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Christopher Abbott métamorphosé face à Julia Garner dans Wolf Man
Rayon vert

« Wolf Man » de Leigh Whannell : L'Heure de l'homme

18 janvier 2025
Wolf Man n'est pas tout à fait un film de loup-garou. Ou du moins ce n'est pas le film attendu. Grâce à un travail habile sur la perception, il déplie un récit reposant sur le caractère contingent de la mort qui figure d'abord la lutte d'un homme contre l'animalité pour ne jamais lui céder le pas. Le film surprend par sa déchirante irréversibilité et son attention pour ce qui résiste avant la perte : il sonne l'heure de l'homme plutôt que celle du loup.
Abou Sangare dans L'Histoire de Souleymane
Critique

« L'Histoire de Souleymane » de Boris Lojkine : Politique du bon immigré

18 janvier 2025
L'Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine, n'est pas le film que l'on croit. En apparence humaniste, il déshumanise en permanence. En filmant le parcours d'un immigré clandestin en quête de papiers, il délègue finalement au spectateur le choix d'en décider. Il partage ainsi le même sale petit secret que tous les droitards attardés, n'accorder droit de cité qu'aux bons immigrés. Un travail de discrimination s'opère, qui révèle le caractère mensonger du film. Il se voudrait humaniste. Il fait la chose la moins humaniste possible : juger.
Victoire Song dans Cent mille milliards de Virgil Vernier
Rayon vert

« Cent mille milliards » de Virgil Vernier : À l'Avent

11 janvier 2025
Cent mille milliards est un conte diaphane sur les solitudes à qui ne revient plus que le soin de légender, un autre essai en filigrane sur la postmodernité qui est le temps de la fin des temps, indéfiniment. Le film de Virgil Vernier serait à sa façon ambivalente, de ne pas y toucher ou bien d’appuyer trop fort, un calendrier de l’Avent pour faire patienter les enfants avant la parousie qui sera leur vraie fête – le temps d’après qui sera le temps qui reste, et dont l’unique opération consistera, après tous les abattements existentiels, en un désœuvrement généralisé.
Bjorn Andresen la nuit dans Mort à Venise
Rayon vert

« Mort à Venise » de Luchino Visconti : L’incontact entre les êtres

11 janvier 2025
Adaptation de la nouvelle de Thomas Mann, Mort à Venise (Luchino Visconti, 1971) concentre dans l’intensité du regard toute la complexité de cette relation à la fois subversive et prude, sensuelle mais sans contact, entre un jeune adolescent et un compositeur mourant. Par là, il laisse entrevoir des horizons spirituels qui dépassent les barrières sociales et morales entre les individus et les générations.
La fin du film Los Delincuentes de Rodrigo Moreno.
Rayon vert

Les Épiphanies : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma 2024

5 janvier 2025
Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2024 des meilleurs films de l'année : ni hiérarchie, le moins de jugement de goût possible, que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.
Lily-Rose Depp approchée par la main de Nosferatu dans le film de Robert Eggers
Critique

« Nosferatu » de Robert Eggers : They are cumming

31 décembre 2024
Robert Eggers offre un nouveau lifting à Nosferatu en l'opérant par la chirurgie esthétique de l'horreur graphique. Devenir propriétaire d'un tel patrimoine était un héritage trop lourd pour le cinéaste qui s'égare dans le contraste entre un catéchisme ambiant et la jouissance sexuelle, deux aspects qui finissent par devenir grotesques.
Pauvre bûcheronne vient de recueillir le bébé dans "La Plus précieuse des marchandises"
Esthétique

« La Plus précieuse des marchandises » de Michel Hazanavicius : Le conte d'un fossoyeur

15 décembre 2024
Retour, sous la forme d'une dyade, sur la La Plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius et la manière dont le film représente la Shoah. Par une double opération simplificatrice, celle du conte et celle du dessin, La Plus précieuse des marchandises se heurte de plein fouet aux problématiques de la représentation de la Shoah. Dans sa première partie, le film opte pour l'illustration pittoresque d'un récit d'adoption mis en parallèle avec le hors-champ de la guerre et des camps, tandis qu'il se vautre lors de la deuxième dans une dépiction horrifique des corps de déportés. Cette obscénité en deux temps est encore alourdie par la figure du fossoyeur présente dans le film et dans la posture de fossoyeur qu'adopte une nouvelle fois Michel Hazanavicius pour triturer ce qui a trait à la mort, afin de réussir son tour de passe-passe et émouvoir le spectateur.
Becca (Olivia DeJonge) se filme dans le miroir dans The Visit
Esthétique

« The Visit » de M. Night Shyamalan : Politique du found footage

15 décembre 2024
The Visit a souvent été perçu comme une petite renaissance de M. Night Shyamalan qui s’était égaré dans des productions fumeuses à gros budget. Force est de constater que l’économie de moyens propre au found footage le stimule. Mais loin de se plier aux règles tacites de ce sous-genre horrifique, il les renouvelle avec brio. Cette fois, les esprits maléfiques sont renvoyés au fond du grenier et les corps restent. La caméra n’est pas abandonnée au sol par des disparus, elle s’accroche aux mains des vivants. Le temps d’un improbable séjour chez des grands-parents perdus, les postures et impostures des personnages s’évanouissent et des transformations s’opèrent.
Christophe Ntakabanyura dans Planque ordinaire d'Emmanuel Gomez de Araujo
Le Majeur en crise

