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Résultats de la recherche pour : "avatar"

La famille Sully dans Avatar 2 : La Voie de l'eau
Critique

« Avatar 2 : La voie de l'eau » de James Cameron : Hydrocéphale on est mal

17 décembre 2022

L'hydrocéphalie est une anomalie pathologique, un trouble du liquide cérébro-spinal dont l'excès perturbe le cerveau. On croit avoir la tête bien pleine, elle est remplie d'une eau qui asphyxie la pensée. Avatar 2 : La voie de l'eau est un avatar monumental du post-cinéma, le cinéma liquidé dans les eaux bleues du langage binaire et d'un imaginaire réactionnaire, l'esprit des traditions tribales coulé dans la méga-machine techno-militaire. L'hydrophilie confine à l'hydrocéphalie et si James Cameron fait de grands ronds dans l'eau, c'est une suite de petits zéros.

Isabela Merced dans la lumière à l'intérieur du vaisseau dans Alien : Romulus
Rayon vert

« Alien : Romulus » de Fede Alvarez : Le noir de la terre

16 août 2024

L'alien est l'hôte qui n'a de pulsion qu'à l'hostilité, l'intrus que ses otages se doivent expulser. Dans Alien : Romulus, les adolescents prolongés qui en affrontent la monstrueuse multiplicité découvrent soudain qu'ils sont expulsables, eux aussi. Abonnés aux profondeurs minières de la terre même quand ils se projettent dans l'espace, ils rêvent d'une sortie vers le soleil en risquant d'être évacués dans le noir intersidéral, à l'instar de vulgaires déchets. Eux qui se voyaient en bons platoniciens à la fin comprennent qu'ils sont l'embarrassante portée des fondations romaines, sa chiée, les enfants des profondeurs obscures et des pesanteurs objectales de la terre, la plus dévoreuse d'entre toutes les mères.

Cooper (Josh Hartnett) dans la salle de concert dans Trap de M. Night Shyamalan
Critique

« Trap » de M. Night Shyamalan : Misères de la mise en boîte

9 août 2024

Concevoir des films comme des pièges à regard, c'est pour M. Night Shyamalan jouer de perspective et d'imbrication, double fond, triple fond, etc. Et rappeler ainsi au spectateur qu'il n'y a de redoublement et de retournement possible qu'en raison d'une faille originaire logée dans son regard, ce vide qui peut tout accueillir, l'empathie mêlée au savoir qu'il a pour figure la pire. Mais à quoi bon montrer, dans Trap, que le fond fait varier les parallaxes en ouvrant toujours à la possibilité de la ligne de fuite, si c'est pour retomber ensuite dans les filets d'Œdipe, avec ses petites boîtes qui font le cercueil des bonnes idées ? C'est qu'il y a deux papas, un méchant et un gentil, et si le premier sait captiver le regard, le second travaille à ne pas décevoir sa fifille.

Maxine dans la rue avec son amie dans MaXXXine de Ti West
Critique

« MaXXXine » de Ti West : Le bûcher des vanités

5 août 2024

Une, deux, trois, en compagnie de Maxine nous retournons à son bois. Quatre, cinq, six, y sentir une dernière fois le houx dont le feu sacré sert à d'antiques sacrifices. Sept, huit, neuf, avec un nouveau panier mais cette fois-ci les œufs y seront moins frais. Dix, onze, douze, pour concocter une omelette hollywoodienne qu'affadit sûrement le ketchup abusif du cynisme. Le bois de houx dont se chauffe MaXXXine de Ti West, le troisième et dernier volet dédié à la féroce Maxine, fait d'abord rougir et cuir la peau des sataniques années 80, avant de mener à la baguette un récit accordé à la nécessité du malheur pour réussir à se faire une place au soleil, même s'il est caniculaire.

Franck (Daniel Auteuil) parmi ses arnaqueurs sur La Penichette, dans "La Petite Vadrouille"
Rayon vert

« La Petite vadrouille » de Bruno Podalydès : La vie est une petite rivière agitée

4 août 2024

Si de prime abord, La Petite vadrouille semble être le film le plus misanthrope de Bruno Podalydès, charriant la satire sociale aussi subtilement qu'un Chatiliez dans un magasin de porcelaine, le film incite son spectateur comme ses personnages à « voir plus loin ». En utilisant la parabole du bateau naviguant à vue vers un horizon dégagé ou pas, le film utilise aussi les écluses comme vecteurs de fermeture ou d'ouverture, faisant de la dernière une véritable promesse d'avenir plus radieux.

Hamza Meziani dans la forêt dans Six pieds sur Terre
Histoires de spectateurs

« Six pieds sur Terre » de Karim Bensalah : Voyage au bout de la vie

28 juillet 2024

Il faut voir absolument et de toute nécessité Six pieds sur terre de Karim Bensalah, à l'heure où s'affichent sans plus de vergogne tous les discours rances sur l'islam, l'arabité, l'identité. Il faut voir Six pieds sur terre avant qu'il soit trop tard, avant les bruits de bottes, avant qu'un jour on vienne, à votre tour, frapper à votre porte.

Margaret Qualley, Willem Dafoe et Jesse Plemons enlacés dans Kinds of Kindness
Critique

« Kinds of Kindness » de Yorgos Lanthimos : Et in Arcadia ego

5 juillet 2024

Posons qu'il y aurait trois genres de gentillesse mais qu'elles reviennent fondamentalement au même. L'identique rend caduque toute dialectique quand la variété apparente des formes de l'obligeance, d'un salarié pour son patron, d'une femme pour son compagnon, d'une sectatrice pour son gourou, fait le lit d'une propension avérée mais avariée à la domination. Dans Kinds of Kindness, trois fables font ainsi itération d'un monde simplifié à l'extrême, clivé entre deux positions auxiliaires, l'une pour qui s'abandonne à l'asservissement, l'autre pour qui en profite du côté du commandement. Même Javellisée, la clinique des arbitraires réglés et des absurdités de la vie moderne délivre la même chirurgie ablative quand le tiers en vient comme ici à manquer.

