Humanité restante, penser l’événement avec la série « The Leftovers »
Rencontre avec Saad Chakali et Alexia Roux à propos de leur ouvrage « Humanité restante, Penser l'événement avec The Leftovers » paru chez L'Harmattan en septembre 2018.
« The Leftovers » et « Humanité restante » : Rencontre avec Saad Chakali et Alexia Roux
Paru le 21 septembre 2018, « Humanité restante, Penser l’événement avec la série The Leftovers »(1), est le premier ouvrage en langue française consacré à la série de Tom Perrotta et Damon Lindelof. Saad Chakali et Alexia Roux, agencement collectif d’énonciation connu sous le nom de Des Nouvelles du Front cinématographique(2), en sont les auteurs. Sur près de 300 pages, main dans la main avec les personnages qui, de Mapleton à Melbourne en passant par Jarden, tentent de reconstruire une vie après la disparition de 2 % de la population mondiale, ils racontent avec une minutie extrême ce qui se pense depuis la trouée de l’événement. Le nombre d'échos et de rebonds provoqués par la série et captés dans Humanité restante est vertigineux : nous y croisons tant les « parallaxes » de Zizek relisant Lacan, la Logique du Sens de Deleuze, l'« immonde » d'Hannah Arendt que la Lettre de Paul aux Corinthiens, « La Chanson du voyageur Aengus » de Yeats, ou La Divine Comédie de Dante. Surtout, et c’est là que Saad Chakali et Alexia Roux nous offrent une respiration bienvenue en ces temps catastrophiques (celui de la série autant que le nôtre) qui voient naître foule de prophètes et de dogmatiques, il s’agit de mobiliser ce corpus rigoureux tout en n’écrivant jamais la sentence définitive qui prétendrait en épuiser le sens : accompagner et raconter toutes les histoires sans jamais dire l'Histoire-Toute, en suspendant même la possibilité de la dire, notamment par la répétition des écarts parallactiques. Car c’est l’un des enseignements de The Leftovers, entendu et restitué avec brio par les auteurs : que l’événement s’impose comme une réserve de sens intarissable, une « restance » disait Jacques Derrida, au cœur de cette humanité restante. Ce, et ceux, qui restent en appellent à des conteurs qui sont plus des amoureux que des herméneutes, à une pratique qui se définisse plus par le tact que par l’interprétation, pour des histoires qui se font et défont comme une danse par-dessus la trouée opérée par l’événement plus qu’elles ne touchent le fond et bouchent les trous. Amor fati.
Avec cette générosité qui transparaît à la lecture des pages d’Humanité restante ou de leurs nombreux articles disséminés sur le papier (Vertigo, Images Documentaires, 24 Images, Mondes du Cinéma, Trafic) ou la toile (Des Nouvelles du Front cinématographique, Libertaires 93, Le Rayon Vert), Saad Chakali et Alexia Roux ont accepté de reprendre le fil de The Leftovers avec nous. Il y sera question de la trouée de l’événement et des modes narratifs, du tact de l’amoureux et de l’éthique soustractive, de la modernité de la série, de l’exposition et de la vulnérabilité des personnages, de l’histoire et de la politique. Et comme il n'y aurait de percept, d'affect ou de concept sans les intercesseurs par lesquels ils passent, l'événement ouvert par The Leftovers se fraiera un chemin entre les voix et les noms de Walter Benjamin, Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Jacques Lacan, Friedrich Nietzsche, Jean Cocteau, Alain Badiou, Giorgio Agamben, Jean-Luc Godard, David Lynch et, bien sûr, Damon Lindelof, Tom Perrotta, Saad Chakali et Alexia Roux.
- L'événement de la disparition
- Le tact et l'éthique soustractive
- Une œuvre moderne
- Exposition et vulnérabilité des personnages
- Événement, histoire et politique
- Confiance en l'avenir : The Leftovers et Twin Peaks
- Pour la suite du monde...
Trois plans pour une trouée dans le récit : autour de l'événement de la disparition
Au cœur de The Leftovers, une trouée : la disparition de 2 % de la population mondiale. C’est une « trouée » plus qu’un « trou », car il s’agit d’abord de trouer la continuité du récit. La raison ne peut expliquer ; l’histoire – amputée de causes – ne se totalise plus et n’est plus que le produit discret d’une série d’effets. Fidèles à la trouée opérée par l’événement de la disparition, Damon Lindelof et Tom Perrota, les créateurs de la série, accompagnent plus ce que celle-ci défait et fait à ceux qui ont perdu un proche qu’ils n’offriront une explication qui viendrait la boucher. Dans « Le conteur », Walter Benjamin a produit un concept qui aide à penser cette trouée dans la continuité d’une histoire qui se raconte et se transmet, celui d’une expérience inénarrable dont la triste occasion historique fut la première guerre mondiale, lorsque les hommes – certes non pas « disparaissants » – mourraient sous des balles dites « perdues », à la trajectoire hasardeuse, pris entre des raisons qui ne semblaient plus rien avoir de raisonnable. Il s’agit de l’expérience vécue du choc, Erlebnis, qui ne trouve plus à s’organiser dans une longue chaîne narrative de causes et d’effets, Erfahrung. Pour autant, ce diagnostic n’empêchait pas Benjamin d’en appeler à de nouveaux récits « pour croire dans ce monde », d’autres récits qui ne pourraient évidemment plus passer par les mêmes formes qu’autrefois. Dans Humanité restante, penser l’événement avec la série The Leftovers, vous affrontez cette question difficile de l’articulation entre l’événement qui se dresse contre toute tentative de totalisation narrative, et de la construction de récits malgré tout « pour croire dans ce monde ». Il s’agit de récits qui promettent fidélité à l’événement, une fois le conteur dégagé des « obligations romanesques » et des « conventions scénaristiques » pour reprendre vos mots (p. 11). Pouvez-vous revenir sur cet événement de la disparition dans The Leftovers au regard du défi lancé à une certaine logique narrative ?
