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Rayons Verts

Rayon vert, Histoires de spectateurs, Majeur en crise et Chambre verte : découvrez les catégories les plus singulières du Rayon Vert.

Delphine Seyrig épluche des pommes de terre dans sa cuisine dans Jeanne Dielman
Rayon vert

« Jeanne Dielman » de Chantal Akerman : La prisonnière de son désert

26 mai 2023
Elle a dit une fois qu'il lui est arrivé comme ça, le film comme tombé d'un coup, calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur à l'instar de son jumeau, La Maman et la putain (1973) de Jean Eustache. Comment l'éclair a pu déchirer et quelque peu éclaircir une nuit agitée, encore une parmi mille et une autres, toutes les nuits blanches et atrabilaires qui ont fini par la dévorer toute entière. Jeanne Dielman de Chantal Akerman n'est pas la radiographie, clinique et critique, des aliénations de la vie quotidienne et domestique, mais la rigoureuse cartographie d'un désir féminin dont la machine s'expose dans la singularité radicale de son architectonie. Et son autrice s'y est mise à nu en dépliant la carte de son désir comme jamais.
Le trio d'acteurs de "Chien de la casse"
Rayon vert

« Chien de la casse » de Jean-Baptiste Durand : Rédemption du naturalisme

19 mai 2023
Si son titre et son inscription dans un cadre naturaliste peuvent faire peur, le premier long métrage de Jean-Baptiste Durand casse les clichés en donnant à ses deux personnages principaux - dont le haut en verbe Mirales - une caractérisation inédite, ainsi qu'en apportant une signification inattendue et émouvante à son titre dans une belle pirouette finale. À partir d'un récit de rédemption a priori banal, Chien de la casse s'achemine vers la grâce tout en restant à l'intérieur de son cadre naturaliste, dont il se sert pour mieux le transcender.
Lizzie (Michelle Williams) au travail, dans son atelier, dans "Showing Up"
Rayon vert

« Showing Up » de Kelly Reichardt : Se pointer malgré les imperfections

12 mai 2023
En suivant le quotidien d'une sculptrice qui n'est ni "grande", ni particulière, ni sympathique, à quelques jours du vernissage d'une exposition de ses œuvres, Showing Up de Kelly Reichardt permet paradoxalement une identification du spectateur à cette artiste "ordinaire" en proie aux contrariétés du quotidien qui l'empêchent de se consacrer pleinement à son art. C'est à travers ce personnage mais aussi par la figure totémique d'un pigeon blessé et par un final qui s'envole vers d'autres hauteurs que le film déploie ses ailes et sa réflexion sur les imperfections.
Adila Bendimerad est "La Dernière reine"
Rayon vert

« La Dernière Reine » d'Adila Bendimerad et Damien Ounouri : Politique du pirate

11 mai 2023
La Dernière Reine est un film qui raconte l'histoire d'une reine qui n'aurait pas existé. Une mise en scène de l'histoire qui vandalise l'histoire. Un film de corsaire qui est une opération de piratage. Une légende qui dirait ses quatre vérités à tous ceux qui ne voudraient pas l'entendre.
Le père et sa fille se reposent dans Aftersun
Rayon vert

« Aftersun » de Charlotte Wells : Adieu à l'enfance

7 mai 2023
L’enfant est ce compagnon, visible ou invisible, dont les signes de reconnaissance et la toujours neuve lumière n’empêchent ni la part de l’ombre ni le sentiment de la solitude, ni la certitude de la séparation. Sa présence en nous et à côté de nous est vécue comme une énigme et une initiation comme une jeune fille est si proche, si loin de son père dans Aftersun. Charlotte Wells, sa réalisatrice, premier tir sans faire de balles, nous introduit dans ce monde à la fois si familier et étrange de l'enfant qu'elle fut, de l'enfant que nous resterons si nous savons retenir cette leçon de l'Enfantin que le film nous transmet de son lointain.
Julien De Saint Jean tatoue le dragon sur le bras de Khalil Gharbia dans Le Paradis
Rayon vert

« Le Paradis » de Zeno Graton : Le dragon et le centre fermé

5 mai 2023
Avec Le Paradis, Zeno Graton montre que le désir pour l'autre et l'amour, à l'intérieur d'un centre fermé pour mineurs, apparaissent comme les véritables échappatoires d'un quotidien régi par les tensions intérieures et extérieures. C'est l'audace et la subtilité de son film qui donne corps à ce paradoxe à travers l'allégorie d'un puissant dragon qui se loge dans le centre fermé. Le retour au trou n'est plus un échec sur toute la ligne mais l'assurance qu'il y a dans les boucles de l'enfermement autre chose que de l'étouffement et de la résignation : une forme de paradis.
Ken Ogata porte Sumiko Sakamoto dans la montagne dans La Ballade de Narayama
Rayon vert