Tim Roth regarde une horloge dans L'homme sans âge
Rayon vert

« L'Homme sans âge » de Francis Ford Coppola : La troisième rose, la dernière, la trémière

16 juin 2024

L'Homme sans âge est un retour au cinéma, une seconde chance après dix ans d'absence et bien des atermoiements. La jouvence du numérique offre alors au vieux démiurge, toujours un peu bateleur, une occasion renouvelée de faire œuvre d'horloger, mais à seule fin de réitérer qu'il n'y a jamais lieu de se réconcilier avec le temps, pour des vieillards qui rajeunissent et des enfants qui vieillissent trop vite. La remontée de la jungle des origines du langages abrite en vérité le secret malade des amours décomposées, ce cœur blessé qui refait le cinéma de toute une vie pour à la fin consentir à laisser vivre le souvenir immortel de l'aimée. L'aiguille de l'horlogerie, avec ses images comme autant de miroirs à retardement, est la tige d'une rose et si elles viennent toujours par trois, la dernière est une rose trémière, celle qu'un homme dépose sur le seuil de lui-même, une fois délivré du démon totalitaire de la démiurgie.

Deux musiciens jouent de la trompette dans Cotton Club
Le Majeur en crise

« Cotton Club » de Francis Ford Coppola : Croches et croche-pattes, du blanc sur le noir

16 juin 2024

Cotton Club danse, ses jeux formels sont endiablés, claquettes du musical et mitraillettes du film de gangster, mais les danses de l'éléphant blanc sont boiteuses. À peine amorcée, la critique de l'appropriation culturelle est aussi vite annulée au nom d'une hégémonie du spectacle qui a le blanc pour accord majeur, et les noirs de rester une minorité malgré l'apologie du jazz et sa créolité. L'enflure d'un spectacle qui l'est d'abord pour lui-même, avec son budget faramineux, sa centrifugeuse cinéphile et ses immixtions mafieuses est un ventre à deux poches, avec le génie empêché de Francis Ford Coppola et Robert Evans, son démon contrariant. Les croches musicales y sont des croche-pattes qui arrivent toutefois à battre la mesure des motifs fétiches d'un cinéaste impuissant à se désendetter de ses obligations, rivalités mimétiques, vampirisation mafieuse et jeunesse menacée d'un gâtisme prématuré.

Leos Carax et Monsieur Merde (Denis Lavant) dans un parc dans C'est pas moi
BRIFF

« C’est pas moi » de Leos Carax : Itinéraire d’un enfant gâté

14 juin 2024

C’est pas moi : malgré son air à l’insolence gamine, le titre porte irrésistiblement à l’antiphrase que le film-essai, le tout premier de Leos Carax, s’applique en 42 minutes à vérifier. Il n’y est question en effet que de lui. L’autoportrait commandé par le Centre Beaubourg à la suite d’une exposition avortée est une nuit mauvaise de remâchement et d’insomnie pour un cinéaste qui, sacrifiant à sa légende, a fait un projet de prolonger son adolescence en y cloîtrant le cinéma qu’il a aimé alors qu’il avait pour vertu de l’en émanciper.

William Shatner se coiffe devant le miroir dans The Intruder de Roger Corman
Esthétique

« The Intruder » de Roger Corman : Terreur blanche

10 juin 2024

Le mineur de fond de l'exploitation avait le démon de l'épouvante. Glissé dans sa série des huit adaptations d'Edgar Allan Poe qui ont établi pour le producteur de films bis sa réputation d'auteur, The Intruder est le film de Roger Corman le plus halluciné d'être le plus politiquement engagé. À cet égard, il fait plus que figure d'intrus dans une œuvre qui, longtemps déconsidérée, taille la part belle à la terreur. À l'heure où était à l'œuvre un processus de déségrégation, son film s'ouvre en effet à une terreur blanche qui a le noir pour exécration infinie.

Le jeune prêtre et le curé dans Le Journal d'un curé de campagne
Rayon vert

« Journal d’un curé de campagne » de Robert Bresson : De combat et d’agonie pour le camé

8 mai 2024

Journal d’un curé de campagne décrit de l’intérieur une série de rencontres comme autant d’épreuves dans l’ordre de la croyance que la guerre aura fragilisée. Une suite de séances de lutte engagée entre l’homme de la foi et les diverses incarnations du renoncement spirituel (jusqu’à l’intérieur même de l’Église) et, à la fin, une accumulation d’échecs pourtant sanctionnée par une victoire – la plus belle car la plus imprévisible. Le film de Robert Bresson d’après Georges Bernanos est un grand film agonistique en tant qu’il est soulevé par une fièvre agonique, de combat et d’agonie pour le camé, le curé addict à la grâce qui manque.

Judith Godrèche dans La Désenchantée de Benoît Jacquot, où elle a été victime de violences sexuelles.
Esthétique

Le cinéma à l'heure des scandales sexuels : Passer d'un cinéma de la création à la décréation

29 avril 2024

Que faire à l'heure des scandales sexuels au cinéma ? Aller à contre-pente, remonter le courant, faire un état des lieux pour espérer l'habiter autrement. Contre la possibilité du chef-d'œuvre, se débarrasser de l'idée de toute-puissance du réalisateur. Passer d'un cinéma de la création à la décréation car la création sera toujours une diminution, jamais un acte d’expansion : filmer, c'est toujours borner le champ des possibles. Un cinéaste qui voudrait tout dire, tout saisir, ne ferait plus du cinéma. Il encarterait le monde dans son tombeau publicitaire. Un film n'est jamais terminé, autrement dit réalisé. La notion d’auteur est donc à revoir. Il serait peut-être temps de dire que réaliser, c’est trouver sa richesse hors de soi.

