Logo du Rayon Vert Revue de cinéma en ligne
Jean Cocteau dans Le Testament d’Orphée
Esthétique

« Le Sang d’un poète » et « Le Testament d’Orphée » de Jean Cocteau : Trompe-la-mort

Des Nouvelles du Front cinématographique
Avec Le Sang d’un poète, Jean Cocteau blasonne son premier poème en cinéma. Ses mythes s’y projettent dans la nuit étoilée d’une technique merveilleuse accréditant l’irréel du réalisme photographique. Trente ans plus tard, Le Testament d’Orphée inclut le poète dans son propre cabinet de curiosités, ce dédale dans son cœur qui est une fleur d’hibiscus. Si la mythification échappe à la mystification, c’est avec un esprit d’enfance moquant tout sérieux et l’ésotérisme invitant le cinématographe, cet art résurrectionnel, à rejoindre les Mystères d’Éleusis. L’illusionniste a dans son sac à malice tous les tours et trucs, toutes les astuces et les sentences qui sont des formules magiques, tous les semblants qui ne trompent personne, seulement la mort, tous les artifices pour en déjouer l’arrêt en ayant dès lors valeur de trompe-la-mort. « Faites semblant d’être tristes, ô vous, mes amis, puisque le poète fait semblant de mourir. »

À la croisée des chemins, croisant les doigts du cinéma

En 1930, Jean Cocteau est à la croisée des chemins, comme Œdipe. Le poète de 41 ans est déjà consacré, autant qu’est célébré le mondain qui ne se cache pas de son homosexualité. Comme sa meilleure disposition est de flotter et papillonner, le cinéma titille la curiosité du frivole. Dans son dos, une première avant-garde a déjà frayé pour le cinéma français des possibilités nouvelles, avec les films de Germaine Dulac et Jean Epstein, Abel Gance et René Clair. Face à lui, une seconde lui succède, associée aux mouvements dadaïste et surréaliste face auxquels le dandy tient à garder ses distances. C’est pourtant le vicomte Charles de Nouailles qui lui commande un film d’animation, tandis qu’il propose à Luis Buñuel d’en réaliser un autre, en prises de vue réelles : L’Âge d’or.

Comme il est novice en matière de techniques cinématographiques, Jean Cocteau expérimente en laissant libre cours à son imagination, ces forces occultes ou inconscientes dont le poète est le médium, le passeur en fraude. Il débarque avec sa malle aux trésors, ses dessins, ses moulages, ses mobiles. Il reconnaît toutefois au cinéma d’être une machine prodigieuse, offrant en effet à l’irréel un réalisme mimétique assuré par le caractère ontologique de l’image photographique, exactement comme l’écrira vingt ans plus tard André Bazin. Son génie n’est jamais monumental alors que le cinéma est une industrie si lourde. Au contraire des forces que le génie spectaculaire d’un Abel Gance est capable de déchaîner, le sien est aérien, celui d’un enfant curieux et rieur, fureteur et polygraphe, qui s’amuse de tout, et autant de lui-même, en imprimant sa signature diaphane dans l’expression de ses plus intimes obsessions, la fumerie de ses ritournelles qu’il sait retenir de se cristalliser en rengaines fossiles.