« Planque ordinaire » d'Emmanuel Gomes de Araujo : Métaphysique de la police

15 décembre 2024
Au scénario, Bob H. B. El Khayrat, à la réalisation, Emmanuel Gomes de Araujo. À l'arrivée, prochainement diffusé sur OCS, en compétition au Festival International du Film Indépendant de Marseille (SMR13), un court-métrage, Planque ordinaire, qui en dit long sur le cinéma comme sur ce qui fait cité, soit le genre policier, le banlieue-film, l'action policière, le visage de quelques jeunes de banlieue, la société : le monde entier contenu dans un grain de silice, un météore qui fracasse le plan stellaire. En voici les retombées, quelques particules de poussières éclairées par sa lumière.
Anna Karina et son courtisan dans Vivre sa vie de Jean-Luc Godard
Rayon vert

« Vivre sa vie » de Jean-Luc Godard : Des touches sur la bouche

14 décembre 2024
Dans le générique de Vivre sa vie, le visage de Nana/Anna Karina, point nodal des douze tableaux et l’heure et demie du long-métrage, nous chuchote de prêter attention aux jeux de langage à venir : des circulations entre image et lettre, parole et silence, voix intérieure et extérieure. En d’autres mots : que peut la bouche des actrices et acteurs de cinéma ?
Edward (Sebastian Stan) après sa transformation dans "A Different Man"
La Chambre Verte

« A Different Man » d’Aaron Schimberg : L'acteur démasqué

6 décembre 2024
Convoquant des références et influences aussi nobles et éparses que David Lynch, Tsai Ming-liang, La Belle et la bête ou encore Cyrano de Bergerac, A Different Man d'Aaron Schimberg dépasse le récit psychanalytique de remplacement et son aspect autobiographique crypté pour charrier une réflexion sur l'acteur et son (sur)jeu, en regard de ce qu'impliquent aujourd'hui les performances dites "à Oscars" d'acteurs grimés à contre-emploi, en termes d'éthique et de représentativité.
Lesia (Ghjuvanna Benedetti) dans la campagne corse dans Le Royaume de Julien Colonna
Rayon vert

« Le Royaume » de Julien Colonna : À la table des morts

6 décembre 2024
Le Royaume est un fantasme qui permet de survivre à une réalité brutale : celle des règlements de comptes entre mafieux corses. En pleine cavale, un père, chef de gang (Saveriu Santucci) et sa fille intrépide (Ghjuvanna Benedetti) apprennent à se connaître et cherchent à préserver leur relation chèrement conquise. Peu de choses à voir du côté de ce domaine rebattu de l’amour filial. Mais à la marge du film de Julien Colonna, sous le regard fasciné de l’adolescente, apparaît une Cour d’hommes secrets autrement plus intéressante. Au sein de cette assemblée qui respire la mort se trouve réellement le royaume du temps suspendu qui s’affranchit d’un temps cyclique des exécutions sommaires ainsi que des passages obligés d’une histoire convenue.
Carlos Chahine sur la route dans le désert dans La Vallée de Ghassan Salhab.
Rayon vert

« La Vallée » de Ghassan Salhab : Uncivil War

30 novembre 2024
La Vallée, c'est le sommet du style de Ghassan Salhab, la pointe de la rose dont l'éclosion en signe les stigmates. Son site est pourtant évasé, trouvé dans la plaine de la Bekaa, cette antre qui met à distance deux montagnes : à l’ouest le Mont Liban, à l’est l’Anti-Liban. Deuxième volet d'un triptyque, ouvert avec La Montagne (2010) et clos avec La Rivière (2019), La Vallée s'ouvre au passage intervallaire d’un amnésique, l’ange annonciateur à son corps défendant de la catastrophe qui vient en ne cessant pas de revenir depuis l'origine. L'ange est terrible en l'étant du Neutre, déployant avec sa mémoire perdue et ses ailes de géant la désactivation de tout ce qui fait l'ordinaire du désastre en cours. La Vallée est une annonciation qui a vu l'avenir qui nous échoit comme le présent du pire, la guerre civile et ses incivilités mondiales. L'ange de l’Histoire fait pourtant tourbillonner des phénomènes originaires, ces roses de personne que tous nous sommes en ne faisant que passer sur terre, tantôt pour la cribler de roses malades ou meurtrières, tantôt pour y rejoindre le limon fertile d'un nouveau monde.
Une photo dans l'autobiographie L'Encre de Chine de Ghassan Salhab
Rayon vert

