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Bill Murray, Dan Aykroyd, Harold Ramis et Ernie Hudson luttent contre Gozer dans SOS Fantomes
Critique

« SOS Fantômes » : Hantologie fascistoïde

Guillaume Richard
Existerait-il des germes fascistoïdes à la base de la saga SOS Fantômes ? Derrière la comédie et le fun, analyse d'une logistique de la mort et de la neutralisation de l'autre quand celle-ci n'a pas pour but de sauver le monde.
Guillaume Richard

« SOS Fantômes », la saga (1984-2021)

Si on veut bien mettre de côté leur dimension ésotérique, les fantômes comptent beaucoup dans nos vies comme au cinéma. Les défunts nous accompagnent, nous en portons le souvenir au fil des années non sans une certaine nostalgie, tandis qu'ils continuent de vivre éternellement dans les images, ces acteurs et actrices disparus mais toujours bien vivants dans leur enveloppe numérique ou matérielle (la pellicule). Ces fantômes-là possèdent donc un grand pouvoir d'affection et les plus beaux films de fantômes, comme les plus précieux souvenirs, le rappellent sans cesse. SOS Fantômes, la célèbre saga née en 1984 et qui vient de compter un nouvel opus, SOS Fantômes : L'Héritage (Jason Reitman, 2021), ne joue clairement pas cette carte. Pourquoi leur en vouloir dès lors qu'il s'agit de blockbusters dont le seul but est le divertissement ? La beauté de la spectralité laisse ici la place à une sorte de fascisme anti-fantômes qui peut poser question, une idéologique vraiment bête et méchante, organisée bureaucratiquement et "légitimée" scientifiquement, qui laisse à de rares exceptions près aux fantômes un peu de poésie. Quand ils ne menacent pas le monde (et qu'il faut logiquement les élimner scénaristiquement parlant), ceux-ci, au pire, sèment le désordre, ils emmerdent les vivants à l'image du squelette qui, dans le premier SOS Fantômes, pénètre dans le pot d'échappement d'un taxi. Face à ce désordre comique, les ghostbusters sont là pour faire régner l'ordre.

SOS Fantômes est d'abord le nom d'une entreprise et un célèbre logo qui entérine une image de marque : celle d'une interdiction — un cercle rouge barré — qui appelle à l’élimination totale de son parasite. Or, peut-on considérer que le fantôme soit l'équivalent du rat ou du cafard ? Bien évidemment, personne ne veut se retrouver chez soi avec ces intrus et pour eux aussi se pose la question de la méthode et de sa finalité, mais nous n'irons pas plus loin. Les fantômes, telle que la saga SOS Fantômes les présente, se divisent en deux catégories. L'une compte ceux qui sont inoffensifs (sauf si on vient les embêter), l'autre les méchants attitrés des films contre lesquels une action est nécessaire pour sauver le monde. Ces derniers revêtent une apparence horrifique plus poussée et il devient logique scénaristiquement qu'il faut les éliminer au même titre qu'une bande de zombies affamés. C'est uniquement dans le premier cas que SOS Fantômes contient des germes fascistoïdes. Dans les quatre films de la saga, y compris le remake raté de Paul Feig (2016), rien ne justifie au préalable l'élimination des fantômes qui semblent se tenir à l'écart du monde humain. Dans chacun des films, aucune motivation réelle n'explique la prise en main des armes pour aller à la chasse aux fantômes.

Derrière la comédie se cache ainsi un premier degré peut-être insoupçonné. On peut tendre à SOS Fantômes le miroir du second degré de Starship Troopers (Paul Verhoeven, 1997) qui hystérise les élans fascistes d'une nation qui n'en a plus conscience et aussi méchants que soient les insectes, l'élimination de masse serre le cœur. On pense aussi à District 9 (Neill Blomkamp, 2009), qui joue plus la carte du premier degré, et qui arbore un logo identique à celui des ghostbusters, ou encore à la traque des dinosaures dénoncée dans Le Monde Perdu : Jurassic Park (Steven Spielberg, 1997). À l'image des bureaucrates d'InGen, nos gentils chasseurs de fantômes utilisent des lasers qui fonctionnent comme des lassos et des filets, créant une comparaison évidente avec la chasse. Et quoi de plus stupide et destructeur que la chasse ?

Un héritage encombrant

Si SOS Fantômes : L'Héritage joue la carte de la nostalgie et de la récupération pop, comme de nombreux blockbusters de ces dernières années, il n'en n'oublie pas les fondements posés par les deux premiers films d'Ivan Reitman. Le film suit la fille et les petits-enfants d'Egon Spengler (Harold Ramis) qui découvrent les gadgets des ghostbusters dans la maison abandonnée de leur grand-père. Une fois la voiture retapée, les fusils nettoyés et le piège opérationnel, ils se rendent dans un entrepôt désaffecté où séjourne un fantôme inoffensif amateur de fer et d'acier. Sans qu'on en comprenne la raison, ils se mettent à lui tirer dessus et à le pourchasser dans les rues de la ville. Bien évidemment, le fantôme riposte en tirant des balles, mais pourquoi l'ennuyer pour ensuite le capturer ? Pourquoi cette haine gratuite du fantôme ? Leur combat ne prend vraiment sens que lorsque Gozer, la méchante du premier film, revient pour détruire le monde, comme le présageait le "terreux" Egon Spengler. On retrouve ainsi la division problématique entre les deux types de fantômes.