L'événement, le terme nous paraît en effet si important qu'il aura fondé notre désir de vérifier à l'aune de certains agencements appartenant à la philosophie contemporaine que The Leftovers est certes une production télévisuelle qui répond à un cahier des charges certain, mais aussi et surtout une œuvre qui donne à penser – mieux une « forme qui pense » pour parler comme Jean-Luc Godard. Dans cette série diffusée entre 2014 et 2017 par la chaîne à péage Home Box Office, la disparition simultanée de 2 % de la population mondiale, à savoir 140 millions de personnes environ le jour précis du 14 octobre 2011, constitue un événement dont l'intensité est si grande, l'apparition aussi imprévisible qu'incommensurables seront ses conséquences, que l'on voudrait le considérer depuis un perspectivisme combinant trois échelles de plan différentes, en plan large, en plan moyen et en gros plan. En plan large d'abord, la disparition aussi massive numériquement qu'elle est dispersée planétairement est un réel à ressaisir en son sens radical (soit lacanien), dont la frappe traumatique est en effet une trouée dans la réalité en ce qu'elle fait sauter le verrou des paradigmes scientifiques si l'on adopte la grille d'analyse épistémologique de Thomas Kuhn. L'impuissance du discours scientifique à éclaircir rationnellement l'événement obscur se prolonge de surcroît avec l'impuissance des trois religions monothéistes à l'expliquer ou l'anticiper, y compris le récit messianique du « Grand Enlèvement » ou « Ravissement » entretenu par certaines sectes évangélistes. Ce bouleversement provoque non seulement la crise généralisée des grandes institutions se partageant le monopole du symbolique mais aussi l'apparition anarchique de multiples entreprises individuelles ou collectives, cyniques ou auto-hypnotiques, concurrentes et mimétiques (du gourou « Holy » Wayne au groupe des « Guilty Remnant » ou « Living Reminders » que l'on a traduit par « Reproches vivants »). Toutes ces entreprises sont mimétiquement engagées à rivaliser dans le gardiennage profitable et exclusif du sens de ce qui fondamentalement n'en a pas. À cet endroit, The Leftovers engage un pacte risqué avec son spectateur puisque la série de Damon Lindelof et Tom Perrotta adaptant ensemble le troisième roman traduit en français de ce dernier ne va pas cesser de s'exposer à lui dans la mise à l'épreuve renouvelée de son propre sens. Notamment en jouant le rapport qui se double aussi d'être un non-rapport entre les insensés qui trahissent le sens en le réduisant à la signification et l'événement qui n'a pas de sens parce qu'il est tout le sens – de la série. À charge alors pour le spectateur de ne pas vouloir être un herméneute de l'apocalypse de plus, en désirant par exemple sentir tout ce qu'il y a de décisif dans le sens comme réserve au-delà toute interprétation, comme attente au-delà tout horizon d'attente et comme messianique au-delà tout messianisme pour parler comme Jacques Derrida.
Avec un événement qui est cette trouée traumatique à dimension planétaire par où s'évanouit la présence de plus de cent millions de personnes, s'impose la qualité fantastique de la série. Elle se manifeste également dans les fugues dissociatives du policier Kevin Garvey qui, résistant à emboîter le pas de son père dont il porte les mêmes nom et prénom et qui depuis l'événement a pété les plombs, boite sur le seuil critique entre délire schizophrénique et vision chamanique. Et la série s'y tient rigoureusement jusqu'à un ultime épisode – le 28ème qui est le huitième de la troisième et dernière saison – qui ne se suffit pas des hypothèses narratives d'une incompossibilité digne de Borges (le sentier du monde bifurquerait en se divisant pour emprunter d'abord la voie d'un événement qui n'aurait jamais eu lieu, ensuite la perspective de science-fiction d'un monde où manquent les 2 % et d'un autre monde où font défaut les 98 %). Un ultime épisode où il s'agira moins de trancher entre toutes les hypothèses incompossibles que d'apprécier toute la beauté d'une décision authentique qu'à être seulement prise depuis un fond d'indécidable : après bien des années d'absence, en bordure de l'outback australien, Nora Durst raconte à Kevin Garvey comment de l'autre côté du monde elle a réussi à retrouver ses enfants disparus et le second lui répond qu'il la croit, et seulement cela. Autrement dit, Kevin substitue à une volonté de savoir exigeante en preuves convaincantes un certain retrait qui demande un silence certain qualifiant la croyance et la confiance en l'autre aimée. Dans le passage du plan large au gros plan, la contingence extrême du réel se retourne alors en hasard fondant un destin qui, radicalement, est autant opposable à toute résilience bonne pour la psychologie de marché qu'aux prophéties autoréalisatrices des oiseaux de mauvais augures qui s'échinent à faire advenir le malheur pour prouver qu'ils avaient raison. La question est alors moins celle du fatum que de l'amor fati dont les leçons éthiques courent des stoïciens à Gilles Deleuze en passant par Friedrich Nietzsche et Joë Bousquet, qui consistent à faire de l'après-coup le temps d'une opération quasi-causale de relève des blessures, qui appellent à décider de construire rétrospectivement un destin en conséquence des frappes traumatiques subies. C'est ainsi qu'après bien des ratages étalés sur bien des années s'impose à la fin l'amour une nouvelle fois essayé, l'amour comme l'autre événement dont les lumineuses conséquences trouent l'obscurité de celui qui l'aura rendu possible. Comme l'expérience de la construction d'une différence qui est un rapport au monde communément partagé à deux et comme la croyance en l'autre légitimant l'abandon nécessaire à une certaine qualité de silence et de passivité afin de désœuvrer la suspicion et le ressentiment alimentant toutes les volontés de néant, tous les pessimismes et tous les nihilismes. On connaît le fameux mot de Jean Cocteau : « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour ». On voudrait avec la série en modérer le matérialisme à partir d'une certaine lecture de la citation de Ludwig Wittgenstein, que l'on entend dans le premier épisode de la série et qui marque la conclusion de son Tractatus logico-philosophicus : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence ».
