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Rayon vert, Histoires de spectateurs, Majeur en crise et Chambre verte : découvrez les catégories les plus singulières du Rayon Vert.

Rayon vert

« marseilleS » de Viviane Candas : Vies minusculeS

2 décembre 2022
C'est dans le devenir-minoritaire que gît le devenir-révolutionnaire, selon le couple Deleuze-Guattari. Le dernier film de Viviane Candas, marseilleS, s'inscrit dans cette trajectoire à travers le thème des luttes pour la reconnaissance d'une mémoire, celle des fractures de la guerre coloniale autant que de l'indépendance de l'Algérie, à partir d'une ville, Marseille, qui en serait le laboratoire. Viviane Candas parvient ainsi à problématiser le statut de minorité en tant que maillon faible d'un pays comme d'une ville où se condenseraient pourtant les principales tensions les traversant. Questions essentielles : comment faire société sur fond de déni ? Comment faite front à l'affront de ce qui gonfle, ici comme ailleurs, aujourd'hui, le ventre de la bête immonde ?
Leila (Taraneh Allidousti) et ses frères décident du sort de leur père dans Leila et ses frères
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« Leila et ses frères » : Les ascenseurs de Saeed Roustaee

27 novembre 2022
Si les ascenseurs émotionnels, sociaux et comiques fonctionnent bien dans Leila et ses frères, c'est malgré tout au détriment d'un personnage humilié, comme pris dans le béton et écrasé par le rouleau compresseur de la petite entreprise de travaux de Saeed Roustaee, avec la même lâcheté que chez Asghar Farhadi.
Jaylin Webb et Anthony Hopkins assis sur un banc dans Armageddon Time
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« Armageddon Time » de James Gray : Enfance sans fards

25 novembre 2022
Dans Armageddon Time, James Gray n’entend pas poser sur sa jeunesse un regard nostalgique et émouvant, informé par l’adulte et l’artiste qu’il est devenu, mais travaille plutôt avec les exigences parfois arides de la quête d’exactitude du souvenir. S’attachant à traduire les contours indécis et les silhouettes d’un passé résolument sombre, coulés dans l’étroitesse et la violence du cadre domestique et scolaire, il offre néanmoins à son alter ego Paul Graff une véritable épaisseur et une porte de sortie finale, lui permettant à la fois d'échapper à la rudesse du monde tout en continuant à le hanter.
Noriko et son sourire, au centre de l'image et du film dans "ÉTé précoce
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« Été précoce » de Yasujirô Ozu : Là où le sourire demeure

21 novembre 2022
À travers le sourire de son héroïne Noriko, omniprésent tout le long d'Été précoce, Yasujirô Ozu capture comme à son habitude la vie et les sentiments d’une famille japonaise en proie aux mutations sociales de son époque. C'est ici dans une scène étonnante et touchante, lors de laquelle Noriko découvre malgré elle des sentiments enfouis, que le film et la vie de son personnage principal basculent, toujours sous le patronage de ce sourire obsédant.
Benoît Magimel sur le balcon de sa maison dans Pacifiction
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« Pacifiction » d'Albert Serra : Présages du monde flottant

16 novembre 2022
La fiction, chez Albert Serra, a toujours été une interrogation. Comment la produire tout en conservant la dimension documentaire inhérente à l’image de cinéma ? Et que représenter, que penser avec elle ? Pacifiction - Tourment sur les îles porte bien son titre dans la mesure où il est un laboratoire pour la fiction. Ses formes sont employées pour penser la politique de notre temps, comme les grands maîtres classiques savaient le faire.
Joe Alwyn et Margaret Qualley s'enlacent dans Stars at Noon
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« Stars at Noon » de Claire Denis : Des rêves à midi

13 novembre 2022
Stars at Noon, le dernier film mal-aimé de Claire Denis, pourtant reparti avec le Grand Prix à Cannes, est un tour de force, une affirmation que le rêve n’est pas encore mort. Si la main du marché a englouti tous les aspects de notre existence, elle ne parvient pas encore à percer la logique de notre inconscient dont elle ne comprend que les éléments les plus superficiels.
Jonathan Pryce dans son armure dans Brazil
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« Brazil » de Terry Gilliam : Le rêve du dormeur totalitaire

