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Rebecca Hall est Margaret dans "Resurrection"
Critique

« Resurrection » d’Andrew Semans : L'emprise du mâle

Thibaut Grégoire
En dépit de la volonté manifeste de son actrice principale et productrice exécutive Rebecca Hall de s'ériger en nouvelle papesse du "post-#Metoo", et de la lourdeur de sa prémisse, présageant du pire dans le registre de l'allégorie sentencieuse, Resurrection d'Andrew Semans parvient à contourner ses tares potentielles en restant ambigu et par l'entremise d'un final hybride et organique qui n'est pas sans rappeler ceux des récents Men d'Alex Garland et Titane de Julia Ducourneau.
Thibaut Grégoire

« Resurrection », un film d'Andrew Semans (2022)

Depuis peu, l’actrice britannique Rebecca Hall semble s’ériger elle-même en papesse du « post-#Metoo », comme en attesterait notamment ses choix récents de films, lesquels suivent un choix qu’elle doit regretter amèrement, vu qu’elle figurait au casting de l’un des derniers – et des meilleurs – Woody Allen, Un jour de pluie à New York. Figurant parmi les plus ardents détracteurs a posteriori d'Allen, et allant jusqu’à regretter sa participation à plusieurs de ses films, Hall a depuis joué dans La Proie d’une ombre, un film de fantômes de facture honnête qui se voulait être surtout une allégorie circonstanciée sur la masculinité toxique. Par le passif de son actrice – et productrice exécutive – principale, une forte suspicion de film lourdingue estampillé « post-#Metoo » flottait donc au-dessus du Resurrection d’Andrew Semans. Ce fort pressentiment se trouva d’ailleurs conforté par la première scène du film, lors de laquelle Margaret, le personnage interprété par Rebecca Hall, tente d’ouvrir les yeux d’une jeune femme quant à la nature toxique de sa relation avec un petit ami possessif et manipulateur, instillant dans l’esprit du spectateur l’idée d’une emprise.

Ce n’est évidemment pas un hasard si Resurrection s’ouvre sur cette scène, puisque la résurrection du titre est bel et bien celle d’une emprise. Cette résurrection symbolise le retour de l’oppresseur de Margaret, son amour de jeunesse David. Mais le David en question n’est évidemment pas qu’un petit ami obscur qui lui aurait fait du mal dans sa jeunesse, c’est une espèce de grand méchant masculin par excellence, une exagération de tout ce qui peut être mauvais chez l’homme, un gourou, un malade mental, un pervers narcissique. Et qui mieux que personne pour incarner ce méchant de cinéma que le méchant de cinéma par excellence, à savoir le bon vieux Tim Roth, à qui il ne faut jamais demander deux fois d'incarner ce type de rôle.

Tim Roth et Rebecca Hall dans "Resurrection"
© IFC Films

Présenté dans ce contexte, Resurrection a bien entendu les atours d’un vilain film coup-de-poing, pétri de lourdeur et de gravité. Mais là où Andrew Semans se montre plus évasif et ambigu, c’est précisément dans sa manière de forcer le trait, d’exagérer, de pousser tout au maximum jusqu’au paroxysme, notamment par l'entremise d'un postulat absurde et/ou surnaturel. Car le David en question, le bourreau de Margaret, parvient à la persuader qu’il porte en lui leur enfant disparu qu'il aurait ingéré et gardé en vie dans ses entrailles. À partir de cette affirmation, David parvient à manipuler Margaret et à lui faire endurer de petites épreuves qu’il appelle « gentillesses », comme par exemple se rendre à son travail pieds nus. Margaret, sous emprise, se met à exécuter les volontés de David, tout en plongeant peu à peu dans une paranoïa hystérique, qui la fait s’éloigner de ses proches, à commencer par sa fille Abbie.

Ce qui déstabilise assez vite dans Resurrection, c’est sa manière d’hystériser complètement le personnage de Margaret, au point où l’on ne sait jamais s’il tend à la présenter comme totalement folle à lier ou pas. Et le film ne résout jamais vraiment cette problématique, jusqu’à son tout dernier plan, même si tous les personnages périphériques – sans exception – semblent penser que Margaret est bonne à interner. En cela, Resurrection serait à rapprocher de Men d’Alex Garland qui, lui aussi, semblait avoir du mal à choisir sur quel pied danser, entre une dénonciation de la masculinité toxique et celle de la peur irraisonnée du genre masculin.

D’ailleurs, on pourrait allègrement rapprocher la fin de Resurrection de celle de Men. Dans les deux cas, le mâle y engendre le mâle. Mais si dans Men, l’homme accouchait d’autres hommes jusqu’à la nausée, jusqu’à la monstruosité, l’homme porte ici un enfant en lui, et cela depuis des années, comme une véritable gestation, comme si son corps avait été un abri pour cet enfant en le gardant vivant et inchangé. Evidemment, la fin de Resurrection fait inévitablement aussi penser à celle du Titane de Julia Ducourneau, puisqu’elle est pratiquement identique dans son exécution et qu’elle travaille également l’hybridation en induisant un basculement vers le fantastique.

Resurrection travaille donc quelque chose d’organique et d’hybride, autant dans son fond que dans sa forme, et maintient l’ambiguïté à tous les niveaux. On pourrait dès lors dire qu’il s’agit d'un geste de petit malin, à l’image de cette fin affreuse dans laquelle Margaret reprend son souffle – mais dans quel contexte, pour revenir à la vie ou pour se rendre compte de la réalité la plus cruelle et violente ? Le film pose au moins une question, sans vraiment y répondre. Et le fait de ne pas choisir sur quel pied danser lui permet in fine d’accéder à plus de mystère, à plus d’hétérogénéité, malgré la prestation martyrologique de Rebecca Hall, cette nouvelle « pietà » du « post-#Metoo ».

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