Le professeur (François Civil) dans la cour de l'école dans Pas de vagues
Critique

« Pas de vagues » de Teddy-Lussi Modeste : L'école en débat

23 avril 2024

L'école est un lieu d'expérimentation in vivo pour nombre de réalisateurs. Elle opère comme une micro-société au cinéma, un lieu test pour questionner le genre, le racisme, le rapport à l'autorité, à la discipline, l'information... en témoignent de nombreuses œuvres cinématographiques. Le récent film de Teddy Lussi-Modeste, Pas de vagues, sur la question du harcèlement scolaire, était l'occasion de faire le point à partir d'un long-métrage qui, croyant disculper son enseignant, l'accuse définitivement.

Maxime Mounzouk et Youri Solomine dans la Taïga dans Dersou Ouzala
Rayon vert

« Dersou Ouzala » d'Akira Kurosawa : Le cœur d'un golde

20 avril 2024

Le triangle d'or de l'amitié est une pomme de paradis dont le cœur est brisé à fendre l'âme, mais la brisure creuse en chacun de nous son ombilic. C'est, contre tout humanisme, l'histoire vraie racontée par Dersou Ouzala d'Akira Kurosawa. Avec ce film qui vient en relève de l'insuccès de Dodes'kaden, son auteur retrouve la forêt aux sortilèges et s'y fraie un nouveau chemin, sachant y revenir à chaque fois qu'il faut faire la part des choses quand il faut rendre au peuple de ses autres tout ce que le double qu'il est leur doit. Et c'est pour à nouveau emprunter sa piste préférée, celle de la queue du tigre, dans le risque assumé de lui marcher dessus. Comme japonais, Akira Kurosawa est un cinéaste double, russe au cœur golde.

le moine franciscain Guillaume de Baskerville (Sean Connery) dans la lumière dans Le nom de la rose
Le Majeur en crise

« Le Nom de la rose » de Jean-Jacques Annaud : Le mammouth et le rasoir

22 mars 2024

Le Nom de la rose – le livre d'Umberto Eco – est un roman philosophique qui adjoint à une généalogie médiévale du détective, une enquête spéculative sur la disparition du second tome de la Poétique d'Aristote dédié à la comédie. Le Nom de la rose – son adaptation cinématographique par Jean-Jacques Annaud – est d'une autre étoffe, celle d'un pachyderme. L'usage circonstancié du rasoir d'Occam, qui prescrit une économie parcimonieuse dans l'explication des faits, élimine ainsi le superflu des graisses spectaculaires pour atteindre au cœur de notre affaire, qui n'a que très peu à voir avec les puissances subversives du rire et de la comédie. Le mammouth engage ainsi à se méfier des traits épais d'un médiévisme grossier.

Paul (Timothée Chalamet) et Chani (Zendaya) s'embrassent dans le désert dans Dune : Deuxième partie
Rayon vert

« Dune : Deuxième partie » de Denis Villeneuve : Trois déserts font une pyramide

6 mars 2024

Le premier volet de l'adaptation par Denis Villeneuve de Dune, le chef-d'œuvre de Frank Herbert, était un film d'installation. Sa grandeur n'y était que d'apparats. Le space-opera interstellaire y était fondu dans le marbre d'une monumentalité pleine de componction. L'érection d'intimidantes illustrations considérait de loin un monde posé en allégorie du nôtre, celui d'une impérialité qui n'a pas cédé sur ses propensions religieuses malgré les acquis sophistiqués de la rationalité, et d'une crise de la production qui a pour surface d'inscription les forces climatiques d'un vaste désert, avec son énergie à extraire et ses indigènes à circonvenir. Le second volet crée la surprise en prenant à rebours la déception première. Il gagne en ampleur parce qu'il prend tout le temps nécessaire à filer la tresse complexe des grands récits qui surdéterminent un destin comme autant de voix et d'interpellations contradictoires, pour en compliquer en dernière instance l'avènement, sournoisement assombri. Une voix obscène qui commande et contrôle revient à la fin au blockbuster de Denis Villeneuve lui-même, n'ignorant pas qu'il est souterrainement parlé par elle. Si l'épopée est épicée, c'est en ouvrant les portes de la perception comme le disait William Blake, mais à seule fin d'y plier espace et temps – autrement dit la Terre et tous les flux d'argent qui l'enserrent.

Amal (Lubna Azabal) devant sa classe, avant le drame
Critique

« Amal » de Jawad Rhalib : La tumeur, Gargamel et le Flamand magique

17 février 2024

Brandi par les institutions et les médias comme outil de propagande idéal pour asseoir un discours manichéen sur l'éducation, Amal de Jawad Rhalib emprunte une voie ouverte par des oeuvres telles que Noces ou Animals, mais semble pousser encore plus loin sa démarche volontariste et manipulatrice. En trouvant des stratagèmes d'écriture pour se dédouaner et échapper à des accusations de poujadisme, le film entretient sa médiocrité par l'entremise de ses acteurs en roue libre, de personnages aussi involontairement comiques qu'un méchant de dessin animé grand-guignolesque ou encore un "Flamand magique". Le film parvient tout de même à se tirer une balle dans le pied en comparant l'extrémisme religieux à une tumeur, ne comprenant pas qu'il est lui-même une dégénérescence de la tumeur du cinéma belge francophone, ce cinéma à sujet édifiant.