11 novembre 2022
Le totalitarisme est une fête, proposition difficilement tenable. Terry Gilliam s'y accroche pourtant, en se donnant un évidant modèle (Le Procès d'Orson Welles) comme Jonas heureux dans le ventre de la baleine. Le carnaval baroque n'est cependant pas le meilleur moyen de rendre à Kafka ce que sa lucidité nous aura donné, qui tient moins du vacarme que du piaulement. Brazil est un samba endiablé et son auteur, un démiurge pressé semble-t-il de ne jamais traiter son sujet. Le film devient cependant réellement effrayant quand Sam Lowry, celui qui dort en courant après l'image de la femme de ses rêves, est l'activiste inconscient, z'ailé et zélé, d'une surchauffe du système dont l'emballement vérifie seulement que les rêveurs en sont les meilleurs alliés. On n'aurait rien vu à Brazil si l'on ne voyait pas, avec les deux hémisphères du cerveau totalitaire, social et mental, que la folie d'un homme résulte autant de son environnement qu'elle est le symptôme d'une profonde adéquation. Arbitraire et réversibilité généralisée. Quand le con à la fin s'endort les yeux grand ouverts, la ritournelle brésilienne qui berce le sommeil du rêveur se révèle la perceuse des caboches sans cervelle.
Matthias (Marin Grigore) et son fils tirant sur un ours dans le bois dans R.M.N.
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« R.M.N. » de Cristian Mungiu : La valse inachevée

2 novembre 2022
Dans R.M.N., la musique, pourtant sans cesse avortée, devient le seul moyen de dépasser les barrières du langage, de rêver à un monde où les individus se détachent de la haine et de la violence en parvenant enfin à s'accorder. Inspiré par In The Mood For Love de Wong Kar-wai, auquel R.M.N. répond en miroir, Cristian Mungiu filme un amour platonique qui ne se concrétise jamais, Mathias observant la maison comme un spectateur-voyeur devant une fenêtre-écran : un spectateur qui fantasmerait de vivre une grande histoire d’amour qui va à l'encontre de ses "principes", comme celle des personnages de Tony Leung et Maggie Cheung.
Gigi au volant de son véhicule dans "Les Aventures de Gigi la loi"
Rayon vert

« Les Aventures de Gigi la loi » d’Alessandro Comodin : Plus irréel que la fiction

31 octobre 2022
Au sein d'un sous-genre du cinéma d'auteur contemporain, lequel consiste à faire se rencontrer documentaire et fiction tout en laissant planer le doute sur la frontière entre les deux, Les Aventures de Gigi la loi d'Alessandro Comodin se démarque notamment grâce à son personnage, le truculent et atypique Gigi, qui est en lui-même à la fois le sujet du documentaire et le sujet de la fiction. Par sa propension à se raconter des histoires, il fait de sa propre vie une entité floue, entre réalité et fiction.
Leon (Artur Steranko) dans la chambre d'Anna dans Quatre nuits avec Anna
Rayon vert

« Quatre nuits avec Anna » de Jerzy Skolimowski : L'enfance de l'homme

26 octobre 2022
Qui est donc Léon, personnage autiste, pour qui l'amour est fantasme trouble et dévotion délicate dans Quatre nuits avec Anna ? Un criminel ? Un innocent ? Un homme, rien moins que cela, qui se joint à la cohorte de tous les autres égarés de naissance, dont Jerzy Skolimowski filme le sort qui leur est réservé dans un monde où l'innocence sera toujours coupable.
Shirley MacLaine, Debra Winger et Jack Nicholson dans Tendres Passions
Rayon vert

« Tendres Passions » de James L. Brooks : La mort par surprise, la vie qui s’apprend

26 octobre 2022
Tendres Passions est absolument merveilleux, d’une délicatesse infinie, et puis surprenant avec des choses simples, comme s’il s’agissait à chaque fois de relever ce qu’il y a de singulier dans le quelconque. Le film de James L. Brooks prend le temps nécessaire pour extraire du simple la liqueur des émotions difficiles en évitant tous les pièges. Comme si la comédie était un masque de pudeur pour le mélodrame, que l’on n’avait pas vu venir et qui arrive sans crier gare. Alors c’est une vie entière dont la mort précipite l’exemplarité qui en rachète l’injustice. On découvre que le narrateur était en fait un fin stratège, et son film d’être une tragédie rédimée par un stoïcisme qui aura été discrètement enseigné sans jamais avoir été professé.
Michael Myers dans les escaliers de la maison dans Halloween Ends
Le Majeur en crise

« Halloween Ends » de David Gordon Green : Michael Myers, col bleu du slasher

15 octobre 2022
Halloween Ends est le dernier des derniers chapitres - promis, juré - d'une vieille histoire de maltraitance, l'enfant Michael Myers, notre enfance. Le film qui veut littéralement achever la saga initiée par John Carpenter et Debrah Hill raconte aussi comment Hollywood finit : de la cuisine à la casse qui est un placard pour la lutte des classes.
La grotte dans Il Buco
Rayon vert

