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Quelque chose s'est passé : un craquement dans la perception, une affection dont il faut raconter l'histoire, une expérience cinématographique à partager. Il y a ici autant de rayons verts que de rencontres et d'efforts d'écriture pour en conserver la trace.

Hirayama (Kōji Yakusho) et sa nièce assis dans le parc dans Perfect days
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« Perfect days » de Wim Wenders : L’inconfort ontologique

23 décembre 2023
Perfect Days repose sur un mouvement en spirale plongeante qui emmène le spectateur dans les eaux troubles du monde affectif d’Hirayama, sous la surface de la béatitude, au contact de l’agitation intérieure d’une sensibilité aux prises avec le monde qui n’a pour seule ambition que d’accéder à l’apaisement.
La famille en promenade dans Still Walking
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« Still Walking » de Hirokazu Kore-eda : Les intermittences de la mort

20 décembre 2023
Nul ne déchiffrera jamais l'abîme de la mort. Mais dans Still Walking, Hirokazu Kore-eda parvient à glisser sa caméra dans la nervure. Pour nous faire vivre à hauteur de l'événement, parce qu' « il faut bien tenter de vivre » (Paul Valéry).
Les enfants livrés à eux-mêmes dans l'appartement dans Nobody Knows
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« Nobody Knows » de Hirokazu Kore-eda : l’enfance retrouvée

20 décembre 2023
Nobody Knows assemble des scènes attendues en les dépouillant de leurs effets au point d’en faire de véritables non-événements sous-tendant paradoxalement une tragédie pourtant implacable. La douleur et la violence sont douces dans le film de Kore-eda, dont l'horizon est le silence : celui d’Akira et de Saki qui enterrent Yuki sans dire un mot, celui des adultes qui ne voient pas ou feignent de ne pas voir ce qui se déroule sous leurs yeux, mais aussi celui du spectateur sans voix face à tant de beauté et de douleur contenues.
Tous les enfants du film I Wish : Nos vœux secrets
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« I Wish : Nos vœux secrets » de Hirokazu Kore-eda : Rencontre d’un TGV et d’un volcan

20 décembre 2023
Avec I Wish, Kore-eda propose un voyage à vitesse variable. Pour accompagner ses jeunes enfants qui traversent l’île de Kyushu, deux figures tutélaires semblent se détacher : le volcan et le TGV. Le véritable enjeu du voyage, dévoilé secrètement à son terme, se trouverait peut-être ailleurs, dans la rencontre intérieure entre ce qui bouge et ce qui ne bouge pas.
Doona Bae dans "Air Doll" de Hirokazu Kore-eda
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« Air Doll » de Hirokazu Kore-eda : À bout de souffle

20 décembre 2023
Dans Air Doll, un film atypique dans sa filmographie, Hirokazu Kore-eda utilise le personnage de Nozomi, une poupée gonflable dotée d'un coeur, pour exposer une vision du monde mélancolique. Dans ce film qui souffle constamment le chaud et le froid, l'apprentissage de Nozomi sera l'occasion d'exposer l'importance des mots, mais aussi de rendre un hommage au langage du cinéma des premiers temps et de développer un rapport unique à la vie et à la mort, dans une sorte de cycle sans cesse renouvelé.
Shingo et ses parents dans Après la tempête
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« Après la tempête » de Hirokazu Kore-eda : L’avenir se conjugue au présent

20 décembre 2023
Dans Après la tempête, Hirokazu Kore-eda pointe comme source de questionnement majeur la perte de ses deux parents : il veut retranscrire le trouble qui l’a saisi, et les changements profonds opérés dans ce moment de bascule existentiel. En cela, le film semble être une forme de réponse très personnelle du cinéaste à la question du devenir soi pour qui se sent orphelin de tout.
Tous les acteurs sur la plage dans Et la fête continue !
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« Et la fête continue ! » de Robert Guédiguian : Le chœur des insatiés

4 décembre 2023
Quand tout s'écroule, des exercices d'admiration trament, en parallèle d'une pédagogie située les décombres, la possibilité d'un peuple. Avec de nouvelles topiques qui revigorent les lieux communs, les exercices d'admiration de Robert Guédiguian sont d'adoration dédiée à celles et ceux qui vivent en ne pouvant pas faire autre chose que lutter – le chœur des « insatiés ».
Les deux actrices de Christophe Clavert dans Nuits d'été
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« Les nuits d'été » de Christophe Clavert : Quand les bras vous en tombent