« L'Encre de Chine » de Ghassan Salhab : Dans le cœur, une lampe-tempête

30 novembre 2024
Le cœur d'un homme est une chambre obscure dont les douleurs font les alcôves d'un essai de cinéma. Ses battements marquent alors l'arythmie des grondements du monde de l'autre côté de la montagne. La poétique des assemblages à distance va jusqu'à montrer sa cordialité au point où attaquer frôle l'attaque cardiaque. L'Encre de Chine ? Un fourbis d'indices – ses osselets – pour fourbir l'indicible – le témoignage impossible, son os le plus secret. Fourbis comme les affaires d'un soldat ou un livre de Michel Leiris qui fait constellation avec d'autres, Biffures, Fibrilles, Fissures, Frêle Bruit, afin de déjouer la règle du jeu autobiographique. Le « portrait chinois » d'un cinéaste libanais fraie parmi les titres obscurs des histoires dont leur porteur sait qu'ils forment l'arrière-plan, lointain et éclatant, de ses épanouissements évanouis, la tempête de sable où les promesses et les adieux sont inséparables. Si loin sont de ces histoires ; si proche, en est leur ange gardien, le cœur meurtri mais toujours cordial. Ce qui résiste au témoignage témoigne de cette résistance dont il nous faudra savoir hériter – la résistance poétique du témoignage d'une incorporation à une politique de la résistance armée. Il n'y a de poésie qu'à fourbir ses armes depuis les porcheries qui nous obligent à y résister. Un cœur meurtri peut alors y exhiber, sans mot dire, la lampe-tempête qui en fait l'horlogerie.
Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal dans le chalet dans Simple comme Sylvain
Le Majeur en crise

« Simple comme Sylvain » de Monia Chokri : La reproduction cliché

30 novembre 2024
Dès le titre une promesse nous est faite. Celle d’avoir conscience du poids qui pèse sur l’exploration des conflits de classe dans une relation romantique, de flirter avec les lieux communs pour les délier de leurs intimes vérités. Malheureusement elle n’est pas tenue. Simple comme Sylvain, pour un film se revendiquant à ce point du réel, se révèle fuyant, préférant, inlassablement, à chaque intersection rester sur ses rails de peur de toute collision. Pourtant, « le réel c’est quand on se cogne ».
Le personnage principal du documentaire L'Homme aux mille visages
Le Majeur en crise

« L'Homme aux mille visages » de Sonia Kronlund : Logique du cinéma roublard, sophistique du cinéma mouchard

29 novembre 2024
Dans son docu-fiction L'Homme aux mille visages, salué par la critique, Sonia Kronlund n'est ni une Mata Hari dans la vraie vie, ni un James Bond de comédie, encore moins Ethan Hunt, un Impossible missionné de pacotille. Elle est la commère du village à l'heure des réseaux sociaux, une justicière prise au jeu de sa propre comédie. Elle croyait rendre l'honneur perdu à des femmes trompées par un homme-caméléon aux identités multiples, elle les trahit en usant des moyens de l'infâme qu'il s'agissait pourtant de condamner. Un film qui devient l'agent complice du mâle. Enquête sur un film qui se voulait au-dessus de tout soupçon.
Gonçalo Waddington dans Grand Tour de Miguel Gomes
Interview

« Grand Tour » : Interview de Miguel Gomes

21 novembre 2024
La présentation de Grand Tour au Festival du Film de Gand nous a donné l’occasion de nous entretenir avec Miguel Gomes. Le réalisateur portugais nous a parlé de son besoin d’associer fiction et réalité, de l’innocence perdue du spectateur de cinéma qu’il cherche à retrouver, de sa méthode de travail qui cultive l’incertitude et, plus largement, de sa vision du cinéma et du rôle des cinéastes.
Sebastian Stan (Donald Trump) et Jeremy Strong dans la voiture dans The Apprentice
Le Majeur en crise

« The Apprentice » de Ali Abbasi : Donald Trump origins

21 novembre 2024
Les caméras du monde entier se sont récemment braquées sur le président des États-Unis reconduit. Résultat d’une élection au cours de laquelle le candidat des Républicains n’a cessé de se mettre en scène avec un tempérament fantasque et jusqu’au-boutiste (Trump au McDonald’s, Trump dans un camion-poubelle…). En comparaison avec ces hallucinantes images médiatiques, The Apprentice détonne. Évitant de sombrer dans la surenchère propre à son sujet, le film trop peu vu et commenté d’Ali Abbasi brille par son calme et sa retenue, à la mesure de l’interprétation juste de Sebastian Stan qui se garde bien de singer son modèle, une discrète bouche en cul de poule pour seule évocation flagrante. En relatant les débuts de Donald Trump dans le monde des affaires, The Apprentice parvient à faire le récit intime d’un homme qui se veut sans intimité, à la fois fossoyeur et héritier direct de l’ancienne classe dirigeante américaine.
Mikey Madison danse en boîte de nuit dans Anora
Critique

« Anora » de Sean Baker : Politique de l'ordre moral

16 novembre 2024
Vendu comme Ouf par ses producteurs, un film à aller en voir en couple, Anora est un film d'auteur moralisateur. Il ne tendait pas à juger son personnage. Il termine sa course furieuse épuisé, dans un paternalisme gaucho-prédicateur. Ou comment depuis l'anti-chambre du rêve américain, Sean Baker, sermonneur, le reconduit dans ses effets, dans un apologue édifiant.
Paul Mescal et Pedro Pascal s'affrontent dans le Colisée dans Gladiator II
Critique

