« I Wish : Nos vœux secrets » de Hirokazu Kore-eda : Rencontre d’un TGV et d’un volcan
Avec I Wish, Kore-eda propose un voyage à vitesse variable. Pour accompagner ses jeunes enfants qui traversent l’île de Kyushu, deux figures tutélaires semblent se détacher : le volcan et le TGV. Le véritable enjeu du voyage, dévoilé secrètement à son terme, se trouverait peut-être ailleurs, dans la rencontre intérieure entre ce qui bouge et ce qui ne bouge pas.
« I Wish : Nos vœux secrets », un film de Hirokazu Kore-eda (2012)
C’est au terme du voyage, pour les personnages comme pour les spectateurs, que survient l’un des moments les plus touchants de I Wish, nos vœux secrets : la rencontre entre un TGV et un volcan. Ces deux éléments apparemment incompatibles forment pourtant deux figures tutélaires qui accompagnent le parcours d’un groupe d’enfant, et en particulier la figure centrale de Koichi (Kohki Maeda). Jeune garçon de douze ans, il habite avec sa mère au sud de l’île de Kyushu, à proximité du volcan de Sakurajima. Son petit frère Ryu (Ohshiro Maeda), quant à lui, habite au nord avec son père. L’ouverture d’une nouvelle ligne de train à grande vitesse amène une nouvelle perspective : et s’il était possible de faire un vœu en le criant à l’endroit et au moment précis où les deux trains vont se croiser pour la première fois ? Entre la fixité inquiétante du volcan et les promesses de vitesse du TGV, Hirokazu Kore-eda dessine un voyage en plusieurs mouvements et à vitesse variable.
Au départ de I Wish, nos vœux secrets (2011) Koichi semble porter en lui la douleur de la séparation, ce qui s’exprime à l’écran, en majorité, par des instants de la vie quotidienne et notamment un rapport à l’espace : il se plaint de devoir nettoyer la poussière de cendres qui retombe du volcan, puis de devoir rejoindre son école si haut, au sommet d’une colline. Il rêve d’une réunification de sa famille, ce qu’il traduit en secret par le désir violent d’une éruption volcanique qui raserait sa ville de la carte pour obliger un déménagement de l’autre côté de l’île. La réunion semble impliquer un mouvement, aussi violent soit-il. Cette tension entre ce qui bouge et ne bouge pas traverse d’autres images de I Wish, nos vœux secrets. À la piscine, alors que Koichi nage avec énergie, il s’arrête et regarde une mère et son bébé qui font signe à un autre enfant, un autre fils, un autre frère. Le plan cadre cette autre famille derrière une vitre, lui donnant l’aspect d’une vignette presque figée. Il y a également la scène du gâteau avec le grand-père sur la grande roue, qui pourrait convoquer un mouvement puissant mais semble pratiquement immobile. Cette dualité envahit même son monde intérieur lorsque Kore-eda représente un de ses rêves dans une saynète étrange : les quatre membres de la famille sont assis ensemble sur l’herbe pour un pique-nique, mais leur quiétude est troublée par un personnage qui traverse le champ en portant un drôle de cône géant.
De l’autre côté, le petit frère Ryu admet ne pas vouloir un déménagement, et en donne une raison toute prosaïque : il a planté des graines dans son jardin, et veut attendre de les voir fleurir au printemps suivant. À travers cela, il signifie, sans le dire, refuser de réunir ses parents et risquer de souffrir d’autres disputes et séparations. Il voit également un de ses rêves mis en scène à l’écran : les mêmes quatre personnages sont réunis à table, cadrés en plan moyen. Très vite, les parents se crient dessus. Ryu effectue alors le seul mouvement de la scène : il se déplace vers l’avant plan et s’arrête, le visage face caméra. Comme s’il voulait s’échapper du plan, de l’image-vignette de la famille réunie. Commence alors la seconde moitié du film, et le voyage vers la nouvelle ligne ferroviaire. Les deux frères vont tenter de se retrouver, de réconcilier leurs désirs et cette tension entre éruption volcanique et germination des légumes.
