« Outsiders » de Francis Ford Coppola : L’or des visages
Les jeunes visages de Outsiders promettent de l’or. Entre les courses vaines face à la violence et la fixité illusoire face aux écrans, entre la lumière des couchers de soleil et les brûlures nées du courage, le visage de Johnny (Ralph Macchio) abrite peut-être le rayon doré secret du film.
« Outsiders », un film de Francis Ford Coppola (1983)
Des jeunes visages de futures étoiles : voici peut-être ce qui reste dans la mémoire collective par rapport au film Outsiders (1983) de Francis Ford Coppola : un casting qui offre leurs premiers rôles à toute une série d’acteurs devenus célèbres. Ces jeunes loups font renaître une mythique adolescence de l’Amérique des années 50, icônisés par des lumières venues de l’âge d’or hollywoodien, entre le jaune doré du soleil et le rouge sang des flammes de la passion et de la violence. Parmi ces visages qui promettent de l’or, sur le rythme d’un Stay Gold scandé par Stevie Wonder, s’éclaire ici celui de Johnny. Si son interprète, Ralph Macchio, n’a peut-être pas une carrière aussi marquante que ses frères étoilés, il abrite peut-être le rayon doré secret des Outsiders.
Dans la première partie du récit, une dynamique particulière semble animer la bande d’adolescent tourmentés du gang des Greasers : la vitesse de la violence et la fixité des écrans. La rivalité entre deux gangs n’en finit pas de forcer les jeunes hommes à courir ou à prendre le volant pour se combattre ou tenter d’échapper tant bien que mal au sang. Face à cette absence d’horizon, le personnage central de Ponyboy (C. Thomas Howell) propose une autre ligne de vie : l’immobilité face aux écrans qui promettent une autre vie possible. Il s’agit de la séance de cinéma de L’Arnaque, les dessins animés à la télévision ou encore l’écran géant du drive-in qui permet de tenter le hasard des rencontres avec des jolies jeunes filles.
Cette relation bascule lorsque Johnny, pendant une bagarre, n’en peut plus de rester immobile face à la violence que subit son ami, et plante un coup de couteau mortel sur un homme de la bande rivale. L’agression reste hors-champ : Coppola coupe après un plan sur le couteau dans sa main et enchaine sur trois corps figés au sol : le mort, Ponyboy inconscient et Johnny en pleurs. À l’image, il n’est pas entré dans la vitesse de la violence, et c’est peut-être ce hors-champ qui le sauve. À la suite de cet acte, les deux amis s’échappent par le train de nuit, et trouvent refuge dans les vastes paysages de la campagne. Face au coucher de soleil rougeoyant, Ponyboy se lance dans une citation de Robert Frost qui rappelle le motif de l’or (« Nothing gold can stay »). Surtout, ils peuvent enfin rester immobiles et contempler un horizon qui ne s’enferme pas dans un écran.
Il est possible que cette lumière inspire ensuite le duo dans la séquence décisive de l’incendie. Face à l’église en flamme et les enfants perdus, le dilemme s’exprime encore entre mouvement et immobilité : rester dans la voiture ou tenter la course dans les flammes. Cette fois, ils se lancent, mais dans un mouvement vers l‘avant et vers la vie d’autrui. Son action héroïque a un prix : l’immobilité s’impose à Johnny, gravement brûlé. Mais, sur les braises de cette blessure s’allume alors une étincelle secrète : la visite de la chambre d’hôpital.
Johnny est sur son lit, couché sur le ventre, le regard vers un miroir curieusement placé entre lui et le sol. Dans l’image, en plongée, il y a donc le visage de Johnny, son reflet, puis celui de ses amis qui apparaissent dans le miroir en haut de l’écran. Ce plan, très travaillé et en rupture avec le reste du film qui s’inspire plutôt du classicisme de l’âge d’or hollywoodien, invite à renverser la perspective. Coppola est d’ailleurs coutumier de ces images de tête à l’envers, comme en témoignent le visage de Martin Sheen dans l’ouverture d’Apocalypse Now (1979) ou encore les nombreux plans inversés qui accompagnent la remontée dans le temps du professeur Matei dans l’Homme sans âge (2007).
Dans cette chambre d’hôpital, Outsiders offre ainsi à ses jeunes garçons un nouvel écran, où Johnny occupe désormais la place jadis prise par Paul Newman. Son image se voit doublée et même triplée : ses amis lui ont apporté un journal, et lui montrent sa photo en première page. Il semble devenir maitre de sa propre destinée céleste, mais il ressent plutôt la brûlure mortelle de celui qui s’approche trop près du soleil. La scène tragique attendue décide de faire place à une lueur de vie : Johnny confesse à Ponyboy que le sacrifice en valait la peine, car l’or est dans l’enfance, la promesse des nouvelles choses à chaque coucher et lever de soleil. Son ami le comprend et peut alors marcher vers la rédemption.
Cet or, Ponyboy l’a trouvé dans les mots de Johnny, mais aussi dans son visage, offert en sacrifice à ses frères de cœur. Un visage pratiquement immobile inscrit sur l’écran du miroir pour ouvrir leur monde à d’autres possibles et d’autres forces de vie. Cette quête de l’or perdu dans Outsiders s’achève dans la chambre mentale d’un Ponyboy immobile, semblable encore au professeur de l’Homme sans âge. Il lit la lettre de Johnny, ce qui fait resurgir son visage et sa voix à l’écran. Ce visage semble éclairé par le coucher de soleil rougeoyant des grands paysages campagnards et se voit guéri de toutes les brûlures. Cette image enrichit les promesses dorées des futurs couchers de soleil en offrant à son ami la possibilité de trouver une pépite dans le passé, dans le temps retrouvé de cette chambre proustienne. Johnny habite désormais dans le monde intérieur de Ponyboy, qui est aussi l’écran de cinéma du spectateur.
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