Même si sa contribution au cinéma compte finalement peu de titres, cinq longs et une demi-douzaine de courts tournés sur une période de trente ans, à cheval entre classicisme et modernité, son influence reste immense. D’abord, dans l’importance de ses participations : avec Robert Bresson avec qui il écrit les dialogues de l’adaptation d’un épisode de Jacques le fataliste de Diderot pour Les Dames du bois de Boulogne en 1945 ; avec Jean-Pierre Melville qui adapte son roman Les Enfants terribles en 1949 ; avec Georges Franju pour qui il a écrit la transposition de son roman Thomas l’imposteur, sorti après sa mort deux ans plus tard en 1965 (on ne voudrait pas non plus oublier Roberto Rossellini et son adaptation de la pièce La Voix humaine avec Anna Magnani en 1947 et Jacques Demy avec celle du Bel Indifférent en 1957). Ensuite, dans son rôle d’accompagnateur (et d’influenceur !), avec le ciné-club Objectif 49 qui va promouvoir deux éditions du Festival du film maudit de Biarritz en confortant la cohésion d’une bande de cinéphiles qui allait bientôt grossir les rangs d’une nouvelle revue de cinéma, les Cahiers du Cinéma. Enfin, comme source inépuisable d’inspiration : en France dès la Nouvelle Vague et sa nébuleuse de cinéastes qui lui sont contemporains, d’un côté avec François Truffaut, Jacques Rivette et Jean-Luc Godard, de l’autre avec Georges Franju et Alain Resnais, Agnès Varda et Jacques Demy ; mais aussi aux États-Unis, avec les cinéastes issus ou restés dans l’underground, de Kenneth Anger à David Lynch. Et puis, deux décennies avant Fireworks (1947) de Kenneth Anger et Un chant d’amour (1950) de Jean Genet, Jean Cocteau ouvre les premières pièces de son cabinet de curiosités en révélant par une sorte de grand tour de magie avec le temps linéaire qu’ils auront toujours déjà été des sorties du placard de l’homosexualité.

À la croisée des chemins, donc, Jean Cocteau croise les doigts – du cinéma. Sur un versant, il s’impose en héritier du merveilleux bricolé de Georges Méliès. Sur un autre, le poète aura d’instinct saisi que le cinéma produit du document en autorisant ainsi tous les documentaires de l’inconscient au travail de la création poétique, cette transe, cette fièvre, cette ivresse. La dialectique du réel et de l’irréel, les films de Jean Cocteau le montrent avant sa théorisation par Edgar Morin dans Le cinéma ou l’homme imaginaire en 1956. Le génie du dandy est médiumnique et le messager est un médiateur évanouissant, l’Hermès dans la fumée de ses blasons hermétiques. Comme le chat du Sheshire dans son sourire.

Le Sang d’un poète : Les petits trous d’un cabinet de curiosités

Le Sang d’un poète, ce sont ses images qui flottent en suspension entre les mondes, les ailes de l’ange dont les plumes le soulèvent de lui-même en aérant tout le cinéma. Sa pratique du cinéma y est une allégeance à la légèreté et sa grande image, sa colonne vertébrale, est le plan documentaire de la démolition d’une cheminée d’usine. Entre son effondrement amorcé et sa chute finale, se tient tout un film qui n’a pas d’autre désir que d’arracher à l’entropie du monde industriel des images de rêve et celles-ci ont pour envers d’être les images de souhait capables de conjurer les catastrophes en cours.

Le monde de Jean Cocteau se présente ainsi comme un cabinet de curiosités. Le musée des mythes du poète qui se chamaille avec leur propension à être des vanités marquées de duplicité, les preuves de la mort au travail et les fétiches consacrant l’immortalité de l’ange de passage sur terre, annonciateur et intercesseur. Si les cabinets de curiosités ont connu leur grand moment historique à l’époque classique, Le Sang d’un poète s’ouvre avec un peintre en perruque du 18ème siècle et c’est bien logique. Son combat avec le dessin est celui de l’ange avec Jacob et la lutte a pour fantastique résultante une main effaçant une bouche avant de la retrouver dans sa paume. La séance d’auto-érotisme qui s’ensuit rappelle alors à Narcisse qu’il ne représente rien d’autre que lui-même, mais comme énigme et blason à déchiffrer, l’alchimiste des rapports mystérieux de l’art et de la libido. Les signes forment une série dont l’or dynamise le plomb de leur poids en symbolique, blessure, étoile et bouche, tous les orifices qui appellent à leur tourner autour en les ceignant d’artifices. Cosmos et cosmétique, paupières closes et maquillées, les yeux grands ouverts même quand ils sont fermés.