En plan large, The Leftovers est une série fantastique qui se conclut sur une fourche borgésienne dont l'un des brins est la possibilité de la science-fiction, en gros plan c'est un mélodrame fidèle à l'idée qu'il n'y a pas plus beau et pas moins tragique que l'amour. Dans l'intervalle du plan moyen, l'événement est à ressaisir enfin dans la trame complexe de ses péripéties qui compose le dédale des aventures existentielles des protagonistes de la série, Kevin et Nora donc, mais aussi l'ex-compagne Laurie Garvey et Kevin Garvey senior, Matt et Mary Jamison, Patti Levin et Megan Abbott, John et Erika Murphy, Virgil Muprhy et Grace Playford, mais encore les adolescents Tommy et Jill Garvey ou Evie et Michael Murphy. Tous affrontent donc, dans la variété jamais relativisée de leurs points de vue, l'impossibilité du deuil en raison d'une disparition sans explication (la mort s'y suspend alors dans la capture philosophique du « jugement infini » ou « indéfini » kantien). Tous sont mis à rude épreuve des crédulités abusées par des crédules cyniques ou auto-intoxiqués, tous doivent apprendre à rester au bord du vide de l'événement plutôt que de vouloir combler imaginairement un trou en en faisant une fosse remplie de la cendre des cadavres réellement sacrifiés, tous doivent soustraire la nécessaire croyance en la relève du monde de l'immonde où se vautrent imbécilement les incrédules. Les changements de perspective et les bifurcations narratives qu'ils induisent composent alors un vaste paysage dédaléen pour ceux qui s'y perdent (le choc de l'Erlebnis n'aura alors pas été surmonté par les plus désorientés) mais un labyrinthe pour ceux qui s'y retrouvent (la décision de rester fidèle au vide originaire de l'événement afin d'en construire fidèlement les conséquences est une orientation éthique s'apparentant en effet à l'Erfahrung). Dédale ou labyrinthe, le paysage humain de The Leftovers est scindé tout le long d'une parallaxe, d'un écart parallactique appartenant à l'événement qui ne l'est vraiment qu'à briser toute linéarité chronologique. Puisque l'événement est cet « entre-temps » (Gilles Deleuze et Félix Guattari) qui recommence malgré le passé en divisant toutes les temporalités, y compris en exerçant ses effets rétrospectifs jusqu'à la Préhistoire sur laquelle s'ouvre la deuxième saison et le milieu du 19ème siècle pour la troisième saison.
Le tact et l'éthique soustractive
Pour autant, que la chaîne narrative des causes et effets se totalisant soit rompue ne signifie pas que tout s’équivaut. Le récit contemporain que vous étudiez avec The Leftovers est affaire de tact et d’éthique soustractive, deux mots que vous utilisez régulièrement pour évoquer la ligne de crête – très exigeante – sur laquelle se tiennent tant la série que votre ouvrage. Cette ligne de crête dressée entre la nécessité de continuer à croire en un monde – ce qui se traduit par l’exigence de récit à produire malgré la discontinuité introduite par la trouée, et dans votre livre on ne peut qu’être subjugué par la foule de savoirs théoriques et littéraires mobilisés pour raconter inlassablement les agencements au milieu desquels les chaînes d’effets surviennent – et la fidélité à l’événement de la trouée, la préservation d’un « excès soustrait à toute clôture interprétative », pour reprendre les mots de Jacques Derrida, auquel vous empruntez le concept de restance(3). Pouvez-vous revenir sur cette éthique exigeante, passant par un tact qui est également narratif ? Diriez-vous que, plus que jamais, les récits – ceux que l’on est en mesure d’inventer, et les formes qu’ils prennent, les subjectivations qu’ils proposent, les événements auxquels ils promettent fidélité – ont un rôle essentiel à jouer lorsqu’il s’agit de parvenir à faire monde, ou, à reprendre le mot de Arendt que vous utilisez, faire reculer l’immonde, tout ce qui se complaît à ne pas faire monde, cède aux sirènes nihilistes dont la jouissance consiste à défaire les mondes ?
D'abord le tact, c'est un élément effectivement décisif dans notre rapport à The Leftovers, nous y tenons en effet beaucoup. C'est toujours une joie de lire des philosophes qui lui accordent une si grande place comme Jean-Luc Nancy ou des historiens de l'art comme Georges Didi-Huberman. Le tact dit en premier lieu le sens du toucher, il se rapporte ensuite à la sensibilité du spectateur, il témoigne des modulations de son affectivité qui est une passivité ouverte, offerte aux puissances de dépli de ce dehors qu'est en l'occurrence ici l'œuvre. Le tact témoigne en effet du fait que le spectateur a été affecté par ce grand dehors qu'est la série. Comment il a été touché par ses choix esthétiques qui sont des affects augmentant ses puissances de sentir, de penser et d'agir – par exemple dans la construction éthique des conséquences de l'événement qui s'opposent à tout passage à l'acte pulsionnel. Comment le spectateur aura été plus qu'attentif aux images sonores et visuelles dont le soin reconnu comme tel consiste justement à valoir comme des touches et des adresses, des poignées de mains et des caresses. Le tact rappellera à cet égard la dimension sensiblement membraneuse des images, qui se prolongent ici en peaux marquées (le dos zébré de cicatrices de Tommy, les brûlures de Kevin), en épidermes tatoués (Kevin Garvey senior et junior, mais aussi Nora Durst), en membres brisés (le plâtre recouvrant l'avant-bras de Nora, les cannes de Virgil Murphy et Kevin Garvey senior), en ventres malmenés (la balle dans le ventre de Kevin, Laurie Garvey dont le fœtus s'évanouit le jour de l'événement, la femme parturiente de la Préhistoire). Le tact est une dimension essentielle de la question du sens, en particulier d'une œuvre, malheureusement trop souvent sacrifié sur l'autel d'analyses critiques qui relèguent le tact ou l'appauvrissent en le réduisant à des questions de signification et d'interprétation. Le tact est certes ce qui permet de se livrer aux plaisirs de la signifiance qui aime à se dire et s'écrire, mais seulement en tenant aussi précieusement que fermement le point que le sens est une réserve en excès à toutes les interprétations qui voudraient mortellement l'épuiser. Le tact consiste à tenir le point que le sens est ce reste qui appelle les significations autant qu'il y résiste, un appel à la signifiance autant que sa résistance au fondement d'une ouverture du sens à venir – le sens comme ce reste à venir se dit effectivement avec Jacques Derrida « restance » qui trouve merveilleusement à s'appareiller avec une série dont le titre expose littéralement qu'elle est dédiée à ceux qui restent. Autrement dit, la sensibilité serait mutilée si elle se résolvait sur le seul versant de la lisibilité, le sens dès lors diminué dans le volontarisme des décodages et des décryptages, dans le forçage des lectures qui ne voient strictement dans les choses de l'art que des affaires de code et de langage. Combien d'herméneutes patentés manquent de tact en rivalisant d'interprétations qui auraient le dernier mot sur l'œuvre au point de vouloir exclusivement profiter des effets de pouvoir de sa capture symbolique ? Combien parmi ces mêmes herméneutes oseront se reconnaître dans les fondamentalistes de The Leftovers, ceux qui affirment qu'ils savent mieux que les autres en faisant parfois bruyamment savoir que leur savoir est un pouvoir de vie et de mort sur le sens et son avenir ? Le tact est donc ce sur quoi il faut insister, ce qu'il faut relever comme le sens qui se lit moins qu'il s'expérimente en puissances d'affection, et dont les touches marquent la sensibilité du spectateur qui trouverait un grand bonheur à les remarquer en faisant leur récit. Si l'on pose à la suite de Gilles Deleuze qu'il n'y a de sens de l'événement qu'à montrer que l'événement c'est le sens et que le sens c'est l'événement, on envisage alors le tact d'une série comme ce qui lui aura permis d'être cet événement subjectif pour les spectateurs qui s'y seraient reconnus en y reconnaissant entre autres choses l'allégorie de l'événement amoureux dont ils sont les sujets. Marie-José Mondzain a bien rappelé à ce propos qu'il y a avec toute œuvre d'art une demande d'amour. Y répondre c'est répondre alors à l'événement d'une série comme The Leftovers en relevant les touches de sens de l'événement insensé qui en constitue l'emblème. Cela ne peut plus s'oublier désormais : une petite fille d'origine asiatique qui apparaît pour aussi vite disparaître en rompant le cercle lumineux d'une ronde solaire d'élèves ; une femme enceinte qui affronte à la surface d'un moniteur hors-champ l'image du vide à l'intérieur de son ventre ; une mère affectée de surdité qui comprend après coup avoir été sourde aux appels à l'aide de sa fille ; le suicide comme preuve d'une liberté radicale qui s'échange comme la parabole relevant un souvenir d'enfance entre deux amies accordées sur la souveraineté décisionnaire de l'autre ; une femme aux cheveux passés aux sels d'argent du temps qui dit non quand on prononce le nom de l'homme pour le retrouver finalement après plusieurs années de séparation et l'entendre lui dire je t'aime, ne m'en dis pas plus, je te crois.
