypal se déplie différemment, d'abord d'une manière convaincante en filmant la sexualité des bourreaux — un terrible couple de vieillards sanguinaires —, puis en s'intéressant aux idéaux d'une équipe de tournage d'un film pornographique louant un terrain de jeu chez le couple en manque affectif et sexuel.

Énoncé en ces termes, on comprend d'emblée que X est aussi un film plutôt drôle et son humour tout comme sa conclusion se révèleront ni cyniques, ni moralistes. Une scène est d'ores et déjà culte, celle où Pearl, la vieille dame famélique, va se glisser dans le lit de Harper (Mia Goth) pour laquelle elle a eu le "coup de foudre" et qui rappelle lointainement, pour les cinéphiles francophones, la célèbre séquence de La Grande Vadrouille. Rien à voir, par exemple, avec l'humour cynique du remake de Massacre à la tronçonneuse (David Blue Garcia, 2022) dans lequel Leatherface massacre un bus rempli d'influenceurs ou celui, parodique, de La Cabane dans les bois (Drew Goddard, 2012) dont l'indéniable originalité peine quand même à masquer un cynisme présent à tous les étages. X ne dérogera malheureusement pas à la règle du slasher et tournera au bain de sang après une première partie convaincante — loi du genre oblige, contrat à remplir, tradition à respecter ?

La sexualité et le désir occupent néanmoins une place importante dans X et d'une façon absolument sincère. La silhouette inquiétante qui observe de sa fenêtre l'arrivée des jeunes impurs (un cliché par excellence) aura très vite un corps et un visage, mais surtout un désir, celui de faire l'amour, et celui-ci se portera donc sur Harper, dont elle touche le ventre une première fois lorsque celle-ci s'aventure dans la maison du couple. Ce geste équivaut à une invitation et cette rencontre stimule le désir sexuel de Pearl qu'elle va ensuite tenter d'assouvir auprès de son mari qui refusera à cause d'un problème cardiaque. La scène est très belle, comme celle où le couple, dans la deuxième partie, finira par passer à l'acte sans que le vieil homme ne meurt de plaisir. X se montre délicat sur ce point en contraste avec la déferlante de meurtres qui suivra. Il est décidément impossible, dans ce genre de films, de faire abstraction d'une violence qui aurait pu trouver une autre forme d'expression que l'hyperbole gore. Accordons au moins le mérite à X de travailler le désir des bourreaux, certes bien évidemment sans leur enlever ce statut ni leur barbarie, par rapport à des monstres-mécaniques tels que Ghostface (la saga Scream), Leatherface, Chucky ou encore les innombrables tueurs décérébrés des slashers bon marché qui se ressemblent tous.

Maxine (Mia Goth) face à son miroir au début de X
© A24 Films (visuel fourni par The Searchers)

La deuxième originalité du film réside dans le portrait que Ti West dresse de son groupe de victimes. Celui-ci est constitué d'une équipe de tournage qui se rend dans le ranch du vieux couple pour y tourner un film pornographique. Le cinéaste prend le temps de filmer des scènes érotiques et de longs dialogues autour de la question de la liberté sexuelle, qui n'est donc pas ici jugée d'emblée comme mauvaise moralement ni digne d'une punition bestiale. Une scène amusante voit d'ailleurs la petite amie du réalisateur (Jenna Ortega), finalement en accord avec les propos des acteurs, abandonner son rôle de perchwoman pour passer devant la caméra (il est par ailleurs assez significatif que le réalisateur, qui est le seul puritain de la bande, soit assassiné le premier). Un montage alterné inhabituel lie le groupe au couple (Mia Goth joue d'ailleurs Pearl) et ce n'est pas un effet gratuit. Au désir des uns répond le désir des autres : X se déploie sur ce niveau où le jugement moral disparaît, tout comme la vengeance puritaine, au profit du désir et de la sexualité. Le sang doit finir par couler, on le répète, mais c'est d'abord une affaire de sexe (comme le titre du film l'indique, bien sûr) qui repose sur une proposition décente et débordante, une volonté de désirer encore. Le massacre de l'équipe de tournage n'a pas alors cette connotation moraliste et relève plus d'un héritage à assumer.

X est aussi traversé par l'Histoire. Les deux amoureux en manque se connaissent depuis le début du XXème siècle. Le mari a survécu aux tranchées et au débarquement de Normandie. Il a conservé les réflexes et les "coutumes" du soldat, à l'instar de Jackson (Kid Cudi) qui revient fraîchement de la guerre du Vietnam. Une nouvelle fois, c'est en singularisant les corps du vieux couple que des niveaux de sens supplémentaires apparaissent. Le corps de Pearl porte les stigmates d'un siècle hanté par la Shoah et l'horreur de la guerre tandis que son mari reflète tout autant un siècle de conservatisme isolationniste. Sur eux se lisent aussi le passage du temps et l'impossibilité de lutter contre celui-ci, ce qui les rend temporairement et relativement attachants. L'équipe de tournage est quant à elle, sans grande originalité, conforme à son époque et à la libération des mœurs.

Il y a enfin Harper, l'héroïne qui, comme le veut la tradition du genre, survivra aux tueurs. Elle est habitée par une étrange force, une conscience qu'elle a d'elle-même d'être destinée à devenir une star mondiale en passant par la pornographie. Il y a de quoi être déconcerté par ce personnage, sa volonté et ses aspirations qui ne seront jamais jugés, bien qu'évidemment elle perd son compagnon et ses amis. La survivante n'est pas la plus pure ou la plus puritaine, mais celle qui voit dans la sexualité un moyen de s'épanouir.

Beaucoup de choses pourraient encore être dites sur X. Ti West cite explicitement Hitchcock et Psycho à au moins deux reprises, une fois avec la voiture immergée dans le lac aux alligators, une deuxième fois textuellement dans un dialogue autour du Whodunit hitchcockien. Sur ce point, on pourrait dire que le Whodunit est le récit très classique du survival avec tous ses clichés (le crâne d'un animal au bord de la route, l'arrêt à la station-service, la maison isolée dans un trou perdu, etc.) et le véritable sujet du film le désir et la sexualité, la manière dont il circule et s'exprime (ou non), exactement comme chez le maître du suspense.

Poursuivre l'analyse du film