« La Ballade de Narayama » de Shōhei Imamura : Le néolithique à l’estomac

20 avril 2023
Nous venons du néolithique et de son ventre nous ne sommes pas sortis. La communauté rurale archaïque de La Ballade de Narayama en a longtemps eu le trésor, férocement, qui est un or entouré d’ossements vivants, une caverne de gags cruels et d’absurdités stupéfiantes. Nous y vérifions que nous sommes l’espèce aberrante par excellence, des animaux comme les autres et pas comme les autres, besoins et désirs, pulsions plus mythes. Et ça donne un beau bordel abondamment fréquenté par Shōhei Imamura, l’un des plus grands naturalistes en cinéma qui soient, doublé d’un ethnographe curieux, obsédé par notre non-contemporanéité.
Tilda Swinton dans le manoir dans Eternal Daughter
Rayon vert

« Eternal Daughter » de Joanna Hogg : Sur le souvenir supportable

7 avril 2023
Il n'y a rien de plus compliqué que de perdre un être cher et d'endurer le temps qu'il faut pour qu'un semblant de deuil, parfois impossible, s'accomplisse pour que les morts cohabitent avec nous sans nous hanter. Joanna Hogg filme ce processus dans Eternal Daughter qui est une fresque intime, influencée par Hitchcock et Shining, qui transforme le souvenir doux mais douloureux d'un être aimé en souvenir supportable.
Sally Hawkins en train de lire un livre dans The Lost King
Rayon vert

« The Lost King » de Stephen Frears : Roi maudit et reine de cœur

5 avril 2023
L’histoire (vraie) de Philippa Langley est édifiante. Voilà une employée d’un centre d’appel victime de fatigue chronique qui, il y a dix ans, s’est piquée de rendre justice à Richard III, dernier des Plantagenêt victime de légendes malveillantes fixées par les vainqueurs, les Tudor, et relayées par la pièce de théâtre que Shakespeare lui a dédié plus d’un siècle après son décès lors de la bataille de Bosworth en 1483. Dans The Lost King, le roi maudit aura donc eu besoin d’une reine de cœur qui ne l’est pas de sang pour retrouver à retardement les honneurs de la couronne. C’est un récit comme Stephen Frears les chérit, une histoire modeste de trésors cachés à proximité.
Kim Novak a le pouvoir dans "L'Adorable voisine"
La Chambre Verte

« L’Adorable voisine » de Richard Quine : La revanche manquée de Kim Novak

2 avril 2023
Partageant avec le Sueurs froides d'Hitchcock son couple vedette, L'Adorable voisine de Richard Quine, film mineur s'il en est, se livre néanmoins avec son mythique prédécesseur à un dialogue involontaire qui ne manquera pas de titiller et d'intriguer le cinéphile curieux. Donnant un certain temps l'occasion à Kim Novak d'inverser le rapport de fétichisation qui la liait à James Stewart, le film retombe sur ses pattes morales lors de son dernier tiers, mais n'en reste pas moins un objet de curiosité.
Ramsès le voyant sur le toit de son immeuble dans Goutte d'Or.
Rayon vert

« Goutte d'Or » de Clément Cogitore : Géographie variable

20 mars 2023
Goutte d'Or de Clément Cogitore propose un voyage ésotérique à la fois vertical et horizontal dans la géographie du quartier de la Porte de la Chapelle. Au départ de cette zone en chantier, qu'est-ce qu'il y aurait à voir sinon des gravats ? Le cinéma de Clément Cogitore s'est toujours ouvert sur de l'inconnu, il cherche à pactiser avec le spectateur qui pourra être fasciné ou rester perplexe puisqu'on lui demande de croire au don de voyance qui est en même temps présenté comme une arnaque.
Itsasa Arana dans "Venez voir"
Rayon vert

« Venez voir » de Jonás Trueba : Match amical

17 mars 2023
À travers une scène de ping-pong improvisée a priori anecdotique, Jonás Trueba livre ce qui anime Venez voir et son cinéma : renoncer au désir de maitriser totalement sa vie, d’en comprendre une signification cachée absolue, de montrer au monde extérieur des signes de « réussite » matérielle ou familiale et déclarer forfait aux compétitions que le monde tente de nous imposer pour ne plus jouer que des matchs amicaux.
Alyona Mikhailova dan "La Femme de Tchaïkovski"
Rayon vert

