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Al Pacino face à l'intelligence artificielle dans Simone
Esthétique

La Grève des scénaristes d'Hollywood : Qu'est-ce que les Lumières du cinéma à l'heure de l'IA ?

18 mars 2024
Il serait temps de prendre conscience de ce qui s'est produit lors de la grève des acteurs comme des scénaristes à Hollywood, cinq mois durant, en 2023. Se défendre contre l'intelligence artificielle ne relevait pas d'un simple intérêt catégoriel, mais civilisationnel : défendre notre part, la liberté de s'inventer d'autres destinées que celles uniformisées, la possibilité de se loger dans des contre-scénarii autrement qu'usinés par l'algorithmie. Une grève qui nous permettrait de reposer la question kantienne à l'heure de l'IA : qu'est-ce que les Lumières sinon la sortie de l'état de minorité dans lequel toutes les politiques d'expertise rendues à l'intelligence artificielle voudrait nous ramener en nous sortant des frères et leur cinéma.
Les dessins des enfants assassinés dans Une des mille collines
Esthétique

« Une des mille collines » de Bernard Bellefroid : Esthétique du cimetière à ciel ouvert

15 mars 2024
Dans Une des mille collines, Bernard Bellefroid continue de filmer les traces de ce qui ne peut plus être représenté. Il réussit à filmer le quotidien absolument ubuesque d'un village où les anciennes victimes et les anciens bourreaux continuent de cohabiter sur le cimetière de leur histoire. En ce sens, Bernard Bellefroid effectue un travail esthétique où il enregistre la manière dont l'espace est découpé et les corps répartis face à ce qui existe encore.
Johnny Marco (Stephen Dorff) et sa fille Cleo (Elle Fanning) dans le divan dans Somewhere
Rayon vert

« Somewhere » de Sofia Coppola : Une oasis au-dessus du désert

11 mars 2024
Somewhere de Sofia Coppola montre comment un apprivoisement a fonctionné et est dépassé. Cleo vient combler l'absence de repères dans la vie de son père Johnny, ainsi que les interstices entre les corps et les silences. Ensemble, ils construisent une oasis sur le désert, en attendant la pyramide.
La prof (Leonie Benesch) crie devant sa classe dans La Salle des profs
Critique

« La Salle des profs » d’Ilker Çatak : La vertu au pilori

8 mars 2024
Rien ne va plus dans le monde merveilleux du libéralisme. Le nid douillet d’un collège allemand, modèle de tolérance culturelle et de bienveillance éducative, est un foyer infectieux. Une banale affaire de vols met le feu aux poudres, le bocal devient cocotte-minute puis baril. La Salle des profs est un modèle de ce qui obscurcit aujourd’hui le cinéma d’auteur quand le surmoi est à la direction de la dénonciation. La petite machine paranoïaque qui fait la peau aux parangons de vertu fait sadiquement la nique à qui croit que la morale vaudrait mieux que le poids des attachements passionnels et la rivalité compétitive des intérêts individuels.
Paul (Timothée Chalamet) et Chani (Zendaya) s'embrassent dans le désert dans Dune : Deuxième partie
Rayon vert

« Dune : Deuxième partie » de Denis Villeneuve : Trois déserts font une pyramide

6 mars 2024
Le premier volet de l'adaptation par Denis Villeneuve de Dune, le chef-d'œuvre de Frank Herbert, était un film d'installation. Sa grandeur n'y était que d'apparats. Le space-opera interstellaire y était fondu dans le marbre d'une monumentalité pleine de componction. L'érection d'intimidantes illustrations considérait de loin un monde posé en allégorie du nôtre, celui d'une impérialité qui n'a pas cédé sur ses propensions religieuses malgré les acquis sophistiqués de la rationalité, et d'une crise de la production qui a pour surface d'inscription les forces climatiques d'un vaste désert, avec son énergie à extraire et ses indigènes à circonvenir. Le second volet crée la surprise en prenant à rebours la déception première. Il gagne en ampleur parce qu'il prend tout le temps nécessaire à filer la tresse complexe des grands récits qui surdéterminent un destin comme autant de voix et d'interpellations contradictoires, pour en compliquer en dernière instance l'avènement, sournoisement assombri. Une voix obscène qui commande et contrôle revient à la fin au blockbuster de Denis Villeneuve lui-même, n'ignorant pas qu'il est souterrainement parlé par elle. Si l'épopée est épicée, c'est en ouvrant les portes de la perception comme le disait William Blake, mais à seule fin d'y plier espace et temps – autrement dit la Terre et tous les flux d'argent qui l'enserrent.
Pharaon de Winter dans le jardin à la fin de L'Humanité
Rayon vert

