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Jean-Luc Godard ouvre son livre dans Exposé du film annonce du film Scénario
Rayon vert

« Exposé du film annonce du film Scénario » et « Scénarios » de Jean-Luc Godard : L’art de la fugue

Des Nouvelles du Front cinématographique
Le scénario, s’il arrive, ne vient qu’à la fin, dans l’imminence du montage récapitulatif des existences que la mort organise. Tout le cinéma de Jean-Luc Godard, qui s’est levé de bonne heure contre la loi du scénario, ces pages noircies qui ont pour généalogie les faux en écriture des comptabilités macabres, en adopte à la fin des fins le mot, qui ne sera jamais le fin mot de l’histoire. C’est le temps compté des dernières scènes, monter encore pour faire mentir la mort, la prendre de vitesse depuis les ralentissements de la vieillesse. Scénario est le mot de la fin pour autant qu’il promet les images d’après la fin ; à nous, spectatrices et spectateurs, de nous en faire à l’aurore le projecteur.

 
 
« Car alors je prendrai une poignée de sable et j’observerai le peu qui me reste dans la main après que par les interstices de mes doigts presque toute la poignée aura filé, j’observerai quelques grains, puis chaque grain, et aucun de ces grains de sable à ce moment ne m’apparaîtra plus une petite chose (…) »

(Francis Ponge, Le Parti pris des choses, « Notes pour un coquillage », 1942)
 
 

La vieille taupe

 

À l'entame d'Exposé du film annonce du film « Scénario » suivi par Scénarios, tout est entamé, le pire est là. Le dernier geste de cinéma, le salut en guise d'adieu pour redire une fois encore bonjour cinéma, l'ultime bégaiement créateur de Jean-Luc Godard s'ouvre sur un très mauvais gag qu'il faut prendre au mot, autrement dit le bâillon coincé au fond de la gorge du pauvre cinéma. Et il n'y a pas plus gênant qu'un gag qui ne fait pas rire. Comme si la télévision, puisque le tout est diffusé en ce moment même sur la chaîne Arte, ne pouvait pas s'empêcher de rater la dignité requise à l'égard de l'homme qui a défendu le cinéma contre la télévision, jusqu'à en faire la critique chez elle, et elle n'aura alors jamais été aussi belle qu'avec lui, à l'époque où le cinéma faisait bande à part de ses propres devoirs. La télévision s'impose donc et l'impôt est confiscatoire, un défilé d'hommages de la TV globale que clôt la parole inconsistante de Laure Adler. À celle qui dit ne pas tout comprendre à Jean-Luc Godard, et c’est pourquoi elle l’aime, on doit opposer le fait qu’on y comprend tout, sans tout pouvoir expliquer. Parce que comprendre veut dire strictement prendre avec, prendre en étant pris-e par ce que l’on prend dans l’indiscernabilité du pâtir et de l’agir. Tout comprendre, c’est tout recevoir, y compris l’obscur et l’incompréhensible en pariant pour l’avenir des éclaircissements aléatoires et intempestifs.

Ce misérable préambule est un sacré saccage et la mise à sac est un cul-de-sac. Commencer par la poubelle n'est toutefois pas sans leçon, Jean-Luc Godard nous en aura instruit, puisque la télé y exacerbe son fondement, le canal rempli de merde. Entre la grand-messe du musée, en l'espèce celui de l'Orangerie, où ces ultimes essais godardiens ont été projetés en novembre 2024 pour quelques rares privilégiés, et la télévision qui en élargit l'audience, certes, mais tout en en gâchant dans les grandes largeurs les prémisses, la porte est très étroite. Il faudra en franchir le seuil avec le courage des petites souris. C'est la petite fenêtre des mains âgées parcourant les pages d'une brochure cartonnée comme on feuillette un folioscope, le liserai de ce que peut encore le cinéma à l'âge des dernières puissances qu'il lui reste, les plus diminuées mais pas les moins grandes. L'épuisé reste un affranchi.