« La Femme de Tchaïkovski » de Kirill Serebrennikov : La journée de l'infemme

11 mars 2023
Que se produirait-il si la passion des 24h de la vie d'une femme de Stefan Zweig durait toute une vie ? La folie, celle de La Femme de Tchaïkovski. Une folie pour raconter autant son drame que celui de son pays, d'hier comme aujourd'hui, par Kirill Serebrennikov.
Tous les passagers du bateau en mer dans Lifeboat d'Alfred Hitchcock.
Rayon vert

« Lifeboat » d'Alfred Hitchcock : Notre nazi

20 février 2023
Étonnant, méconnu, Lifeboat embarque et méduse. Grand film naturaliste ignoré, le film d'Alfred Hitchcock excède le récit de propagande de John Steinbeck en faisant monter au cœur du sauvetage une marée noire rappelant aux démocrates qu'ils ont les mains sales. Gangrène et amputation gagnent alors en mobilité pour affecter un précipité d'humanité qui ne se soigne pas du mal sans faire et se faire du mal. Le précis de cruauté a besoin d'une corde et d'un couteau pour nouer ensemble les moignons d'inhumanité d'une humanité à la dérive.
Kim Min-hee à la fin du film tourné par la romancière dans La Romancière, le film et le heureux hasard.
Rayon vert

« La Romancière, le film et le heureux hasard » de Hong Sang-soo : Le film des rêveurs

12 février 2023
La Romancière, le film et le heureux hasard tient dans le creux de sa fin, magnifique, où nous voyons dans des minutes précieuses le film de la romancière une fois réalisé. Sur un double niveau, il s'agit d'un film d'amour et de rêveurs d'une femme et d'un homme pour leur muse. Pour capter ces si brefs moments de grâce, Hong Sang-soo a repensé les bases de sa mise en scène en longs plans fixes pour y laisser entrer un autre regard.
Haider transporte une Biba géante dans "Joyland"
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« Joyland » de Saim Sadiq : L’émotion antérieure

6 février 2023
Au-delà de la « hype » consensuelle autour d'un film à sujet académique, bête de concours dans l'air du temps, le premier long métrage de Saim Sadiq parvient à surprendre grâce à un final inattendu, détenteur d'une émotion inespérée, et cela malgré la tentation tenace de basculer dans le film coup-de-poing. S'il n'échappe globalement pas à sa condition de film-exemple, Joyland parvient néanmoins à sauver deux de ses personnages avant sa conclusion, ce qui n’est déjà pas si mal.
Amer Hlehel et Ashraf Farah dans "Fièvre méditerranéenne"
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« Fièvre méditerranéenne » de Maha Haj : Palestine, le don de la mort par procuration

27 janvier 2023
Fièvre méditerranéenne est une comédie à pas feutrés dont le carburant est la dépression palestinienne. Avec l'arrivée d'un nouveau voisin, le désir revient mais si le désir tient de l'autre, la fiction qui s'en déduit a pour court-circuit la transmission d'une pulsion suicidaire, un don sans contre-don qui déchire le ventre. En se suicidant, le voisin se donne la mort à la place d'un autre. Le suicide par procuration, pour les Palestiniens d'Israël plus que jamais. Y a-t-il alors une autre place à donner à l'autre que celle d'une procuration suicidaire ?
Pádraic (Colin Farrell) passe à côté de son ami Colm (Brendan Gleeson) dans The Banshees of Inisherin
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« The Banshees of Inisherin » de Martin McDonagh : Aux confins de l'amitié

24 janvier 2023
À quoi tient The Banshees of Inisherin ? Presque rien, par son côté minimaliste, son épure conceptuelle, où pourtant une chose très grande se trouve racontée : l'état d'une amitié portée à l'extrémité de son être. Plutôt que de nous faire la visite touristique et pittoresque d'une petite île irlandaise dans les années 20 (ce que plusieurs critiques ont reproché au film, à tort), Martin McDonagh nous emmène aux confins d'une amitié entre deux hommes eux-mêmes liés à leurs animaux. The Banshees of Inisherin emprunte beaucoup à la conceptualité du théâtre, l'humour qu'il rend possible aussi, en ne tombant jamais dans le piège du théâtre filmé.
Le chat noir et l'épouvantail en feu dans A Short Story de Bi Gan
Rayon vert

« A Short Story » de Bi Gan : Le train du souvenir

19 janvier 2023
Dans A Short Story de Bi Gan, la chambre semble condamnée à l’oubli. Elle doit se mettre à bouger pour que le souvenir se réincarne. Le passé et le présent ne sont pas des entités figées mais des trains en aller-retour constant : le souvenir se retrouve à condition de se mettre en marche vers lui et de lui ouvrir la porte.
Antigone près du temple dans Antigone de Straub et Huillet
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« Antigone » de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet : Divine, indécidable