Quatre chambres d’hôtel abritent ensuite quatre visions, un quadriptyque seulement accessible pour le poète invité à traverser le bain d’argent d’un miroir (John Carpenter s’en souviendra au moment de Prince des Ténèbres en 1987), et dont les secrets sont seulement discernables par le petit trou de la serrure. Jean Cocteau s’amuse avec l’alambic de ses obsessions qu’embouche la hantise de la mort : un Mexicain fusillé à la manière des tableaux de Goya et Manet mais qui revient à la vie ; l’ombre chinoise d’une pipe d’opium ; une enfant angélique qui s’envole en s’émancipant du fouet de sa maîtresse ; une causeuse hermaphrodite. Le poète est un trompe-la-mort autant qu’un être intermédiaire, entre vie et trépas, entre les âges comme entre les sexes. La poésie est une drogue qui fait tourner la tête, exactement comme celle du mobile construit par Jean Cocteau à son effigie à l’aide de cure-pipes : intérieur et extérieur y sont indiscernables, autant que la gauche et la droite.

Une phrase-emblème : « Les miroirs feraient bien de réfléchir davantage avant de renvoyer leurs images ». Le narcissisme du Narcisse ne tient alors qu’à en organiser la traversée pour tout renverser et pas moins inverser, le décor de l’hôtel mis à plat (comme dans le premier Freddy de Wes Craven en 1984 et La Mouche de David Cronenberg en 1986) et l’image passée à l’envers (David Lynch, bien sûr), le mort qui redevient vivant et l’androgyne effaçant la différence des sexes comme le sourire du tableau. Ce narcissisme-là, qui en a bel et bien fini avec le principe de non-contradiction en remontant d’Aristote aux Mystères d’Éleusis, est la négation désinvolte des autofictions à venir.

Une autre phrase-emblème : « À force de casser les statues, on finit par en devenir une soi-même ». L’esprit d’enfance et de malice affronte un autre démon, celui de la gloire dans la statufication. Si l’iconoclastie prépare aux récupérations, ce prophétisme aura été maintes fois vérifié et Jean Cocteau en joue en désirant toutefois rester le gamin trublion de son institutionnalisation programmée.

La statue conduit à une scène d’enfance mythique, reprise du roman Les Enfants terribles (1929) et que l’on retrouvera au cinéma dans son adaptation vingt ans plus tard par Jean-Pierre Melville : la bataille de boules de neiges entre élèves. L’innocence prend chère dans les plumes, dévoilant les rituels cruels d’une contre-société secrète. Dargelos, le prince noir y rayonne de sa puissance sombre et sensuelle. Les boules sont pour lui des balles dans le cœur, des flèches mortelles de Cupidon qui est après tout l’enfant de Mars et de Vénus. Trois ans plus tard, Jean Vigo témoignera avec Zéro de conduite (1933) d’autres cérémonies secrètes, coincées dans les flancs de l’institution scolaire et pratiquées par les élèves qui en sont les apprentis-sorciers. Le cœur de l’enfant foudroyé que Jean Cocteau n’oubliera jamais avoir un jour été devient l’as de cœur du paquet de cartes, le va-tout érotique sans lequel tout joueur est perdu dans la partie de poker menteur engagée devant tout public.

L’ange foudroyé est le cœur blessé du poète et de son sang, s’écoule le fantasme d’un foudroiement originaire : la blessure érotique au principe de ses étoiles et de ses ailes, ses sentences qui sont des formules magiques et ses emblèmes, ses images et les merveilles qu’il n’a jamais cessé de blasonner.

Enrique Riveros derrière une statue dans Le Sang d’un poète de Jean Cocteau
© Splendor Films

La causeuse hermaphrodite finale, avec son canapé digne de Madame Récamier, sa roue optique qui fait de l’œil au Marcel Duchamp d’Anemic Cinema (1926) et son avertissement entre ses cuisses (« Danger de mort »), clôt la galerie des glaces : le sexe est le trou noir par quoi vie et mort coïncident. De ce trou-là saillissent toutefois les images résistant à cette coïncidence fatale, les bricolages riant des paradoxes de notre finitude immortelle, les raccords, machins et machines qui sont le montage d’organes hétéroclites offrant au corps mortel du poète les prothèses ailées de son immortalité.

Avec le trou, enfin, la serrure montre qu’elle importe infiniment plus que sa clef, huit décennies avant que Jean-Luc Godard n’en formule expressément l’idée. La serrure est alors la clef des champs de l’interprétation qui s’en voudrait le passe-partout, en lui préférant un problème plus général à explorer, celui du sens à expérimenter qui est la blessure même par laquelle s’en écoule le sang du poète.

