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Edouard Baer (Dali) à table lors de l'histoire du prêtre dans Daaaaaali !
Critique

« Daaaaaali ! » de Quentin Dupieux : Steak trop cuit

Des Nouvelles du Front cinématographique
Multiplier les vestes (de daim) à l'adresse d'un maître d'opérette, l'épouvantail du génie rempli de la bourre de lui-même, c'est demeurer au poste à tuyauter la même blague gigogne, ad nauseam. La circulatoire en circuit fermé, un « circulez, il n'y a rien à voir ». L'humour vachard qui touille la crème de gruyère de l'ego n'a pas d'autre crémerie que La vache qui rit.

Au poste !
(Circulez, il n'y a rien à voir)

À l'entame de Daaaaaali !, coule en trois dimensions la fontaine nécrophilique du maître. L'écoulement est d'emblée tuyauté pour ne jamais déborder le bassinet qui en accueille à ciel ouvert la miction, qui a la couleur bleutée du Canard WC. Si Quentin Dupieux adore s'adonner au jeu des boîtes et autres gigognes, sa préférée demeure néanmoins le moniteur télé des années 80, par quoi tout advient et tout revient. Au poste ! l'admettait sans problème, dans l'équation évacuant la variable théâtrale pour poser à la fin l'équivalence fatale du poste de police et du poste de télévision.

Le canal privilégié, celui de la télévision du temps de l'adolescence (avec en premier indice la finale de Roland Garros de 1983), verse dans la tubulure des canalisations les eaux usées de la symbolique de l'analité. Le plein air sent en effet chez Quentin Dupieux toujours le renfermé. Pourtant un paradoxe insiste : le crapoteux, ici régurgitations, vers dans la mixture du soir et scatologie vociférée, est aussi vite neutralisé par une image HD ultra-léchée, le numérique en papier hygiénique haute définition. La caque n'y est manipulée qu'avec des gants en vinyle, ce qui n'étonnera guère de la part de celui qui s'est d'abord fait connaître sous le pseudonyme de Mr. Oizo.

On s'en apercevra dans Daaaaaali !, la circulatoire organisée l'est en circuit fermé : « circulez, il n'y a rien à voir ».

La taxidermie procrastinatrice
(les coups de fusil à répétition, autant de coups de pompe)

Quentin Dupieux aime les animaux empaillés, tout un bestiaire de l'inerte dont ses films sont l'abondant relais. Taxidermiser Dali ne sert pas seulement à vérifier que le peintre surréaliste est rempli de bourre, avec le foin de l'ego et tout le tralala, il s'agit surtout d'avérer que les épouvantails ont cessé de nous faire peur. Comme celui du Magicien d'Oz est sans cerveau et son copain le Lion est un couard, l'épouvantail de Dupieux a rien moins peur que de la mort, c'est pourquoi il faut persévérer à décérébrer. Et s'il se dissémine, c'est pour tenter de la tromper en jouant de toutes les combinaisons du différé, couloir interminable, scènes tournées-parlées à l'envers, rêve dans le rêve dans le rêve dans le rêve ad nauseam. Procrastiner redouble l'aveu. Autant le film sur Dali n'aura pas lieu (Dali n'est pas là comme Dylan pour Todd Haynes) que la seule hantise à l'œuvre dans Daaaaaali ! est une adolescence blagueuse, et hargneuse à conjurer sa hantise des sirènes d'une sénescence avancée.

Daaaaaali ! multiplie ainsi les vestes (de daim) à l'adresse de son épouvantail d'opérette mais les soufflets ne sont que chuintements au sujet de ce que tout le monde déjà savait. Le bonhomme a l'estime de soi astronomique, méprisant à l'égard de tous les autres qui ont cependant le désir d'adopter son orbite. Le génie dans la profession de foi éructée le serait moins dans les peintures mais est-ce si sûr ? Que l'on songe en effet à La Queue d'aronde – Série des catastrophes, ultime peinture sur huile contemporaine de la finale de Roland Garros, et inspirée par la théorie des catastrophes du mathématicien René Thom. Certaines fuites bavent un peu aussi quand l'arbitraire d'une épaisse diarrhée sexiste s'abat par la bouche ordurière d'un producteur (Romain Duris) sur la tête de la pauvre fille (Anaïs Demoustier) rêvant du grand entretien avec le maître quand lui peut tranquillou tripoter les loches d'une maquilleuse sans que cela ne pose un problème (c'était quand même mieux, les années 80, hein, cette époque bénie où l'on ne faisait pas un foin de rien du tout).