« Il Buco » de Michelangelo Frammartino : L’abîme pour un monde

14 octobre 2022
Il Buco de Michelangelo Frammartino nous plonge dans un trou noir, un territoire vierge encore inexploré qui aurait attendu, tapis dans l’ombre, que l’homme vienne s’y enfouir. En s’emparant d’une expédition spéléologique à priori banale, le film documente notre rapport au monde en dépouillant la vérité spéciste de tous les oripeaux dont on l’a revêtu.
Alan Bates crie sur la plage dans Le Cri du sorcier
Rayon vert

« Le Cri du sorcier » de Jerzy Skolimowski : Parasite, intouchable, bélier

13 octobre 2022
Le Cri du sorcier est un film biscornu, avec ses brisures et ses embardées, raccord avec les déhanchés caractérisant les films tournés en Angleterre par un exilé polonais. Les hypothèses levées par un récit indécidable sont des zébrures qui font fourcher l'interprétation, rappelée au désordre de ses délires. Miroitant et fêlé, Le Cri du sorcier est le récit d'une foi perdue comme un cri qui vient de l'intérieur, l'histoire d'un délirant, peut-être faussaire, dont la folie est un dedans coïncidant avec le dehors qui est chaos, au-delà du vrai et du faux. Le cinéma de Jerzy Skolimowski tient de l'étonnement en tant qu'il est un tonnerre d'époumonement.
L'âne regarde la caméra dans EO
Rayon vert

« EO » de Jerzy Skolimowski : Ulysse était un âne

10 octobre 2022
Loin d’être le récit stylisé d’une descente aux enfers au service du seul plaidoyer écologiste, l’épopée d’EO, l'âne de Jerzy Skolimowski, remotive la thématique de l’exil pour en faire le lieu fondamental de la rencontre, et rejoint donc ce que le cinéma peut nous offrir de plus riche : non pas la leçon de morale que nous serions en droit de recevoir, mais une expérience sensorielle qui nous éloigne de nous-même et de nos lieux d’ancrage pour nous contraindre, avec cet âne, à refondre notre rapport au monde. En faisant d’EO un véritable manifeste animiste construit autour de l’épopée animale de son âne, Skolimowski fait œuvre d’engagement sans verser dans le cynisme. Il ne tourne finalement pas le dos à l’humain, ne le pointe pas du doigt avec mépris non plus : il s’adresse sans cesse à lui dans la dynamique de rencontre qui anime le cœur même de son film.
Joseph Engel et Sara Montpetit couché dans le lit dans Falcon Lake
Rayon vert

« Falcon Lake » de Charlotte Le Bon : La boucle d'Houdini

7 octobre 2022
Film de fantômes autant que film-fantôme, récit de l'éveil du désir et du passage à l'adolescence, souvenir d'une histoire d'amour à l'intensité incomparable, réflexion sur la mort et la hantise qui est un des plus grands pouvoirs du cinéma, Falcon Lake de Charlotte Le Bon réussit l'exploit de traiter tous ces sujets sans aucune fausse note et, par là, s'impose comme un des plus beaux films "réalistes" situés à la lisière du fantastique vu ces dernières années.
Jean, le père du cinéaste, se filme dans "Le Film de mon père"
FIFF

« Le Film de mon père » de Jules Guarneri : La caméra est un fantôme

5 octobre 2022
En filmant sa famille "de l'intérieur", et plus particulièrement son père Jean, figure excentrique à la fois empathique et envahissante, Jules Guarneri s'exposait aux tares de l'autofiction voyeuriste façon « Strip-tease ». Il les contourne à moitié en instillant dans un cadre précis, parfois malaisant, une hétérogénéité et une porosité qui se devinent entre les lignes, qui se méritent. Avec sa caméra-fantôme, Le Film de mon père déploie un véritable discours sur la hantise sous toutes ses formes.
Louis Garrel se fait "diriger" par Roschdy Zem dans "L'Innocent"
FIFF

« L’Innocent » de Louis Garrel : Jouer et déjouer (les attentes)

29 septembre 2022
Après une première partie assommante dans le registre de la comédie de quiproquos sur fond social, dans laquelle Louis Garrel laisse ses acteurs - y compris lui-même - en roue libre, le film se retourne à l'occasion d'une scène théorique sur le jeu d'acteurs, avant de s'acheminer vers un final qui déjoue les attentes. Plus réflexif et moins convenu qu'il n'en a l'air, L'Innocent est éminemment ludique.
Kim Joo-hyuk parle à une femme dans la rue dans Yourself and Yours
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« Yourself and Yours » de Hong Sang-soo : Soi-même comme un autre