À l’été 2018, deux mois après les honneurs cannois tressés au Le Livre d’image, un nouveau projet s’ébauche dans la multiplication des brochures envoyées durant trois ans à la chaîne Arte. Des feuilles volantes arrachées au journal du temps qui reste, et réunies dans un carnet de notes que leur auteur au soir de sa vie feuillette à Rolle, chez lui, comme un pianiste fait danser les touches noires et blanches de son instrument de musique, avec leurs découpages et gribouillages, leurs collages d’enfance pas sage comme le sont les images. Aussi, la brochure a pour peau des cartons en moleskine : quand on songe, alors, que ce mot a pour origine l’expression « mole skin » qui signifie « peau de taupe » en anglais. Si la vue s’affaiblit, l’animal fouisseur n’en creuse pas moins ses galeries, cette « vieille amie » dont a parlé Karl Marx, et Rosa Luxemburg à sa suite, en citant Hegel qui en avait déjà excavé la métaphore dans Hamlet quand l’esprit n’est en progrès intérieur qu’à s’opposer avec lui-même. Même si les galeries plongent aujourd’hui au centre de la terre, volcans et déserts dans le ventre du vieux cinéaste, sa besace qui constitue son dernier petit bagage d’images pour la route en direction des étoiles.

Le 26 octobre 2021, Jean-Luc Godard présente à Fabrice Aragno et Jean-Paul Battaggia ses derniers travaux brochés. Ce projet plusieurs fois essayé qui devait s’appeler Scénario s’expose dans sa conception, l’annonce du film qui ne viendra pas en redoublant le geste de « Drôles de guerres ». L’annonce nous est faite comme elle a été faite à Marie, c’est l’ultime poignée de mains amies, les images d’avant les images d’après, le reliquaire fragile du dernier poème.

Le scénario, s’il arrive, ne vient qu’à la fin, dans l’imminence du montage récapitulatif des existences que la mort organise. Tout un cinéma, celui de Jean-Luc Godard, qui s’est levé de bonne heure contre la loi du scénario, ces pages noircies qui ont pour généalogie les faux en écriture des comptabilités macabres de la mafia, en adopte à la fin des fins le mot, qui ne sera jamais le fin mot de l’histoire. C’est le temps compté des dernières scènes, monter encore pour faire mentir la mort, la prendre de vitesse depuis les ralentissements de la vieillesse.

Scénario est donc le mot de la fin pour autant qu’il survient en promettant les images d’après la fin ; à nous alors, spectatrices et spectateurs, de nous en faire à l’aurore le projecteur.

Une ouverture et une fermeture encadrent quatre parties. L’ouverture ressuscite un vieux projet remontant aux années 80, De la nature des choses, avec son titre piqué à Lucrèce et l’ombre quasiment évanouie de celui qui devait en être l’acteur, Coluche. Les socialistes s’y opposent aux capitalistes, les femmes aux hommes, les enfants aux adultes, les animaux aux humains et la nature à eux. Une citation de Maurice Merleau-Ponty en est la ponctuation d’énigme quand le propre du visible est d’avoir une doublure d’invisible qu’il rend présent comme absence.

« Fake News » est le premier angle du carré. S’y joue un partage des voix entre la voix humaine et celle de l’État, avec l’actrice Nade Dieu revenant de Notre musique (2004) et l’éditocrate Rachel Kahn. Un ange à deux têtes, les aigles Jean Cocteau et Roberto Rossellini, veille depuis les cieux de la cinéphilie à montrer que le cinéma demeure le contrechamp de la télé. Une deuxième s’appuie sur un roman de Naguib Mahfouz, l’enquête à la Citizen Kane sur le pharaon Akhenaton disparu, le pharaon renégat rappelant qu’avant tout monothéisme, il y en eut un autre, égyptien (l’idée est amorcée dans la troisième partie de Film socialisme). Avec la troisième, le motif de l’idée fixe se divise entre l’histoire et la littérature, Nicéphore Niepce et Hamlet, autrement dit l’héritage des hantises, reconduit dans la naissance de la photographie. La quatrième, enfin, a pour nom « Le réel disparu » en trouvant son appui sur Alain Badiou, pour qui vivre en immortel n’est possible qu’en plaçant sa vie sous le signe fidèle de l’idée.

Quand, soudain, c’est l’accident. Comme le réel est facétieux, l’imprévisible qui enraye la pellicule en bloquant la bobine du film virtuel. Jean-Luc Godard s’est en effet planté dans la collure de ses pages, la citation d’Ivan le terrible arrive trop tôt, il faut du noir sur deux pages. Le cinéaste s’empare alors de ses ciseaux, c’est plus fort que lui : pour séparer, il faut couper.