Dali (Jonathan Cohen) au téléphone dans Daaaaaali !
© ATELIER DE PRODUCTION – FRANCE 3 CINEMA

Surtout, Quentin Dupieux rejoue son tout récent Yannick (le monde de l'art et du spectacle est tout plein de fats et rats) en caressant le même fantasme d'en être l'ange exterminateur. Mais les coups de fusil à répétition sont littéralement des coups de pompe et l'enfilade des références en devient vite lassante, l'encombrement jusqu'à la congestion et l'autocongratulation qui en enrobe la conclusion.

Dans Les Nourritures terrestres (1897), André Gide dit enfin posséder le don le plus précieux, celui « de n'être pas trop entravé par moi-même ». Ce don est l'inexistant du cinéma de Quentin Dupieux.

Des lapsus au prolapsus
(la descente de police, une descente d'organes)

En effet, les références pullulent dans Daaaaaali !, avec en tête les incontournables Luis Buñuel et David Lynch. Pourtant, Quentin Dupieux ne peut s'en empêcher, il trivialise tout ce qu'il doigte. Plus aucun trouble, plus aucune désorientation dans les voies tortueuses de l'inconscient. À la place, c'est une combinatoire, certes maîtrisée, mais s'appuyant sur la morne interchangeabilité des places, des figures et des motifs, pour céder sur un vœu pieu d'égalité. C'en est presque un jeu mais il tourne court : les quatre vedettes chargées de jouer Dali ne bénéficient en rien du même traitement et l'on repérera aisément où vont les préférences du directeur d'acteur, qui adore Jonathan Coen et respecte Édouard Baer, mais trouve (à raison) sympatoche les prestations de Pio Marmaï et Gilles Lellouche.

Pourtant, les deux copains de Steak, Dolph et son chien dans Wrong, les ripoux pour rire de Wrong Cops, le serial killer du Daim, même Robert le pneu de Rubber, on les aimait bien, des ronds quelconques mais l'essieu, toujours singulier. De curieux bidules pour ne pas repartir bredouille.

La combinatoire dans Daaaaaali ! est ici parfaitement univoque, tout s'y échange et s'annule, la substituabilité jusqu'à l'écœurement. Circulez il n'y a rien à voir, le circuit est fermé. Le plan des œufs au plat en atteste : ce qui tombe à plat disparaît dans le fond de la poêle et pourtant il faudrait en répéter l'opération. On ne retrouve l'indécrottable adolescent qui ne peut s'empêcher de faire et refaire la même blague, sans voir que sa réitération est déjà la symptôme de son vieillissement précoce. Un risque encouru est cependant assumé et c'est le seul intérêt du film. On s'en rend d'autant mieux compte dans la salle, avec des spectateurs acquis à la cause du film et de son auteur. L'aboutage des rêves y est en effet si laborieux, parce que si interminable qu'il en déboute ses fans les plus prompts à s'en féliciter, rincés par tant d'enchâssements gigognes. Et le film ne dépasse pas 1h20. Ce n'est plus une descente de police mais d'organes. Les lapsus à répétition pavaient en réalité la voie infernale du prolapsus.

Les œufs tombent à plat sans faire d'omelette, le steak trop cuit pour rappeler au vivant de la viande.

Jour sans pain et Vache qui rit
(dans la famille tuyau de poêle, je demande...)

C'est cela, l'enfer dont il est souvent fait mention dans Daaaaaali ! : un film de Quentin Dupieux qui ne s'arrêterait jamais, pas comme Un jour sans fin mais comme un jour sans pain. La fin de Fumer fait tousser y pensait déjà. Le cinéma permanent de Quentin Duuuuuu (mais les pieux ne viendraient jamais ; pourtant, Ferdinand-Pierrot le disait à sa petite fille : au pieu les p'tits vieux).

On repense une nouvelle fois – comment faire autrement ? – à l'adolescent qui fatigue parents et amis à toujours répéter la même vieille blague sans voir qu'il vieillit, ou plutôt qui agit ainsi afin d'oublier que le temps file et que la mort n'attend pas. On a en tête un génial sketch de Key & Peele où le premier imite Michael Jackson le soir de Halloween et le second qui l'invite à entrer chez lui pour rejoindre la fête n'en peut plus de ses imitations en série. Même informé de la mort de son chanteur, son pasticheur ne peut pas s'éviter de soumettre sa déploration aux exigences impérieuses de l'imitation. Le cinéma de Quentin Dupieux fait idem avec ses idoles en cinéphilie avec lesquels il s'amuse sans en tirer aucune conséquence. Le doigté des références tient du bidule : des sex-toys.

Dans la famille tuyau de poêle, on comptera désormais sur Quentin Dupieux, qui tourne toujours plus de films en tournant toujours plus en rond autour de la fosse de son nombril, le puits sans fond de sa chambre d'adolescence qu'éclaire la coulée bleue WC de la télévision. Si l'humour se désire une tuyère à vacheries, l'horizon bouché l'est par la crème de gruyère labellisée La vache qui rit.

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