La cheminée d’usine finalement s’effondre mais les images sont passées – en fraude. Truquer en cinéma, c’est ne jamais tricher avec le spectateur mais, au contraire, l’embarquer dans tous les tours illusoires à berner la mort qui s’ingénie à croire dans sa ponctualité et sa rigueur. Quand la mort viendra, à l’enseigne de Thomas l’imposteur, il suffira de la tromper à faire alors seulement semblant.

Le Testament d’Orphée : Dernière catabase, le capharnaüm contre tout cafard

À revoir Le Testament d’Orphée, on se réjouit toujours d’un bonheur incompressible. Foudroyé par le javelot de Pallas Athéna comme l’élève par la boule de feu et de neige lancé par Cupidon Dargelos, Jean Cocteau s’effondre en lâchant ce mot fameux, celui d’un orgasme extrême, jouissance exquise : « Quelle horreur, quelle horreur ». Surtout, le plus fou revient à ce son strident d’avion à réaction qui aurait été réellement enregistré lors du tournage de la séquence. Le plus beau des tours et trucs appartient au réel, ce magicien sans contour ni figure dont les dons sont des enchantements pour qui les reçoit en feignant, selon la formule consacrée, d’en être l’organisateur. D’autres stridences tatoueront la peau de cinéma d’un poète venu du Liban, cet autre Narcisse qu’est Ghassan Salhab.

Mais il y a une autre coïncidence, jamais perçue jusqu’alors, et tout à fait étonnante, qui prouve une nouvelle fois que le poète est autant le porteur d’un feu divinatoire qu’il est l’ange accompagnateur pour les artistes qui, en venant après lui, ignoraient peut-être que ce dernier s’était mis de leur côté.

En effet, Le Testament d’Orphée se présente comme l’ultime tour du capharnaüm cher à Jean Cocteau, ce dédale souterrain qui est un ventre peuplé de ses mythes et fétiches, et il aurait pour l’occasion décidé de prendre au mot ce terme d’origine hébreu signifiant le village de compassion ou de consolation. Pour se consoler en effet d’une mort qu’il sait imminente (Jean Cocteau décédera trois ans plus tard), et pour en déjouer l’angoisse pathétique par un esprit d’enfance et de malice qui voudrait en conjurer le sérieux, le cinéaste convoque ses amis, Pablo Picasso et Françoise Sagan, Jean-Pierre Léaud et Charles Aznavour, Lucia Bosè et Jean Marais, Yul Brynner et Édouard Dermit, Daniel Gélin et Alice Sapritch, Maria Casarès et François Périer, ainsi que ses héros tutélaires, Œdipe et l’ange Heurtebise, Hermès et Narcisse, Janus et Orphée. Le capharnaüm contre tout cafard, ses doubles et ses trouvailles, ses gags et ses chimères hybrides comme le Centaure, et la catabase pour creuser plus loin dans le temps contre sa catastrophe en lui opposant son labyrinthe circulaire. Et voilà qu’un raccord à distance soudain éblouit, d’un côté avec Cégeste de retour d’Orphée (1950) et, de l’autre, Antigone accompagnant son père Œdipe aux yeux crevés. En effet, en cherchant le lieu qui abritera le tournage de Moïse et Aaron (1975), Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ont découvert l’existence d’un théâtre grec en Sicile qui accueillera leur adaptation d’Antigone (1991). Et ce théâtre est précisément celui de Ségeste ! Là encore, feignons de croire que tout ceci ne serait l’œuvre que du hasard en imaginant Jean Cocteau à la manœuvre, quelque part dans le ciel à jouer la bonne étoile.

