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Samba (Stéphane Bak) et Lara (Alice Da Luz Gomes) dans les rues de Bamako dans Twist à Bamako
Critique

« Twist à Bamako » de Robert Guédiguian : Mali qui lui en a pris

Des Nouvelles du Front cinématographique
Il y a un drame à renvoyer dos à dos socialisme d'hier et islamisme d'aujourd'hui au nom des vieux airs nourrissant la nostalgie, autre colonialisme mais celui-là est culturel, cela ne compterait pas. Robert Guédiguian est pour sa part confiant qu'avec Marx liquidé resterait cependant l'essentiel, l'Amérique des consommations de notre jeunesse, twist again. Voilà ce que raconte Twist à Bamako qui se conclut par un autre twist, celui d'un réalisateur obstiné à faire au cinéma la nique à ses propres idéaux. Le twist tue quand il tient du désaveu, celui d'un matérialisme de pure façade ajointé à un didactisme sans politique. Robert Guédiguian rejoint ainsi Ken Loach et Nanni Moretti dans la triste série des réalisateurs dont les amertumes et déplorations font durer plus que de raison l'agonie de la social-démocratie.

Immunodépression des mieux intentionnés

La France de Macron a inspiré à Robert Guédiguian son film non le plus sombre mais le plus aigre, Gloria Mundi (2019). La vilenie y est un mal si bien partagé que le film lui-même tombait complaisamment dedans. Une fois en se rangeant à l’image du côté de ceux qui jouissent d'infliger la honte à une musulmane forcée à se dévoiler pour un peu d’argent. Une autre fois en renvoyant son seul héros intègre, joué forcément par l’ami Gérard Meylan, dans la prison qui est un moindre mal face à une société ouverte à la libre circulation des marchandises, incluant l'affairement du pire.

Les hérauts du mont-de-piété nouveau sont des salauds, oui, mais il y a un problème, moral disons, quand l'aigreur forcenée est la seule réponse apportée face à l'obscénité et la perversité dans un mimétisme typique de l'immunodépression des réalisateurs pourtant les mieux intentionnés, mais qui se trouvent aussi ne pas être les mieux protégés contre la disparition de la vergogne. La dignité est affaire aussi de travelling, l’air est connu mais ce n’est pas une rengaine mais une ritournelle de vérité. La preuve en avait été donnée par Robert Guédiguian lui-même avec le beau Les Neiges du Kilimandjaro (2011), son dernier film réussi qui évaluait avec justesse le fossé social entre la génération des anciens ouvriers intégrés dans une classe mobilisée et celle d’une génération plus jeune et précarisée qui souffre de ne pas disposer des mêmes moyens collectifs de se protéger contre les licenciements massifs.

La dualisation salariale est une question peu traitée par le cinéma français et Robert Guédiguian s’y est collé sans démériter, avant de perdre le fil d’Ariane d’un cinéma réduit progressivement à peau de chagrin, replié dans un entre-soi aux limites du confinement, sous la forme d’une parenthèse si peu enchantée (Au fil d’Ariane en 2014) ou d’une retraite nécessaire au bilan d’une vie (La Villa en 2017). Comme si le monde semblait devenu moins désirable et, partant, plus difficile à filmer.

Le Mali sans le Mali,
un twist qui tue

Se refaire une santé aura donc été une obligation comme une reprise de souffle, une respiration qui, pour être retrouvée, le serait ailleurs, loin dans l'espace comme dans le temps. L’Arménie des origines familiales avait déjà été tentée deux fois, la première en allant directement sur le terrain (Le Voyage en Arménie, 2006), la seconde fois en passant par le Liban du début des années 80 (Une histoire de fou, 2015) mais les facilités de la scénarisation, accentuées d’un film à l’autre, contraignent le didactisme des bonnes intentions à déposer les armes devant le mauvais jeu des simplifications quand elles se substituent à la clarification des enjeux.

Le Mali de la décolonisation et des espoirs de la révolution socialiste est comme un nouveau pays de cocagne pour Robert Guédiguian qui renouerait ainsi avec l'histoire, grande et petite, de la jeunesse soulevée par l'exaltation idéaliste des convictions politiques. Le jeu dialectique des contradictions, d'abord entre les jeunes militants du progrès social et les vieux gardiens de la tradition patriarcale, ensuite à l'intérieur de la modernité elle-même quand elle se divise entre un collectivisme d'inspiration soviétique et les plaisirs du rock et du twist, invite cependant aux signalétiques millimétrées du didactisme qui administre sa leçon, aussi utile soit-elle, sans remettre en question les conditions de l’apprentissage lui-même qui induisent des questions esthétiques dont on sait avec Jacques Rancière qu’elles sont aussi des questions politiques.

À la clarification des antagonismes l'auteur de Twist à Bamako préfère donc une nouvelle fois l'extrême lisibilité de leur scénarisation, y sacrifiant l'interrogation des moyens mobilisés pour leur représentation. Les décors naturels ont été trouvés au Sénégal, les filles d'un village bambara victimes de mariages forcés y parlent excellemment le français et un acteur tchadien vu chez Mahamat Saleh Haroun, Youssouf Djaoro, interprète un chef de tribu soucieux de la préservation de la tradition. Le matérialisme est le fond de cette affaire, on ne cesse à raison de nous le répéter, de la redistribution collective des terres cultivables à la création des écoles nécessaires à l’élévation de l’instruction, il n’est pourtant jamais celui d'une forme qui voudrait s'en prémunir comme d'un virus. Dans Twist à Bamako, les clivages entre l'ancien et le nouveau alimentent un récit convenu alors qu'ils constituent réellement le sol impensé d'une représentation qui, sans réfléchir à ses propres conditions, reconduit les scènes types d'une édification devenue sans objet depuis la fin de son idéologie.