« L'Humanité » de Bruno Dumont : Politique de la responsabilité

4 mars 2024
Tout commence par un crime chez Bruno Dumont. Mais qui en répondra ? Qui en supportera la charge ? Des illuminés, à propos duquel se déroule la véritable enquête dans L'Humanité, qu'il nous faudra sans doute reprendre sans jamais être certain d'en avoir abouti l'examen.
Freddy couché dans l'herbe dans
Rayon vert

« La Vie de Jésus » de Bruno Dumont : Les bruits qui pleurent

4 mars 2024
Du vrombissement des mobylettes au silence devant le ciel, La vie de Jésus peut s’entendre comme un voyage à travers les bruits du monde. Ses personnages tentent de combler leur vide intérieur par le bruit des moteurs ou par la musique, vaines tentatives de domestiquer la violence en eux. C’est par l’acceptation du silence qu’une possibilité de salut peut survenir.
L'étreinte finale dans "Hadewijch"
Histoires de spectateurs

« Hadewijch » de Bruno Dumont : Ce qui n’advient pas

4 mars 2024
Tout comme le personnage d’Hadewijch, Céline, qui est à la recherche d’une illumination, d’une expression terrestre du divin qui lui permette de comprendre sa propre existence, il aura fallu au spectateur une révélation - ou plutôt une reconnaissance, une familiarité - lors d’une vision récente du film pour lui donner du sens. Reconnaître dans un film un lieu arpenté dans la vie est une de ces trouées permises entre le réel et l'écran, tout comme y voir dans un temps incertain un acteur que l'on sait décédé. C'est une des manifestations du sacré dans le profane que permet le film de Bruno Dumont, quand bien même il deviserait sur l'impossibilité d'une incarnation terrestre de ce fameux sacré, du divin.
Les deux acteurs de Twentynine Palms dans le désert
Rayon vert

« Twentynine Palms » de Bruno Dumont : Construire et s’auto-détruire

4 mars 2024
Dans Twentynine Palms, deux cinémas — contraires et inconciliables — engagent une lutte pour gagner l'émotion du spectateur : d'un côté, la sexualité crue et le sentiment morbide de l’existence propres au naturalisme, de l’autre, les expériences formelles d’un cinéma expérimental. Ce processus bipolaire donne toute sa valeur au troisième film de Bruno Dumont, sa singulière qualité d’articuler et de rendre sensible l’incompatibilité absolue entre une recherche artistique et les oripeaux de ce naturalisme outrancier qui caractérise en partie le cinéma contemporain.
Fabrice Luchini en Dark Vador d'opérette dans "L'Empire"
Interview

« L'Empire » : Interview de Bruno Dumont

23 février 2024
Interviewer Bruno Dumont n'est pas chose aisée. Le rencontrer signifie souvent devoir se départir de la préparation qui aura été faite en amont, tant le cinéaste aime s'agripper à des mots, sans toujours écouter vos questions jusqu'au bout. Il faut donc avancer par à-coups, reposer les questions, ou les poser en plusieurs parties, pour arriver à colmater toutes les brèches, à apporter toutes les réponses. Retranscrire une interview de Bruno Dumont est donc également compliqué, tant cela relève parfois du puzzle, du collage. Le présent entretien, remis au propre, est donc une version expurgée de ces allers et retours complexes. Mais cela rentre finalement en écho avec la forme du nouveau film du réalisateur, L'Empire, dans lequel il tente de simplifier sa vision du bien et du mal, en faisant appel au genre du space opera et au cinéma de divertissement en règle générale. En résulte une version « populaire » de La Vie de Jésus, dont le film est un « préquel » crypté. À travers l'opposition manifeste du bien et du mal et leur fusion finale, Bruno Dumont raconte la genèse de la nature humaine tout en revenant à l'origine de son cinéma.
Juliette Jouan dans la forêt dans L'Envol
Esthétique

« L'Envol » de Pietro Marcello : De prétendus miracles

22 février 2024
Le réalisateur Pietro Marcello propose avec L'Envol un art naïf qui oppose une esthétique de l’affleurement à la dramatisation pachydermique caractéristique d’un pan significatif du cinéma contemporain. Le film témoigne du cheminement artistique vitalisé d’un cinéaste qui a émigré du documentaire vers la fiction pour en remodeler la pâte et créer de film en film une œuvre à l’esthétique aussi personnelle qu’évolutive.
Amal (Lubna Azabal) devant sa classe, avant le drame
Critique