4 décembre 2023
Un être manque au film sur le bord d'être tourné, en parallèle Paris voit fleurir sur ses murs lépreux des clés ouvrant sur d'impénétrables secrets. Les Nuits d'été de Christophe Clavert baguenaude parmi des choses sérieuses, la vertu dans la nécessité et le cinéma qui tâtonne en sachant compter sur l'amitié, voyant pousser fictions et obsessions comme des fruits ou champignons variant dans leur degré de toxicité.
Edward Woodward dans sa voiture dans The Appointment
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« The Appointment » de Lindsey C. Vickers : Le désappointement à sa pointe

8 novembre 2023
À l’image, une écolière anglaise sur le chemin du retour. Au son, le descriptif d’un rapport de police, le ton est factuel. La première coupe à travers champs et n’en reviendra pas. Le second spécule sur les hypothèses, laissant toutes les pistes ouvertes. Sandy a disparu dans un trou noir et sa bouche de feuilles et de tourbe insiste, exhalaison au cœur du taillis. C’était il y a trois ans. Trois ans plus tard, une autre apprentie violoniste, Joanne, lui emboîte le pas, à ceci près qu’elle emprunte le même sentier en marchant de l’autre côté de la béance inaugurale. The Appointment est un récit impressionnant de féerie sorcellaire, mais pur de tout pittoresque folklorique. L’envoûtement enveloppe l’irradiant secret, cette crypte qu’enclavent un père et sa fille quand l’heure est au rendez-vous professionnel (appointment) comme aux déceptions filiales (disappointment), ces catastrophes d’autant plus effroyables qu’elles sont inévitables.
Barbara Hershey dans "Boxcar Bertha"
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« Boxcar Bertha » de Martin Scorsese : Liberté inconditionnelle

1 novembre 2023
Dans ce film de commande qu'est Boxcar Bertha, Martin Scorsese contourne un temps les velléités de violence de son producteur Roger Corman, et offre à ses personnages une trouée narrative en forme de parenthèse de liberté. Une liberté qu'il s'octroie par la même occasion.
Jonah Hill avec un crinière d'indien dans Le Loup de Wall Street
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« Le Loup de Wall Street » de Martin Scorsese : Sous le plus monstrueux chapiteau du monde

16 octobre 2023
Le Loup de Wall Street évoque singulièrement les spectacles du cinéma primitif projeté jadis sous les chapiteaux des fêtes foraines, quand le cinéma était un art du cirque. Les acteurs explorent les puissances expressives de leur art dans une quête de représentation quasi burlesque et même parfois monstrueuse.
Griffin Dunne et Linda Fiorentino attachée dans After Hours
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« After Hours » de Martin Scorsese : Ulysse perd ses mots

16 octobre 2023
L’odyssée de Paul Hackett dans After Hours peut également se vivre comme celle d’un Ulysse raté perdant petit à petit le pouvoir de son langage. Il espérait séduire une jolie fille en jouant au beau parleur, mais ses mots de dragueur vont endormir les princesses et réveiller les monstres pour l’entrainer dans une virée nocturne entre l’absurde et le cauchemardesque, au bout de laquelle il restera sans voix.
Léa Drucker et Samuel Kircher couchés dans un champ dans L'Été dernier
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« L'Été dernier » de Catherine Breillat : Secrète alliance stellaire

22 septembre 2023
L'Été dernier est le grand film d'amour du cinéma de Catherine Breillat, et l'un des plus grands du cinéma français – de tous les temps et pour tous les temps. Et ce film arrive au soleil couchant d'une œuvre avouant scintiller encore une fois, peut-être une dernière fois, le dernier été avant la nuit définitivement tombée dont le règne est, griffé d'étoiles filantes, au rayonnement fossile. Si le désir est une levée – orior –, l'or secret des alliances peut sceller les orifices affamés. Il luit alors pour toutes les étoiles mortes qui, sertissant nos secrets, constellent la peau de nos vieillissements.
José Coronado enlève ses chaussures gorgées d'eau dans Fermer les yeux
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« Fermer les yeux » de Victor Erice : Le roi est triste

24 août 2023
Partir pour donner au présent le sens de la fuite et de l'inachèvement, revenir pour lui confier à l'oreille celui, intempestif, de la relance. La partance en tant qu'elle appelle à la revenance, à savoir qu'il faut être sur le départ pour soutenir qu'aller et devenir, c'est toujours revenir (de) quelque part. Avec Fermer les yeux, Victor Erice revient une nouvelle fois au cinéma, enfin, mais le retour tant attendu du capitaine a des détours qui sont moins de nouvelles fugues expérimentées, qu'ils gouvernent le sens des achèvements en les menant trop bien à bon port.
Un personnage du film Rêve.
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« Rêve » de Omar Belkacemi : Sauve qui peut l’Algérie