19 septembre 2022
Le cinéma d’Hong Sang-soo ne serait-il pas (trop) répétitif, dans ses motifs, ses intrigues autant que dans sa mise en scène, pour ne pas dire pantouflard-petit-bourgeois ? La critique est récurrente, notamment au Japon. Yourself and Yours montre au contraire, par l’énonciation d’une loi physico-cinématographique, que de la répétition naîtrait la variation. Une manière de déconstruire une autre idée reçue selon laquelle Yourself and Yours serait à l’articulation de deux périodes cinématographiques distinctes, la première tournée vers les autres, la seconde sur soi, celles-ci étant au fond amoureusement enchevêtrés dans le film comme chacun des personnages chez le cinéaste.
Areum (Kim Min-hee) dans la maison d'édition où elle travaille dans Le jour d'après
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« Le Jour d’après » de Hong Sang-soo : Croire pour évoluer

18 septembre 2022
Si Le Jour d’après est un des films les plus graves d’Hong Sang-soo, celui-ci offre une réflexion aussi subtile que passionnante sur la question de la croyance, consolatrice, qui permet au personnage d’avancer. Tout n’est finalement, chez Hong Sang-soo, qu’une question de croyance. Il faut croire au pouvoir de la fiction pour que celle-ci devienne réalité.
La jeune femme (Kim Min-hee) écrivant sur son ordinateur dans le café de Grass
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« Grass » de Hong Sang-soo : Le temps d'un instantané

18 septembre 2022
De toutes les variations temporelles et formelles du cinéma de Hong Sang-Soo, celle de Grass se rapproche peut-être le plus du souvenir compris comme un instantané. D'une ombre se reflétant sur un mur aux trois photographies des lieux vidés de ses personnages à la fin du film, c'est donc aussi de l'effacement dont il est question. Grass montre ainsi des lieux où le temps passe comme partout. Un café, une rue, des milliers de vies de passage, et quelques instantanés qui restent.
Kim Min-hee et Isabelle Huppert discutent sur la plage dans La Caméra de Claire
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« La Caméra de Claire » d’Hong Sang-soo : Voir double

18 septembre 2022
Regarder à nouveau et très lentement : cette maxime invite à lire La Caméra de Claire sous le prisme de la répétition et du redoublement. C’est par ce motif que son héroïne, Manhee (Kim Min-hee), semble acquérir un nouveau regard sur elle-même et sur ce qui l’entoure. C'est ainsi que chez Hong Sang-soo, les images peuvent réconcilier avec la vie.
Haewon (Jeong Eun-Chae) embrasse un garçon devant un temple dans Haewon et les hommes
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« Haewon et les hommes » de Hong Sang-soo : De la thèse au sentiment

18 septembre 2022
Le malaise et l’angoisse de l’impératif social du mariage en Corée du Sud sont sûrement ce que Hong Sang-soo sait le mieux montrer avec son art. De cette situation singulière, il extrait sa dimension universelle en la représentant toujours dans les complications d’une histoire d’amour. Avec son film Haewon et les hommes, pour restituer le trouble des passions interdites dans une société contraignante, le cinéaste trouve, à partir d’un essai de sociologie, de précieuses idées de cinéma.
Affiche du BIFFF 2022
BIFFF

BIFFF, la machine à démonter le temps

15 septembre 2022
Plusieurs années après avoir décrit l'ambiance particulière qui règne au BIFFF (Brussels International Fantastic Film Festival), un festival de cinéma à part, nous revenons une nouvelle fois sur les expériences spectatorielles que l'on peut y faire, à travers cette édition singulière, celle des 40 ans, qui s'est déroulée - une fois n'est pas coutume, nous l'espérons - entre les murs du Palais 10 au Heysel. Dans cette grande machine à remonter, à stopper et à étirer le temps qu'est le BIFFF, le spectacle avait une fois de plus autant lieu dans la salle et hors de celle-ci que sur l'écran.
Tang Wei et Go Kyung-Pyo durant un interrogatoire policier dans Decision to Leave
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« Decision to Leave » de Park Chan-wook : Fragment d'un discours amoureux

12 septembre 2022
Comment penser l'impensable, la naissance d'un sentiment amoureux, le désir qui vient ? Par quel génie s'approcher de l'instant de grâce ? En se rapprochant au plus près de deux êtres, comme le fait Park Chan-wook dans Decision to Leave, en les filmant à la façon dont le papillon se rapprocherait de la flamme au risque de la brûlure.
Florent Dorin est "Le Visiteur du futur"
BIFFF

« Le Visiteur du futur » de François Descraques : La schizophrénie du second degré

8 septembre 2022
Version "cinéma" d'une web-série à l'humour décalé dans la veine de Kaamelott, Le Visiteur du futur apparaît comme un produit éminemment schizophrène, peinant à se trouver entre un second degré constant et une véritable ambition de film de SF. C'est paradoxalement dans un emprunt à un autre film de série B, lors de son climax, que le film se pose enfin et parvient à susciter une émotion au premier degré, jusqu'alors inespérée.
Sarah (Karen Gillan) apprend à se battre pour le "Dual" avec son coach (Aaron Paul)
BIFFF