« Amal » de Jawad Rhalib : La tumeur, Gargamel et le Flamand magique

17 février 2024
Brandi par les institutions et les médias comme outil de propagande idéal pour asseoir un discours manichéen sur l'éducation, Amal de Jawad Rhalib emprunte une voie ouverte par des oeuvres telles que Noces ou Animals, mais semble pousser encore plus loin sa démarche volontariste et manipulatrice. En trouvant des stratagèmes d'écriture pour se dédouaner et échapper à des accusations de poujadisme, le film entretient sa médiocrité par l'entremise de ses acteurs en roue libre, de personnages aussi involontairement comiques qu'un méchant de dessin animé grand-guignolesque ou encore un "Flamand magique". Le film parvient tout de même à se tirer une balle dans le pied en comparant l'extrémisme religieux à une tumeur, ne comprenant pas qu'il est lui-même une dégénérescence de la tumeur du cinéma belge francophone, ce cinéma à sujet édifiant.
Laura Paredes dans un champ avec ses lettres dans Trenque Lauquen
Rayon vert

« Trenque Lauquen » de Laura Citarella : Disparition fleurissante

14 février 2024
Tenter d'écrire sur Trenque Lauquen revient à se fondre dans son écosystème à la fois sensible et fantastique, qui doit beaucoup à David Lynch. Laura Citarella revisite aussi bien Twin Peaks que Mulholland Drive à travers un récit d'émancipation qui reste néanmoins solidement ancré dans la terre, jusqu'à raconter l'histoire d'un réenracinement. Le film nous rappelle aussi à toutes nos Laura intérieures, celles que nous avons aimées et laissées partir définitivement.
Lydia (Hafsia Herzi) et son bébé dans Le Ravissement
Rayon vert

« Le Ravissement » d'Iris Kaltenbäck : La vie dérobée

12 février 2024
La folie est « le plus vif de nos dangers, dit Foucault, et notre vérité peut-être la plus proche ». Iris Kaltenbäck, dans Le Ravissement, premier film incroyable d'intelligence cinématographique, en réalise le traitement sensible, raconte l'histoire d'un amour fou, dans un traité du désespoir qui apprendrait à vivre.
Edouard Baer (Dali) à table lors de l'histoire du prêtre dans Daaaaaali !
Critique

« Daaaaaali ! » de Quentin Dupieux : Steak trop cuit

8 février 2024
Multiplier les vestes (de daim) à l'adresse d'un maître d'opérette, l'épouvantail du génie rempli de la bourre de lui-même, c'est demeurer au poste à tuyauter la même blague gigogne, ad nauseam. La circulatoire en circuit fermé, un « circulez, il n'y a rien à voir ». L'humour vachard qui touille la crème de gruyère de l'ego n'a pas d'autre crémerie que La vache qui rit.
Le Majeur en crise

« Ma part de Gaulois » de Malik Chibane : Mon nom est-il Personne ?

8 février 2024
Faire république autrement, depuis la périphérie d'une banlieue, par le truchement du cinéma, en racontant des histoires, est-ce (encore) possible ? Livrer un plaidoyer pour une identité nomade pour tous les déracinés greffés sur une racine qui changerait continuellement au contact du monde extérieur ? Réaliser un film pour décadastrer un pays qui s'enrichirait de tout ce qui l'effleure, inventer une identité-nomade en devenir où chacun aurait sa Part de Gaulois ? Le dernier film de Malik Chibane créolise la République. Il serait temps que chacun y vienne prendre sa part. 
Stefan Gota et Liyo Gong dans la forêt dans Here
Rayon vert

« Here » de Bas Devos : Dans la soupe, une luciole

6 février 2024
Here de Bas Devos nous plonge dans l'immanence de l'ordinaire en offrant une expérience en pointillé de l'état de félicité que l'on peut percevoir à certains moments de notre vie et qui réside dans le présent parfait qui n'a d'autre fin que d'exister.
Le jardin de la maison à coté du camp de la mort de Auschwitz dans The Zone of Interest
Esthétique

« The Zone of Interest » de Jonathan Glazer : La petite maison dans la prairie aux bouleaux