« Gladiator II » de Ridley Scott : Malheur au vainqueur

15 novembre 2024
Un spectre hante le cinéma hollywoodien contemporain : le spectre de l’empire romain. On dira que l’affaire est connue, en remontant pour le cinéma jusqu’au péplum italien et ses acclimatations étasuniennes. La Rome antique offre pourtant, outre sa ressource fantasmatique pour toutes les époques en quête de légitimation culturelle, de la Renaissance florentine au fascisme italien, l’image de vérité d’un cinéma dont l’industrie voudrait redorer le blason terni de l’empire au titre de l’oriflamme recouvrant l’autre spectre de sa finitude. Aujourd’hui, les films qui s’en réclament, parfois ostensiblement comme c’est le cas de Gladiator II de Ridley Scott, font spectacle des nécessités de sauver le soldat impérial parce qu'il resterait après tout le meilleur pèlerin de l'universel. Et ce film-là a paradoxalement besoin de deux Noirs d'Algérie à évacuer, l'un par défaut et l'autre par excès, pour éclaircir plus nettement son idée : mieux que la république trahie par ses défenseurs pervers, l'empire demeure malgré tout le terrain d'intégration universelle par excellence, de toutes les différences et de toutes les minorités, dès lors que sa souveraineté revienne de plein droit à son légataire, le petit-fils caché de Marc-Aurèle. 
Lucie Debay dans "Le Garage inventé" de Claude Schmitz
La Chambre Verte

« Le Garage inventé » de Claude Schmitz : L'enfer du théâtre

8 novembre 2024
Dans sa démarche de créer une œuvre continue, en constante évolution, Claude Schmitz se pique de donner une suite officielle au double opus déjà constitué par Un Royaume et Lucie perd son cheval. Il y prolonge la réflexion "méta" sur la condition de comédien, mais en la complexifiant encore par une dimension presque chamanique. Le Garage inventé qui restaure la mécanique et les rêves est en outre la plus ambiguë de ses créations, faisant étrangement cohabiter cette volonté récurrente de "poursuivre le geste" et celle d'enfermer ses œuvres, ses acteurs et ses personnages, dans un écrin protégé, à l'abri des dérives extérieures.
Agnès Jaoui dans Ma vie ma gueule de Sophie Fillières
Rayon vert

« Ma vie Ma gueule » de Sophie Fillières : Je doute donc suis-je ?

8 novembre 2024
Ma vie Ma gueule sera le dernier film de Sophie Fillières. Son destin tragique admoneste-t-il la réception du film ? Ma vie Ma gueule n'est pas un film posthume, mais un film vivant, du vivant. Il me résout, tout doucement, les grandes questions, en m'en débarrassant. Le sens de la vie, c'est le sens qu'on lui imprime, « moitié dans mes godasses, moitié à côté », dans l'espoir qu'on me dise, peut-être, un jour : « merci d'avoir tenté, merci d'avoir vécu ! »
Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne au musée dans Chronique d’une liaison passagère
Rayon vert

« Chronique d’une liaison passagère » d'Emmanuel Mouret : "La passion, c’est beaucoup d’air brassé pour du vide"

3 novembre 2024
Au fil de son œuvre, Emmanuel Mouret a semé les bases d’une nouvelle manière de représenter l’amour au cinéma. S’opposant aux cadres narratifs de la passion, c’est au contraire une vision refroidie des sentiments qu’il propose. Chronique d’une liaison passagère, en adoptant un dispositif narratif extrêmement restreint, radicalise cette perspective comme pour mieux démontrer l’intérêt de ne pas céder à ce que sont devenus des automatismes dans la représentation des corps amoureux, en revalorisant la pensée des sentiments contre les actes passionnés.
Nicholas Hoult et Toni Collette discutent sur un banc dans Juré n°2 de Clint Eastwood
Rayon vert

« Juré n°2 » de Clint Eastwood : Minuit moins une dans le jardin du bien et du mal

2 novembre 2024
Juré n°2 est un petit film de pas grand-chose qui n’aurait peut-être pas mérité autant d’égard s’il n’avait pas été signé par Clint Eastwood. À l’aune de l’œuvre qu’il parachève, il marque toutefois la nouvelle étape du destin du héros eastwoodien qui peut à bon droit s’apparenter à la dernière. Juré n°2 est impitoyable et son héros, Justin Kemp, un être impardonnable. Le héros qui nous paraît si proche s’est éloigné de nous au point limite où, loin de reconnaître à distance le respect de son héroïsme avant que sa révérence ne soit tirée, sa disparition est consommée. Le héros rappelle ainsi à l’exception qui fait son destin qu’elle coïncide désormais dans la préférence obscène des conforts et des intérêts. Son devenir quelconque touche à l’os de la liquidation des morales supérieures. Hier, le héros eastwoodien nous demandait de le comprendre, et même de l’aimer ; aujourd’hui, il n’est qu’un salaud désarmant de sincérité.
Le corps de Demi Moore dont le dos est recousu dans The Substance
Critique