8 août 2023
Omar Belkacemi est d'une espèce rare, un berger qui, depuis l'Algérie, tente des images sur les « cailloux » qui entrave DjaZayer, ce si grand pays. Des cailloux contre lesquels seule la somme des rêves des individus peuvent entrer en résistance. Contre la matérialité de la bêtise des hommes, la contestation de l'air des songes. Un combat inégal ? Rêve est une affaire de regard plutôt pour nous parler de quel bois nous sommes faits, ici comme là-bas, qui font notre métier de vivre.
Gi Ju-bong sur la terrasse avec son alcool dans De nos jours...
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« De nos jours... » de Hong Sang-soo : Le bonheur des petits riens

28 juillet 2023
Même si les personnages y boivent moins, De nos jours... ne peut pas être considéré comme le film sans alcool d'Hong Sang-soo car il conserve une importance décisive pour le poète. Construit patiemment, brique après brique jusqu'au dévoilement de l'édifice final, le film veut placer les petits riens au centre la (re)prise en main de son existence et contre la mélancolie des temps incertains qui vient assombrir les joies du passé.
Cléo dans les bras de Gloria dans Àma Gloria
BRIFF

« Àma Gloria » de Marie Amachoukeli : À l'ombre de la Tortue Rouge

6 juillet 2023
Dans un premier temps inégal, Àma Gloria de Marie Amachoukeli semble s'inspirer de La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit pour livrer un film complexe sur l'enfance et l'absence. S'il y a une tortue à l'intérieur de Cléo, elle évolue aussi tout au long du film, peut-être change-t-elle de carapace ou de couleur avant la grande transformation en femme.
Joel Edgerton sur le seuil de sa maison et son jardin dans Master Gardener
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« Master Gardener » de Paul Schrader : Les fleurs de la nuit

28 juin 2023
Si Master Gardener suit globalement le même sentier que bien d’autres récits de Paul Schrader, sa dernière partie propose une légère bifurcation par l’apparition d’une séquence inattendue faite de la nuit, d’une voiture et de fleurs. Pourvue de plusieurs niveaux d’interprétations, cette route nocturne permet enfin aux personnages schradériens de faire fleurir des images intérieures tournées vers la lumière et l’avenir.
Ilenia Pastorelli regarde le soleil et l'éclipse avec des lunettes dans Lunettes noires
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« Lunettes noires » de Dario Argento : La douceur et son précurseur sombre

26 juin 2023
Une éclipse solaire, c’est comme un doigt dans l’œil. Ce qui s’impose dans le ciel dégagé de Rome, c’est le trou noir qui absorbe les métaphores aveuglantes. Si, soudainement, certains chiens se mettent à aboyer, alertés par la portée forcément métaphorique d’un phénomène astronomique, c’est pour crier que la métaphore, justement, ne saurait les éblouir. La cécité c’est alors pour les autres, les amateurs désargentés de Dario Argento qui s’échineraient à voir dans Lunettes noires le retour gagnant du maître du giallo après une absence des écrans longue de dix ans. L’éclipse solaire est cependant un doigt dans l’œil si l’on ne voit pas que s’y joue un certain régime de l’assombrissement qui, par des voies tout à fait spéciales et typiques du baroquisme argentien, conduit à la douceur, c’est-à-dire à ce toucher qui se défie de pénétrer. Lunettes noires est un film mineur, il n’y a pas à en douter. Mais le petit giallo de série comme on n’en produit plus est une touchante réussite pour un cinéaste qui, âgé de plus de 80 ans, revient de loin en sachant que ce retour n’induira jamais la répétition des grands éclats aveuglants d’hier. C’est que l’assombrissement consiste en un adoucissement des manières. L’enténébrement a pour ponctuation finale de percer les mystères salvateurs de l’affectivité. D’où que le film soit une variation sur le mythe de Diane chasseresse et d’Actéon dévoré par ses chiens. Ilenia Pastorelli qui joue Diana n’est pas une grande actrice, elle émeut pourtant parce que la dégradation la menace en vrai. Diana est belle parce que sa beauté chirurgicale est moins malmenée par le film que sa forme l’adoucit en la sous-exposant. Elle l’est encore en ayant pour camarade de cécité la chienne qui la protège de la chiennerie des féminités tarifées.
Q'Orianka Kilcher dans la forêt dans Le Nouveau Monde
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« Le Nouveau Monde » de Terrence Malick : Contre-mythe et épopée de l'Amérique