31 janvier 2024
On ne sort du noir qu’après avoir replongé dans son miroir. Alors ce n’est plus Auschwitz-Birkenau que nous regardons par les bords d’un hors-champ saturé de ce que nous en savons, c’est le plus grand complexe concentrationnaire et génocidaire nazi qui nous scrute depuis une profondeur de champ qui a cessé depuis longtemps d’être innocente. La perspective est un viseur et le spectateur en est la cible. L’ordinaire administratif et domestique est un autre cercle de l’enfer qui a fait l’économie des immunités symboliques du déni. Eux savaient, nous savons et notre savoir est en berne. Reste le miel des cendres que The Zone of Interest cultive avec une sophistication à la limite qui interroge avant de convaincre du pire. L’inhumain est dans notre dos comme devant nous. Le sol carrelé d’un monument qui, s’il ne tremble pas souvent, ne tient qu’à dresser un nouveau tombeau pour la modernité et la mémoire désœuvrée des souffrances niées de l’autre côté du mur, ce noir miroir qu’il nous faudra toujours passer, non seulement parce que cela nous concerne, mais encore parce que nous en sommes cernés.
Gene Kelly et Leslie Caron dansent dans Un Américain à Paris
Rayon vert

« Un Américain à Paris » de Vincente Minnelli : Paris, une capitale de rêve pour l'Amérique

29 janvier 2024
Un Américain à Paris représente à la fois l'apogée du classicisme hollywoodien et l'un des chefs-d'œuvre de la comédie musicale, un genre qui aura tout particulièrement imposé le rayonnement du cinéma étasunien à l'époque de l'après-guerre. L'apogée est un feu d'artifices dont le bouquet ne manque toutefois pas d'interroger sur la suavité des fleurs qui le composent, diffusant le parfum enivrant de l'appropriation culturelle. Après tout, Vincente Minnelli est à la manœuvre et son art, qui est immense, a toujours été obsédé par les puissances de séduction et de capture du rêve faisant des rêveurs ses meilleurs pollinisateurs.
Esthétique

« Past Lives » de Celine Song : La mécanique du cœur d'A24

24 janvier 2024
Past LivesNos vies d'avant de Celine Song, voulait à coup sûr être le chef, le grand Indien de quelque chose d'essentiel qui nous travaille, sur le sentiment amoureux, les regrets que nous avons. Mais en permanence Past Lives se tient hors de soi, pour se contester. Il devient alors le complice des puissances qu'il ne cessait prétendument de combattre – la fatalité, le caractère semi-tragique du destin de Nora et Hae Sung, séparés dans l'espace, réunis par le cœur – , quand ses choix formels, prédéterminés par un cahier des charges singuliers, l'ont définitivement labellisé A24, jusqu'à normer, raboter, poncer jusqu'à l'invisible ce qui demandait à surgir instamment : l'amour.
Les cuisiniers dans Menus-plaisirs
Rayon vert

« Menus-Plaisirs – Les Troisgros » de Frederick Wiseman : La dictée du goût

19 janvier 2024
Il en irait d’un implicite, une réclame de prestige contre une image-miroir, celle du cinéma documentaire comme art culinaire. Une pareille économie symbolique donne au contrat synallagmatique la saveur acquise des grandes gastronomies, la cuisine trois étoiles des Troisgros en vis-à-vis de celle de l’un des auteurs de documentaire parmi les mieux établis. La transaction frôle ainsi les quatre heures pour démontrer la réciprocité de ses engagements, et les limites qui lui sont aussi imparties dans les services rendus d’une commensalité indiscutée.
Priscilla Presley dans la limousine d'Elvis dans Priscilla
Critique

« Priscilla » de Sofia Coppola : Biopolitique de la jeune fille en fleur

17 janvier 2024
On pensait la logique capitaliste de réification des individus avoir atteint son point marchand avec Barbie en 2023, dont How To Have Sex de Molly Manning Walker aurait été faussement le pendant débrido-peinturlureur quand il était thatchero-conservateur. C'était compter sans Priscilla, de Sofia Coppola, en ce début 2024, dans un film sur l'emprise, la logique d'effacement de son héroïne par le King, dont la prise Kong aurait été débranchée, en prise directe avec la logique du tout marchand, pour installer depuis et par son ennui profond une guerre de tous les instants contre un machisme ambiant que le film reconduit autrement et plus puissamment.
The Card Counter de Paul Schrader
Esthétique

« Les chambres noires de Paul Schrader » de Jérôme d'Estais : Les bâtisseurs de ruines

14 janvier 2024
Dans son livre, Les chambres noires de Paul Schrader, Jérôme d'Estais a soupesé les chances de tous les personnages schraderiens de ne pas rejoindre le chaos. Leurs efforts pour tracer dans ce vent de l’existence un parcours qui ne serait pas nécessairement exemplaire pour nous faire souvenir de la foudre autant que des plombs. Pour nous dire enfin, dans un geste libre, qu'au plus profond des blessures existentielles des schraderiens, la vie intarissable, sève et sang mêlés, se trouve là par effraction, dans l’attente d’on ne sait quel éblouissement, braise hésitant à reprendre le don du feu, dans une maison d'édition, Marest éditeur, dont la ligne éditoriale, par ses choix, sa singularité, aurait découvert autant qu'elle continuerait d'entretenir le secret.
Daniel Auteuil entouré des médias dans Un Silence
Critique