Le jardin de la maison à coté du camp de la mort de Auschwitz dans The Zone of Interest
Esthétique

« The Zone of Interest » de Jonathan Glazer : La petite maison dans la prairie aux bouleaux

31 janvier 2024

On ne sort du noir qu’après avoir replongé dans son miroir. Alors ce n’est plus Auschwitz-Birkenau que nous regardons par les bords d’un hors-champ saturé de ce que nous en savons, c’est le plus grand complexe concentrationnaire et génocidaire nazi qui nous scrute depuis une profondeur de champ qui a cessé depuis longtemps d’être innocente. La perspective est un viseur et le spectateur en est la cible. L’ordinaire administratif et domestique est un autre cercle de l’enfer qui a fait l’économie des immunités symboliques du déni. Eux savaient, nous savons et notre savoir est en berne. Reste le miel des cendres que The Zone of Interest cultive avec une sophistication à la limite qui interroge avant de convaincre du pire. L’inhumain est dans notre dos comme devant nous. Le sol carrelé d’un monument qui, s’il ne tremble pas souvent, ne tient qu’à dresser un nouveau tombeau pour la modernité et la mémoire désœuvrée des souffrances niées de l’autre côté du mur, ce noir miroir qu’il nous faudra toujours passer, non seulement parce que cela nous concerne, mais encore parce que nous en sommes cernés.

L'homme masqué dans Six femmes pour l'assassin
Esthétique

Mario Bava : Les cadavres exquis de la thanatopraxie

5 novembre 2023

Achever le classicisme doit se comprendre littéralement. Tout artiste maniériste mortifie ainsi le grand legs classique afin d'expérimenter de nouvelles puissances inorganiques, dans la mêlée du mort et du vivant. Dans les années 1960, Mario Bava qui tourne alors en moyenne trois films par an montre, grâce à sa grande assurance technique, toute l'étendue de son talent de maître italien de l'horreur, à la fois héritier des anciens qu'il honore en variant les genres et les plaisirs (il tourne également des westerns, des néo-polars et des péplums) et inventeur de formes fixant quelques règles à suivre pour ses disciples à venir. Chez Mario Bava, la décomposition des formes, des choses et même des êtres libère des puissances spectrales, l'informe échappant à la capture et la maîtrise par la conscience, au point où la personnalisation de l'inerte a pour complément la dépersonnalisation des individus. Si l'on dit qu'il est un cinéaste mineur, cela signifie d'abord et avant tout qu'il est un cinéaste, un vrai maniériste qui, logé par l'industrie à l'enseigne des formes mineures et si peu considérées du bis, aura œuvré à leur en faire baver afin de les pousser dans cette zone d'inconfort où les compositions les plus ouvragées ont pour obsession une hantise, celle de la décomposition.

Leonardo DiCaprio et Lily Gladstone dans Killers of the Flower Moon
Critique

« Killers of the Flower Moon » de Martin Scorsese : Le confessionnal de l'Amérique

24 octobre 2023

Dans un film somme, Killers of the Flower Moon refait le portrait de l'Amérique. Ses nombreux poisons : l'argent, le libéralisme, le marché, le droit, la cupidité des individus, tous les crimes des États-Unis. Une logique de péchés que père Scorsese entend laver par un curieux acte final de contrition, non pas pour nettoyer l'Amérique de son rêve mais l'absoudre pour tout lui pardonner.

Jésus (Willem Dafoe) portant la croix dans La Dernière Tentation du Christ
Esthétique

« La Dernière Tentation du Christ » de Martin Scorsese : Ainsi soit l’exception

16 octobre 2023

La controverse associée à La Dernière Tentation du Christ n’a d’autre intérêt que de réinscrire dans la figure de Jésus la dimension scandaleuse que la tradition et l’orthodoxie lui auront retirée. Pour les zélotes fanatiques de la Cause, le scandale revient à qui décide, assumant seul et en conscience l’indécidable d’un acte éthique, ce secret caché dans le mandat messianique. Le christianisme est à l'origine soustraction, sécession, rébellion et cela, Martin Scorsese le sait très bien, examinant les douleurs d’incarner l’exception qu’il reconnaît les siennes quand le récit le plus originaire constitue pour lui les coïncidences de l’exception et de la trahison.

Griffin Dunne et Linda Fiorentino attachée dans After Hours
Rayon vert

« After Hours » de Martin Scorsese : Ulysse perd ses mots

16 octobre 2023

L’odyssée de Paul Hackett dans After Hours peut également se vivre comme celle d’un Ulysse raté perdant petit à petit le pouvoir de son langage. Il espérait séduire une jolie fille en jouant au beau parleur, mais ses mots de dragueur vont endormir les princesses et réveiller les monstres pour l’entrainer dans une virée nocturne entre l’absurde et le cauchemardesque, au bout de laquelle il restera sans voix.

Giulietta Masina et Anthony Quinn dans "La strada"
Esthétique

« La strada » de Federico Fellini : Le destin, un tour de piste, une ritournelle

13 août 2023

Le cirque est un ventre originaire avec ses doubles placentaires et le geste fellinien a saisi que l’origine ballotte dans le cahin-caha d’un présent boiteux : le barnum à chaque coin de rue, le spectacle comme seconde nature. Le cirque, non seulement le cinéma en provient mais il aurait pour vocation de montrer que la vie est une comédie, une parade foraine, un spectacle de rue. Le trait est délibérément grossier parce qu’il a l’archétypal pour visée. Gelsomina, Zampanò et Il Matto sont des archétypes, les emblèmes d’une représentation qui tient du mystère à ceci près que le mystère dont les actes racontent un procès relève moins du christianisme que d’un imaginaire païen. Il s’agit de représenter une lutte triangulaire entre tendances, une triangulation de caractères qui est un affrontement entre forces archaïques et emblématiques : l’idiotie, la folie et la bêtise. L’inscription dans le contexte italien d’alors peut déboucher sur la force générique des archétypes qui sont le combat des démons ou génies présidant au destin de chacun. La strada est le mystère de nos propres chamailleries, le cirque ambulant et brinquebalant de notre inconscient, une foire d’empoigne au risque de la foirade.