En conséquence du tact, on aura alors tout le loisir d'apprécier ce que nous entendons donc par éthique soustractive dont nous devons la tentative de conceptualisation notamment à partir de l'appareil philosophique d'Alain Badiou. Premier point, l'éthique caractérise la construction existentielle du sujet se plaçant sous l'impératif catégorique de quelques idées éternelles qui l'orientent au milieu des ruines d'un occident pour nous qui en sommes ses accidentés. Parmi les décombres du monde « occidenté » comme le disait alors Jacques Lacan, on relève d'un côté les décharges d'une sacrée volonté de savoir virant au fondamentalisme sacrificateur et, de l'autre, les déflagrations d'un État déstabilisé dans sa rationalité et dont la légitimité symbolique se dissipe dans le gouvernement d'un état d'exception fascisant exemplifié par la brutalité du policier Kevin Garvey et ce pompier pyromane de John Murphy. Second point, le noyau soustractif de cette éthique qualifie pour son sujet qu'il lui faille trouver un autre terme que le négatif pour échapper aux surenchères (auto)destructrices des oppositions mimétiques et nihilistes. La relève de la négation afin de ne pas mutiler l'esprit d'une pensée dialectique authentique se dit en effet soustraction après s'être dite « Katargesis » dans la lettre évangélique paulinienne et « Aufhebung » dans la Bible luthérienne puis la philosophie hégélienne. En passant, c'est ainsi que nous relions notre présent travail sur l'éthique soustractive avec un travail précédant concernant la relève des archives du mal chez Jean-Luc Godard(4), cela afin de marquer le noyau messianique de la pensée dialectique dont le dernier moment qualifie le temps qui reste comme le temps de la fin jamais déliée du reste, qui appartient au désœuvrement symbolique, c'est-à-dire à la désactivation des identités imaginaires comme des antagonismes réels. C'est donc toute une constellation de termes que nous convoquons – neutre de Maurice Blanchot, soustraction d'Alain Badiou, désœuvrement de Giorgio Agamben – afin de penser le rapport étroit entre la position des personnages qui arrivent in extremis à s'extraire de la passion apocalyptique de leurs contemporains engagés à forcer le sens depuis une volonté de néant saturée de ressentiment, et la position du spectateur qui pose la question du sens de la série en tenant à ne pas confondre le tact du sens avec une simple affaire d'interprétation. L'éthique soustractive enjoint alors d'être respectueuse du tact témoignant de la puissance touchante de l'œuvre qui fait événement comme d'un certain degré de silence autant nécessaire à garantir sa « restance » qu'à dire l'indicible accordé au vide fondant l'événement amoureux. C'est d'ailleurs pour Alain Badiou le forçage du vide de l'événement, et notamment de son noyau d'innommable, qui caractérise la différence radicale entre un événement authentique comme le communisme, qui construit les conséquences du vide de la société sans classes, et son versant obscur comme le fascisme, qui préfère au vide le plein d'une catégorie substantielle comme la race. Pour être le sujet d'un événement, artistique ou amoureux, il faut donc être capable d'une impuissance ressaisie au sens fort comme y invite Giorgio Agamben, autrement dit d'une puissance de ne pas – dire des bêtises ou faire le mal par forçage désastreux du sens de l'œuvre ou du secret de l'autre. La puissance est toujours déjà impuissance – « puissance de ne pas ne pas » comme le dit encore Giorgio Agamben dans ses relectures aristotéliciennes. C'est à ce titre que la puissance ressaisie comme impuissance est démonique en rendant ainsi raison au couple de démons narrateurs aux commandes d'une série peuplée à l'instar de Lost de doubles placentaires et d'esprits paraphréniques de toute sorte, Tom Perrotta et surtout Damon Lindelof qui, s'agissant de ce dernier, connaîtrait le sens profond de son prénom.