La fantôme qui mange de l'acier dans SOS Fantomes : L'Héritage
Le fantôme mangeur d'acier dans SOS Fantômes : L'Héritage - © Sony Pictures Entertainment Deutschland GmbH

SOS Fantômes : L'Héritage s'avère néanmoins plus subtil et plus ouvert à différentes formes de spectralité, et en particulier à celle, ontologique, du cinéma. À la fin du film, le spectre du grand-père revient aux côtés d'autres fantômes du passé, les trois ghostbusters encore en vie (Bill Murray, Dan Aykroyd et Ernie Hudson) sortis tout droit de leur musée poussiéreux — pop culture oblige. La séquence est belle car en plus de se réconcilier avec sa fille, Egon Spengler laisse avant tout parler le fantôme d'Harold Ramis qui échange quelques mots avec ses anciens amis. Il est intéressant de noter le léger malaise qui existe entre lui et Bill Murray dont on sait qu'ils furent brouillés pendant de longues années.

Étrangement aussi, lorsque les enfants intrépides se retrouvent dans l'antre de Gozer, ils découvrent un mur recouvert d'une série de chiffres mystérieux. Podcast (Logan Kim) comprend qu'il s'agit des dates des grands tremblements de terre d'une région qui pourtant ne repose sur aucun emboîtement de plaques tectoniques. La première date remonte au 19ème siècle, un tremblement sans précédent, nous dit-il. Puis la seconde date est 1945. Silence. Voilà bien un chiffre auquel on ne s'attendait pas ! À quoi pourrait-il renvoyer si ce n'est au spectre de l'holocauste ? Et en quoi ce rapprochement aurait-il provoqué un tremblement de terre ? On comprend bien en quoi cette date constitue un séisme dans l'histoire de l'humanité, mais pour le film ? Est-ce une façon d'apporter une forme supplémentaire de hantise, toute historique cette fois-ci même si ici elle semble se désincarner complètement ? Et puis n'est-ce pas contradictoire de retrouver la dérive la plus grave du fascisme quand des germes fascistoïdes semblent animer la saga ?

Aux origines d'une bureaucratie

Le premier SOS Fantômes, en 1984, et son remake de 2016, commencent par la création d'une petite machine bureaucratique. Trois scientifiques, virés de leur université, vont se reconvertir dans l'entrepreneuriat en chassant des fantômes. Leur première rencontre avec ceux-ci se déroule dans la cave d'une bibliothèque où une vieille dame hante ses couloirs. D'apparence inoffensive, elle révèle son visage en forme de tête de mort lorsque Ray lui adresse la parole. D'abord étonnés (heureusement ! Il le faut bien un petit peu, même si le fantôme n'a aucune valeur affective pour eux), ils s'accordent ensuite sur le fait qu'il faut s'en débarrasser. La cohabitation avec les fantômes est donc impossible parce qu'ils sont d'emblée considérés comme des parasites. Et lorsqu'ils rencontrent un glouton dans les couloirs d'un hôtel, dont le seul but semble-t-il est de s’empiffrer, là aussi la seule solution semble être la capture ou l'élimination à cause du désordre qu'il provoque. La comparaison avec le rat et le cafard revient à notre conscience de spectateur mais pourquoi ne pas demander au cinéma de nous faire aimer ce genre de fantômes ?

En tout cas, pour lutter contre eux, les trois amis créent SOS Fantômes, une entreprise efficace qui va vite rencontrer du succès. Ils trouvent une secrétaire pour répondre au téléphone et un bâtiment optimisé pour leurs besoins. Ils inventent d'abord des pièges fonctionnant à l'aide d'une pédale qui permet d'ouvrir une boîte qui enfermera le fantôme chassé. Mais ensuite se pose la question du "stockage" des fantômes. L'idée est terrible, froide, et le film ne l'élude pas. Pour cela, les trois scientifiques créent une machine qui extrait le piège pour le conserver dans une sorte d'entrepôt mécanisé. C'est donc une véritable logistique de la mort que mettent en place les ghostbusters. Elle repose sur la capture et la neutralisation d'une autre forme de vie qui, répétons-le encore, demeure majoritairement inoffensive.

Certes, les ghostbusters sont utiles lorsque la population est menacée par Gozer ou, dans SOS Fantômes 2, par le tyran Vigo. Au début de cette suite sympathique mais inégale, dont les seuls coups de force consistent à déplacer la statue de la liberté et à faire débarquer à New-York le Titanic hanté, l'entreprise est à l'arrêt, ou du moins ses activités d'élimination, puisque ses employés parcourent désormais les fêtes d'anniversaire pour gagner de l'argent. Il ne faut ainsi pas l'oublier : les ghostbusters gagnent de l'argent dans leurs chasses aux fantômes, une logique purement capitaliste accompagne leur entreprise d'élimination qui de surcroît se voit légitimée scientifiquement. Le fantôme, vidé de toutes ses potentialités, n'est plus qu'une marchandise comme une autre et ses capacités à hanter le monde, le spectateur et les images, se retrouvent réduites au néant.


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