« Dual » : La comédie dépressive selon Riley Stearns

7 septembre 2022
Pour son troisième long métrage, Riley Stearns s'aventure sur les terrains balisés de la science-fiction contemporaine et des histoires de clones, mais parvient à couler dans ce moule attendu un récit ambigu et désespéré, tout en y instillant une réelle originalité et en restant fidèle à son style singulier, entre comédie dépressive et humour abstrait. Si Dual semble parfois basculer du côté de la misanthropie, le film se rattrape toujours de justesse par des pirouettes inattendues et des trouvailles ludiques.
Marcel (Benoît Poelvoorde) et Gloria (Alba Gaïa Bellugi) s'embrassant dans le couloir dans Inexorable
Rayon vert

« Inexorable » de Fabrice Du Welz : La mécanique de l'empêtrement

4 septembre 2022
Pour avoir quitté le temps de leur enfance qu'ils croient celui de l'insouciance, les hommes rêvent volontiers d'une innocence enfin retrouvée qui les réconcilieraient avec la vie. Fabrice Du Welz les met à l'épreuve en mettant en place une œuvre singulière, un répons de fou ardent, un chant alterné renvoyant aux films précédents : un cinéma de l'empêtrement, en atteste Inexorable, où le temps de l'enfance n'a jamais été celui de l'insouciance, où l'innocence n'est qu'un rêve, une manière de regarder l'homme devant sa débâcle.
Esther (Isabelle Fuhrman) touche les œufs en or dans Esther 2 : Les Origines
Le Majeur en crise

« Esther 2 : Les Origines » de William Brent Bell : Le secret derrière la grille

30 août 2022
Esther 2 : Les Origines déjoue le programme attendu du home invasion en se montrant bien plus riche que le premier volet de la franchise. Les valeurs familialistes sont retournées comme une crêpe et se révèlent opérantes qu'en apparence. Le film est aussi sous influence hitchcockienne dans la manière dont le désir et les pulsions sexuelles et/ou morbides le traversent.
Tahar Rahim dans la prison dans Désigné coupable
Le Majeur en crise

« Désigné coupable » de Kevin McDonald : La Constitution des États-Unis, l’autre conquête de l’Ouest ?

17 août 2022
Le thème de la frontière, notamment dans le cinéma nord-américain, n’a jamais cessé de produire une certaine image de l’Amérique, confiante ou défaite, comme la mise en récit de la construction d’un peuple singulier. À cette histoire de la frontière, dont la conquête de l’Ouest est le pendant quasi naturel, qui a été tantôt physique, terrestre, mais aussi spatiale, mentale, autant que culturelle, économique, sociale... nombre de productions hollywoodiennes, comme le dernier film de Kevin McDonald, Désigné coupable, en attestent et y ajoutent la conquête du droit, soit la mise en norme comme la mise en règle d’une société donnée à travers ses commandements juridiques. Ou comment la Constitution des États-Unis apparaît comme l’autre conquête de son Ouest, mais pour produire un film sur le droit, dans le cas de Désigné coupable, prétendument critique à l’égard de la législation du Patriot Act, mais qui se parjure finalement lui-même, la reconduisant dans ses motifs comme ses principes.
Pierre (Jean Desailly) embrasse Nicole (Françoise Dorléac) dans son lit dans La Peau douce
Rayon vert

Aimer c'est voler, aimer c'est fuguer (sur deux films de François Truffaut)

11 août 2022
Vivre c'est voler du temps au temps et aimer n'est désirable que clandestinement. François Truffaut à sa manière poursuit Jacques Becker en continuant de filer à vive allure les histoires de l'homme pressé. Le temps presse, celui des contrats, des obligations et des devoirs et l'homme pressé bat la mesure de son désir en le dérobant comme s'il s'agissait de grappiller des intervalles, inserts de La Peau douce (1964) et parenthèses de L'Homme qui aimait les femmes (1977), autant de plaisirs volés comme les baisers. Le confort bourgeois n'a jamais empêché François Truffaut d'écrire sa propre version du Journal du voleur de Jean Genet.
Le Quai10 à Charleroi
Histoires de spectateurs

Une brève histoire d'amour et de cinéma au Quai10 de Charleroi

7 août 2022
Récit d'une brève histoire d'amour et de cinéma au Quai10 de Charleroi, un cinéma qui se pose à la fois comme un refuge pour les cinéphiles et un lieu possible de mélancolie. Ou comment penser l'avenir de la salle de cinéma au plus près de l'expérience spectatorielle.
River Phoenix dans A bout de course
Rayon vert