20 juin 2023
Fait remarquable, dans son quatrième long-métrage, Le Nouveau Monde, Terrence Malick fait débuter l'histoire de l'Amérique plus tôt qu'à l'accoutumée. Elle ne débute pas avec la conquête de son Ouest comme sa glorieuse Guerre de Sécession. Il en fait remonter le cours pour en revenir à sa source anglaise, en un long poème épique où la légende voudrait se mêler à l'histoire. C’est dire combien son récit est discriminant : s’il y a de faux mythes sur la naissance de l'Amérique, c'est qu'il en existerait de vrais. Terrence Malick n'oppose donc pas aux fausses croyances une vérité qui se voudrait factuelle, mais propose plutôt avec Le Nouveau Monde un contre-mythe, qui est une véritable opération de mystification.
Martin Sheen et Sissy Spacek contre leur voiture dans La Balade sauvage
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« La Balade sauvage » de Terrence Malick : L’image et la réalité, l’une dans l’autre

18 juin 2023
La valeur intrinsèquement surréaliste du cinéma trouve une pleine affirmation dans La Balade sauvage, en particulier dans la force de sa critique à l’égard du principe de réalité. Ses personnages, Kit (Martin Sheen), un éboueur délirant et meurtrier, avec Holly (Sissy Spacek), adolescente naïve et innocente - mais de cette innocence qui accorde une parfaite clairvoyance - donnent un crédit si ambigu à la réalité sociale et aux valeurs des États-Unis que celles-ci finissent par voler en éclats sur leur passage pour enfin, subverties et brisées, se révéler telles qu’elles sont réellement : d’hallucinants fantasmes collectifs. Le premier film de Terrence Malick est avant tout politique.
Michael Fassbender regarde Rooney Mara dans la piscine dans Song to Song
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« Song to Song » de Terrence Malick : Aller au-delà de l’image et des mots

18 juin 2023
Avec Song to Song, sans doute plus qu’avec aucun autre de ses films auparavant, Terrence Malick tend à dépouiller le cinéma de certains de ses artifices afin de le constituer en pur langage. Le scénario extrêmement dépouillé de Song to Song, s’il répond à des codes assez classiques du cinéma hollywoodien, avec en happy end le triomphe de l’amour véritable, aurait donné lieu, s’il avait été filmé de manière classique, à un film excessivement moralisateur et manichéen. Or en laissant les images dépasser, pour ne pas dire déborder, le cadre narratif dans lequel elles se trouvent, Malick réussit à toucher à une vérité de l’être, délivrée des discours théoriques sur la causalité des événements.
Une image de l'univers dans Voyage of Time
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« Voyage of Time » de Terrence Malick : À la recherche du supplément d'âme

17 juin 2023
Avec Voyage of Time, Terrence Malick ouvre un dialogue avec Mother, la force qui a créé l'univers, la nature et les différentes formes de vie qui ont peuplé notre planète. Il lui pose la grande question de la métaphysique : qu'est-ce que signifie être et exister ? Terrence Malick voyage ainsi dans le temps à la recherche de quelques traces qui seraient autant d'éléments de réponse.
Artem et Eva dans l'intimité
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« Artem & Eva » d’Evgeniy Milykh : Pornographie et délicatesse

15 juin 2023
Si son introduction laisse présager d'un bon gros documentaire qui tache sur le porno, Artem & Eva d'Evgeniy Milykh détourne les attentes voyeuristes ou "journalistiques" en faisant un portrait intimiste, par petites touches, d'un très jeune couple qui cherche ses marques à la fois dans sa vie et dans l'industrie éclatée de la pornographie en ligne. En s'attardant sur ces deux jeunes adultes qui doivent faire face à un paradoxe, celui d'être à la fois des enfants timides et des stars du X, Artem & Eva développe lui même un beau paradoxe, celui d'être un film d'une grande délicatesse sur la pornographie.
Une scène de "Inland Empire" de David Lynch
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« INLAND EMPIRE » de David Lynch : Le palais derrière le marché

7 juin 2023
Jumeau monstrueux de Mulholland Drive, INLAND EMPIRE est mieux qu'un club Silencio hyper-sélect pour fans lynchiens acharnés, purs et durs, vrais de vrai. S'il est un film-monstre en assumant que le dédale mène au cul-de-sac, c'est comme exercice radical de spectrographie au nom de cette « inquiétante étrangeté de l'ordinaire » évoquée par Stanley Cavell. L'aura hollywoodienne, ô combien dégradée, persiste seulement dans la reconnaissance réciproque des stars déchues et des femmes abaissées. Si Hollywood est une région impériale dans l'imaginaire mondial, pandémonium et gynécée, le rayonnement fossile rappelle aux étoiles qu'elles ne brillent qu'en ayant scellé avec leurs spectatrices une alliance de haute fidélité, elles qui les sauvent du discrédit en croyant à ce qui leur arrive parce cela leur arrive aussi. Cela qui est un trou pour des femmes dont la vie a mal tourné de part et d'autre de l'écran.
Christian Bale sur une jetée dans Knight of Cups
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« Knight of Cups » de Terrence Malick : La grâce de l'éternel retour