Samba (Stéphane Bak) et Lara (Alice Da Luz Gomes) sur la plage à Bamako dans Twist à Bamako
© Agat Films

Une question qui l'emporte sur toute autre considération scénaristique est peut-être la suivante : pourquoi Robert Guédiguian ne peut-il filmer au Mali un moment décisif de l'histoire malienne quand ce pays est devenu un espace privilégié pour le déploiement stratégique de l'armée française au Sahel ? Voilà un twist, voilà un effort de parallaxe qui aurait remis du jeu entre l'hier et l'aujourd'hui. Robert Guédiguian n'y prête cependant aucune attention, n'y voyant aucun intérêt face aux réquisits du récit édifiant des grandes espérances déçues jusqu’à la désespérance.

Si les tableaux sont édifiants, d’une édification qui tient lieu après coup de téléologie négative inévitablement, l'acteur français d'origine congolaise Stéphane Bak s'en sort plutôt bien, carré dans son jeu, l'élocution précise. Le plus beau plan de Twist à Bamako lui revient quand la fin d'un grand discours offert aux villageois éloignés de la phraséologie socialiste bute sur un rire un peu idiot. On tient là notre rayon vert. Un court instant de stupeur cueille la grimace d'un homme qui n'est pas encore sorti de son adolescence, le garçon toujours habité par l'enfance qui peut alors remettre un peu de distance émouvante entre le discoureur et sa harangue. On peut s’étonner par ailleurs aussi que la dédicace à Malick Sidibé substitue à ses photographies des photogrammes du film fixés en noir et blanc. L’inspiration photographique est généreusement assumée, jusque dans l’affiche du film, mais Twist à Bamako aurait été autrement dialectique s’il avait recouru dans sa forme à des archives qui lui auraient sûrement apporté un peu de recul documentaire et d’hétérogénéité historique.

Le Coca-Cola sans Marx,
un autre twist qui tue

La fin de Twist à Bamako est une drame qui ne concerne pas simplement ses protagonistes. Le couteau servant à trucider Samba qui fréquente indûment Lara alors qu’elle a été mariée de force est celui de la tradition qui aura fini par avoir raison des élans et soulèvements de la jeunesse révolutionnaire. L'arme blanche aura été aiguisée aussi par la trahison des vieux cadres de la révolution qui, d'un côté, répriment les colères sociales quand elles émanent des commerçants nostalgiques du colonialisme quand, de l'autre, ils conviennent aussi de la reproduction d'un patriarcat dont ils figurent une extension dans la sphère du nouvel État. Nous étions en 1962, nous voilà en 2012. Lara a vieilli mais Bamako reste soumise à l'autorité des hommes armés, socialistes hier ou islamistes aujourd'hui c'est idem puisque leur revient le même droit d'exercer un contrôle sur le corps des femmes. Ce qu'il reste n'est plus alors qu'un souvenir, une danse, un air de twist.

Robert Guédiguian rate un premier coche, celui de rappeler que le twist n’est pas seulement le genre musical privilégié par l’ancienne tutelle coloniale française s’adonnant à l’ivresse des yéyés, mais une invention de musiciens africains-américains, Hank Ballard et Chubby Checker, victime de ce que d’aucuns appelleraient aujourd’hui une forme d’appropriation culturelle. Dans le contexte africain de la décolonisation malienne cela aurait eu de la gueule. Non, cela n’intéresse pas le réalisateur. Ce n’est pourtant pas le plus grave. Il y a à l'évidence un drame politique à renvoyer dos à dos socialisme d'hier et islamisme d'aujourd'hui, son continuateur on l'aura ici bien compris, au nom des vieux airs nourrissant la nostalgie, autre colonialisme mais celui-là est culturel, cela ne compterait pas.

On se souvient alors de Masculin féminin (1966) de Jean-Luc Godard et d'un fameux carton évoquant « les enfants de Marx et de Coca-Cola ». Robert Guédiguian serait donc pour sa part confiant qu'avec Marx liquidé resterait cependant l'essentiel, l'Amérique des consommations de notre jeunesse, twist again, ad libitum, ad nauseam. Twist à Bamako se conclut par un autre twist, celui d'un réalisateur obstiné à faire au cinéma la nique à ses propres idéaux. Le twist tue quand il tient d'un tel désaveu, celui d'un matérialisme de pure façade ajointé à un didactisme sans politique.

Les déclarations publiques et les positionnements publics sont une chose, les films en sont une autre, aussi têtus que les faits comme le disait Lénine. Robert Guédiguian rejoint ainsi la cohorte des Ken Loach et Nanni Moretti dans la triste série des réalisateurs dont les amertumes et déplorations font durer plus que de raison l'agonie de la social-démocratie. Pourtant, on le sait, le temps qui vient est celui qui reste, qui sera à la réinvention du communisme ou ne sera pas. Ce n'est même plus une question de modèle politique alternatif mais, désormais, de survie mondiale et Robert Guédiguian pas moins que nous n’y échappera.

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