« À bout de course » de Sidney Lumet : L’art de la fugue

2 août 2022
Il y a dans À bout de course de Sidney Lumet une tension entre mouvement et fixité. Cette dualité traduit celle qui se trouve au cœur du récit, confrontant une famille vivant dans la clandestinité, constamment en fuite et donc en mouvement, et l’éveil du désir chez leur jeune fils de s’épanouir de manière plus conforme et sédentarisée.
Léonie et Eugénie mangent des huitres dans Un été comme ça
Rayon vert

« Un été comme ça » de Denis Côté : Anti-thérapie

26 juillet 2022
Au sein d’un paysage cinématographique constellé de films de deuil et de réparation, Un été comme ça de Denis Côté abandonne toute volonté de jouer les thérapeutes. Le récit se donne pleinement les moyens d’explorer le territoire des pulsions sexuelles pour mieux les comprendre.
Larry Murphy (Peter Strauss) gagne une course dans The Jericho Mile
Histoires de spectateurs

« The Jericho Mile » de Michael Mann : Le génie mannien de la mélancolie

24 juillet 2022
Michael Mann filme la solitude d’hommes, partagés par leurs tâches à accomplir et l’impossibilité pour eux de l’allier à une existence normale. Des hommes qui apprennent le métier de vivre, disait Pavese. S’agit-il pour autant d’y voir simplement la thématique du professionnalisme malade, de personnages n’ayant plus de prises sur le monde comme insiste Jean-Baptiste Thoret, Michael Mann poussant sans doute cette thématique plus loin quand ses acteurs sembleraient sortir d’un film d’Hawks, montrant l’inanité, la vacuité de leur professionnalisme ? L’absolue maîtrise de leur art pour ne mener nulle part ? Tant de professionnalisme pour rien, Michael Mann filme sûrement le vide absolu de l’action, mais non pas pour en dire l’inutile mais la vacuité sur le plan existentiel. En Amérique, si agir n’est plus la garantie d’un épanouissement personnel, quand c’était encore le cas chez Hawks, c’est surtout le produit d’une mélancolie à l’horizon indépassable. Voici donc le programme exposé, pour partie, dès son premier film, The Jericho Mile, en 1979 : la mélancolie, c’est la maladie du fait d’être homme.
Le jeune instituteur assis à coté de la chanteuse du village dans L'école au bout du monde
Rayon vert

« L'école du bout du monde » de Pawo Choyning Dorji : Trouver sa voix

22 juillet 2022
L'école du bout du monde de Pawo Choyning Dorji présente Ugyen comme une voix et l'écoute comme rapport au monde et aux personnages. Si le jeune instituteur cherche sa voie, c'est d'abord par le biais de sa propre voix. En retravaillant complètement le cliché de l'utilisation de la musique à des fins de rupture narrative et émotionnelle, le film constitue un contre-exemple où le chant occupe une place centrale dans l'évolution du personnage et son ouverture à de nouveaux possibles.
Yūsuke (Hidetoshi Nishijima) conduit par Misaki (Tōko Miura) dans Drive My Car
Rayon vert

« Drive My Car » de Ryūsuke Hamaguchi : La vie, malgré tout

18 juillet 2022
Que fait-on de ses morts ? Comment faire son deuil ? Drive My Car de Ryūsuke Hamaguchi, offre une réflexion sur ce jour maudit où chacun apprend la vérité des choses, la mort des roses.
Peter von Kant filme son amant Amir
Rayon vert

« Peter von Kant » de François Ozon : Marre du cinéma

13 juillet 2022
En revisitant Les Larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder, François Ozon laisse libre cours à son "troll" intérieur, adressant au passage un ostensible doigt d'honneur au cinéma. Sous le vernis d'une adaptation libre mais appliquée, plus théâtreuse que théâtrale, le "gendre idéal" du cinéma d'auteur contemporain laisse doucement instiller son venin jusqu'à un spectaculaire "pétage de câble", avant de revenir à la consensualité qui le caractérise en apparence.
Alfredo et Afonso rejouent un tableau de Rubens dans "Feu Follet"
BRIFF

« Feu follet » de João Pedro Rodrigues : L’arbre et le phallus

9 juillet 2022
À travers une rêverie musicale et la fable d'un roi sans couronne qui veut devenir pompier pour protéger les arbres, João Pedro Rodrigues établit dans Feu Follet un lien entre une communion sexuelle et une communion avec la nature, avec comme ciment l'amitié et des images fortes comme autant d'allégories visuelles et textuelles auxquelles peut se raccrocher un spectateur invité à contempler cette fantaisie sexuelle et écologique flamboyante, comme un spectacle à la fois ouvert au monde et circonscrit à la forme donnée par son auteur.
Carmen (Aline Küppenheim) dans la poterie au début de 1976
BRIFF

