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Sally Hawkins et Ollie (Jonah Wren Phillips) se regardent à travers la vitre dans Bring Her Back
Critique

« Bring Her Back » de Danny et Michael Philippou : Hantologie du refoulement

Guillaume Richard
Au-delà de son symbolisme appuyé et sa critique réchauffée du familialisme, Bring Her Back de Danny et Michael Philippou porte une hantologie du refoulement. Le refoulement généralisé à l’œuvre, qui se traduit notamment dans la circulation du motif liquide, forme un bouchon entraînant une saturation lourdingue qui déborde dans ses expressions monstrueuses, avant d'être vidée comme on tire la chasse après une douche dorée.

« Substitution - Bring Her Back », un film de Danny et Michael Philippou (2025)

La hantise est la grande question esthétique que pose le cinéma d'horreur et elle justifie à elle seule la découverte des films qui arrivent sur nos écrans, qu'ils soient hollywoodiens ou produits par un studio indépendant, projets originaux ou énièmes reboots, éclats inattendus ou franchises usées jusqu'à l'os. Cette question reste en effet la même, peu importe les moyens, et se pose de différentes façons. Comment l'horreur représentée chaque fois singulièrement par les films hante-t-elle le monde et les personnages ? Quels affects révèle-t-elle à son contact ? Comment déploie-t-elle sa force dans l'espace et le temps ? Quel rapport au hors-champ et au hors-cadre construit-elle ? Et si les personnages se transforment en spectres, comment et pourquoi hantent-ils le monde ? Bring Her Back, le deuxième film des frères Philippou après Talk to Me, va commencer par explorer une forme de hantise épuisée par ses redondances lourdingues : celle de la dégénérescence du familialisme dont on découvre l'envers morbide. Ce film-là a déjà été vu et revu, l'idée étant de montrer la noirceur dissimulée derrière les apparences et de mettre en images la violence de ses mécanismes inconscients. Cela s'applique aussi bien à la folie maternelle de Laura (Sally Hawkins, toujours limite dans le cabotinage) qu'à l'histoire de Piper et Andy dont l'enfance a été bouleversée par la violence paternelle. Papa et Maman font encore de gros dégâts à travers une violence lourdement archétypale et schématique dont Danny et Michael Philippou racontent une énième décomposition avec ses excès et ses traumas. Pourtant, Bring Her Back fonctionne, une fois qu'on s'intéresse à ce qui se joue en dehors de son symbolisme épuisé et son récit péniblement structuré autour de la manipulation psychique, notamment grâce à la présence du petit Oliver (Jonah Wren Phillips, terrifiant), un enfant retenu prisonnier par Laura dans le cadre d'un rite satanique. Sa présence hante le film d'un écho invisible parfois difficile à identifier, à la fois réincarnation manquée de la fille de Laura, corps-réceptacle temporaire et véritable démon incontrôlable dont la transsubstantiation a mal tourné.

Plus que Piper et Andy, et de par la position qu'il occupe durant tout le film, Olivier apparaît comme le rejeton que le modèle familialiste décomposé par Bring Her Back ne veut pas voir. Son existence est niée (on apprend pourquoi à la fin du film avec un rebondissement dispensable), il est la plupart du temps enfermé dans la maison par Laura et il erre comme un spectre dans la propriété, sans but précis et sans la moindre lumière dans les yeux. Danny et Michael Philippou appuient cette symbolique dans la topographie du film en le montrant plusieurs fois au milieu de la piscine vide ou derrière une vitre. Cette existence réduite à celle d'un mort-vivant fascine en traduisant la folie d'une mère qui est prête à tout pour faire revenir sa fille. C'est ce processus de destruction, présent également chez le père d'Andy qui le battait puis chez le garçon lui-même quand il a frappé Piper enfant (là aussi, le schématisme laisse songeur), qui donne à voir le retour du réel et/ou de l'inconscient dans un mode d'être idéalisé qui ne peut de toute façon aucunement leur échapper, à jamais, depuis toujours et jusqu'au dernier des hommes — peu importe les moyens mobilisés, sataniques ou non. Tout cela est bien connu, mais Bring Her Back trouve quand même dans le corps sacrifié d'Oliver une incarnation extrême et, dans une certaine mesure, dans ceux d'Andy et Piper. La folie de Laura s'impose ainsi comme une version dégénérescente du familialisme si on le poussait plus loin dans ses excès et si on regardait tout ce qu'il refoulait dans l'ombre.