« Un Silence » de Joachim Lafosse : La mort du loup

11 janvier 2024
Un Silence est le combo, le best-of du pire de Joachim Lafosse : celle d'une grande pathologie et d'un grand pervers narcissique qui, ici, renverse toute la salière dans la soupière. Retour en dyade sur le film.
Rufus dans un jardin avec une cigogne dans Chant d'hiver
Rayon vert

« Chant d'hiver » d'Otar Iosseliani : Rien (ne se perd), rien (ne se crée), tout (se transforme)

9 janvier 2024
Mieux Otar que jamais. Otar Iosseliani est le cinéaste des métamorphoses et des métempsycoses, des affairements et des circulations dont les mobiles sont l'image en mouvement d'un faux mouvement essentiel. Sa ritournelle préférée, c'est de rire des rengaines de l’Histoire, des césures superficielles qui ne rompent en rien avec un fondement d'invariants sédimenté. Le plus grand ennemi d'un poète des cyclicités, travaux, jours et saisons, un grand hédoniste doublé d'un Hésiode de notre temps, aura toujours été d'hypostasier ce qui devient en ne revenant jamais tout à fait au même. Maintenant qu’Otar est parti, les années d’hiver semblent promises à durer plus que de raison, en donnant l’illusion de s’éterniser. Pourtant, comme le clame la vieille chanson géorgienne qui aura inspiré le titre de son ultime film : « C'est l'hiver, ça va mal, les fleurs sont fanées, mais rien ne nous empêchera de chanter ».
Les deux amis au bar dans Les feuilles mortes
Rayon vert

Les Épiphanies : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma 2023

6 janvier 2024
Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2023 : ni hiérarchie, le moins de jugement de goût possible, que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.
Mia (Garance Marillier) marche dans la rue dans Rue des dames
Rayon vert

« Rue des dames » de Hamé Bourokba et Ekoué Labitey : L'économie du coup de pression

24 décembre 2023
L’air de rien, Rue des dames dame le pion à ce qui régente aujourd’hui le grand échiquier du cinéma français. Ce film, pas toujours bien chantourné mais toujours très inspiré, instruit néanmoins ce qui est si peu raconté et documenté, à savoir l’économie grise des petits services rendus, tous ces coups de pouce qui ont pour envers des coups de pression, coups de coude et sales petits coups tordus, et les décompensations qui en représentent le solde de tout compte.
Hirayama (Kōji Yakusho) et sa nièce assis dans le parc dans Perfect days
Rayon vert

« Perfect days » de Wim Wenders : L’inconfort ontologique

23 décembre 2023
Perfect Days repose sur un mouvement en spirale plongeante qui emmène le spectateur dans les eaux troubles du monde affectif d’Hirayama, sous la surface de la béatitude, au contact de l’agitation intérieure d’une sensibilité aux prises avec le monde qui n’a pour seule ambition que d’accéder à l’apaisement.
La famille en promenade dans Still Walking
Rayon vert

« Still Walking » de Hirokazu Kore-eda : Les intermittences de la mort

20 décembre 2023
Nul ne déchiffrera jamais l'abîme de la mort. Mais dans Still Walking, Hirokazu Kore-eda parvient à glisser sa caméra dans la nervure. Pour nous faire vivre à hauteur de l'événement, parce qu' « il faut bien tenter de vivre » (Paul Valéry).
Toute l'équipe des morts en train de filmer un souvenir dans After Life
Histoires de spectateurs

« After Life » de Hirokazu Kore-eda : De la terre à l'infini

20 décembre 2023
Ce texte est une histoire de spectateur, celle d'un homme qui aurait pu devenir un ami, autour d'After Life de Hirokazu Kore-eda, qui était son film préféré. Comme dans une infinité d'autres histoires, un film se déplace dans nos vies pour lui donner du sens et déplier nos secrets.
Les enfants livrés à eux-mêmes dans l'appartement dans Nobody Knows
Rayon vert