Mikael Persbrandt dans les couloirs de l'hôpital dans L'hôpital et ses fantômes
Esthétique

« L’Hôpital et ses fantômes » de Lars von Trier : Le mal par le mal, un mal pour un bien (cinq désobstructions)

17 juillet 2023

L’Hôpital et ses fantômes est un divertissement dévoilant qu’il fait diversion entre deux avertissements. Son auteur est un roi blessé qui arpente les terres vaines de son Royaume en y pompant toute l’eau au risque de s’y noyer. Car le carnaval à l’hôpital débouche sur le procès de son démiurge qu’il faut brûler parce que c’est alors que ses larmes pourront sécher. Lutter contre le nihilisme placentaire de notre temps ne se fait pas sans crainte ni sans tremblement.

Une scène de "Inland Empire" de David Lynch
Rayon vert

« INLAND EMPIRE » de David Lynch : Le palais derrière le marché

7 juin 2023

Jumeau monstrueux de Mulholland Drive, INLAND EMPIRE est mieux qu'un club Silencio hyper-sélect pour fans lynchiens acharnés, purs et durs, vrais de vrai. S'il est un film-monstre en assumant que le dédale mène au cul-de-sac, c'est comme exercice radical de spectrographie au nom de cette « inquiétante étrangeté de l'ordinaire » évoquée par Stanley Cavell. L'aura hollywoodienne, ô combien dégradée, persiste seulement dans la reconnaissance réciproque des stars déchues et des femmes abaissées. Si Hollywood est une région impériale dans l'imaginaire mondial, pandémonium et gynécée, le rayonnement fossile rappelle aux étoiles qu'elles ne brillent qu'en ayant scellé avec leurs spectatrices une alliance de haute fidélité, elles qui les sauvent du discrédit en croyant à ce qui leur arrive parce cela leur arrive aussi. Cela qui est un trou pour des femmes dont la vie a mal tourné de part et d'autre de l'écran.

Les Fabelmans au cinéma quand Sam est enfant dans The Fabelmans
Critique

« The Fabelmans » de Steven Spielberg : Le trou noir d'Œdipe

23 février 2023

De quoi The Fabelmans est-il le film ? La grande fable du génie précoce du cinéma adoubé par le maître John Ford est une fable amoindrie sur les pouvoirs du cinéma. Le plus grand chapiteau du monde coincé dans la lorgnette du nombril d'Œdipe, moins l'ombilic du cinéma que ses limbes. Le blockbuster qui fait exploser le quartier y a déposé des trous d'enfance et du trou noir est sorti un Hamelin du troisième type qui a tiré d'un trauma d'enfance ordinaire l'autorisation de confiner les enfants dans leur chambre, tenus à l'amour de leur kidnappeur, ce capitaine Crochet. Une fois fait un sort au syndrome de Stockholm, les symptômes peuvent capitonner une histoire de la cinéphilie qui, de contre-culture, est redevenue l'arme des colons qui se font aimer de leurs colonisés. L'enfance est captivée afin d'être convertible en très lucrative puérilité.

Le jeune prêtre danois filme le paysage islandais dans Godland
Critique

« Godland » de Hlynur Pálmason : L’Amour et la Violence

23 février 2023

Appelle-t-on Northern un western qui se passe dans le nord ? Godland est tour à tour émission de survie en pleine nature, télé-réalité d’enferment, compétition de Bachelor et la Ferme des Célébrités. Il récupère au passage certains tics de la télévision, qui viennent narrer ce qui n’a souvent pas besoin de l’être, et resasse ce que l’on sait déjà. Mais on lui concédera qu’il le fait avec une certaine économie et un style affirmé, le plaçant bien au-dessus de nombreux récits mensongers bourrés d’illusions sur la nature humaine.

Nellie LaRoy (Margot Robbie) à la fête dans le prologue dans Babylon
Critique

« Babylon » de Damien Chazelle : "Smack My Bitch Up"

21 janvier 2023

Il fallait bien un triptyque et une écriture à quatre mains pour fouiller dans les tréfonds et recoins de Babylon. Damien Chazelle est un prodige, mais d'un genre particulier. La vérité du prodige a été établie par un groupe britannique de musique électronique au nom caractéristique, The Prodigy, quand il a intitulé son hit « Smack My Bitch Up » qui se traduit ainsi : « Claque ma chienne ». Le prodige est ainsi : ses turgescences sont des pièces montées dont la crème fouettée l'est au lasso, par des coups de fouet, écœurantes parce qu'elle sont sans cœur. Le prodige tourne ainsi des films comme un maquereau claque la croupe de ses « chiennes », avec l'épate et le swing tapageur de celui qui loue le spectacle en assurant que ses réussites acclamées sont des fessées nécessaires à faire gicler du pire le meilleur. Le spectacle est une chienne qu'il faut dresser en la bifflant et le prouve encore Babylon : l'apologie du cinéma des origines a le fantasme urologique mais c'est l'énurésie qui domine et les larmes ne sont que celles du crocodile.

La fin de Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson
Rayon vert

Les Épiphanies : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma 2022

6 janvier 2023

Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2022 : ni hiérarchie, ni jugement de goût, rien que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.