7 juin 2023
Il faudrait savoir analyser Knight of Cups de Terrence Malick. Mais comment parler d'un film sans but, sans chemin, où son acteur principal déambule, où il faudra par nécessité ouvrir la voie à mains nues, lui qui, scénariste, n'en a plus, ne sachant donc ni où l’on va ni pourquoi l’on s’y rend, seulement guidé par toutes ces images, ces sons, ces voix qui nous exténuent ? Un film sans début ni fin, un éternel ressassement à l’héroïsme déçu qui pourrait faire, peut-être, les surhommes, ceux qui s'acharnent à vivre sans raison ni pourquoi.
Ben Affleck et Rachel McAdams dans À la merveille
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« À la merveille » de Terrence Malick : Carte de Tendre

7 juin 2023
Le langage Malickien tel qu’il a pris forme dans À la merveille pourrait exprimer un pari radical : tenter de donner corps à ce mouvement insaisissable et indicible de l’amour qui dépasse les êtres et peut les unir puis les séparer sans raison. Pour tenter d’y résister, les personnages cherchent à inscrire leur être dans le paysage, les mouvements de leur cœur dans ceux de la nature.
Clara Gostynski regarde à la loupe dans Désordres
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« Désordres » de Cyril Schäublin : Le temps des figures

1 juin 2023
Film de reconstitution historique d’un genre singulier, Désordres ne se borne pas seulement à reproduire l’époque où des ouvriers anarchistes s’étaient fédérés dans les montagnes du Jura suisse durant les années 70 du XIXe siècle. À partir de ce cadre, il élabore par le cinéma des figures dans lesquelles s’opère l’idée d’une organisation nouvelle du temps, quand l’argent n’en serait plus la mesure.
Delphine Seyrig épluche des pommes de terre dans sa cuisine dans Jeanne Dielman
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« Jeanne Dielman » de Chantal Akerman : La prisonnière de son désert

26 mai 2023
Elle a dit une fois qu'il lui est arrivé comme ça, le film comme tombé d'un coup, calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur à l'instar de son jumeau, La Maman et la putain (1973) de Jean Eustache. Comment l'éclair a pu déchirer et quelque peu éclaircir une nuit agitée, encore une parmi mille et une autres, toutes les nuits blanches et atrabilaires qui ont fini par la dévorer toute entière. Jeanne Dielman de Chantal Akerman n'est pas la radiographie, clinique et critique, des aliénations de la vie quotidienne et domestique, mais la rigoureuse cartographie d'un désir féminin dont la machine s'expose dans la singularité radicale de son architectonie. Et son autrice s'y est mise à nu en dépliant la carte de son désir comme jamais.
Le trio d'acteurs de "Chien de la casse"
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« Chien de la casse » de Jean-Baptiste Durand : Rédemption du naturalisme

19 mai 2023
Si son titre et son inscription dans un cadre naturaliste peuvent faire peur, le premier long métrage de Jean-Baptiste Durand casse les clichés en donnant à ses deux personnages principaux - dont le haut en verbe Mirales - une caractérisation inédite, ainsi qu'en apportant une signification inattendue et émouvante à son titre dans une belle pirouette finale. À partir d'un récit de rédemption a priori banal, Chien de la casse s'achemine vers la grâce tout en restant à l'intérieur de son cadre naturaliste, dont il se sert pour mieux le transcender.
Lizzie (Michelle Williams) au travail, dans son atelier, dans "Showing Up"
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« Showing Up » de Kelly Reichardt : Se pointer malgré les imperfections

12 mai 2023
En suivant le quotidien d'une sculptrice qui n'est ni "grande", ni particulière, ni sympathique, à quelques jours du vernissage d'une exposition de ses œuvres, Showing Up de Kelly Reichardt permet paradoxalement une identification du spectateur à cette artiste "ordinaire" en proie aux contrariétés du quotidien qui l'empêchent de se consacrer pleinement à son art. C'est à travers ce personnage mais aussi par la figure totémique d'un pigeon blessé et par un final qui s'envole vers d'autres hauteurs que le film déploie ses ailes et sa réflexion sur les imperfections.
Adila Bendimerad est "La Dernière reine"
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« La Dernière Reine » d'Adila Bendimerad et Damien Ounouri : Politique du pirate

