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Yannick (Raphaël Quenard) se lève pour interrompre la pièce de théâtre dans Yannick
Critique

« Yannick » de Quentin Dupieux : OuBlier Dupieux ?

Des Nouvelles du Front cinématographique
Interrompre une mauvaise pièce, qui n'y a jamais songé ? Interrompre un mauvais film, aussi bien. Quentin Dupieux a été l'ouvre-boîte du flat beat, il se flatte depuis de faire du flat cinéma. Avec Yannick, celui qui se rêve le nouveau Blier du cinéma français en serait à la fois le Jeff Koons (l'art idiot frisant la connerie) et le Monsieur Meuble (meubler c'est le comble du remplissage d'une fosse laissant plus que sceptique). À filer le je-m'en-foutisme ainsi, on va finir par ouBlier Dupieux.

Flatulences du flat cinéma

Interrompre une mauvaise pièce, qui n'y a jamais songé ? Interrompre un mauvais film, aussi bien. Le fantasme est banal dans Yannick mais sa banalité trahit la tyrannie redoutée du spectateur, ce pauvre diable qui se mêle après tout de ce qui le regarde mal et qui, beuglant dans les brancards, exige de remettre droit dans ses bottes une culture ramollie.

Quentin Dupieux a été l'ouvre-boîte du flat beat, il se flatte depuis de faire du flat cinéma. Torchée en six jours chrono, Yannick est une flatulence sur le syndrome de Stockholm, avec le mauvais théâtre qui prend en otage son public et le spectateur qui se rebelle en renversant la vapeur apparentée ici à l'halitose. Caricature de beauf affublé d'une rhétorique implacable, Yannick est un ange exterminateur qui a raison sur tout, les acteurs qui sont des petits-bourgeois rancis par le mépris de classe, et sur le public dont l'apathie le rend disponible à toutes les mesquineries.

Et comme le gars est interprété par Raphaël Quenard avec tout l'abattage nécessaire, on a bien du mal à lui opposer quoi que ce soit. C'est lui qui tient le flingue qui lui sert de sceptre : le droit à la parole est toujours celui du plus fort.

Le seul qui s'en sortirait est l'auteur-metteur en scène, qui brille par son absence, protectrice et rassurante. Pas la peine d'expliciter davantage le fait que Yannick utilise le leurre du méta comme un miroir sans honte ni tain.

Un boulevard de mort

Il faut voir Yannick dans une salle comble, et apprécier l'étroitesse d'un micro-dispositif inclusif : les spectateurs du film dupliquent les ombres du Cocu, cette caricature de boulevard dont Yannick exige la fin. De fait, le boulevard sent la mort (il a la mauvaise haleine de Sébastien Chassagne, comédien qui joue un amant diarrhéique avant de jouer un cadavre dans la pièce de Yannick). On n'est pas loin de penser que les cocus de l'affaire sont les spectateurs du film, requis d'un côté à applaudir à la marrade facile, de l'autre à se demander s'ils n'en sont pas les dindons de la farce.

Yannick (Raphaël Quenard) avec son pistolet en train d'écrire sa pièce de théâtre dans Yannick
© ATELIER DE PRODUCTION & CHI-FOU-MI PRODUCTIONS

Quentin Dupieux hurle à chaque film qu'il veut être le nouveau Blier du cinéma français. Quand, arme au poing, Pio Marmaï vomit sa veulerie en n'épargnant pas le spectateur, considéré du haut de la scène par le biais de la contreplongée, remontent les miasmes du cinéma des années 50 auxquels Blier a donné un second souffle, aidé des alambics de la modernité. Le problème c'est que Dupieux meuble, sa fiction est poussive. 67 minutes ici c'est très très long. Et un découpage si peu inspiré ne peut guère aider à aérer un huis-clos qui sent le renfermé, apparié à l'époque post-crise sanitaire.

Yannick est un boulevard de mort qui refoule du goulot et tout le monde prend cher, à l'exception du refouleur.

Monsieur Meuble

Complètement paumé à l'heure de la contestation des vieilles autorités, Bertrand Blier était au moins un bon narrateur de ses désorientations. Dupieux, lui, s'en contente d'être à la fois d'être le Jeff Koons et le Monsieur Meuble. Meubler c'est remplir (les salles dépeuplées depuis la crise sanitaire), c'est combler (la fosse mais là on reste sceptique). La ductilité d'une demande de reconnaissance tous azimuts, comédiens et spectateurs, auteurs et metteurs en scène, mais aussi (tout est politique, y compris flatuler) les prolos humiliés depuis la crise des Gilets Jaunes comme les petits-bourgeois de la culture, cet antre-soi qui n'intéresse plus guère la Macronie, finit par claquer sur les fesses du ressentiment. Les larmes finales de Yannick n'épurent en rien le règne tyrannique d'un surmoi qui est un mal partagé.

Quentin Dupieux veut être reconnu comme le nouveau Blier. Ce qui semble engagé, à filer le je-m'en-foutisme ainsi, est que l'on va finir par ouBlier Dupieux.

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