« 1976 » de Manuela Martelli : Petite histoire d'une seconde chance

4 juillet 2022
En faisant revivre le spectre d'une grand-mère partie trop tôt, 1976 est porté par un refus de la fatalité et de la tristesse. Loin de toute démonstration de force, Manuela Martelli, sous l'influence de Chantal Akerman, fait le choix d'une certaine forme de minimalisme pour raconter son histoire de seconde chance.
Kiril dans la forêt dans Une bosse dans le cœur
BRIFF

« Une bosse dans le cœur » de Noé Reutenauer : Un miroir comme un autre

30 juin 2022
Avec Une bosse dans le cœur, Noé Reutenauer réussit avec brio un film sur la trisomie où il tend un miroir au spectateur qui pourra réfléchir sur les fondements de sa propre existence. La notion d'humanité peut alors être comparée à un grand puzzle dont chacun recolle les morceaux à sa façon. Nous avons tous des bosses dans le cœur, logées quelque part au croisement du réel, des rêves et de la spectralité.
Richard Dormer en pleine action sous la pluie dans 11 minutes
Rayon vert

« 11 minutes » de Jerzy Skolimowski : Ballet mécanique

26 juin 2022
11 minutes tient de l’exploit quasi-sportif en réussissant à tailler en 81 minutes chrono un cristal de situations hétérogènes tournoyant autour de la même unité de lieu (un quartier du centre de Varsovie) et de temps (les 11 premières minutes de la 17ème heure d’une journée). Le maître horloger jette toutefois sur son mécano néo-baroque un drôle de regard. La misanthropie est la tâche dans l’œil noir du démiurge, ce précurseur sombre des catastrophes annoncées dont le brio est le doigt qui, même s’il est d’honneur, s’y enfourne jusqu’au bras.
Batman (Robert Pattinson) embrassant Catwoman (Zoë Kravitz) sur le toit d'un immeuble de Gotham dans The Batman
Le Majeur en crise

« The Batman » de Matt Reeves : L’opium du populisme

16 juin 2022
The Batman de Matt Reeves (2022) procède d’un discours jamais fatigué de se frayer un chemin à travers ses certitudes. Si par un hasard du calendrier il est sorti en salles un peu avant le premier tour des élections présidentielles en France, The Batman était toutefois parfaitement synchrone d’une bonne partie des débats avec leurs petites philosophies politiques rances de l’époque sur les enjeux sécuritaires comme la corruption des élites. Un discours non pas simplement local, mais un discours-monde, aux dimensions de Gotham City. Un discours auquel tous les bénis non-non se rallieront, semence à laquelle il faudrait opposer la semonce du coup de canon.
Michelle Yeoh utilisant ses pouvoirs dans Everything Everywhere All At Once
Le Majeur en crise

« Everything Everywhere All At Once » : Se laisser toucher par les doigts hot dog

2 juin 2022
Everything Everywhere All At Once remplit à première vue toutes les cases d'un divertissement au rythme effréné jouant avec les codes du film d’action. Dans ce type de film, faire advenir une véritable émotion se révèle assez difficile, tout étant directement désamorcé par l’aspect parodique et le second degré omniprésent. Le film de Daniel Kwan et Daniel Scheinert s’essaie pourtant à l’exercice d’une manière inattendue, en retournant l’une de ses séquences clés contre elle-même ; comme si le film faisait le pari de pouvoir inverser un instant les registres, du potache à l’émotion, par la seule force de ses propres images.
Saul Tenser (Mortensen) entre sa compagne Caprice (Seydoux) et son admiratrice Timlin (Stewart) dans « Crimes of the Future »
Rayon vert

« Crimes of the Future » de David Cronenberg : Hybride évolution

24 mai 2022
Dans son nouveau film attendu comme le Messie, David Cronenberg parvient à la fois à combler des attentes et à se montrer déceptif. C'est en faisant se rencontrer deux pans de son cinéma qu'il le fait évoluer, en faisant d'un film hybride une nouvelle étape, un « troisième type » . Tout comme l'humanité accède à un stade supérieur d'évolution à la fin de Crimes of the Future, c'est par une démarche d'hybridation, par le composite, que le cinéma de Cronenberg continue d'évoluer.
Dieter Dengler dans la jungle dans Petit Dieter doit voler
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« Petit Dieter doit voler » de Werner Herzog : Qui témoigne pour le témoin, sinon l’ami ?