The Leftovers, œuvre moderne
De nombreux spectateurs sont aussi inquiets qu’agacés par ces effets qui ne se ré-enchaînent pas à des causes. Assoiffés de grands récits, qui seront toujours néanmoins déçu – que l’on pense aux grands récits nationaux et démocratiques convoqués par les États pour boucher la béance ouverte par certains événements funestes du contemporain –, une part non négligeable de nos contemporains réclame toujours plus de rationalité pour combler les trous d’un monde fragmenté. Nous n’avons peut-être jamais tant lus d’élucubrations paranoïaques, complotistes, et tout autre exercice d’une raison tant solipsiste que malheureuse, une raison qui ne cesse d’opérer des synthèses que l’on pourrait considérer délirantes, outrepassant les limites inhérentes circonscrivant une activité légitime. À ce propos, vous avez récemment publié un article sur Inherent Vice(5) qui retraçait cette histoire de la raison malheureuse au Xxème siècle, partant de la figure du détective étudiée notamment par Kracauer au regard de la crise de la représentation et la difficulté de croire en un monde. Vous montrez également ces raisons délirantes à l’œuvre dans The Leftovers, ce qui peut en passer par le mysticisme qui subordonne la vérité au sens (le nihilisme en serait l’une des formes, à postuler que le sens ultime est la fin entrevue dans la disparition, comme les Guilty Remnants qui se soutiennent du néant, le néant fait mode de vie, pour toute réponse à la trouée de la disparition) ou le dogmatisme de la répétition stricte – tout à l’inverse de ce à quoi engage l’événement –, qui subordonne le sens à la vérité (la répétition des mêmes gestes au quotidien par certains membres de la communauté de Jarden, ainsi que Matt qui reproduit à l’identique ce qui s’est produit lorsque sa femme, paralysée et muette depuis un accident de voiture survenu lors de l’événement de la disparition, se serait remise à parler une journée à Jarden). Pouvez-vous revenir sur ces stratégies de recouvrement de l’événement, par la série et par le « monde contemporain » ?
Vous évoquez l'article portant sur Inherent Vice de Paul Thomas Anderson d'après le roman éponyme de Thomas Pynchon. Il y est question en particulier du tour de vis dialectique de l'Aufklärung qui, à l'ère du tournant culturel du capitalisme au mitan des années 1960-1970, se retourne contre elle-même à l'égal d'une maladie auto-immune. Notamment avec la substitution des aspirations libertaires de l'époque par leurs simulacres parodiques et marchands, et avec le remplacement de la totalité ressaisie grâce à la raison logique par la fragmentation post-politique et identitaire symptomatique du complotisme. La forme néoclassique adoptée par le cinéaste étasunien lui aura ainsi permis de considérer en un mélange unique fait de distance, d'empathie et d'infinie mélancolie l'avènement sociétal de la postmodernité analysée par Fredric Jameson. Nous voudrions cependant montrer que The Leftovers est, à la différence d'ailleurs de son aînée Lost à l'écriture de laquelle aura décisivement participé Damon Lindelof, une œuvre moins postmoderne que moderne. Particulièrement parce que son credo est celui de l'événement qui est ce réel radicalement opposable à l'hyper-réel de l'ère des simulacres, l'événement dont la ritournelle carnavalesque rompt avec toutes les compulsions de répétition comme avec la rengaine ironique de la fin de l'Histoire. Parce que l'événement est un entre-temps dont les courts-circuits imposent de reconsidérer à nouveaux frais le rhizome de toutes les histoires ridant la surface du monde, qu'elles soient personnelles et impersonnelles (le pape n'y échappe pas plus que les interprètes d'une sitcom non moins réelle que lui, une femme parturiente de la Préhistoire pas davantage qu'un acteur ayant réellement apporté son soutien à Donald Trump). Et parce que son imprévisible surgissement, au-delà tout horizon d'attente, requiert d'en construire après coup les conséquences éthiques à partir du vide inaugural qu'il aura déployé dans la scission avérée – cette « différance » derridienne qui conjoint la différence au différé – du réel et de la réalité. À partir de là, on pourrait donc schématiser en disant qu'un se divise en deux et le monde qui reste après la trouée de l'événement se sépare en effet dans The Leftovers. Avec, d'un côté, les partisans du forçage du sens de l'événement en faisant de son trou la fosse saturée des cadavres accumulés par un « furieux désir de sacrifice » (Fethi Benslama). Et avec ceux qui, de l'autre, apprennent sans héritage à construire les difficiles conséquences subjectives d'un rapport à l'événement qui est celui d'une fidélité à son vide fondamental et dont l'amour constitue l'une des conditions privilégiées. L'amour vécu comme une expérience native, aussi essentielle que « naissancielle » (Hannah Arendt), comme ce recommencement du monde avéré encore par tant d'enfants qui viennent (Lily) et qui reviennent (Tommy) quand d'autres partiront (Jill) ou ne reviendront plus (Evie), qui naissent et sont adoptés comme sont adoptés tant de chiens qui vont, viennent et puis s'en vont, et dont la venue souvent imprévisible garde vivant et ouvert le sens et avec sa « restance » tout l'avenir du monde.
Cette division séparant les acteurs de l'événement authentique des agents de son simulacre désastreux se déploierait encore autrement, précisément en étant ressaisie dans l'écart parallactique des questions spécifiques du sens et de la vérité. Notre désir aura justement consisté à soustraire notre réflexion aux fourches caudines d'une double impasse mimétique : l'impasse du mysticisme qui soumet la vérité au sens et l'impasse du dogmatisme qui fait le contraire en assujettissant le sens à la vérité. Cette double impasse s'éclaire particulièrement des péripéties de la série, puisque l'on y croise en effet, parmi d'autres, des autorités religieuses et scientifiques qui rivalisent d'obscurité dans leur volonté de persuader, sinon de convaincre, au risque partagé du discrédit. C'est pourquoi il nous aura fallu marcher en avançant d'un double pas, avec le pas du sens qui relève de la question du sens d'une œuvre et de son tact justifiant qu'elle soit si touchante, et avec le pas de la vérité qui veut moins de l'interprétation qu'il propose l'expérimentation d'une formalisation portant sur la construction des conséquences fidèles au réel inaugural de l'événement. Et cela est d'autant plus important qu'il nous semble que la question du sens est sur-privilégiée dans l'appréciation, y compris favorablement, de séries comme Twin Peaks, Lost et The Leftovers. Quand, corrélativement, la question de la vérité ne se pose quasiment pas alors qu'elle s'impose nécessairement si l'on veut évaluer la dimension philosophique de la série – ou, plus précisément, si l'on a le désir d'y évaluer sa pensée et sa contemporanéité à l'épreuve d'une mobilisation circonstanciée de quelques concepts de la philosophie actuelle. Les scansions de ce pas redoublé soutiennent alors notre effort d'écriture et tenir à en marquer les spécificités engagées par les questions respectives du sens et de la vérité constitue une autre manière de fidélité de notre ouvrage en regard de l'événement qu'est la série. Non seulement parce que le pas redoublé du sens et de la vérité fait écho à la structure dyadique des récits de Damon Lindelof au principe de tant de figures duelles et démoniques qui peuplent Lost et The Leftovers, mais encore parce qu'il s'agit aussi de marquer dans l'appréciation de l'événement un écart parallactique qui se prolonge avec le privilège narratif du perspectivisme. La parallaxe conceptualisée par Slavoj Zizek aura particulièrement aidé à insister sur l'événement comme ce réel constitutif du point aveugle ou du vide du symbolique, comme cette différence qui relève moins du rapport entre deux termes qu'elle ressortit d'une seule chose dès lors que l'on a la capacité de changer de point de vue sur elle. Structure dyadique, perspectivisme narratif et écart parallactique soutiennent alors le désir de doubler le versant esthétique dédié au dédale de sens d'un autre versant davantage labyrinthique et éthique offert aux efforts des personnages à se soustraire des passions apocalyptiques de leurs contemporains telles Patti Levin et Megan Abbott. C'est la beauté du désœuvrement diversement assumé par Matt Jamison et Laurie Garvey, par John Murphy et son fils Michael, par Kevin Garvey père et fils. Après bien des errances et des délires quelquefois carnavalesques, ces personnages arrivent à retenir leur volonté de savoir se consumant à un bout en volonté de néant au nom du savoir d'un certain degré d'impuissance et de silence nécessaire à faire de la rétention la grâce d'une tenue dans la retenue. Alors, et alors seulement, les passions ne sont plus des brasiers qui finissent en cendres mais les sels d'argents qui promettent à la vieillesse des corps d'être le temps de l'amour enfin consenti. Alors, et alors seulement, les larmes ne sont plus des déluges dans lesquels noyer son insondable chagrin dans la plus désespérante des tristesses mais l'eau douce d'une humeur intime dont le secret est discrètement partagé.