Jaylin Webb et Anthony Hopkins assis sur un banc dans Armageddon Time
Rayon vert

« Armageddon Time » de James Gray : Enfance sans fards

25 novembre 2022

Dans Armageddon Time, James Gray n’entend pas poser sur sa jeunesse un regard nostalgique et émouvant, informé par l’adulte et l’artiste qu’il est devenu, mais travaille plutôt avec les exigences parfois arides de la quête d’exactitude du souvenir. S’attachant à traduire les contours indécis et les silhouettes d’un passé résolument sombre, coulés dans l’étroitesse et la violence du cadre domestique et scolaire, il offre néanmoins à son alter ego Paul Graff une véritable épaisseur et une porte de sortie finale, lui permettant à la fois d'échapper à la rudesse du monde tout en continuant à le hanter.

Michael Myers dans les escaliers de la maison dans Halloween Ends
Le Majeur en crise

« Halloween Ends » de David Gordon Green : Michael Myers, col bleu du slasher

15 octobre 2022

Halloween Ends est le dernier des derniers chapitres - promis, juré - d'une vieille histoire de maltraitance, l'enfant Michael Myers, notre enfance. Le film qui veut littéralement achever la saga initiée par John Carpenter et Debrah Hill raconte aussi comment Hollywood finit : de la cuisine à la casse qui est un placard pour la lutte des classes.

Alan Bates crie sur la plage dans Le Cri du sorcier
Rayon vert

« Le Cri du sorcier » de Jerzy Skolimowski : Parasite, intouchable, bélier

13 octobre 2022

Le Cri du sorcier est un film biscornu, avec ses brisures et ses embardées, raccord avec les déhanchés caractérisant les films tournés en Angleterre par un exilé polonais. Les hypothèses levées par un récit indécidable sont des zébrures qui font fourcher l'interprétation, rappelée au désordre de ses délires. Miroitant et fêlé, Le Cri du sorcier est le récit d'une foi perdue comme un cri qui vient de l'intérieur, l'histoire d'un délirant, peut-être faussaire, dont la folie est un dedans coïncidant avec le dehors qui est chaos, au-delà du vrai et du faux. Le cinéma de Jerzy Skolimowski tient de l'étonnement en tant qu'il est un tonnerre d'époumonement.

Jean, le père du cinéaste, se filme dans "Le Film de mon père"
FIFF

« Le Film de mon père » de Jules Guarneri : La caméra est un fantôme

5 octobre 2022

En filmant sa famille "de l'intérieur", et plus particulièrement son père Jean, figure excentrique à la fois empathique et envahissante, Jules Guarneri s'exposait aux tares de l'autofiction voyeuriste façon « Strip-tease ». Il les contourne à moitié en instillant dans un cadre précis, parfois malaisant, une hétérogénéité et une porosité qui se devinent entre les lignes, qui se méritent. Avec sa caméra-fantôme, Le Film de mon père déploie un véritable discours sur la hantise sous toutes ses formes.

Tahar Rahim dans la prison dans Désigné coupable
Le Majeur en crise

« Désigné coupable » de Kevin McDonald : La Constitution des États-Unis, l’autre conquête de l’Ouest ?

17 août 2022

Le thème de la frontière, notamment dans le cinéma nord-américain, n’a jamais cessé de produire une certaine image de l’Amérique, confiante ou défaite, comme la mise en récit de la construction d’un peuple singulier. À cette histoire de la frontière, dont la conquête de l’Ouest est le pendant quasi naturel, qui a été tantôt physique, terrestre, mais aussi spatiale, mentale, autant que culturelle, économique, sociale... nombre de productions hollywoodiennes, comme le dernier film de Kevin McDonald, Désigné coupable, en attestent et y ajoutent la conquête du droit, soit la mise en norme comme la mise en règle d’une société donnée à travers ses commandements juridiques. Ou comment la Constitution des États-Unis apparaît comme l’autre conquête de son Ouest, mais pour produire un film sur le droit, dans le cas de Désigné coupable, prétendument critique à l’égard de la législation du Patriot Act, mais qui se parjure finalement lui-même, la reconduisant dans ses motifs comme ses principes.

Seth métamorphosé à la fin de "La Mouche"
Esthétique

Le corps, ses organes, son dehors : Sur trois fins de David Cronenberg

7 juillet 2022

Le cinéma de David Cronenberg a pour propension les organes et la débandade de leur organisation. La débandade des organes, la Bérézina des organisations, la morbidité des organismes : une foire aux atrocités dans les rapports de voracité de l'organique et de l'inorganique. Les organes prolifèrent, les organismes sont excédés, les organisations se délitent. Il y a pourtant un rêve qui se dépose à la fin des plus grands films, Videodrome (1982), La Mouche (1986) et Le Festin nu (1991). Ceux-là accueillent, avec la mort des accidentés de la technique, ces camés de la prothèse, ces toxicos de la machine qui sont des paranos de ses machinations, la libération d'un autre corps : le corps sans organes. Quand le corps sans organe est la mort, la vie du cinéma compose avec la décomposition des organes.

Léo (Damien Bonnard) navigue sur la rivière dans Rester Vertical
Rayon vert

« Rester vertical » d'Alain Guiraudie : L'heure du loup

7 mars 2022

Rester vertical a l'ambition grande et ondoyante, celle de faire poindre ce qu'il en est du désir quand il est partout, à tous les tournants. Le désir d'Alain Guiraudie, un cinéaste itinérant qui s'interroge sur la société dans laquelle il vit et où le désir déterritorialise à tout va, mais sans orientation ni destination. Celui de son personnage qui lui ressemble aussi, ce scénariste qui a la bougeotte en comprenant qu'il est un déplacé, fondamentalement. Le déplacé gêne comme on parlerait d'un propos déplacé. La gêne occasionnée résulte alors de l'exil intérieur de l'homme quelconque ayant pour double inavoué le paria, sa hantise. Lui qui nomadise est un autre homme aux loups qui tente de se tenir debout devant la meute parce que la verticalité est le dernier rempart face aux hantises qui montent, qui montent, déclassement et exclusion.