« Nobody Knows » de Hirokazu Kore-eda : l’enfance retrouvée

20 décembre 2023
Nobody Knows assemble des scènes attendues en les dépouillant de leurs effets au point d’en faire de véritables non-événements sous-tendant paradoxalement une tragédie pourtant implacable. La douleur et la violence sont douces dans le film de Kore-eda, dont l'horizon est le silence : celui d’Akira et de Saki qui enterrent Yuki sans dire un mot, celui des adultes qui ne voient pas ou feignent de ne pas voir ce qui se déroule sous leurs yeux, mais aussi celui du spectateur sans voix face à tant de beauté et de douleur contenues.
Tous les enfants du film I Wish : Nos vœux secrets
Rayon vert

« I Wish : Nos vœux secrets » de Hirokazu Kore-eda : Rencontre d’un TGV et d’un volcan

20 décembre 2023
Avec I Wish, Kore-eda propose un voyage à vitesse variable. Pour accompagner ses jeunes enfants qui traversent l’île de Kyushu, deux figures tutélaires semblent se détacher : le volcan et le TGV. Le véritable enjeu du voyage, dévoilé secrètement à son terme, se trouverait peut-être ailleurs, dans la rencontre intérieure entre ce qui bouge et ce qui ne bouge pas.
Doona Bae dans "Air Doll" de Hirokazu Kore-eda
Rayon vert

« Air Doll » de Hirokazu Kore-eda : À bout de souffle

20 décembre 2023
Dans Air Doll, un film atypique dans sa filmographie, Hirokazu Kore-eda utilise le personnage de Nozomi, une poupée gonflable dotée d'un coeur, pour exposer une vision du monde mélancolique. Dans ce film qui souffle constamment le chaud et le froid, l'apprentissage de Nozomi sera l'occasion d'exposer l'importance des mots, mais aussi de rendre un hommage au langage du cinéma des premiers temps et de développer un rapport unique à la vie et à la mort, dans une sorte de cycle sans cesse renouvelé.
Shingo et ses parents dans Après la tempête
Rayon vert

« Après la tempête » de Hirokazu Kore-eda : L’avenir se conjugue au présent

20 décembre 2023
Dans Après la tempête, Hirokazu Kore-eda pointe comme source de questionnement majeur la perte de ses deux parents : il veut retranscrire le trouble qui l’a saisi, et les changements profonds opérés dans ce moment de bascule existentiel. En cela, le film semble être une forme de réponse très personnelle du cinéaste à la question du devenir soi pour qui se sent orphelin de tout.
Apolonia Sokol se coupant les cheveux dans Apolonia, Apolonia
Critique

« Apolonia, Apolonia » de Lea Glob : D'entre les morts

18 décembre 2023
Dans Apolonia, Apolonia, Apolonia Sokol et Lea Glob reviennent d'entre les morts. Un lien invisible, un même rapport au corps et un deuil assez semblable à porter vont les unir au fil des treize années durant lesquelles s'étend le film, qui incarne une forme de féminisme fondée sur l'affirmation et non sur le ressentiment.
Le maire (Alexis Manenti) regarde la maquette des constructions dans Bâtiment 5
Critique

« Bâtiment 5 » de Ladj Ly : Politique de l'extrême-centre

6 décembre 2023
Bâtiment 5, de Ladj Ly, exile chacune des forces contestataires qu'il mobilise dans son film face aux autorités publiques qui, toutes, outrepassent pourtant les limites de l’État de droit. Il a finalement un pouvoir d’indifférence, de transmutation soudaine. Paradoxalement, il flatte cette défection des forces subversives. Plus rien n’y ébranle l’œil. Sans retour possible, Bâtiment 5 devient alors à lui-même l'objet de sa défaite : un film homicide.
Tous les acteurs sur la plage dans Et la fête continue !
Rayon vert

« Et la fête continue ! » de Robert Guédiguian : Le chœur des insatiés

4 décembre 2023
Quand tout s'écroule, des exercices d'admiration trament, en parallèle d'une pédagogie située les décombres, la possibilité d'un peuple. Avec de nouvelles topiques qui revigorent les lieux communs, les exercices d'admiration de Robert Guédiguian sont d'adoration dédiée à celles et ceux qui vivent en ne pouvant pas faire autre chose que lutter – le chœur des « insatiés ».
Les deux actrices de Christophe Clavert dans Nuits d'été
Rayon vert

« Les nuits d'été » de Christophe Clavert : Quand les bras vous en tombent

4 décembre 2023
Un être manque au film sur le bord d'être tourné, en parallèle Paris voit fleurir sur ses murs lépreux des clés ouvrant sur d'impénétrables secrets. Les Nuits d'été de Christophe Clavert baguenaude parmi des choses sérieuses, la vertu dans la nécessité et le cinéma qui tâtonne en sachant compter sur l'amitié, voyant pousser fictions et obsessions comme des fruits ou champignons variant dans leur degré de toxicité.
Holly (Cathalina Geeraerts) réconforte la mère d'un enfant mort dans Holly.
Critique