Exposition et vulnérabilité
Parmi les scènes les plus marquantes de The Leftovers, il y a celle où John Murphy (Kevin Carroll), plusieurs heures après avoir laissé pour mort Kevin Garvey (Justin Theroux), retrouve ce dernier se vidant encore de son sang, un trou béant dans le ventre, et néanmoins toujours vivant. Là encore, cela tient de l’événement qu’aucune narration ne parviendra à boucler définitivement sur une quelconque signification. La logique dramatique qui aurait pu prévaloir – un homme en tue un autre parce qu’il croit que sa fille a été assassinée par le premier, avant de se rendre compte de son erreur de porter le poids d’une culpabilité – est littéralement désarmée par la survie improbable de Kevin. Plus que la haine, la rancœur, ou quelque motivation psychologique que ce soit, c’est alors la reconnaissance d’une vulnérabilité essentielle qu’en viennent à partager les deux hommes. Exposés à l’événement qui déjoue d’abord toute stratégie de récupération rationnelle, ils laissent s’échapper une formule qui pourrait s’énoncer ainsi : « Je ne comprends rien à ce qui se passe, mais quand même ». Le policier plein de certitudes et représentant de l’ordre qu’était Kevin se laisse progressivement happer par la trouée de l’événement, en même temps que la psychologie recule devant la capacité à être affecté par l’inconnu. Est-ce là que nous pouvons nous tenir honnêtement aujourd’hui : d’un aveu d’impuissance (logique, psychologique, dramatique), ne jamais cesser pour autant d’accompagner activement des processus que l’on pourrait qualifier d’amoureux plus que de rationnels, à reprendre la proposition que vous formulez dans le sillage d’Agamben et Piazza : « Aimer l’autre, c’est le croire, lui accorder sans mots superflus cette confiance lui permettant de se dispenser en vérité des moyens de la vérification et du savoir. »(6) ? Soit le mode d’existence des leftlovers comme réponse au dogmatisme et au mysticisme contemporains, aux expressions hypertrophiées de la raison, à l’existence mutilée. En quoi ne s’agit-il pas alors pour autant de prêcher un nouveau mysticisme qui reposerait exclusivement sur l’amour, là où raison rendrait définitivement les armes ?
Nous retiendrons en particulier dans votre question les termes complémentaires d'exposition et de fragilité. Ce sont là des éléments décisifs pour apprécier l'univers de Damon Lindelof au travers de ses contributions scénaristiques pour les séries Lost et The Leftovers. D'autant plus que l'on est légitimement enclin à reconnaître avec la seconde série comme le contrechamp rédempteur ou messianique de la première, celle-là ayant été blessée par la cohorte de ses fans parmi les plus fondamentalistes. Les plus fanatiques en ce sens qu'ils auront nourri un grand ressentiment à l'égard de l'un de leur conteur qui aura d'ailleurs mis cela en récit avec l'épisode de l'assassinat de Jacob par son fidèle lieutenant Benjamin Linus. Dans ces deux séries vraies-fausses jumelles comme le seraient Evie et Michael Murphy, se joue une passion partagée et renouvelée des sphères, globes macro et écumes micro, des stations de la Dharma Initiative sur l'île fantastique de Lost aux arches diverses menant à l'Australie de The Leftovers. C'est en effet une véritable passion « sphérologique » pour citer Peter Sloterdijk dont l'appareil philosophique aura sur ce sujet beaucoup aidé. Il s'agit de témoigner du destin original de l'humain qui, étant l'animal originairement nu et inachevé, né prématuré et exposé à la brutalité extérieure, se voit requis de concevoir un milieu de vie technique, alvéolaire et prothétique, comme une série de serres lui permettant de respirer à la mesure de son défaut originaire d'origine que résume le concept biologique de néoténie. D'ailleurs, la nudité revient toujours chez Damon Lindelof, avec Desmond dans Lost, avec Kevin Garvey père et fils ainsi qu'Evie Murphy et même un sous-marinier français dans The Leftovers, pour faire du « dénudement » dont parle Giorgio Agamben une manière par les corps d'exposer un désœuvrement intimement lié à notre fragilité première. On a précédemment traité de la dimension membraneuse des images, on a également parlé des enfants et des naissances qui témoignent de l'ouverture du monde comme de son avenir et de son sens qui recommence, on a dans la foulée évoqué la dimension native ou « naissancielle » de l'amour qui redonne croyance dans le monde abîmé dans l'immonde des herméneutes de l'apocalypse. On devra désormais insister ici sur les grandes descentes dans le souterrain de Kevin Garvey dont les catabases, qui succèdent à celles d'Orphée et Ulysse, Énée et Dante, Dale Cooper et John Locke, avant celle mise en scène par Lars von Trier dans The House that Jack Built, représentent comme autant de ruptures avec sa naissance de chair. S'y rejouent autant la hantise étasunienne du patriarche présidentiel assassiné que la blessure légendaire du Roi Pêcheur, autant l'archétype mystique de l'assassin parricide pour qui « rien n'est vrai et tout est permis » que le souverain mélancolique dont les terres vaines constituent le royaume infertile de l'amour échoué. Ces hantises sont pour le héros littéralement viscérales, elles relient depuis le centre natif de son ombilic le dédale de son ventre troué au labyrinthe de ses oreilles bouchées, la caverne préhistorique au pont de Chinvat du mazdéisme, l'omphalos grec antique au pontifex des Romains reliant le monde divin au monde humain, l'axis mundi à l'anus mundi. Et c'est ainsi que l'exposé (tiens, c'est le titre d'une série fictive dans Lost), qui l'est aux forces virales et contaminatrices de la folie sacrificielle, mimétique et apocalyptique, se retient aussi d'être un imbécile en tenant bon sur quelques béquilles (Slavoj Zizek rappelle à ce propos que l'imbécile dit étymologiquement celui qui a la bêtise de croire qu'il n'a pas besoin de béquilles pour marcher). Dont un pacemaker qui garantit au cœur fatigué d'un Kevin Garvey âgé de pouvoir battre encore pour l'aimée qu'il n'a pas oubliée et qui, malgré la flèche d'un non tiré depuis une inoubliable flash-forward, ne l'a pas davantage oublié.