9 janvier 2023
Un jour de 1973, une rencontre avec un lieu a eu lieu, elle était imprévisible : les ruines antiques de Ségeste en Sicile. Son théâtre de plus de 2.000 ans est le site qui, 18 ans plus tard, a accueilli un bloc de textes et de contextes, antiquité gréco-romaine, romantisme allemand contemporain de la Révolution française et début de la Guerre froide, qui a gardé intact le secret d'une décision authentique, valable pour tous les temps. Antigone d'après la pièce de Sophocle, la traduction de Hölderlin et la mise en scène de Brecht est devenu le film dédié aux peuples opprimés par la raison d'État, ainsi qu'à ceux qui osent dire non en sachant qu'il y a dans toute décision un courage qui est folie, un fond d'indécidable qui est abîme. Son danger est ce qu'il faut pourtant tenter quand la justice ne se confond plus avec le droit qui la trahit.
Empédocle dans La Mort d'Empédocle de Jean-Marie Straub
Rayon vert

« La Mort d'Empédocle » de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet : "Vous avez soif depuis très longtemps d’inhabituel"

9 janvier 2023
L’inachèvement est douleur quand il laisse en souffrance des potentialités non réalisées. Il est autant bonheur en promettant qu’elles seront un jour réalisées. Avenir du communisme, déclosion de la révolution, malgré toutes les trahisons, en dépit de tous les procès. Empédocle a le génie colérique de l’interruption et c’est ainsi qu’il est filmé par Jean-Marie Straub et Danièle Huillet dans La Mort d’Empédocle, dans la clairière aux trois lumières, Grèce antique, Révolution française, invention des frères Lumière. Empédocle est un volcan qui a de l’avenir en revenant du futur.
La fin de Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson
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Les Épiphanies : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma 2022

6 janvier 2023
Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2022 : ni hiérarchie, ni jugement de goût, rien que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.
Richard Farnsworth au volant de son tracteur sur les routes dans Une histoire vraie
Rayon vert

« Une histoire vraie » de David Lynch : Le cow-boy à roulotte, une comète

2 janvier 2023
Une histoire vraie n'est pas un western crépusculaire de plus. Le film de David Lynch est d'après la fin – la fin du western, la fin du monde lui-même. Une histoire vraie est un autre film schizo mais subliminal, mal vu, incompris, ourlé d'une mélancolie extrême. Le divertissement familial produit par Disney a dans les plis de foudroyants secrets stellaires. C'est un film post-apocalyptique où le dernier homme du monde d'avant est un pachyderme autant qu'une étoile filante, le dinosaure cachant un dieu solaire piégé dans le corps d'un grabataire. Et, pour dernier désir, Alvin Straight, un cirque à lui tout seul, n'a plus qu'une ultime parade à donner, un dernier feu de joie à faire crépiter avant de remonter au ciel d'où il est tombé.
Les enfants de Samir Ardjoum dans L'Image manquante
Rayon vert

« L’image manquante » de Samir Ardjoum : Le livre d’hommage

7 décembre 2022
Il y a des films qui n’ont ni reçu l’honneur des salles ni celui des festivals parce qu’ils sont trop grands. Non pas parce qu’ils seraient d’un génie supérieur, aussitôt invisibles au commun. Mais parce qu’ils ouvrent sur un ailleurs, un film à venir, une troisième image encore imperceptible à l’instant de leur réalisation, donc non-vu. Ainsi de Samir Ardjoum avec L’image manquante qui, à partir d’images d’archives familiales, bien avant tout le monde, avant cette heure du recueillement, à partir de son livre d’images personnelles, qui sera toujours en défaut d’une image, pensant faire un film à destination domestique, a composé instamment un livre d’hommage à Jean-Luc Godard, autant dire au cinéma.
L'équipe des Tabac Force dans "Fumer fait tousser"
Le Majeur en crise

« Fumer fait tousser » de Quentin Dupieux : Histoires sans fins

2 décembre 2022
Avec Fumer fait tousser, Quentin Dupieux semble jouer avec ses détracteurs qui lui reprochent de faire des films sans chutes, et propose un film gigogne fait d'histoires sans fins dans lequel il revendique son droit à la débilité et au mauvais goût, dans un élan à la fois anarchique et théorique.
Rayon vert

