Avec Le Lys brisé, David W. Griffith prouve qu’il est le premier génie dialecticien de l’histoire du cinéma. Le découpage d’une scène ne la morcelle qu’en raison des détails qui en mortifient la totalité ; ainsi, la vie quotidienne qui s’éparpille en mirages et en coups, et le bouddhisme dont le message de paix se dissout dans les migrations coloniales et les vapeurs opiacées. Le montage parallèle divise la fiction en lignes narratives selon des rapports contraires, la bestialité d’un Anglais, la spiritualité d’un Chinois et une fille terrorisée par le premier quand elle est par le second idolâtrée. Et, quand le montage joue d’alternance, c’est pour converger sur une violence qui répond à la violence, mais non mimétiquement puisqu’au père tuant sa fille par ensauvagement pulsionnel, répond l’homme qui la venge en le tuant avant de retourner sa violence contre lui-même au nom d’un amour que l’interdit racial réprime, mais qu’il sublime en nouvelle religion ne valant que pour elle et lui. Cheng Huan est ainsi dialectiquement passé de l’universel abstrait (le message universel d’amour du bouddhisme) à l’universel concret (l’amour d’une femme accessible seulement dans la mort). David W. Griffith pousse alors le mélodrame racialement convenu au paroxysme de la tragédie des amours qui sont des événements, des aberrations autant que des bonds dans la foi, son génie n’allant pas sans celui de son actrice fétiche, Lillian Gish, qu’il vénère à sa manière. Cheng Huan et Lucy sont frère et sœur de douleur et s’ils font bonne figure, c’est dans le V que forment le masque d’impassibilité de l’homme jaune et celui, forcé, de la fille qui sourit jaune.