Cette exposition originaire et terminale, si elle est constitutive d'une fragilité ontologique contre laquelle se conçoivent techniquement toutes les immunités garantes de l'intégrité des individus, se vit aussi au risque de l'auto-immunité qui, entre autres, caractérise John Murphy en pompier pyromane et qualifie sa fille Evie en auto-anticorps de la communauté texane qui se croyait exceptionnellement protégée de l'événement parce qu'aucune disparition n'y avait été dénombrée. Cette exposition est destinale, elle engage ce destin qui oblige à s'aventurer au dehors pour y concevoir des « utérus de substitution » comme l'écrit Frédéric Neyrat en lecteur avisé de Peter Sloterdijk. Cette ouverture originaire et destinale fonde autant la ruse de Prométhée que la bêtise d'Épiméthée pour citer désormais Bernard Stiegler, autant la confiance des uns au risque de l'abus des crédulités que la défiance des autres au risque de l'incrédulité qui est une forme cynique de l'imbécillité. Lost est à cet égard une grande allégorie de la perte de confiance dont le symptôme est une scène de torture incessamment rejouée, tandis que The Leftovers est une grande allégorie de la croyance dans le monde ressaisie depuis l'amour et en dépit des abus mimétiques de ses crédules comme de ses incrédules. Cette exposition est un engagement qui est un autre gage permettant de comprendre comment l'impuissance s'oppose moins catégoriquement à la puissance qu'elles se pensent ensemble, dialectiquement. La puissance comme étant toujours déjà puissance de ne pas ne pas invite alors au neutre afin d'échapper aux voix de sirènes de toutes les figures réactives et négatives. L'impuissance comme puissance de ne pas appelle alors au désœuvrement comme fondement d'une éthique soustractive qui protège de l'activisme et du volontarisme caractérisant ceux qui savent mieux que vous ce qui est bon pour vous, du « service des biens » de la psychologue Laurie Garvey à l'auto-sacrifice des « Reproches vivants » d'abord menée par Patti Levin puis par Megan Abbott au moment de leur apothéose carnavalesque et parodique. L'amour appelle à un semblable retrait dont un certain degré de neutre, de silence et de passivité en gage de confiance donnée à l'autre pour une croyance redonnée dans le monde constitue l'une des modalités déterminantes. L'amour est une aventure singulière et intempestive, à laquelle ne préparent aucune école et pas davantage d'église, peut-être seulement la connaissance de quelques poèmes écrits ou visuels (décisifs sont en effet ici les poèmes de William Butler Yeats, chantre d'une autre île fantastique, l'Irlande). L'amour nomme la discipline d'une différence qui s'expérimente à deux en conséquence de la frappe de l'événement. Et sa dimension mystique qui est loin d'être la seule ne les concernerait cependant qu'eux deux dès lors qu'ensemble ils tiennent fermement ce point qui est la part de l'innommable ou de l'indicible de leur amour. L'amour doit se dire, il se déclare d'ailleurs avec son inusable formule, l'amour se soutient aussi de cette croyance en l'autre qui est l'abandon consenti à un non-savoir, cette « zone de non-connaissance » évoquée par Valeria Piazza et Giorgio Agamben. Ce n'est donc pas parce que l'amour relève pour part d'un non-savoir qu'il interdit ailleurs tout savoir et l'on sait avec Alain Badiou que l'une des conditions de l'événement est, avec les champs politique, amoureux et artistique, le champ scientifique. Mais l'on sait aussi avec lui que l'événement constitue une trouée dans le champ des savoirs, qui oblige alors à en inventer de nouveaux qui témoigneront rétrospectivement de la fidélité à son égard.
Événement, histoire et politique
Les questions posées jusqu’à présent ne nous semblent pas étrangères au politique. À l’inverse des grands débats de société dont seraient porteurs pléthore de films aujourd’hui, et sur lesquels jouent certains exploitants de cinéma qui entendent porter haut la réflexion, votre insistance sur la restance des événements offre peut-être une piste pour une pensée politique qui ne se réduit pas à une circulation des identités. Nous pensons notamment à Girl(7) qui, sous des prétentions au politique, a déjà en réalité assigné a priori les places et parts que chacun pourra prendre au débat, sur base d’identités déterminant des personnages érigés en modèle (quand bien même l’un d’entre eux serait érigé en modèle de la différence). Entrevoyez-vous ce lien au politique à l'aune d'une pensée de l’événement et de la restance telle que vous la déployez dans Humanité restante ?