Redoublons de malice puisque le poète nous y invite : on pourrait retourner en effet le jeu de cartes des semblants contre leur maître virtuose en feignant d’apprécier le film testamentaire qu’il aurait fait semblant de réaliser mais ce serait là une injustice. L’esprit d’enfance et de malice souffle toujours en balayant la poussière des réserves et les éléments reconnus sont l’occasion de revisites facétieuses qui chassent du champ tout esprit de sérieux. Les jeux avec la mort et le temps sont employés à seule fin de les déjouer, dans le savoir des puissances résurrectionnelles du cinéma. La culture grecque antique se mue en panthéon personnel pour le poète qui désirerait une fois encore ébrécher la statue dans laquelle sa dépouille mortuaire risque de finir. À la croisée du cinéma et de l’antiquité, l’ultime exercice de « phénixologie » prolonge dans la modernité les lueurs fossiles des Mystères Éleusis.

L’ange intercesseur, cette créature intermédiaire, retourne alors dans la « zone », l’aire intervallaire par excellence, contemporaine alors de l’« interzone » du Festin nu (1959) de William S. Burroughs et bien avant celle d’Andreï Tarkovski. Dans celle-ci, Eurydice y meurt moins qu’Orphée mais c’est en trompe-la-mort. Il y retrouve ainsi ses mythes qui sont ses amis, et ses amis qui sont des mythes, déjà établis avec Pablo Picasso ou en devenir pour Jean-Pierre Léaud. Il y leurre les conventions hégémoniques du naturalisme avec la légèreté des ralentis qui font léviter et la grâce surnaturelle des images passées à l’envers qui redonne son intégrité formelle à la fleur immortelle, l’hibiscus qui est son cœur éternellement saignant, seule pointe de rouge dans un film en noir et blanc (elle revient du film court offert en 1952 à la Villa Santo Sospir, située à Saint-Jean-Cap-Ferrat et ornée de ses fresques). Il s’amuse aussi de ses clichés en remettant sur ses pieds l’allégorie du duo de policiers à moto en anges de la mort revenus d’Orphée puisqu’ici, les motards ne sont que ce qu’il sont, même joués par des acteurs, en demandant un autographe au poète qu’ils ont reconnu et à qui ils ont demandé sa carte d’identité. Mais le poète s’est évanoui car ses seuls papiers sont des pétales de feu et de vent.

Jean Cocteau est un être aérien, frère d’Ariel. Son génie est d’être spirituel. Il souffle où il veut en laissant sa signature dans l’air, sa voix qui enjoue ses envolées lyriques, ses jeux de mots qui les prennent à la lettre, ses sentences qui ne sont définitives qu’à miroiter à l’infini en brisant la glace des dichotomies abstraites et catégoriques. Son testament est une ultime descente dans le souterrain, une dernière catabase avant la catastrophe qui se prépare mais c’est, à la fin, pour rejoindre le peuple des gitans et des enfants, la multitude éparse des vagabonds et nomades comme les images sont mobiles, et ainsi rétives à toute appropriation (le jugement et l’identification sont des voltigeurs de la police conduisant au tribunal de la signification, qui est celui de la Mort elle-même). Le narcissisme est un ésotérisme, moins un strip-tease qu’un hermétisme, toutes les parades d’Hermès pour montrer qu’il ne montre pas ce qu’il est en ne l’étant pas. Mieux qu’une tête mobile et tournoyante à l’effigie de son auteur : une bulle de fumée qui, si une pointe la crève, ne cesse pas d’en exhaler les mystères.

L’ange est aveugle en obéissant à des forces cosmiques plus grandes que lui, qui lui commandent de voyager dans le temps en voyant ce que les chronologies rendent inaccessibles. Il est un voyant, un affranchi mais il a besoin de truquer aussi. Et, à force de jouer aux semblants, dédale souterrain et palais des glaces, autrement dit ce qui relie son cerveau à son ventre, l’ange n’est pas loin de nous faire croire, la main sur le cœur, que la Mort n’est qu’un mauvais tour – à passer, à tout le moins.

L’illusionniste a dans son sac à malice tous les tours et trucs, toutes les astuces et les machines, toutes les sentences qui sont des formules magiques, tous les semblants qui ne trompent personne, seulement la mort, tous les artifices pour en déjouer l’arrêt en ayant dès lors valeur de trompe-la-mort. « Faites semblant d’être tristes, ô vous, mes amis, puisque le poète fait semblant de mourir. »