Franck (Pierre Deladonchamps) et Michel (Christophe Paou) font l'amour dans L'Inconnu du lac
Rayon vert

« L’Inconnu du lac » d'Alain Guiraudie : Rayons d'X

7 mars 2022

Un film frontal et oblique serait-il paradoxal ou bien aporétique ? On peut déjà avancer qu'un paradoxe est, au sens premier du terme, à côté de la doxa, l'opinion commune, quand l'aporie désigne étymologiquement une absence de passage. La qualification ne serait donc pas aussi injustifiée pour L'Inconnu du lac. Le film d'Alain Guiraudie pense entre les passes du sexe et les impasses du désir qui s'écrivent sur la plage blanche d'une plage, entre le miroir opaque du lac et l'obscurité de la forêt. De face, on voit le sable strié cacher bien des biais.

Yû Aoi dans Les Amants Sacrifiés
Rayon vert

« Les Amants sacrifiés » de Kiyoshi Kurosawa : Le virus du soupçon

21 février 2022

Les Amants sacrifiés raconte l'histoire d'une illusion amoureuse ayant pour fond les terrifiants secrets militaires du Japon prêt à se jeter dans la Seconde Guerre mondiale. Une histoire de contamination, de virus et de trahison, donc. Une histoire transversale de la peste, aussi, quand elle relie la guerre bactériologique au soupçon nourri envers l'aimé qui a commencé à ne plus ressembler à celui qu'il a été. Une histoire de cinéma, encore, qui raconte comment la reconstitution historique tient du combo entre fantastique et épouvante quand il a pour foyer l'humanité destructible. Une histoire culturelle, enfin, celle du virus se prolongeant en une infection idéologique quand l'individualisme a pour virulence germinative des amours cyniques, des passions toxiques et des désirs apocalyptiques.

Chérif et Héléna chantent au karaoké du camping dans dans À l'abordage
Rayon vert

Épiphanies 2021 : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma Annuel

6 janvier 2022

Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2021 : ni hiérarchie, ni jugement de goût, rien que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.

William Tell (Oscar Isaac) joue au poker dans The Card Counter
Rayon vert

« The Card Counter » de Paul Schrader : La main, la donne

5 janvier 2022

Pour Paul Schrader un seul scénario lui tient à cœur, celui du héros fautif dont l’affliction a pour remède le pardon qui pavera sa rédemption. L’obsessionnel est un avatar de Sisyphe dont le mythe a inspiré Albert Camus qui demandait de l’imaginer heureux. Si la faute est la condition de la damnation, elle l’est aussi pour sa libération qui est un bonheur. Les plus beaux films de Paul Schrader sont ceux qui construisent à destination des fautifs et autres damnés de la vie la possibilité du bonheur. Avec The Card Counter, Paul Schrader est sensible à ce qui se joue dans les mains et se tient au bout des doigts. La main a vieilli mais elle s’ouvre désormais à une nouvelle donne, un jeu qui aère des récits souvent comprimés dans les apories du puritanisme et ses transgressions inavouées. La dextérité de l’expert en poker peut alors accueillir la grâce d’un doigté, le toucher qui a besoin d’une vitre, cette membrane fine qui conserve la distance en faisant image, pour rapprocher les mains et les retenir de faire du mal.

La jungle de Calais dans Fugitif où cours-tu ?
Rayon vert

« Fugitif où cours-tu ? » d’Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz : Fugue de vie

4 décembre 2021

Le temps a passé depuis les évacuations de mars et octobre 2016 mais l’événement insiste dans une persistance rétinienne qui se prolonge en diplopie. Voir double, dans le poème épique du contemporain en train de se faire et se défaire avec L’Héroïque lande et dans l’élégie mélancolique de l’après-coup qu’est Fugitif où cours-tu ?, c’est marquer l’écart en remarquant sa signature parallactique. On vérifiera qu’avec la parallaxe la différence relève moins d’une relation entre les choses que des choses mêmes, jamais identiques à elles-mêmes. La jungle est le signifiant même de cette division politique, le nom qui dit en même temps la brutalisation étatique des conditions d’existence imposées aux plus faibles et la forêt sauvage où les survivants marronnent en bricolant les formes-de-vie qui réinventent la vraie vie.

Valeria Bruni-Tedeschi et Pio Marmaï à l'hôpital dans La Fracture
Critique

« La Fracture » de Catherine Corsini : Bobos partout, cinéma nulle part

11 novembre 2021

La France va mal, la France a mal, elle a des bobos partout, amours à la dérive, Gilets jaunes en colère, hôpital en danger. Une métaphore servira en la circonstance de suture, la fracture qui appelle des réparations appropriées. Mais la chirurgie de La Fracture est une médecine à la Knock qui ne prend soin de rien quand le social en galère est un raffut de demandes ramenées aux plus petits dénominateurs communs, le bordel et l'hystérie. Le cinéma d'auteur en replâtrage des bobos du social n'a pas alors d'autre volonté que de mettre KO assis son spectateur.

Marguerite de Carrouges (Jodie Comer) dans l'ombre dans Le Dernier duel
Critique

« Le Dernier duel » de Ridley Scott : Deux hommes, une femme, trois perspectives

26 octobre 2021

Que le fracas guerrier et viril des armes n’assourdisse pas la plainte d’une femme ; qu’au contraire une parole féminine fasse retentir le différend fondant le choc des armures et des épées, des lances et des boucliers, voilà ce dont Le Dernier duel fait la promesse avant d’y revenir au nom des impératifs du spectacle. Les jugements ordaliques sont aussi ceux de la critique du film historique qui a fait croire qu’il compterait jusqu’à trois au nom de l’éthique des vérités féminines avant de revenir au duel des vieilles rivalités masculines et mimétiques.