« Holly » de Fien Troch : La marchande du temple

27 novembre 2023
Holly raconte autant une histoire religieuse que la réincarnation d'une marchande du Temple dans un imbroglio métaphysique en toc. Fien Troch veut nous faire croire que Holly possède le Holy Spirit mais ses pouvoirs s'avèreront limités et arbitraires. La sorcière, personnage pourtant riche en potentialités, est évoquée au début du film mais est vite évacuée : elle sent juste mauvais.
Nina Menkes devant l'écran dans "Brainwashed"
Esthétique

« Brainwashed » de Nina Menkes : Réflexions sur le male gaze

12 novembre 2023
Un film qui ne pense qu'en un seul sens et montre la direction, n'est pas un film, mais un ballon qui appartient au vent du tract publicitaire. Brainwashed, de Nina Menkes, sous couvert de pourfendre le « male gaze », ce regard masculin qui dépersonnifierait les femmes, produit un cinéma embué d'horizon rabougri, dont les instruments de la critique finissent par se retourner contre le film.
Barbie et Ken quittent Barbieland dans Barbie.
Esthétique

« Barbie » de Greta Gerwig : Dressé pour tuer

12 novembre 2023
Barbie, de Greta Gerwig, sous couvert de nuances les efface toutes. Seul demeure pour décor son rose absolu, qui néantise l'individu comme toute forme de vie alternative. Il propose une esthétique du lisse, qui est une politique, une esthétique de la marque, une opération de marquage, une entreprise cool de dressage.
Edward Woodward dans sa voiture dans The Appointment
Rayon vert

« The Appointment » de Lindsey C. Vickers : Le désappointement à sa pointe

8 novembre 2023
À l’image, une écolière anglaise sur le chemin du retour. Au son, le descriptif d’un rapport de police, le ton est factuel. La première coupe à travers champs et n’en reviendra pas. Le second spécule sur les hypothèses, laissant toutes les pistes ouvertes. Sandy a disparu dans un trou noir et sa bouche de feuilles et de tourbe insiste, exhalaison au cœur du taillis. C’était il y a trois ans. Trois ans plus tard, une autre apprentie violoniste, Joanne, lui emboîte le pas, à ceci près qu’elle emprunte le même sentier en marchant de l’autre côté de la béance inaugurale. The Appointment est un récit impressionnant de féerie sorcellaire, mais pur de tout pittoresque folklorique. L’envoûtement enveloppe l’irradiant secret, cette crypte qu’enclavent un père et sa fille quand l’heure est au rendez-vous professionnel (appointment) comme aux déceptions filiales (disappointment), ces catastrophes d’autant plus effroyables qu’elles sont inévitables.
L'homme masqué dans Six femmes pour l'assassin
Esthétique

Mario Bava : Les cadavres exquis de la thanatopraxie

5 novembre 2023
Achever le classicisme doit se comprendre littéralement. Tout artiste maniériste mortifie ainsi le grand legs classique afin d'expérimenter de nouvelles puissances inorganiques, dans la mêlée du mort et du vivant. Dans les années 1960, Mario Bava qui tourne alors en moyenne trois films par an montre, grâce à sa grande assurance technique, toute l'étendue de son talent de maître italien de l'horreur, à la fois héritier des anciens qu'il honore en variant les genres et les plaisirs (il tourne également des westerns, des néo-polars et des péplums) et inventeur de formes fixant quelques règles à suivre pour ses disciples à venir. Chez Mario Bava, la décomposition des formes, des choses et même des êtres libère des puissances spectrales, l'informe échappant à la capture et la maîtrise par la conscience, au point où la personnalisation de l'inerte a pour complément la dépersonnalisation des individus. Si l'on dit qu'il est un cinéaste mineur, cela signifie d'abord et avant tout qu'il est un cinéaste, un vrai maniériste qui, logé par l'industrie à l'enseigne des formes mineures et si peu considérées du bis, aura œuvré à leur en faire baver afin de les pousser dans cette zone d'inconfort où les compositions les plus ouvragées ont pour obsession une hantise, celle de la décomposition.
Barbara Hershey dans "Boxcar Bertha"
Rayon vert

« Boxcar Bertha » de Martin Scorsese : Liberté inconditionnelle

1 novembre 2023
Dans ce film de commande qu'est Boxcar Bertha, Martin Scorsese contourne un temps les velléités de violence de son producteur Roger Corman, et offre à ses personnages une trouée narrative en forme de parenthèse de liberté. Une liberté qu'il s'octroie par la même occasion.
Le tueur (Michael Fassbender) assis dans un divan avec son imperméable dans The Killer
Critique