L’espièglerie du réel est un révélateur puisque ce qui fait rupture, dans l’intervalle séparant Badiou d’Eisenstein, c’est le communisme en tant qu’il tient de l’événement, fidèlement autant que son hypothèse aura été obscurcie, relancée avec les années mao et trahie avec le stalinisme. Pour beaucoup, le communisme est un cap au pire. Les autres garderont au cœur ce mot de Samuel Beckett : « Essayer, rater, essayer encore, rater encore, rater mieux ».

On ne se défilera pas, la fermeture de Scénario y invite en réincarnant le duel racinien de Titus et Bérénice avec Emmanuel Macron et Assa Traoré, le règne froid de l’État et l’idéal de vertu que l’amour exemplifie et qui le contredit (l’héroïne racinienne est pour Jean-Luc Godard ce qu’Antigone est chez Straub-Huillet). Il y a aussi de l’Antigone chez la militante qui combat depuis 2016 et la mort d’Adama, son demi-frère, les violences policières.

Voilà ce qui s’expose, ce qui s’annonce en restant lettre morte. Mais les images sont là, feuilletées et disputées, arrachées et accidentées, un palimpseste d’obsessions (avec Racine, on aura aussi Balzac et Le Député d’Arcis, roman posthume et inachevé, c’est raccord), assemblées par le rhapsode et mises en mouvement par le projecteur mental que nous sommes. Scénario nous revient alors comme l’avenir qu’il nous reste à faire, nous qui ne sommes jamais suffisamment tristes pour faire, selon le mot d’Elias Canetti, que le monde soit meilleur.

 

Les premières lettres, les dernières

 

Voilà, donc, pour le premier Scénario, l’exposé du film-annonce d’un film qui relève moins de la possibilité (antipode au réel) que de la virtualité (son diviseur séparant l’acte de la puissance). Mais il y a un autre scénario – un se divise en deux, toujours – dont le titre au pluriel éclate toute prétention à l’univoque. Conçu par Jean-Luc Godard, Scénarios compte deux fois seize plans, la vidéo finalisée à l’arrachée par sa trinité d’assistants, Nicole Brenez, Fabrice Aragno et Jean-Paul Battaggia. Le dernier plan du dernier film durant 18 minutes est en effet tourné le 12 septembre 2022 chez lui, dans sa chambre, la veille de sa mort par suicide assisté.

Sur le seuil, un homme de 91 ans, né entre le muet et le parlant, tient encore au cinéma, même sur le bout des doigts, Francis Ponge oblige qui est l’un des anges conspirant à la naissance du projet Scénario. Sur le départ qui doublera sa mort biologique, il allume une dernière fusée, ultime lecture, le witz d’une dernière pirouette en rejoignant Van Gogh dans les étoiles, ainsi que le peintre l’écrivait à son frère et que, dans Le Petit Soldat, citait Bruno Forestier.

Jean-Luc Godard s'allume un cigare dans Exposé du film annonce du film Scénario
© Écran noir productions — Arte France — Nekojarashi/Roadstead

ADN/IRM : les premières lettres, les dernières. C’est toujours au fond une affaire de scénario : sur un bord, le code génétique que redouble par imitation le codage numérique ; de l’autre, l’imagerie par résonance magnétique. L’écriture encadre nos vies, nous sommes cerné-e-s par elle. Si l’image qu’elle asservit tient bien de l’imagerie, s’évader invite au parti pris des images passant entre l’écrit comme les barres d’une prison pour le condamné à mort.

Quelles images s’imposent alors à l’homme sur le départ et peut-être, le pied de sa dernière « drôle de guerre », prêt à défier la mort en allant plus vite que sa musique, dans l’idéal rilkéen mais si raréfié d’une mort à soi ? Quelques extraits de ses propres films, Puissance de la parole et Soigne ta droite, Le Mépris et Bande à part, Week-end et Allemagne neuf zéro. Aussi, la caméra d’Orson Welles et un masque du film d’Eisenstein (encore un dernier film et encore une œuvre inachevée), la mort de Pina-Anna Magnani dans Rome ville ouverte de Roberto Rossellini et Haroun Tazieff se promenant au bord du volcan, un extrait de Porcherie de Pier Paolo Pasolini et un tableau bleu en ultime serrure, signée peut-être de Paul Klee. Et puis une lecture redoublée d’une énigme, l’histoire d’un non-cheval retrouvé chez Jean-Paul Sartre qui l’avait trouvé, lui, chez Tchouang-tseu, le penseur chinois du rêve du papillon.