Margot Robbie, Peter Capaldi, Idris Elba, Joel Kinnaman et John Cena marchent sous la pluie dans The Suicid Squad
Critique

« The Suicide Squad » de James Gunn : Transgresser pour conserver

1 août 2021

L'intérêt de The Suicide Squad relève de la symptomatologie. La spectaculaire parodie du film de super-héros tourne à plein régime en logeant son noyau de sérieux en travers de la gorge : quand les apparences de la débilité ne contredisent pas son essence, la transgression représente le stade suprêmement régressif d'une très pénible conservation. L'idéologie aime à nous raconter des histoires mais elle persévère à ne mentir jamais. America is back reste le credo des blasés clamant qu'ils n'en sont pas dupes tout en y tenant comme à la prunelle de leurs yeux.

Les parents portant leur jeune enfant dans So Long, My Son
Rayon vert

« So Long, My Son » de Wang Xiaoshuai : Les figures de l’absence

3 juin 2021

So Long, My Son, treizième film du réalisateur chinois Wang Xiaoshuai, est une ample fresque historique qui s’ancre dans la Chine communiste des années 1980 jusqu’à nos jours. Elle épouse les destins singuliers de Yaojun (Wang Jing-Chun) et Liyun (Yong Mei), couple endeuillé par la perte accidentelle de leur enfant. À rebours du mélodrame sans nuance ou de la seule critique de la politique de l’enfant unique et de ses conséquences sociales dramatiques, Wang Xiaoshuai choisit d’interroger, avec subtilité et pudeur, la profondeur mystérieuse des liens qui, sur le long terme, unissent une communauté d’êtres traversés par la même violence indicible.

Angela Abar (Regina King) portant son masque noir dans Watchmen
Interview

« Masques blancs, peau noire. Les visages de Watchmen » : Interview de Saad Chakali

9 avril 2021

Au départ de cinq motifs qui forment autant de questionnements où il redéplie sa pensée, Saad Chakali introduit son livre « Masques blancs, peau noire. Les visages de Watchmen » publié aux éditions L'Harmattan et consacré à la série de Damon Lindelof.

Ondine (Paula Beer) et Christoph (Franz Rogowski) dans la piscine dans Ondine
Critique

« Ondine » de Christian Petzold : De la nixe au grand noir

13 octobre 2020

Ondine prévient Johannes qui veut la quitter : s'il part, il doit mourir, il ne peut en être autrement. Ainsi s'exprime Ondine qui, quand elle n'est pas conférencière au Sénat de Berlin qu'elle fait visiter en docteure en histoire et spécialiste de l'urbanisme de la capitale allemande, croit secrètement aux obligations mythiques de son prénom. La croyance d'un destin mythique est un appel ensorcelant à quitter les surfaces de la raison mais il n'y a qu'une brasse entre l'attrait des profondeurs et la liquidation des miroirs de l'histoire.

Kyle MacLachlan, Laura Dern et David Lynch près de la Black Lodge dans Twin Peaks
Rayon vert

« Twin Peaks » de David Lynch et Mark Frost : Les forces de la Black Lodge

29 juillet 2020

Dans la saison 3 de « Twin Peaks », David Lynch et Mark Frost font de la Black Lodge le poumon de leur univers. Comment s'effectue le passage entre les différents mondes ? Quel rôle joue dans la série la rose bleue et le motif de la rose en général ? Pourquoi Hollywood et Los Angeles n'apparaissent-ils pas ? Et qu'est-ce que Judy, sinon le nom de ce champ de forces exercé par la Black Lodge ? Autant de questions à partir desquelles nous allons nous aventurer dans l'opacité des mystères de « Twin Peaks ». Ce texte est construit en dyade avec cinq « Missing Pieces » écrites par Des Nouvelles du Front, tel le sol des loges, qui est tantôt noir zébré de blanc, tantôt blanc zébré de noir. La lecture des deux textes peut ainsi se faire chronologiquement ou en suivant les renvois vers les « Missing Pieces ».

Sandrine Bonnaire errant dans la nature dans Sans toit ni loi
Rayon vert

« Sans toit ni loi » d'Agnès Varda : À quoi marche le refus sans relève

16 juillet 2020

En parallèle à notre interview de Saad Chakali autour du n°66 de la revue Éclipses consacré à Agnès Varda, Des Nouvelles du Front revient sur Sans toit ni loi. Varda y suit le tracé discontinu de la trajectoire de vie erratique d'une vagabonde météorique qui s'appelle Mona. Trouvé dans le fossé, l'astre mort d'une jeunesse chue d'un désastre obscur irradie cependant encore. Sa lumière fossile est une marche à contre-courant éclairant comment le froid des années d'hiver aura médusé les itinérances contestataires et pétrifié les fugues libertaires héritées de la décennie précédente.

Isabella Rossellini et Dennis Hopper dans Blue Velvet
Esthétique

« Blue Velvet » de David Lynch : Le bouche à oreille du sentimental et de l’obscène

25 mai 2020

Dans « Blue Velvet », lèvres et paupières s’apparentent à d'étranges et pénétrants lever et baisser de rideaux, en rouge et bleu, velours et épiderme, cosmétique et organique, toile de Francis Bacon et théâtre de la cruauté, nostalgie des années 1950 et pornographie des années 1980. Fétichiser une période comme celle de l’enfance de David Lynch, c’est pour toute une société la revêtir après coup du velours d’un rêve bleu comme la fleur de Novalis. Mais c’est une peau de lapin qui se retourne en épiderme chauffé et bleui sous les coups de la violence des patriarches et des maris. L’American Way of Life n’est un cliché remis en mouvement qu’avec le grouillement secret de sa vermine, dont les plis n’ont pas moins de sentimentalité que d’obscénité.