Oliver (Jonah Wren Phillips) dans la piscine avec le chat dans Bring Her Back
© Causeway Films - RackaRacka - Sony Pictures

La forme de hantise déployée par Bring Her Back tient du refoulement. Le film ne cesse de mobiliser tout ce que les personnages refoulent et tout ce qui déborde des suites de ce mécanisme qu'ils ne peuvent pas contrôler. C'est souvent excessif, à nouveau, parfois ridicule à cause de son symbolisme mais aussi étonnamment beau et tragique dans le cas d'Oliver qui est contraint de perdre à l'avance le combat qu'il mène avec le démon qui possède son corps-réceptacle. Andy est lui hanté par la violence de son père et par la découverte de son cadavre dans la douche. L'eau occupe une place essentielle dans le film. Toute l'hantologie du refoulement de Bring Her Back fait en effet circuler ce motif à travers la pluie, la baignoire, la piscine, la noyade ou encore l'écoulement de la douche où le père est retrouvé mort, sans oublier une autre douche, dorée cette fois-ci, qui recouvre à deux reprises le pantalon d'Andy. Le refoulement généralisé à l’œuvre dans Bring Her Back forme un bouchon qui entraîne une saturation lourdingue et grand-guignolesque qui déborde dans ses expressions monstrueuses. La piscine, vide au début du film, finit par être remplie par la pluie. Elle accueillera l'ultime rite satanique censé faire revenir à la vie la fille de Laura. Dans un sursaut d'humanité inattendu, elle ne parvient pas à noyer Piper et, si la piscine ne se vide pas, le bouchon a au moins sauté dans sa tête. Elle semble accepter la perte de sa fille et, dans un ultime plan saisissant, après avoir sorti son corps du congélateur, elle l'accompagne définitivement, au milieu de la piscine, vers le monde des morts, avant d'être retrouvée par la police. Danny et Michael Philippou ne veulent ainsi juger personne et c'est tout à leur honneur. Ils opposent deux formes de familialisme qui dégénèrent et si Bring Her Back se termine sur un Happy end, il est au final tout relatif aussi bien pour Piper que pour Oliver qui retrouve sa condition humaine, mais dans quel état ? Tous les deux devront maintenant affronter d'autres démons et lutter contre d'autres hantises.

Bring Her Back réécrit Psychose d'Alfred Hitchcock, qui est son influence principale, de manière comique bien que cela semble plutôt involontaire. La célèbre séquence de la douche est transposée non seulement à Andy, mais surtout à la psychologie monstrueuse de Laura. À la fin du film, le bouchon saute et l'eau s'écoule aussi fluidement que sous le corps de Janet Leigh. Certes, la piscine ne se vide pas, mais les malédictions prennent fin et Laura sort le cadavre du placard. Celle-ci n'est pas si différente de Norman Bates avec qui elle partage une même aventure menée sur des terrains morbides. Mais la comparaison s'arrête là, le personnage de Bates étant bien plus complexe que cette mère affichant les symptômes du débordement d'un violent refoulement. On peut rire en pensant à la double douche dorée que se ramasse Andy, et de voir en Bring Her Back non pas tant une relecture faiblarde de Psychose qu'une version totalement régressive où, au fond, il n'y a qu'à tirer la chasse pour que tout s'écoule proprement.

Bring Her Back porte donc une hantologie du refoulement là où It Comes At Night de Trey Edward Shults développe une hantologie de la frontalité. David Robert Mitchell réfléchissait quant à lui à la manière dont la hantise apparaissait dans la profondeur de champ dans It Follows et dans la vie intime d'ados vivant leur dernier été avant l'entrée à l'université dans The Myth of the American Sleepover. Citons encore les deux films de la franchise Smile où le processus de hantise du corps de l'autre se fait à partir d'un hors-champ indéterminé, ou le génial Presence de Steven Soderbergh, qui réinvente le film de maison hantée à partir d'une prophétie où un fantôme avertirait une famille du drame à venir (cette lecture est tout à fait discutable). Bring Her Back présente des similitudes avec un autre film d'horreur A24, Men d'Alex Garland, aussi bien dans ses thématiques (la violence masculine) que dans son travail sur le symbolisme et les métaphores souvent lourdingues. Si une forme d'académisme apparaît ici, c'est qu'elle traduit une manière de faire du cinéma d'horreur pour une nouvelle génération de réalisateurs ayant grandi avec Internet et les nouvelles technologies. Nés en 1992, Danny et Michael Philippou sont d'abord connus sur Youtube en tant que vidéastes sous le nom de RackaRacka. Ils s’inscrivent dans la lignée de cette horreur graphique hyper référencée et métadiégétique qui cherchent à inventer de nouvelles formes de hantise à partir d'une recherche esthétique « d'atmosphère » qui joue avec les signes, les symboles et les métaphores. A24 en est devenue l'écurie, composée à la fois de poulains boiteux qui ne cassent pas trois dents à un démon (Alex Garland, Robert Eggers, David Lowery, et des films oubliables comme I Saw the TV Glow ou Lamb) et de potentiels mustangs (David Robert Mitchell, Ari Aster et Ti West). Danny et Michael Philippou, qui sont bien sûr très jeunes, font encore leurs armes mais tout indique qu'ils pourraient s'émanciper de la première catégorie. Le petit Oliver leur a en tout cas tracé un chemin en se cassant justement les dents.


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