Les deux pans de Scénarios sont les ailes du papillon rêvant de nous autant que nous rêvons de lui. Elles battent du songe de l’homme qui a vécu sa vie comme un rêve. Tout paraît s’y répéter avec, en sus, le bruit régulier des machines qui préparent à partir en prenant de vitesse la génétique. L’air que ce film ventile est plus fort encore en le mettant en rapport avec le projet qui le précède. Alors, entre les images visibles, les autres, invisibles, nous font voyant-e-s.

Alors, on voit la danse de mort de Arthur (Claude Brasseur) qui rejoint celle du danseur du Masque à la fin du premier volet du Plaisir de Max Ophuls et que Jean-Luc Godard citait à la fin du Livre d’image. On y reconnaît le cinéaste qui continue coûte que coûte à faire bande à part, y compris quand la mort lui colle aux basques, les tout derniers films en autant de danses macabres. On voit le communisme qui insiste en une sorte de lamento étiré jusqu’à ne jamais en épuiser le bégaiement comme les ralentis sublimes de Sauve qui peut (la vie), un « Long Goodbye » déchirant, allant des chinoiseries de Sartre au baiser d’adieu entre un marin russe et une violoniste jouant du Bach dans Allemagne neuf zéro et son carton valable pour tous les vivants, les enfants comme les vieillards qui ont l’enfance de vouloir tromper la mort : l’art de la fugue. On y voit double quand le Bérénice de Racine se métamorphose, via Puissance de la parole, en celui de Poe adapté par Eric Rohmer dans l’un de ses premiers courts en 1954. Et même triple si l’on ajoute Louis Aragon, auteur d’Aurélien amoureux d’une autre Bérénice, poète de résistance et de communisme, si présent dans le cinéma de Jean-Luc Godard, en particulier dans Bande à part. Voilà donc un vieillard qui s’arrache du ventre le dernier mécanisme des images, alors que le désert de la mort et des horloges l’environne toujours plus fort, la porcherie d’un monde carambolé et ordurier et, sur sa bordure, marche une dernière fois le poète volcanologue, son sac rempli des événements de sa vie, le cinéma avec la Nouvelle Vague, l’aîné Rohmer et l’ange annonciateur Roberto Rossellini, ainsi que le communisme.

Et puis cette image, la voir qui pourtant ne se montre pas, la sentir monter entre l’évocation d’Odile dans Bande à part et l’accident de voiture de Camille dans Le Mépris. Odile Monod, la mère, est décédée dans un accident de voiture en 1954, Jean-Luc a alors 23 ans, et cette image-là soutient autant l’apocalypse voiturière de Week-end qu’elle rejoint dans son injustice l’assassinat par les nazis de Pina devant son fils dans Rome ville ouverte. L’injustice de la bagnole qui l’a privée de sa « mort à soi » pour citer l’auteur des Cahiers de Malte Laurids Brigge. Dans la famille Monod, il y a Jacques aussi, le scientifique qui a révolutionné la biologie moléculaire. Il est déjà drôle de remarquer comment l’auteur du Hasard et la Nécessité hante les derniers gestes en cinéma de Jean-Luc Godard et Jean-Louis Comolli, son cadet des Cahiers du Cinéma. Mais il est définitivement bouleversant d’entendre ainsi résonner le nom de Monod pour l’homme qui a porté le nom de son père (qui fut médecin) en l’ayant tant exécré, celui du chercheur en génétique et de la mère morte dans un accident de la modernité, cette porcherie.

Un vieux cinéaste est sur le départ et le nom maternel l’appelle du plus profond de la terre. Si toute naissance est un accident, le contre-effectuer en événement est l’affaire d’une vie et celle de Jean-Luc Godard se sera suturée à deux autres événements, le cinéma et le communisme. Les deux ailes du papillon chez Tchouang-tseu se superposent alors, comme en surimpression qui est le contraire d’un fondu enchaîné, avec celles de l’oiseau sans pattes évoqué dans Bande à part, qui vole jusqu’à épuisement et qui ne meurt qu’en se posant.