« The Substance » de Coralie Fargeat : Chaosmétique

1 novembre 2024
The Substance : la substance, c'est le film et la publicité qu'il en fait. La substance, c'est la publicité dont le cinéma est devenu par inversion une prothèse de relais. À l'empire du spectacle, une junkie répond par le pire de l'intoxication volontaire. Si la modernité est un plongeon dans le monstrueux, son stade terminal vérifierait cependant qu'au fondement de toute exhibition, un freak attend avant d'entrer en scène. Et le freak est une femme dont les hommes sont les docteurs Frankenstein. Alors, l'obscénité du spectacle sera avérée, ses origines foraines déballées. La surexposition conduit à son exhibitionnisme décomposé. On ne bande les muscles dans les shows d'aérobic qu'à préparer la grande débandade des organes.
François Civil et Adèle Exarchopoulos s'embrassent sur la plage dans L'Amour ouf
Critique

« L’Amour ouf » de Gilles Lellouche : MTVie

24 octobre 2024
L’Amour ouf transpire le cool, dégouline de ce que certains nomment des « envies de cinéma », qui sont surtout des envies de montrer que du cinéma, on sait faire. Le film de Gilles Lellouche est une longue fresque pseudo-tragique qui délaisse le romanesque pour le tapage du clip TV. C'est un film adolescent, dont la forme démonstrative étouffe l’émotion qui affleure dans les rares moments de naïve sincérité.
Le chat et la grande statue de chat au début de Flow, le chat qui n'avait plus peur de l'eau
Rayon vert

« Flow » de Gints Zilbalodis : Un abandon

23 octobre 2024
Flow s'impose comme un film d'animaux perdus mais d'abord perdus sans les hommes. C'est cette subtilité, traduite par un sentiment d'abandon, qui le rend émouvant, et plus précisément par l'humanité dont les animaux conservent la trace et le reflet. A contrario, Flow intéresse moins lorsque les animaux commencent à se comporter comme des humains : le réalisme que le film avait su recréer perd en partie sa force.
DJ Mehdi aux platines dans la série Arte DJ Mehdi : Made in France
Esthétique

« DJ Mehdi : Made in France » de Thibaut de Mongeville : Ni barreaux, ni barrières, ni frontières ?

23 octobre 2024
Primé à Cannesséries sur la Croisette au printemps 2024, la série documentaire en six épisodes d'Arte consacrée au célèbre DJ Mehdi, à l'instant de rendre les derniers hommages à son génie comme à celui qui aurait su réconcilier les mondes (le rap, l'électro, la French touch), enterre en grande pompe la banlieue comme tous ceux qui s'y agitent au son du rap. Une manœuvre en sous-main sous forme de rengaine trop souvent reprise en chœur par certains banlieues-films récents, que la série, par-devers elle, orchestre une énième fois.
Rabah Ameur-Zaïmeche en révolutionnaire dans Les Chants de Mandrin
Interview

Interview de Rabah Ameur-Zaïmeche : « Pour un cinéma de l'attention »

14 octobre 2024
Dans ce grand entretien avec Rabah Ameur-Zaïmeche, nous revenons sur son rapport à la banlieue, au réel, sur sa méthode de travail, ses influences et ce qui se trouve au fondement de sa pensée. C'est un cinéaste de l'attention qui se dessine tout au long de l'entretien. Non seulement face à ce qui se produit devant sa caméra, mais aussi devant le monde et les autres, et surtout au service d'idées qui lui permettent de concevoir chaque film comme un refuge.
Aurore Clément dans Toute une nuit de Chantal Akerman
Rayon vert

« Toute une nuit » de Chantal Akerman : Symphonie cinétique

14 octobre 2024
Dans Toute une nuit, la nuit n’est pas qu’une simple toile de fond, elle est une matrice de laquelle surgissent les gestes mélodramatiques des anonymes. Ces gestes sont le centre de gravité du film, tandis que les personnages sans nom et les mini-récits discontinus ne sont que des instruments qui permettent à Chantal Akerman de réaliser le mouvement.
La mère de Chantal Akerman dans sa maison à Bruxelles dans No Home Movie
Rayon vert

« No Home Movie » de Chantal Akerman : Si loin, si proche

14 octobre 2024
No Home Movie, le dernier film de Chantal Akerman, est traversé par un mouvement qui oscille entre les forces contraires de l’éloignement et du rapprochement. Car la distance semble être au cœur de bien des images, une distance à entendre d’un point de vue spatial, corporel comme émotionnel. Une distance sans cesse à reconfigurer pour arriver à être connectées l’une avec l’autre et pour enfin libérer les mots qui sont les plus difficiles à sortir, ceux du cœur.
Chantal Akerman dans sa chambre dans Je, tu, il, elle
Rayon vert