« marseilleS » de Viviane Candas : Vies minusculeS

2 décembre 2022
C'est dans le devenir-minoritaire que gît le devenir-révolutionnaire, selon le couple Deleuze-Guattari. Le dernier film de Viviane Candas, marseilleS, s'inscrit dans cette trajectoire à travers le thème des luttes pour la reconnaissance d'une mémoire, celle des fractures de la guerre coloniale autant que de l'indépendance de l'Algérie, à partir d'une ville, Marseille, qui en serait le laboratoire. Viviane Candas parvient ainsi à problématiser le statut de minorité en tant que maillon faible d'un pays comme d'une ville où se condenseraient pourtant les principales tensions les traversant. Questions essentielles : comment faire société sur fond de déni ? Comment faite front à l'affront de ce qui gonfle, ici comme ailleurs, aujourd'hui, le ventre de la bête immonde ?
Leila (Taraneh Allidousti) et ses frères décident du sort de leur père dans Leila et ses frères
Rayon vert

« Leila et ses frères » : Les ascenseurs de Saeed Roustaee

27 novembre 2022
Si les ascenseurs émotionnels, sociaux et comiques fonctionnent bien dans Leila et ses frères, c'est malgré tout au détriment d'un personnage humilié, comme pris dans le béton et écrasé par le rouleau compresseur de la petite entreprise de travaux de Saeed Roustaee, avec la même lâcheté que chez Asghar Farhadi.
Jaylin Webb et Anthony Hopkins assis sur un banc dans Armageddon Time
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« Armageddon Time » de James Gray : Enfance sans fards

25 novembre 2022
Dans Armageddon Time, James Gray n’entend pas poser sur sa jeunesse un regard nostalgique et émouvant, informé par l’adulte et l’artiste qu’il est devenu, mais travaille plutôt avec les exigences parfois arides de la quête d’exactitude du souvenir. S’attachant à traduire les contours indécis et les silhouettes d’un passé résolument sombre, coulés dans l’étroitesse et la violence du cadre domestique et scolaire, il offre néanmoins à son alter ego Paul Graff une véritable épaisseur et une porte de sortie finale, lui permettant à la fois d'échapper à la rudesse du monde tout en continuant à le hanter.
Noriko et son sourire, au centre de l'image et du film dans "ÉTé précoce
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« Été précoce » de Yasujirô Ozu : Là où le sourire demeure

21 novembre 2022
À travers le sourire de son héroïne Noriko, omniprésent tout le long d'Été précoce, Yasujirô Ozu capture comme à son habitude la vie et les sentiments d’une famille japonaise en proie aux mutations sociales de son époque. C'est ici dans une scène étonnante et touchante, lors de laquelle Noriko découvre malgré elle des sentiments enfouis, que le film et la vie de son personnage principal basculent, toujours sous le patronage de ce sourire obsédant.
Benoît Magimel sur le balcon de sa maison dans Pacifiction
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« Pacifiction » d'Albert Serra : Présages du monde flottant

16 novembre 2022
La fiction, chez Albert Serra, a toujours été une interrogation. Comment la produire tout en conservant la dimension documentaire inhérente à l’image de cinéma ? Et que représenter, que penser avec elle ? Pacifiction - Tourment sur les îles porte bien son titre dans la mesure où il est un laboratoire pour la fiction. Ses formes sont employées pour penser la politique de notre temps, comme les grands maîtres classiques savaient le faire.
Joe Alwyn et Margaret Qualley s'enlacent dans Stars at Noon
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« Stars at Noon » de Claire Denis : Des rêves à midi

13 novembre 2022
Stars at Noon, le dernier film mal-aimé de Claire Denis, pourtant reparti avec le Grand Prix à Cannes, est un tour de force, une affirmation que le rêve n’est pas encore mort. Si la main du marché a englouti tous les aspects de notre existence, elle ne parvient pas encore à percer la logique de notre inconscient dont elle ne comprend que les éléments les plus superficiels.
Jonathan Pryce dans son armure dans Brazil
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« Brazil » de Terry Gilliam : Le rêve du dormeur totalitaire

11 novembre 2022
Le totalitarisme est une fête, proposition difficilement tenable. Terry Gilliam s'y accroche pourtant, en se donnant un évidant modèle (Le Procès d'Orson Welles) comme Jonas heureux dans le ventre de la baleine. Le carnaval baroque n'est cependant pas le meilleur moyen de rendre à Kafka ce que sa lucidité nous aura donné, qui tient moins du vacarme que du piaulement. Brazil est un samba endiablé et son auteur, un démiurge pressé semble-t-il de ne jamais traiter son sujet. Le film devient cependant réellement effrayant quand Sam Lowry, celui qui dort en courant après l'image de la femme de ses rêves, est l'activiste inconscient, z'ailé et zélé, d'une surchauffe du système dont l'emballement vérifie seulement que les rêveurs en sont les meilleurs alliés. On n'aurait rien vu à Brazil si l'on ne voyait pas, avec les deux hémisphères du cerveau totalitaire, social et mental, que la folie d'un homme résulte autant de son environnement qu'elle est le symptôme d'une profonde adéquation. Arbitraire et réversibilité généralisée. Quand le con à la fin s'endort les yeux grand ouverts, la ritournelle brésilienne qui berce le sommeil du rêveur se révèle la perceuse des caboches sans cervelle.
Matthias (Marin Grigore) et son fils tirant sur un ours dans le bois dans R.M.N.
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« R.M.N. » de Cristian Mungiu : La valse inachevée