11 mai 2023
La Dernière Reine est un film qui raconte l'histoire d'une reine qui n'aurait pas existé. Une mise en scène de l'histoire qui vandalise l'histoire. Un film de corsaire qui est une opération de piratage. Une légende qui dirait ses quatre vérités à tous ceux qui ne voudraient pas l'entendre.
Le père et sa fille se reposent dans Aftersun
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« Aftersun » de Charlotte Wells : Adieu à l'enfance

7 mai 2023
L’enfant est ce compagnon, visible ou invisible, dont les signes de reconnaissance et la toujours neuve lumière n’empêchent ni la part de l’ombre ni le sentiment de la solitude, ni la certitude de la séparation. Sa présence en nous et à côté de nous est vécue comme une énigme et une initiation comme une jeune fille est si proche, si loin de son père dans Aftersun. Charlotte Wells, sa réalisatrice, premier tir sans faire de balles, nous introduit dans ce monde à la fois si familier et étrange de l'enfant qu'elle fut, de l'enfant que nous resterons si nous savons retenir cette leçon de l'Enfantin que le film nous transmet de son lointain.
Julien De Saint Jean tatoue le dragon sur le bras de Khalil Gharbia dans Le Paradis
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« Le Paradis » de Zeno Graton : Le dragon et le centre fermé

5 mai 2023
Avec Le Paradis, Zeno Graton montre que le désir pour l'autre et l'amour, à l'intérieur d'un centre fermé pour mineurs, apparaissent comme les véritables échappatoires d'un quotidien régi par les tensions intérieures et extérieures. C'est l'audace et la subtilité de son film qui donne corps à ce paradoxe à travers l'allégorie d'un puissant dragon qui se loge dans le centre fermé. Le retour au trou n'est plus un échec sur toute la ligne mais l'assurance qu'il y a dans les boucles de l'enfermement autre chose que de l'étouffement et de la résignation : une forme de paradis.
Ken Ogata porte Sumiko Sakamoto dans la montagne dans La Ballade de Narayama
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« La Ballade de Narayama » de Shōhei Imamura : Le néolithique à l’estomac

20 avril 2023
Nous venons du néolithique et de son ventre nous ne sommes pas sortis. La communauté rurale archaïque de La Ballade de Narayama en a longtemps eu le trésor, férocement, qui est un or entouré d’ossements vivants, une caverne de gags cruels et d’absurdités stupéfiantes. Nous y vérifions que nous sommes l’espèce aberrante par excellence, des animaux comme les autres et pas comme les autres, besoins et désirs, pulsions plus mythes. Et ça donne un beau bordel abondamment fréquenté par Shōhei Imamura, l’un des plus grands naturalistes en cinéma qui soient, doublé d’un ethnographe curieux, obsédé par notre non-contemporanéité.
Tilda Swinton dans le manoir dans Eternal Daughter
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« Eternal Daughter » de Joanna Hogg : Sur le souvenir supportable

7 avril 2023
Il n'y a rien de plus compliqué que de perdre un être cher et d'endurer le temps qu'il faut pour qu'un semblant de deuil, parfois impossible, s'accomplisse pour que les morts cohabitent avec nous sans nous hanter. Joanna Hogg filme ce processus dans Eternal Daughter qui est une fresque intime, influencée par Hitchcock et Shining, qui transforme le souvenir doux mais douloureux d'un être aimé en souvenir supportable.
Sally Hawkins en train de lire un livre dans The Lost King
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« The Lost King » de Stephen Frears : Roi maudit et reine de cœur

5 avril 2023
L’histoire (vraie) de Philippa Langley est édifiante. Voilà une employée d’un centre d’appel victime de fatigue chronique qui, il y a dix ans, s’est piquée de rendre justice à Richard III, dernier des Plantagenêt victime de légendes malveillantes fixées par les vainqueurs, les Tudor, et relayées par la pièce de théâtre que Shakespeare lui a dédié plus d’un siècle après son décès lors de la bataille de Bosworth en 1483. Dans The Lost King, le roi maudit aura donc eu besoin d’une reine de cœur qui ne l’est pas de sang pour retrouver à retardement les honneurs de la couronne. C’est un récit comme Stephen Frears les chérit, une histoire modeste de trésors cachés à proximité.
Ramsès le voyant sur le toit de son immeuble dans Goutte d'Or.
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« Goutte d'Or » de Clément Cogitore : Géographie variable

20 mars 2023
Goutte d'Or de Clément Cogitore propose un voyage ésotérique à la fois vertical et horizontal dans la géographie du quartier de la Porte de la Chapelle. Au départ de cette zone en chantier, qu'est-ce qu'il y aurait à voir sinon des gravats ? Le cinéma de Clément Cogitore s'est toujours ouvert sur de l'inconnu, il cherche à pactiser avec le spectateur qui pourra être fasciné ou rester perplexe puisqu'on lui demande de croire au don de voyance qui est en même temps présenté comme une arnaque.
Itsasa Arana dans "Venez voir"
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« Venez voir » de Jonás Trueba : Match amical