« Je, tu, il, elle » de Chantal Akerman : L'autre sans quoi

14 octobre 2024
La mise à nu est une franchise quand le franchissement des seuils du visible a ainsi valeur d'affranchissement. Avec Je, tu, il, elle, Chantal Akerman âgée de 24 ans seulement se constitue à l'image en sujet qui s'expose moins comme une personne que comme personne. La subjectivation ouvre chez elle à l'impersonnelle. D'abord dire je pour suivre avec tu, ensuite passer par il pour finir avec elle : elle qui est l'autre, elle qui est moi, elle qu'il y a entre les autres et moi – un on peuplé d'elles. La frontalité s'y fait dénudement et le désœuvrement de tout narcissisme l'est de toute pornographie, souverainement. Parce qu'il y a de l'autre qui manque et dont le manque est une addiction avec ses compulsions. Parce que l'autre est tout autre, c'est le secret, et qu'il est toute autre, c'est le secret des secrets. L'autre ne sera donc pas un « il » dont la débandade est avérée, mais une « elle » dont les retrouvailles sont océaniques. La politique de la chambre à coucher est une tabula rasa, un désert repeuplé, avec ses ritournelles et son repos bien mérité. Shabbat n'advient qu'à seule fin de tout recommencer.
Pina Bausch sur scène dans Un jour Pina a demandé...
Rayon vert

« Un jour Pina a demandé... » de Chantal Akerman : L’esprit qui danse

14 octobre 2024
Un jour Pina a demandé... consiste à reprendre à la scène ce qui appartient au film : Chantal Akerman veut puiser dans le travail de Pina Bausch ce qu’il y a de cinématographique pour le faire passer de l’art de la danse à son art à elle, le cinéma.
La frontière mexicaine aux USA dans De l'autre côté
Esthétique

« De l'autre côté » de Chantal Akerman : Sur-réalisme

14 octobre 2024
Un lien existe-t-il entre De l’autre côté et la peinture de René Magritte ? Si c'est le cas, il faudrait alors qualifier certains films de Chantal Akerman de sur-réalistes, puisqu'elle cherche toujours à capter ce qui, dans l'image, s'y loge et la déborde, ce qui la hante et s'y dissémine. Chaque récit que livrent les mexicains face à la caméra rappelle à la vie un fantôme, en l’occurrence un être aimé qui a disparu depuis son passage par-delà la frontière. Le titre du film témoigne ainsi parfaitement de cette volonté de rendre présent l’absence, de faire revenir ceux qui sont passés « de l’autre côté ».
Sylvie Testud et Stanislas Merhar à l'arrière d'une voiture dans La Captive de Chantal Akerman
Rayon vert

« La Captive » de Chantal Akerman : La privation du regard

14 octobre 2024
Dans La Captive, le corps d’Ariane est l’objet d’une traque continue. Chantal Akerman entreprend ainsi de donner à voir ce qu’est un personnage qui disparaît, vivant écrasé par le poids du contrôle et des dispositifs de pouvoir qui pèsent sur lui.
Rayon vert

« Megalopolis » de Francis Ford Coppola : Antipolitique du démiurge

9 octobre 2024
Megalopolis est un film inclassable, hanté par des morts qui font la vie, qui contient un élixir de jouvence – le Megalon – une force créatrice à nulle autre pareille qui ferait les cités, le cinéma de demain comme il débarrasserait tous les pouvoirs de la logique de toute-puissance. Une énergie faite de la rêverie des songes comme de la réalité. Coppola y expose un art subtil d’asseoir la vigilance sur le laisser-aller, un mélange de conscience et d’inconscience, qui menace toujours de s’évaporer ; une sorte d’état plasma filmique, qui n’est ni complètement gazeux ni complètement solide ; une folie douce, un entre-deux, un flou pour apercevoir ce que le sommeil permet de voir (les rêveries), mais aussi les songes de l’homme libre – ceux de Coppola –, tout en étant capable de restituer avec la lucidité de celui qui est éveillé. Une révélation, mais qui ne passe pas seulement par le bien-être, mais le malaise, un peu comme si l’on était porté par la houle : ce moment où l’on s’en remet au monde, mais où, paradoxalement, on est enfin en soi-même pour nous apprendre, finalement, à devenir les créateurs de notre propre univers, en revenir à l'enfant.
Une scène de révolte dans Soundtrack to a Coup d’État de Johan Grimonprez
Interview

« Soundtrack to a Coup d’État » : Interview de Johan Grimonprez

7 octobre 2024
Soundtrack to a Coup d’État offre un éclairage saisissant sur les événements qui ont entouré l’indépendance du Congo en 1960. La mobilisation et la mise en dialogue d’une quantité impressionnante de documents d’archives – audiovisuels et textuels – permettent à Johan Grimonprez de renverser la perspective occidentale et de faire la lumière sur cette page noire de l’histoire de son pays.
Cosmos pendant son procès dans Le Procès du chien de Lætitia Dosch
Le Majeur en crise

« Le Procès du chien » de Lætitia Dosch : Dernières nouvelles de Cosmos

5 octobre 2024
Si le premier long-métrage de Lætitia Dosch est bruyant, c'est qu'il gueule et s'il pousse une gueulante, c'est qu'il en a gros sur le ventre. Ici, l'aboiement est partout, inter-spécifiquement. Un tribunal des hommes et des bêtes comme en rêvait Franz Kafka, sensible à l'appel des forêts comme chez Jack London. Le Procès du chien est un vrai film de bâtard et sa pelisse bigarrée est le manteau formidable d'un hommage à l'espèce compagne qui nous aura fait comme nous sommes, mais remué de rage quand notre bêtise ne fait pas droit à notre part sauvage. Le griffon Cosmos y aboie pourtant les nouvelles d'un nouveau « contrat naturel ».
Un visiteur récite une parole mystérieuse devant une statue dans Dahomey
Rayon vert

« Dahomey » de Mati Diop : Les statues meurent-elles aussi ?