14 mai 2022
La survie, c’est la vie vécue à l’extrême pointe, extrémisée par la proximité de la mort jusqu’à ses limites dont le franchissement est un anéantissement. Le survivant vit en témoignant, le vivant témoigne en parlant comme en ne parlant pas. Quand il est silencieux, le témoin est taiseux et ses silences témoignent pour lui. Le vivant qui a survécu en a-t-il à jamais fini avec la survie ? Dieter Dengler est un témoin : l'homme qui a survécu au pire parle à Werner Herzog qui lui dédie Petit Dieter doit voler (1997). L’homme qui témoigne en faisant preuve d'une extraordinaire prolixité tourne cependant autour d'un noyau d'indicible, un reste irracontable : son désir de voler a eu pour fondation et destination une destruction réitérée. Le témoin est un derviche tourneur dont l’axe de rotation est ce reste-là. Avec l’homme témoignant pour l’ami absent et l'autre ami qui témoigne pour lui en lui dédiant son film, la vie apparaît enfin pour ce qu'elle est en vérité : l'énigme extatique d’un miracle inespéré.
Chiara (Swamy Rotolo) à la recherche de son père dans la brume dans A Chiara
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« A Chiara » de Jonas Carpignano : Le deuil des vivants

6 mai 2022
Avec A Chiara, Jonas Carpignano filme le travail de deuil des vivants. Le deuil n'est en effet pas qu'une relation qui nous lie à nos morts, il charpente nos vies où les vivants, eux aussi, passent comme des fantômes qu'il faut oublier : dans A Chiara, il faudra affronter la perte du père et d'une famille unie relativement insouciante.
Natsuko et Aya se rencontrent dans la troisième histoire de « Contes du hasard et autres fantaisies »
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« Contes du hasard et autres fantaisies » de Ryūsuke Hamaguchi : Quiproquos et épiphanies

18 avril 2022
Avec ces Contes du hasard et autres fantaisies, Ryūsuke Hamaguchi convoque des influences comme celles de Hong Sang-soo ou d’Éric Rohmer et fait dialoguer entre elles ses trois histoires, ses trois « nouvelles », autour des figures du quiproquo, du triangle amoureux et de l’épiphanie, faisant ainsi de la plus belle des manières du boulevardier quiproquo un vecteur d’épiphanie et de clarté de vue pour les personnages et pour le spectateur.
Gene Tierney et George Sanders dans The Ghost and Mrs. Muir
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« The Ghost and Mrs. Muir » de Joseph L. Mankiewicz : Une aventure du regard

9 avril 2022
The Ghost and Mrs. Muir de Joseph L. Mankiewicz tisse avec une grande puissance évocatrice des passages entre plusieurs mondes : rêve et réalité, vie et mort, pesanteur terrestre et éclat des vagues. Mais quel est le moment où le récit bascule et pénètre l’autre monde ? La réponse se trouve peut-être au bout d’un travelling.
Joan Fontaine et Louis Jourdan font connaissance dans Lettre d'une inconnue
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« Lettre d’une inconnue » de Max Ophuls : Le manège des simulacres et l'instance qui l'arrête

3 avril 2022
Les plus beaux personnages de Max Ophuls sont des séducteurs piégés par l'ivresse circulaire des plaisirs de la séduction, les prisonniers volontaires de la vie qui est un théâtre d'ombres, un manège, une ronde de simulacres. Faire tomber le masque n'intéresse pas Max Ophuls parce que derrière le masque il n'y a rien. Le masque est la vérité cachée du masque, vérité circulaire comme une ronde, un manège. Quand le masque tombe, la vie n'est pas plus véridique, elle est seulement plus lourde, c'est la vie qui tombe, qui s'arrête comme une toupie. Lettre d'une inconnue est l'histoire d'un homme qui a vécu sa vie comme un rêve et d'une femme dont la mort lui signifie que le rêve est fini. Quand un homme jouit du manège de la vie avec une inconstance qui est aussi la plus grande inconscience, une femme lui rappelle que la vie est tragique. Voilà ce qui reste troublant ici, et à jamais saisissant : un homme a de l'avance sur une femme avant de découvrir qu'elle aura le dernier mot sur sa vie, celui de la mort.
L'affiche de Des mots qui restent
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« Des mots qui restent » de Nurith Aviv : La condition brisée des langues

19 mars 2022
De film en film, Nurith Aviv ne cesse pas de tourner dans les mêmes questions autour de ce qui fait une langue, en atteste son dernier moyen-métrage Des mots qui restent. Un choix qui pourrait apparaître monomaniaque, y compris dans son dispositif filmique, composé le plus souvent à partir d’entretiens en plans fixes, mais qui par sa rectitude diffracte au contraire le champ des possibles, en montrant combien la relation (à l’autre, aux images, aux langues, aux récits) est au cœur de son sujet comme de sa mise en scène.