2 novembre 2022
Dans R.M.N., la musique, pourtant sans cesse avortée, devient le seul moyen de dépasser les barrières du langage, de rêver à un monde où les individus se détachent de la haine et de la violence en parvenant enfin à s'accorder. Inspiré par In The Mood For Love de Wong Kar-wai, auquel R.M.N. répond en miroir, Cristian Mungiu filme un amour platonique qui ne se concrétise jamais, Mathias observant la maison comme un spectateur-voyeur devant une fenêtre-écran : un spectateur qui fantasmerait de vivre une grande histoire d’amour qui va à l'encontre de ses "principes", comme celle des personnages de Tony Leung et Maggie Cheung.
Gigi au volant de son véhicule dans "Les Aventures de Gigi la loi"
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« Les Aventures de Gigi la loi » d’Alessandro Comodin : Plus irréel que la fiction

31 octobre 2022
Au sein d'un sous-genre du cinéma d'auteur contemporain, lequel consiste à faire se rencontrer documentaire et fiction tout en laissant planer le doute sur la frontière entre les deux, Les Aventures de Gigi la loi d'Alessandro Comodin se démarque notamment grâce à son personnage, le truculent et atypique Gigi, qui est en lui-même à la fois le sujet du documentaire et le sujet de la fiction. Par sa propension à se raconter des histoires, il fait de sa propre vie une entité floue, entre réalité et fiction.
Leon (Artur Steranko) dans la chambre d'Anna dans Quatre nuits avec Anna
Rayon vert

« Quatre nuits avec Anna » de Jerzy Skolimowski : L'enfance de l'homme

26 octobre 2022
Qui est donc Léon, personnage autiste, pour qui l'amour est fantasme trouble et dévotion délicate dans Quatre nuits avec Anna ? Un criminel ? Un innocent ? Un homme, rien moins que cela, qui se joint à la cohorte de tous les autres égarés de naissance, dont Jerzy Skolimowski filme le sort qui leur est réservé dans un monde où l'innocence sera toujours coupable.
Shirley MacLaine, Debra Winger et Jack Nicholson dans Tendres Passions
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« Tendres Passions » de James L. Brooks : La mort par surprise, la vie qui s’apprend

26 octobre 2022
Tendres Passions est absolument merveilleux, d’une délicatesse infinie, et puis surprenant avec des choses simples, comme s’il s’agissait à chaque fois de relever ce qu’il y a de singulier dans le quelconque. Le film de James L. Brooks prend le temps nécessaire pour extraire du simple la liqueur des émotions difficiles en évitant tous les pièges. Comme si la comédie était un masque de pudeur pour le mélodrame, que l’on n’avait pas vu venir et qui arrive sans crier gare. Alors c’est une vie entière dont la mort précipite l’exemplarité qui en rachète l’injustice. On découvre que le narrateur était en fait un fin stratège, et son film d’être une tragédie rédimée par un stoïcisme qui aura été discrètement enseigné sans jamais avoir été professé.
Michael Myers dans les escaliers de la maison dans Halloween Ends
Le Majeur en crise

« Halloween Ends » de David Gordon Green : Michael Myers, col bleu du slasher

15 octobre 2022
Halloween Ends est le dernier des derniers chapitres - promis, juré - d'une vieille histoire de maltraitance, l'enfant Michael Myers, notre enfance. Le film qui veut littéralement achever la saga initiée par John Carpenter et Debrah Hill raconte aussi comment Hollywood finit : de la cuisine à la casse qui est un placard pour la lutte des classes.
La grotte dans Il Buco
Rayon vert

« Il Buco » de Michelangelo Frammartino : L’abîme pour un monde

14 octobre 2022
Il Buco de Michelangelo Frammartino nous plonge dans un trou noir, un territoire vierge encore inexploré qui aurait attendu, tapis dans l’ombre, que l’homme vienne s’y enfouir. En s’emparant d’une expédition spéléologique à priori banale, le film documente notre rapport au monde en dépouillant la vérité spéciste de tous les oripeaux dont on l’a revêtu.
Alan Bates crie sur la plage dans Le Cri du sorcier
Rayon vert