Durant la phase de préparation du voyage, I Wish propose encore un certain nombre d’instantanés pour capturer chacun des protagonistes enfants. Koichi se fatigue de nettoyer la poussière, Ryu accompagne la musique de son père en tapant deux cannettes l’une contre l’autre, Takumi s’entraine au baseball en tapant une balle invisible, Makoto a du mal à faire avancer son vieux chien, Megumi peut danser sur un tournage de publicité mais seulement en tant que figurante, Rento s’entraine à la course mais se voit dépasser par un groupe d’athlètes, au point qu’elle préfère s’arrêter et contempler la vitrine d’une pâtisserie. Ces moments apportent une pause de légèreté dans la narration, et proposent aussi des variations sur le même motif : chercher le bon mouvement, la bonne place dans l’espace, sans y arriver. Le voyage semble vraiment commencer lorsque les deux groupes d’enfants sont filmés en train de courir pour attraper leur train, une scène filmée dans la longueur avec une chanson populaire en fond sonore.
Après ce premier trajet en train, les deux bandes d’enfants se réunissent et se dirigent vers l’endroit promis aux miracles, dans ce qui ressemble à un mélange de marche et de trottinade. Leur mouvement vers l’avant va pourtant s’arrêter sur deux beaux moments de stabilité. Ils bifurquent une première fois de la route bien tracée pour observer un champ de cosmos, qui apparait à l’image comme un petit miracle. La durée du plan s’allonge quelque peu, comme pour permettre aux spectateurs de prendre le temps d’observer les différentes parties de l’image. Un enfant se demande où sont passés les gens qui habitaient là, sa camarade rétorque qu’ils devaient certainement aimer les cosmos. Ce surgissement permet d’installer tranquillement une atmosphère onirique, qui contamine toute la dernière partie, tout en amenant un contrepoint à la vitesse des trains : la lenteur paisible des cosmos caressés par le vent, et le désir d’un espace stable où l’on peut se poser et se contenter d’admirer des fleurs.
Nos aventuriers se remettent en marche, sauf que la petite Rento ne peut suivre leur mouvement. Un policier la retrouve et veut arrêter tout le groupe, tout tend vers un échec de leur quête traduit par une immobilité forcée. Pourtant, le deuxième miracle de I Wish advient : un couple de personnes âgées les accueille chez eux en raison de la ressemblance de l’une des jeunes filles avec leur propre enfant. Toute la séquence de la soirée passée dans cette nouvelle maison déplace définitivement le récit vers la fable merveilleuse. Plus rien ne trouble tout ce petit monde, désormais en harmonie sous ce nouveau toit. Kore-eda se rappelle sans doute ici du cinéma de son compatriote Yasujiro Ozu, chez qui la famille et la maison construisent des remparts contre le passage du temps, un modèle qui apparait de manière plus explicite encore dans Still Walking (2008)(1). L’image où les deux frères semblent le plus réconciliés les contient tout simplement assis par terre l’un à côté de l’autre, regardant la nuit dehors en mangeant des gâteaux. Les enfants apprennent à leur tour la plénitude de ce qui ne bouge (presque) pas.
Le matin suivant, les petits voyageurs arrivent à l’endroit rêvé. La collision la plus importante, cependant, n’est pas dans l’explosion de vitesse et de bruit des deux trains à grande vitesse, mais dans le monde intérieur de Koichi, qui depuis le train fait naitre un volcan. Kore-eda construit une série d’épiphanies mentales pour son jeune héros, des moments fugaces et des expériences sensorielles qui ont construit son parcours : un maillot de bain lavé à la main, des fleurs, un gâteau, une main sur son épaule, une photo de famille, et finalement son sourire. Ces images participent à un message explicité par les dialogues : choisir “le monde” plutôt que son égo. Par le langage du cinéma, elles émeuvent également en reconduisant la rencontre entre la vitesse du train et la fixité paisible de ces épiphanies, que ne traversent presque aucun mouvement. Au final, le jeune garçon voit son dessin de volcan entrer en éruption, par l’association de plusieurs plans fixes au montage : en d’autres mots, il vit en lui l’harmonie entre ce qui bouge et ce qui ne bouge pas. Voilà peut-être le vœu secret de Koichi devenu réalité : le TGV et le volcan se rencontrent dans son cœur.
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