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Florence Pugh et Harry Styles forment le couple "parfait" dans "Don't Worry Darling"
Critique

« Don’t Worry Darling » d’Olivia Wilde : Coquille vide

Thibaut Grégoire
Bel objet concocté avec savoir-faire, Don't Worry Darling d'Olivia Wilde entretient son "mystère" de manière roublarde durant les trois quarts de sa durée avant de révéler avec fracas son vrai sujet, son "message". Presque aussi stérile que la mini-polémique qui le précède, le film pâtit de l'allégorie de la coquille vide qu'il met en place dès ses premières scènes, tant il en est une également.
Thibaut Grégoire

Dans l’une des premières scènes du deuxième long métrage d’Olivia Wilde, Don’t Worry Darling, le personnage incarné par Florence Pugh, Alice, est en train de faire une préparation dans sa cuisine lorsque, comme intriguée par la forme d’un œuf qu’elle tient entre ses doigts, elle éclate celle-ci d’une pression, faisant couler son contenu le long de sa main et de son avant-bras. Elle répète ensuite le geste avec les autres œufs de la même boîte. Un peu plus tard dans le film, Alice s’est, contre le règlement, éloignée des pénates où elle est confinée, a traversé un désert et arrive devant une sorte de dôme, en altitude, dont la forme arrondie et les parois opaques évoquent à la fois un objet futuriste, presque extra-terrestre, et également une sorte de coquille ou de coquillage. On voit où les scénaristes veulent en venir – car là, on ne parle pas du tout de mise en scène, et d’ailleurs il faut le dire, Don’t Worry Darling ne s’y prête pas – : dans la scène des œufs comme dans celle du dôme « mystérieux », Alice contemple un objet qui ressemble à sa vie, à savoir une belle coquille, bien carrossée, pratiquement parfaite, mais aussi très fragile et au contenu décevant, voire inexistant. L’allégorie de la coquille vide est posée là, dès l’entrée, de manière presque insouciante, comme si elle ne pouvait pas être retournée comme une crêpe contre le film lui-même.

De Don’t Worry Darling, on en avait entendu abondamment parler avant de le voir, pour de très mauvaises raisons, notamment un « scandale », une « polémique » au final semblable à un pet de mouche, lors de sa présentation à Venise. L’actrice principale s’est-elle disputée avec la réalisatrice durant le tournage ? L’un des acteurs a-t-il craché sur un autre lors de la première du film ? Au fond, qui en a quelque chose à faire ? Au moment de cette polémique de bas étage comme à celui de la vision du film, on ne peut que se dire qu’il est ici fait beaucoup de bruit pour rien. Don’t Worry Darling, dans lequel des « desperate housewives » attendent bien sagement leurs maris dans un microcosme « vintage » recréé au milieu du désert pendant que ceux-ci vont travailler à un « mystérieux » projet top secret dans une « mystérieuse » base secrète, est au fond un objet propret, lisse, dont cet aspect même est un argument de vente puisqu’il cache – on s’en doute bien, c’est si subtilement amené – une réalité bien plus sale et cruelle. N’en demeure pas moins que ce que l’on voit à l’écran n’est en rien éloigné de n’importe quelle série « de bonne facture », toute aussi léchée, propre et uniformisée, que l’on trouve à foison sur toutes les plateformes – la plus-value étant ce bon vieux format cinéma(scope), écran de fumée par excellence.

Alice (Florence Pugh), les mains contre les parois opaque de la coquille vide dans "Don't Worry Darling"
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Ce qui retient pourtant le spectateur et son attention, ce qui le fait rester en haleine, à défaut d’être véritablement intéressé, devant ce film lisse qui prend son temps, c’est précisément ce fameux mystère que nous évoquions précédemment. Le ciment de Don’t Worry Darling, son véritable fond, sa raison d’exister, c’est son « mystère », sur lequel il repose tout entier, tel un édifice branlant. Ainsi, le film parvient tout de même – c’est un petit exploit – à cultiver ce mystère durant les trois quarts de sa durée, avant sa révélation. Non pas qu’il soit impossible de deviner le fin mot de l’histoire, la solution de l’énigme, mais Don’t Worry Darling parvient tout au moins à ne pas trop affaiblir son suspense au fur et à mesure que le secret commence à s’émousser. Dans sa dernière partie, le film abat enfin ses cartes de « film à twist ». Et son apothéose, sa grande révélation finale se veut également une révélation du vrai sujet du film : l’aliénation exercée sur les femmes par les hommes. Le « mystère » du film refermait donc un « message », et surtout une bonne grosse allégorie, comme pour justifier l’heure et demie passée, tirée en longueur pour le seul plaisir de l’entretien du « mystère ».

Don’t Worry Darling s’avère donc a posteriori un bien curieux film, bien bâti, concocté il faut le dire avec une solide dose de « savoir-faire » – et pétri d’influences diverses : The Stepford Wives, Le Village, The Truman Show, Alice au Pays de merveilles, Matrix, … –, et dont la vision n’est absolument pas désagréable, un peu comme l’existence de ces femmes maintenues sous-cloche, entretenues dans un bonheur factice. Tout comme les femmes du film, les spectateurs sont aussi maintenus dans un bonheur éphémère, un intérêt créé de toute pièce, suscité par l’entretien d’un mystère monté en épingle, jusqu’à son dévoilement bancal et progressif à coups de flashbacks intempestifs. Tout comme le fameux projet « Victory » dont il est question dans le film et qui est au centre du mystère, tout comme la vie « parfaite » d’Alice et des autres femmes au foyer, Don’t Worry Darling est une belle coquille vide, reluisante, bien foutue, mais dont l’éclosion s’avère à la fois abrupte et stérile.