« Le Cri du sorcier » de Jerzy Skolimowski : Parasite, intouchable, bélier

13 octobre 2022
Le Cri du sorcier est un film biscornu, avec ses brisures et ses embardées, raccord avec les déhanchés caractérisant les films tournés en Angleterre par un exilé polonais. Les hypothèses levées par un récit indécidable sont des zébrures qui font fourcher l'interprétation, rappelée au désordre de ses délires. Miroitant et fêlé, Le Cri du sorcier est le récit d'une foi perdue comme un cri qui vient de l'intérieur, l'histoire d'un délirant, peut-être faussaire, dont la folie est un dedans coïncidant avec le dehors qui est chaos, au-delà du vrai et du faux. Le cinéma de Jerzy Skolimowski tient de l'étonnement en tant qu'il est un tonnerre d'époumonement.
L'âne regarde la caméra dans EO
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« EO » de Jerzy Skolimowski : Ulysse était un âne

10 octobre 2022
Loin d’être le récit stylisé d’une descente aux enfers au service du seul plaidoyer écologiste, l’épopée d’EO, l'âne de Jerzy Skolimowski, remotive la thématique de l’exil pour en faire le lieu fondamental de la rencontre, et rejoint donc ce que le cinéma peut nous offrir de plus riche : non pas la leçon de morale que nous serions en droit de recevoir, mais une expérience sensorielle qui nous éloigne de nous-même et de nos lieux d’ancrage pour nous contraindre, avec cet âne, à refondre notre rapport au monde. En faisant d’EO un véritable manifeste animiste construit autour de l’épopée animale de son âne, Skolimowski fait œuvre d’engagement sans verser dans le cynisme. Il ne tourne finalement pas le dos à l’humain, ne le pointe pas du doigt avec mépris non plus : il s’adresse sans cesse à lui dans la dynamique de rencontre qui anime le cœur même de son film.
Joseph Engel et Sara Montpetit couché dans le lit dans Falcon Lake
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« Falcon Lake » de Charlotte Le Bon : La boucle d'Houdini

7 octobre 2022
Film de fantômes autant que film-fantôme, récit de l'éveil du désir et du passage à l'adolescence, souvenir d'une histoire d'amour à l'intensité incomparable, réflexion sur la mort et la hantise qui est un des plus grands pouvoirs du cinéma, Falcon Lake de Charlotte Le Bon réussit l'exploit de traiter tous ces sujets sans aucune fausse note et, par là, s'impose comme un des plus beaux films "réalistes" situés à la lisière du fantastique vu ces dernières années.
Jean, le père du cinéaste, se filme dans "Le Film de mon père"
FIFF

« Le Film de mon père » de Jules Guarneri : La caméra est un fantôme

5 octobre 2022
En filmant sa famille "de l'intérieur", et plus particulièrement son père Jean, figure excentrique à la fois empathique et envahissante, Jules Guarneri s'exposait aux tares de l'autofiction voyeuriste façon « Strip-tease ». Il les contourne à moitié en instillant dans un cadre précis, parfois malaisant, une hétérogénéité et une porosité qui se devinent entre les lignes, qui se méritent. Avec sa caméra-fantôme, Le Film de mon père déploie un véritable discours sur la hantise sous toutes ses formes.
Louis Garrel se fait "diriger" par Roschdy Zem dans "L'Innocent"
FIFF

« L’Innocent » de Louis Garrel : Jouer et déjouer (les attentes)

29 septembre 2022
Après une première partie assommante dans le registre de la comédie de quiproquos sur fond social, dans laquelle Louis Garrel laisse ses acteurs - y compris lui-même - en roue libre, le film se retourne à l'occasion d'une scène théorique sur le jeu d'acteurs, avant de s'acheminer vers un final qui déjoue les attentes. Plus réflexif et moins convenu qu'il n'en a l'air, L'Innocent est éminemment ludique.
Kim Joo-hyuk parle à une femme dans la rue dans Yourself and Yours
Rayon vert

« Yourself and Yours » de Hong Sang-soo : Soi-même comme un autre

19 septembre 2022
Le cinéma d’Hong Sang-soo ne serait-il pas (trop) répétitif, dans ses motifs, ses intrigues autant que dans sa mise en scène, pour ne pas dire pantouflard-petit-bourgeois ? La critique est récurrente, notamment au Japon. Yourself and Yours montre au contraire, par l’énonciation d’une loi physico-cinématographique, que de la répétition naîtrait la variation. Une manière de déconstruire une autre idée reçue selon laquelle Yourself and Yours serait à l’articulation de deux périodes cinématographiques distinctes, la première tournée vers les autres, la seconde sur soi, celles-ci étant au fond amoureusement enchevêtrés dans le film comme chacun des personnages chez le cinéaste.
Areum (Kim Min-hee) dans la maison d'édition où elle travaille dans Le jour d'après
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« Le Jour d’après » de Hong Sang-soo : Croire pour évoluer