2 octobre 2024
Mati Diop a toujours filmé des fantômes. À l'occasion de la « restitution » par la France de vingt-six statues au Bénin, elle décide, dans Dahomey, de les faire parler pour installer un contre-récit sur la colonisation, contre la mort d'un peuple, sa culture, son histoire, cette mort qui n'a jamais cessé de faire sentir sa poigne. Une politique des fantômes pour les rendre à la vie.
Oscar Isaac, Jessica Chastain et Albert Brooks sur les quais à la fin de A Most Violent Year
Le Majeur en crise

« A Most Violent Year » de J.C. Chandor : Le Far West n’est pas si loin

2 octobre 2024
A Most Violent Year porte un coup décisif à l’idéologie diffusée par la forme hollywoodienne dominante. À travers son personnage principal d’entrepreneur obsessionnel et d’une description méticuleuse des intérêts de classes, J.C. Chandor révèle la séduction perverse d’une esthétique absorbante qui a si souvent servi à nous rendre désirable des rapports au monde nauséabonds.
Apichatpong Weerasethakul à Bozar Brussels
Interview

Interview d'Apichatpong Weerasethakul : « Le cinéma est un fantôme qui vous possède et vous emmène dans son voyage »

27 septembre 2024
Dans ce grand entretien avec Apichatpong Weerasethakul, nous revenons avec lui sur sa première œuvre VR, A Conversation with the sun, mais aussi sur les fondements de son travail et ce qui l'anime aujourd'hui en tant qu'artiste.
Un enfant couché dans son lit dans France tour détour deux enfants
Rayon vert

« France tour détour deux enfants » de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville : Les enfants jouent à la télévision

26 septembre 2024
Un jour, quelqu'un de la télé a dit : on aimerait bien célébrer le centenaire du Tour de la France par deux enfants (1877) d'Augustine Fouillée alias G. Bruno, classique de la pédagogie à l'époque de la toute jeune Troisième République. Une nouvelle composition à rendre après Six fois deux / Sur et sous la communication (1976). Un nouveau devoir à faire « à la rude école de la télévision ». Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville y ont répondu, tout simplement, par « un mouvement de 260 millions de centimes vers une petite fille et un petit garçon ». Être à l'écoute du discours de l'autre et son enseigne quand il est un enfant, deux enfants qui pensent, c'est montrer, après les grandes catégories politiques à l'époque du groupe Dziga-Vertov, qu'il n'y a pas de politique vraie sans qu'elle n'ait pour autre versant celui de la « micropolitique ».
Des spectateurs voyagent dans l'oeuvre VR A Conversation with the Sun d'Apichatpong Weerasethakul
Histoires de spectateurs

« A Conversation with the Sun » d'Apichatpong Weerasethakul : La grotte des rêves perdus

22 septembre 2024
A Conversation with the Sun, la première œuvre VR d'Apichatpong Weerasethakul, explore, par le rêve, la mémoire de la conscience humaine en prise avec son existence physique et le mystère de ses origines. Le visiteur plonge dans une grotte des rêves perdus où il peut se ressouvenir de ses rêves antérieurs ou, comme Oncle Boonmee, de ses vies passées, puisque notre corps garde secrètement la mémoire de son premier ancêtre.
Viggo Mortensen dans son bar dans A History of Violence
Rayon vert

« A History of Violence » de David Cronenberg : Le secret derrière la porte

21 septembre 2024
A History of Violence de David Cronenberg ne raconte pas simplement que la barbarie n'est jamais très loin. Elle est au plus proche. Elle fait mouche. Elle est en nous. Elle fait nous. La civilisation n'est que sa camisole de force, dont il fallait encore défaire toutes les coutures dans un film qui ébroue d'autant plus que sa facture est classique.
Jude Law et Jennifer Jason Leigh reliés par un Pod dans eXistenZ
Esthétique

« eXistenZ » de David Cronenberg : Virtualités sensorielles

20 septembre 2024
Aussi sensuel que cérébral, eXistenZ participe d’une véritable déconstruction des codes du cinéma de science-fiction classique. Pour le spectateur, l’entrée dans le monde d’eXistenZ est une expérience synesthésique totale. Les images chez David Cronenberg ont une odeur, un goût, une consistance. Le cinéma est un corps qu’il est désormais possible de ressentir. Il est la Nouvelle Chair.
Mia Wasikowska couchée sur une étoile d'Hollywood Boulevard dans Maps to the Stars de David Cronenberg
Rayon vert