17 mars 2023
À travers une scène de ping-pong improvisée a priori anecdotique, Jonás Trueba livre ce qui anime Venez voir et son cinéma : renoncer au désir de maitriser totalement sa vie, d’en comprendre une signification cachée absolue, de montrer au monde extérieur des signes de « réussite » matérielle ou familiale et déclarer forfait aux compétitions que le monde tente de nous imposer pour ne plus jouer que des matchs amicaux.
Alyona Mikhailova dan "La Femme de Tchaïkovski"
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« La Femme de Tchaïkovski » de Kirill Serebrennikov : La journée de l'infemme

11 mars 2023
Que se produirait-il si la passion des 24h de la vie d'une femme de Stefan Zweig durait toute une vie ? La folie, celle de La Femme de Tchaïkovski. Une folie pour raconter autant son drame que celui de son pays, d'hier comme aujourd'hui, par Kirill Serebrennikov.
Tous les passagers du bateau en mer dans Lifeboat d'Alfred Hitchcock.
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« Lifeboat » d'Alfred Hitchcock : Notre nazi

20 février 2023
Étonnant, méconnu, Lifeboat embarque et méduse. Grand film naturaliste ignoré, le film d'Alfred Hitchcock excède le récit de propagande de John Steinbeck en faisant monter au cœur du sauvetage une marée noire rappelant aux démocrates qu'ils ont les mains sales. Gangrène et amputation gagnent alors en mobilité pour affecter un précipité d'humanité qui ne se soigne pas du mal sans faire et se faire du mal. Le précis de cruauté a besoin d'une corde et d'un couteau pour nouer ensemble les moignons d'inhumanité d'une humanité à la dérive.
Kim Min-hee à la fin du film tourné par la romancière dans La Romancière, le film et le heureux hasard.
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« La Romancière, le film et le heureux hasard » de Hong Sang-soo : Le film des rêveurs

12 février 2023
La Romancière, le film et le heureux hasard tient dans le creux de sa fin, magnifique, où nous voyons dans des minutes précieuses le film de la romancière une fois réalisé. Sur un double niveau, il s'agit d'un film d'amour et de rêveurs d'une femme et d'un homme pour leur muse. Pour capter ces si brefs moments de grâce, Hong Sang-soo a repensé les bases de sa mise en scène en longs plans fixes pour y laisser entrer un autre regard.
Haider transporte une Biba géante dans "Joyland"
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« Joyland » de Saim Sadiq : L’émotion antérieure

6 février 2023
Au-delà de la « hype » consensuelle autour d'un film à sujet académique, bête de concours dans l'air du temps, le premier long métrage de Saim Sadiq parvient à surprendre grâce à un final inattendu, détenteur d'une émotion inespérée, et cela malgré la tentation tenace de basculer dans le film coup-de-poing. S'il n'échappe globalement pas à sa condition de film-exemple, Joyland parvient néanmoins à sauver deux de ses personnages avant sa conclusion, ce qui n’est déjà pas si mal.
Amer Hlehel et Ashraf Farah dans "Fièvre méditerranéenne"
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« Fièvre méditerranéenne » de Maha Haj : Palestine, le don de la mort par procuration

27 janvier 2023
Fièvre méditerranéenne est une comédie à pas feutrés dont le carburant est la dépression palestinienne. Avec l'arrivée d'un nouveau voisin, le désir revient mais si le désir tient de l'autre, la fiction qui s'en déduit a pour court-circuit la transmission d'une pulsion suicidaire, un don sans contre-don qui déchire le ventre. En se suicidant, le voisin se donne la mort à la place d'un autre. Le suicide par procuration, pour les Palestiniens d'Israël plus que jamais. Y a-t-il alors une autre place à donner à l'autre que celle d'une procuration suicidaire ?
Pádraic (Colin Farrell) passe à côté de son ami Colm (Brendan Gleeson) dans The Banshees of Inisherin
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« The Banshees of Inisherin » de Martin McDonagh : Aux confins de l'amitié