« The Killer » de David Fincher : Le cynisme imperméable de Pop-Eye

30 octobre 2023
The Killer de David Fincher est un revenge movie banal et cynique quand il critique en filigrane le capitalisme tout en glorifiant un tueur qui ne l'est pas moins. Celui-ci, borgne (c'est l'influence de Popeye) et méticuleux (c'est l'influence de James Bond) est imperméable au monde qui l'entoure depuis le creux de son solipsisme et le confort de sa vie luxueuse qu'il cherche à maintenir à tout prix.
Qui de Jade (Louise Leroy) ou Gabriel (Olivier Rabourdin) est "L'autre Laurens" ?
Interview

« L’Autre Laurens » : Interview de Claude Schmitz

29 octobre 2023
Pour entretenir le lien avec Claude Schmitz et son cinéma, nous l'avons rencontré en juillet dernier lors de son passage au BRIFF à Bruxelles. Il nous a parlé de L'Autre Laurens, de la construction narrative complexe de ce film « trans », double enquête sur le genre et quête d'identité sous influences shakespearienne et lynchienne. Mais aussi de ce qu'implique un "changement de braquet" au niveau de la production, et de sa méthode avec les acteurs d'horizons différents, cette "alliance sauvage" qui donne toute sa singularité à son travail.
Leonardo DiCaprio et Lily Gladstone dans Killers of the Flower Moon
Critique

« Killers of the Flower Moon » de Martin Scorsese : Le confessionnal de l'Amérique

24 octobre 2023
Dans un film somme, Killers of the Flower Moon refait le portrait de l'Amérique. Ses nombreux poisons : l'argent, le libéralisme, le marché, le droit, la cupidité des individus, tous les crimes des États-Unis. Une logique de péchés que père Scorsese entend laver par un curieux acte final de contrition, non pas pour nettoyer l'Amérique de son rêve mais l'absoudre pour tout lui pardonner.
Rémi Martin dans Rémi de Bob H.B. El Khayrat et Loïk Poupinaïs
La Chambre Verte

« Rémi » de Bob H.B. El Khayrat et Loïk Poupinaïs : Vivre me tue

23 octobre 2023
À travers le portrait de Rémi Martin, un acteur phare des années 80 disparu peu à peu des écrans, Bob H.B. El Khayrat et Loïk Poupinaïs tentent de sauver un homme de son malheur. Un premier court-métrage en forme d'hommage pour dire ce qu'ils lui doivent. Non pas pour lui rendre les derniers honneurs, mais pour rappeler à chacun notre dette à l'égard de tous les égarés, acteurs de la vie hors champ, où qu'ils soient, que le cinéma à la lourde et belle tâche de transfigurer pour que jamais ils ne soient tout à fait abandonnés.
Une scène de bataille dans Gangs of New York
Esthétique

« Gangs of New York » de Martin Scorsese : La vengeance aux deux visages

17 octobre 2023
Opération au coup de poing américain. Martin Scorsese refait la gueule de l'Amérique dans Gangs of New York. La vengeance y devient fondatrice d'un ordre démocratique nouveau, jamais pour le meilleur, toujours pour le pire. La porte du paradis vouée aux gémonies.
Jonah Hill avec un crinière d'indien dans Le Loup de Wall Street
Rayon vert

« Le Loup de Wall Street » de Martin Scorsese : Sous le plus monstrueux chapiteau du monde

16 octobre 2023
Le Loup de Wall Street évoque singulièrement les spectacles du cinéma primitif projeté jadis sous les chapiteaux des fêtes foraines, quand le cinéma était un art du cirque. Les acteurs explorent les puissances expressives de leur art dans une quête de représentation quasi burlesque et même parfois monstrueuse.
Andrew Garfield emprisonné dans Silence
Esthétique

« Silence » de Martin Scorsese : La renonciation sans le renoncement, fidèlement

16 octobre 2023
Le renoncement est un martyr et sa déposition en est l'allégorie – tous les martyrs de Martin « Marty » Scorsese. La déposition devient allégorie quand « se descendre soi-même », c'est trahir au nom d'une intime fidélité, à savoir renoncer à la religion sans renoncer à la foi, ce petit secret que l'on garde par-devers soi. Le traître est celui qui sait faire la part des choses, entre la renonciation et le renoncement. Quand la religion est toujours bruyante, et hystérique quand elle se fait évangélisation, la foi invite au silence, voilà ce qu'en vérité raconte Silence.
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