18 septembre 2022
Si Le Jour d’après est un des films les plus graves d’Hong Sang-soo, celui-ci offre une réflexion aussi subtile que passionnante sur la question de la croyance, consolatrice, qui permet au personnage d’avancer. Tout n’est finalement, chez Hong Sang-soo, qu’une question de croyance. Il faut croire au pouvoir de la fiction pour que celle-ci devienne réalité.
La jeune femme (Kim Min-hee) écrivant sur son ordinateur dans le café de Grass
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« Grass » de Hong Sang-soo : Le temps d'un instantané

18 septembre 2022
De toutes les variations temporelles et formelles du cinéma de Hong Sang-Soo, celle de Grass se rapproche peut-être le plus du souvenir compris comme un instantané. D'une ombre se reflétant sur un mur aux trois photographies des lieux vidés de ses personnages à la fin du film, c'est donc aussi de l'effacement dont il est question. Grass montre ainsi des lieux où le temps passe comme partout. Un café, une rue, des milliers de vies de passage, et quelques instantanés qui restent.
Kim Min-hee et Isabelle Huppert discutent sur la plage dans La Caméra de Claire
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« La Caméra de Claire » d’Hong Sang-soo : Voir double

18 septembre 2022
Regarder à nouveau et très lentement : cette maxime invite à lire La Caméra de Claire sous le prisme de la répétition et du redoublement. C’est par ce motif que son héroïne, Manhee (Kim Min-hee), semble acquérir un nouveau regard sur elle-même et sur ce qui l’entoure. C'est ainsi que chez Hong Sang-soo, les images peuvent réconcilier avec la vie.
Haewon (Jeong Eun-Chae) embrasse un garçon devant un temple dans Haewon et les hommes
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« Haewon et les hommes » de Hong Sang-soo : De la thèse au sentiment

18 septembre 2022
Le malaise et l’angoisse de l’impératif social du mariage en Corée du Sud sont sûrement ce que Hong Sang-soo sait le mieux montrer avec son art. De cette situation singulière, il extrait sa dimension universelle en la représentant toujours dans les complications d’une histoire d’amour. Avec son film Haewon et les hommes, pour restituer le trouble des passions interdites dans une société contraignante, le cinéaste trouve, à partir d’un essai de sociologie, de précieuses idées de cinéma.
Affiche du BIFFF 2022
BIFFF

BIFFF, la machine à démonter le temps

15 septembre 2022
Plusieurs années après avoir décrit l'ambiance particulière qui règne au BIFFF (Brussels International Fantastic Film Festival), un festival de cinéma à part, nous revenons une nouvelle fois sur les expériences spectatorielles que l'on peut y faire, à travers cette édition singulière, celle des 40 ans, qui s'est déroulée - une fois n'est pas coutume, nous l'espérons - entre les murs du Palais 10 au Heysel. Dans cette grande machine à remonter, à stopper et à étirer le temps qu'est le BIFFF, le spectacle avait une fois de plus autant lieu dans la salle et hors de celle-ci que sur l'écran.
Tang Wei et Go Kyung-Pyo durant un interrogatoire policier dans Decision to Leave
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« Decision to Leave » de Park Chan-wook : Fragment d'un discours amoureux

12 septembre 2022
Comment penser l'impensable, la naissance d'un sentiment amoureux, le désir qui vient ? Par quel génie s'approcher de l'instant de grâce ? En se rapprochant au plus près de deux êtres, comme le fait Park Chan-wook dans Decision to Leave, en les filmant à la façon dont le papillon se rapprocherait de la flamme au risque de la brûlure.
Florent Dorin est "Le Visiteur du futur"
BIFFF

« Le Visiteur du futur » de François Descraques : La schizophrénie du second degré

8 septembre 2022
Version "cinéma" d'une web-série à l'humour décalé dans la veine de Kaamelott, Le Visiteur du futur apparaît comme un produit éminemment schizophrène, peinant à se trouver entre un second degré constant et une véritable ambition de film de SF. C'est paradoxalement dans un emprunt à un autre film de série B, lors de son climax, que le film se pose enfin et parvient à susciter une émotion au premier degré, jusqu'alors inespérée.