Le cinéma de Mike Leigh a la passion des personnages à cran, placidement portraiturés. Chez lui, la placidité du style ne contrevient en rien à l’acidité du trait, qu’elle atténue à sa manière pour en attendrir la pointe dans le polissage de ses durées. Puisqu’à l’écran, les (petites) gens sont à cran, naufragés et rescapés du néolibéralisme entaillés par ce qui socialement les assigne à des places exécrées, toujours prêts à monter d’un cran en se gueulant dessus à défaut de responsables impossibles à trouver, il revient à qui en filme les macérations à mèche lente de savoir les décranter. Deux Sœurs pousse d’un cran l’art du décrantage quand les « dures vérités » lâchées en rafale par l’atrabilaire Pansy à tout son entourage ne sont des éclats de méchanceté qu’à amorcer la décantation de leur jus de colère. Si la colère fait du cœur un moteur à explosion, son entretien abîme aussi le corps et l’esprit de sa porteuse et il appartient à Chantelle, la sœur de Pansy, d’en assurer les involontaires soulagements quand la volonté consiste justement à en vouloir à la terre entière. On est en colère parce qu’on est endeuillé et le deuil commencerait toujours déjà à la naissance en recommençant avec la mort des parents. On naît en colère et endeuillé et Deux Sœurs en approcherait l’intime vérité comme jamais – la colère dont le noyau de hantise est de terreur, l’intolérable vérité de la vie qui est irrémédiable et la culpabilisation d’autant plus infinie qu’elle est sans faute ni expiation.