« Maps to the Stars » de David Cronenberg : Ce qui s'écrit de l'inceste

20 septembre 2024
Depuis les années 2000, le traitement clinique propre au cinéma de David Cronenberg élargit sa sphère d'analyse. Il y raffine, par concentration du style et variation dans ses objets et ses récits, le caractère monstrueux de ses nouvelles excroissances. Il étire ainsi les spires de la toile propres à ses exercices de viralisation arachnéenne. Avec Maps to the Stars, il s'agit d'infiltrer et d'assimiler un sous-genre caractéristique de l'industrie hollywoodienne, à savoir sa propre satire. En adoptant une stratégie déflationniste, le choix du minimalisme s'amuse délibérément à friser la déception en jouant de déceptivité. La distance clinique qui engage à la soustraction comme à la neutralisation des clichés déplace les enjeux comiques de la satire du côté de la représentation à froid d'une familiarité inquiétante. La force d'insinuation de Maps to the Stars, réelle bien qu'en-deçà des longs-métrages précédents, ne saurait cependant se réduire à la seule justesse sociologique de son scénario, ainsi qu'à quelques-uns de ses accents grotesques. Le clinicien frôle le cybernéticien avant que l'insinuation des conventions ne fasse apparaître une écriture autre, psychotique et cryptique. L'inceste s'y révèle moins comme la vérité monstrueuse et criminelle de l'homogamie que comme un événement inassimilable dans un monde qui a anéanti la force transgressive de l'amour. Et aboli les poètes qui en écriraient les étoilements pour en chanter les astres scellés.
James Woods face à la télévision dans la célèbre scène de Vidéodrome de David Cronenberg
Rayon vert

« Vidéodrome » de David Cronenberg : La grande illusion

20 septembre 2024
Série d’hallucinations érotiques et gores, Videodrome visite les profondeurs de la psyché sous le régime de la consommation insatiable des images, où l’espace intime est peuplé par ces monstres méconnus : les écrans.
Zoé Lucas sur l'île de Sable dans Geographies of Solitude
Rayon vert

« Geographies of Solitude » de Jacquelyn Mills : Matière et mémoire

11 septembre 2024
Toute matière affecte et est affectée. Dans Geographies of Solitude, la matière-île affecte la matière-cheval qu’elle accueille. Loin des humains, elle s’est acclimatée à ce lieu unique, elle s’est ensauvagée. Île et chevaux se confondent tout comme Zoé Lucas a fini par se fondre dans l’île. Ce rapprochement de la scientifique et de l’environnement matériel qu’elle analyse a inspiré l’un des gestes fondamentaux du film de Jacquelyn Mills : promouvoir un régime d’intelligibilité du monde qui ne distingue pas raison et sensations, mais qui postule au contraire leur salutaire association.
Larissa Corriveau seule dans la maison dans Mademoiselle Kenopsia
Rayon vert

« Mademoiselle Kenopsia » de Denis Côté : Découvrir le vide

31 août 2024
Denis Côté, jouant avec radicalité de l’esthétique des espaces liminaux, donne vitalité à l’expression nécrosée de l’expérience cinématographique. Celle qui, au-delà d’une narration ou d’images, s’impose et s’adresse directement à nos sens, particulièrement, ici, à ceux qui guident l’appréhension. Dans le vide qui sépare les lieux dans lesquels Mademoiselle Kenopsia se loge, le réalisateur québécois nous fait éprouver les possibles de l’attente. L’écran de projection devient alors réceptacle et vecteur de l’inconscient, le recevant après l’avoir excité dans une rétroaction continue. Et lorsque le film termine et nous accompagne au-delà du cinéma, il n’en reste que la mémoire, celle des sentiments qui se sont manifestés lors d’un ennui conscient.
Zoe Saldana danse au gala de charité dans Emilia Perez
Critique

« Emilia Perez » de Jacques Audiard : L'invraisemblable cynisme

27 août 2024
Il faut, paraît-il, accepter Emilia Perez comme un film invraisemblable. Mais cette histoire de baron de la drogue qui veut se racheter de ses fautes accouche en même temps d'un invraisemblable cynisme qui est à peu près son seul horizon, à l'exception de la délicate tension apportée par Karla Sofía Gascón. C'est que la vraisemblance peut avoir un double sens quand elle exprime quelque chose d'invraisemblable : le cynisme atteint un tel degré d'invraisemblance qu'il en devient l'invraisemblable vérité du film. Au final, Audiard se la joue plutôt Grand Jacques en livrant sa reprise des « Bigotes » qui traduit bien le cheminement du film et la réaffirmation vieillotte d'un auteur attaché à ses artifices, exactement comme Leos Carax.
JR photographie un prisonnier dans Tehachapi
Critique

« Tehachapi » de JR : Misère de l’humanisme carcéral

25 août 2024
Une prison de haute sécurité californienne, un suprémaciste blanc repenti et une photo de famille géante collée sur le sol du terrain de basket : JR, dans Tehachapi, a soigneusement choisi les ingrédients de son nouveau documentaire bigger than life. Mais tel l’éléphant qui accouche d’une souris, l’artiste sert finalement une soupe libérale, à l’avant-poste du maintien d’un insoutenable consensus carcéral.
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