24 janvier 2023
À quoi tient The Banshees of Inisherin ? Presque rien, par son côté minimaliste, son épure conceptuelle, où pourtant une chose très grande se trouve racontée : l'état d'une amitié portée à l'extrémité de son être. Plutôt que de nous faire la visite touristique et pittoresque d'une petite île irlandaise dans les années 20 (ce que plusieurs critiques ont reproché au film, à tort), Martin McDonagh nous emmène aux confins d'une amitié entre deux hommes eux-mêmes liés à leurs animaux. The Banshees of Inisherin emprunte beaucoup à la conceptualité du théâtre, l'humour qu'il rend possible aussi, en ne tombant jamais dans le piège du théâtre filmé.
Le chat noir et l'épouvantail en feu dans A Short Story de Bi Gan
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« A Short Story » de Bi Gan : Le train du souvenir

19 janvier 2023
Dans A Short Story de Bi Gan, la chambre semble condamnée à l’oubli. Elle doit se mettre à bouger pour que le souvenir se réincarne. Le passé et le présent ne sont pas des entités figées mais des trains en aller-retour constant : le souvenir se retrouve à condition de se mettre en marche vers lui et de lui ouvrir la porte.
Antigone près du temple dans Antigone de Straub et Huillet
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« Antigone » de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet : Divine, indécidable

9 janvier 2023
Un jour de 1973, une rencontre avec un lieu a eu lieu, elle était imprévisible : les ruines antiques de Ségeste en Sicile. Son théâtre de plus de 2.000 ans est le site qui, 18 ans plus tard, a accueilli un bloc de textes et de contextes, antiquité gréco-romaine, romantisme allemand contemporain de la Révolution française et début de la Guerre froide, qui a gardé intact le secret d'une décision authentique, valable pour tous les temps. Antigone d'après la pièce de Sophocle, la traduction de Hölderlin et la mise en scène de Brecht est devenu le film dédié aux peuples opprimés par la raison d'État, ainsi qu'à ceux qui osent dire non en sachant qu'il y a dans toute décision un courage qui est folie, un fond d'indécidable qui est abîme. Son danger est ce qu'il faut pourtant tenter quand la justice ne se confond plus avec le droit qui la trahit.
Empédocle dans La Mort d'Empédocle de Jean-Marie Straub
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« La Mort d'Empédocle » de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet : "Vous avez soif depuis très longtemps d’inhabituel"

9 janvier 2023
L’inachèvement est douleur quand il laisse en souffrance des potentialités non réalisées. Il est autant bonheur en promettant qu’elles seront un jour réalisées. Avenir du communisme, déclosion de la révolution, malgré toutes les trahisons, en dépit de tous les procès. Empédocle a le génie colérique de l’interruption et c’est ainsi qu’il est filmé par Jean-Marie Straub et Danièle Huillet dans La Mort d’Empédocle, dans la clairière aux trois lumières, Grèce antique, Révolution française, invention des frères Lumière. Empédocle est un volcan qui a de l’avenir en revenant du futur.
La fin de Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson
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Les Épiphanies : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma 2022

6 janvier 2023
Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2022 : ni hiérarchie, ni jugement de goût, rien que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.
Richard Farnsworth au volant de son tracteur sur les routes dans Une histoire vraie
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« Une histoire vraie » de David Lynch : Le cow-boy à roulotte, une comète

2 janvier 2023
Une histoire vraie n'est pas un western crépusculaire de plus. Le film de David Lynch est d'après la fin – la fin du western, la fin du monde lui-même. Une histoire vraie est un autre film schizo mais subliminal, mal vu, incompris, ourlé d'une mélancolie extrême. Le divertissement familial produit par Disney a dans les plis de foudroyants secrets stellaires. C'est un film post-apocalyptique où le dernier homme du monde d'avant est un pachyderme autant qu'une étoile filante, le dinosaure cachant un dieu solaire piégé dans le corps d'un grabataire. Et, pour dernier désir, Alvin Straight, un cirque à lui tout seul, n'a plus qu'une ultime parade à donner, un dernier feu de joie à faire crépiter avant de remonter au ciel d'où il est tombé.
Les enfants de Samir Ardjoum dans L'Image manquante
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« L’image manquante » de Samir Ardjoum : Le livre d’hommage

7 décembre 2022
Il y a des films qui n’ont ni reçu l’honneur des salles ni celui des festivals parce qu’ils sont trop grands. Non pas parce qu’ils seraient d’un génie supérieur, aussitôt invisibles au commun. Mais parce qu’ils ouvrent sur un ailleurs, un film à venir, une troisième image encore imperceptible à l’instant de leur réalisation, donc non-vu. Ainsi de Samir Ardjoum avec L’image manquante qui, à partir d’images d’archives familiales, bien avant tout le monde, avant cette heure du recueillement, à partir de son livre d’images personnelles, qui sera toujours en défaut d’une image, pensant faire un film à destination domestique, a composé instamment un livre d’hommage à Jean-Luc Godard, autant dire au cinéma.