 

Un cheval de bataille

 

Un autre raccord à distance : puisque Scénario a pour ouverture le poème de Lucrèce et Scénarios a pour fermeture la relecture du fragment de Tchouang-tseu cité par Jean-Paul Sartre, c’est l’image d’Albert Camus qui alors surgit dans l’interstice puisqu’il avait en effet remarqué une étonnante proximité de pensée entre le philosophie romain et son homologue chinois. Dans Notre musique, la phrase fameuse de Camus, « le seul problème philosophique sérieux est le suicide », y résumait le leitmotiv existentiel et romantique de l’œuvre.

Surtout, la citation en question, relue par Jean-Luc Godard sur le lit de l’avant-dernier jour de sa vie, poitrine débraillée comme la liberté, marque deux choses, décisives. En proposant qu’un non-cheval est meilleur qu’un cheval pour montrer que les chevaux ne sont pas des chevaux, la chinoiserie rejoint l’ailleurs et le lointain, le proche et l’ici, autrement dit Héraclite et Alfred Korzybski, en contrariant le principe aristotélicien de non contradiction. Et puis, le cinéaste enfourche une ultime fois son grand cheval de bataille : le contraire, le non.

L’identité est une fiction ; la précède la négation. « Au contraire » résume la vie du plus grand cinéaste antipode, qui a tenu d’une main Hegel et Nietzsche dans l’autre, ce qui est impossible, la contradiction même – ce qui est l’impossible cher à Georges Bataille comme à ce cheval dans Germinal d’Émile Zola qui avait pour nom celui de Bataille. L’écrivain décrit ainsi les derniers jours de Bataille : « Maintenant, l’âge vient, ses yeux de chat se voilent parfois d’une mélancolie. Peut-être Bataille revoit-il vaguement, au fond de ses rêvasseries obscures, le moulin où il est né, près de Marchiennes, un moulin planté sur le bord de la Scarpe, entouré de larges verdures, toujours éventé par le vent. Quelque chose brûle en l’air, une lampe énorme, dont le souvenir exact échappe à sa mémoire de bête. Et il reste la tête liasse, tremblant sur ses vieux pieds, faisant d’inutiles efforts pour se rappeler le soleil ». Ce cheval, il est là, on le voit dans Nouveau Monde (Le monde à nouveau) d’Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz.

L’oncle Jean-Luc ponctue la vie de l’œuvre de toute une vie ainsi : l’univers est un doigt, toute chose est un cheval.

 

Qu’est-ce que cela fait

 

Une pirouette, encore. « OK » dit-il. Le plan s’arrête alors, coupé net. La blague est réelle en étant celle d’un immortel : OK pour « zero killed », et couper l’herbe de la mort sous le pied.

Sur un mur de crépit blanc, avant de passer de Scénario sans S à Scénario avec S, on aura également aperçu les scintillements d’une constellation en guise de visage de toute une vie, Ivan le terrible et Helen Keller, le chien Roxy et les anges de Fra Angelico, Adam et Eve chassés du paradis de Masaccio et la blouse romaine de Magritte, l’Ukraine bombardée et un enfant dessiné à l’encre de Rembrandt. Et puis la dernière phrase du Journal d’un curé de campagne, le film de Robert Bresson et le roman de Georges Bernanos, le viatique que l’on emporte de bon cœur, après avoir bien travaillé : « Qu’est-ce que cela fait, tout est grâce. »

Allez, et à nouveau, un papillon de pensée, phalène pour s’évader, venu de Tchouang-tseu, que l’on entend si fort voler en soulevant les toutes dernières pages, les tout derniers plans. Adieu !
 
« Qu’est-ce que l’ordre cosmique ?
Qu’est-ce que l’ordre humain ?
Demanda le seigneur du fleuve.
Jo, de la mer du Nord, lui répondit :
- Le cheval et le bœuf ont quatre pieds,
Voici l’ordre cosmique.
On passe une bride sur la tête du cheval,
Un anneau dans le museau du bœuf,
Voici l’ordre humain.
»
 
 

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