L'événement au cœur de The Leftovers, c'est une date scellée dans l'anneau d'une année, c'est la « revenance » spectrale d'une blessure unique selon les mots de Jacques Derrida relisant Paul Celan : le 14 octobre 2011, ce jour où 140 millions de personnes ont disparu comme si elles s'étaient évanouies. Et la date vaut pour la série de Tom Perrotta et Damon Lindelof ce que, toutes choses égales par ailleurs, représentent d'autres dates parmi lesquelles le 11 septembre 1973 pour les Chiliens, le 11 septembre 2001 pour le peuple étasunien, le 22 septembre 2004 pour les personnages de la série Lost, le 14 janvier 2011 pour les Tunisiens – et l'on en profitera pour saluer à nouveau la beauté, l'intelligence et la sensibilité des étudiants tunisiens de la Faculté de la Manouba durant les deux ateliers dirigés durant les mois de novembre 2016 et 2017 par leur professeure Sihem Sidaoui, et au terme desquels aura été accouché notre ouvrage. C'est donc ainsi que l'on aime à caractériser aussi la modernité tardive de The Leftovers, dont la puissance à la fois néo-baroque et allégorique tient encore à accueillir plusieurs strates différenciées d'historicité. Le plan noir qui suit directement l'ouverture de la série, avec cet entremêlement de voix incorporelles alertant les autorités de disparitions inexpliquées, fait par exemple explicitement écho avec la manière esthétique dont Kathryn Bigelow a voulu au commencement de Zero Dark Thirty (2012) poser l'impossibilité de faire des images avec le son réel des victimes des attentats du 11 septembre 2001. Ce serait cependant une erreur de s'en arrêter là puisqu'il y a plus d'un désastre dont la série porte la grande mémoire, notamment avec le massacre évoqué de la secte fondamentaliste des « Davidiens » à Waco au Texas en 1993 dont les auteurs rappellent d'ailleurs la généalogie en remontant l'histoire de la dissémination des sectes adventistes depuis les millérites australiens à partir des années 1843-1844. C'est encore cette brûlante constellation des motifs (mannequins et vêtements entassés, fours crématoires et cendres) qui résonne tant de l'histoire du génocide des juifs que des installations de Christian Boltanski qui en relaient la hantise dans le champ de l'art contemporain. Plus d'une catastrophe encore, dès lors que le disparu ne se confond pas avec l'absent parce qu'il n'est « ni là, ni pas là » : « au milieu du ni, ni » comme l'écrit Jean-Louis Déotte, le disparu de The Leftovers sur lequel s'exercerait exemplairement le « jugement infini » kantien est si proche alors des disparus de toutes les guerres civiles d'hier comme d'aujourd'hui, Espagne et Irlande, Argentine et Chili, Liban et Algérie, Rwanda et ex-Yougoslavie, Congo-Brazzaville et Sri-Lanka, Yémen et Syrie. Avec l'an 2000, ce serait donc comme un nouveau millénarisme dont les déflagrations sectaires, à l'encontre d'un certain consensus actuel, relèveraient au fond bien moins de la fitna entre musulmans chiites et sunnites que des tendances intrinsèquement apocalyptiques d'un certain évangélisme dont on sait à quel point qu'avec Donald Trump il est plus que jamais aux commandes du gouvernement étasunien actuel. Il y a encore aussi, entre le fils Garvey qui se croit investi d'un mandat messianique (il est hanté depuis qu'il est gamin par la tentative d'assassinat sur Ronald Reagan) et le père Garvey qui se croit mimétiquement doté d'une mission prophétique (il voudrait réitérer à nouveaux frais le sacrifice abrahamique), ces adolescents animés comme Evie Murphy par un mélange explosif d'idéalité et de cruauté qui alimente un « pot au noir » dont peuvent sortir les plus terribles bombes humaines (Donald Winnicott a d'ailleurs cette phrase terrible à leur propos que cite Fethi Benslama : « Vous avez semé un bébé et récolté une bombe »).
Tous ces éléments attestent l'authentique épaisseur historique de l'allégorie qu'est The Leftovers, ainsi que son incontestable sens de la contemporanéité marquée par les motifs de la disparition et de l'événement, peuplée des « enfants du chaos » (Alain Bertho) coincés dans la « double impasse des fondamentalismes religieux et marchand » (Sophie Bessis). Il faut cependant marquer ici une critique à l'égard des deux grandes séries de Damon Lindelof, qui envisagent en effet la question du groupe au principe déterminant de l'agir politique sous la seule et triste condition du désastre collectif. Dans Lost, l'utopie communautaire initialement visée par la Dharma Initiative porteuse de l'esprit libertaire des années 1970 se solde par un dévoiement dramatique qui finit en massacre collectif pour la plupart, en folie individuelle pour ses rares survivants, et en incorporation pour le reste dans une formation sectaire assurant le gardiennage séculaire et sécuritaire de l'île. C'est un cliché persistant de l'imaginaire hollywoodien, qui consiste dans le sillage des « Nouveaux Philosophes » de sinistre mémoire à identifier dans toutes les utopies politiques d'immanquables dystopies totalitaires. On notera en passant l'insistance significative du motif de l'île comme serre d'insulation (Peter Sloterdijk) et comme lieu utopique par excellence exemplifié par la Terra Australis Incognita chère à Ernst Bloch. Dans The Leftovers, le groupe des « Reproches vivants » promet le renouveau éthique des formes de vie cénobitiques dont l'athéisme romprait avec les religions constituées (par exemple l'épiscopalisme, ce trait d'union entre catholicisme et protestantisme incarné par Matt Jamison avant d'affronter son fantasme consistant à rejouer le destin de Job). Et sa pauvreté tenue dans le refus symbolique de la parole serait en fidélité avec le vide de l'événement, jusqu'à ce que l'on découvre dans le courant de la première saison la passion sacrificielle et apocalyptique à laquelle carbure cette communauté néo-cénobitique, qui est une passion auto-sacrificielle associant l'« autocide » avec l'« hétérocide » pour parler comme Fethi Benslama. De fait, Damon Lindelof réitère son impuissance à envisager autrement que catastrophiquement le collectif en mobilisant ses puissances de grand conteur comme en parle Walter Benjamin seulement pour le Deux de l'événement amoureux. Mais aussi pour le pluriel des familles décomposées-recomposées, revisitées à l'aune d'un sens de l'adoption et de l'hospitalité qui excède l'identité nucléaire de la famille traditionnelle en accueillant d'autres espèces vivantes comme le chien (l'une des grandes obsessions démoniques de Damon Lindelof). La question politique reste donc pour ce dernier encore obscure et, de fait, son imaginaire demeure sur ce point homogène au consensus post-politique actuel. C'est pourquoi l'on a franchement hâte de découvrir la nouvelle série sur laquelle il planche en ce moment même, une adaptation originale du comics Watchmen d'Alan Moore, produite à nouveau pour HBO et programmée pour 2019.
Confiance en l'avenir : The Leftovers et Twin Peaks
Entre le moment où vous avez commencé à écrire le livre (en 2016) et sa publication (en 2018), des films ou des séries se sont-ils présentés à vous comme des prolongements ou des alternatives à votre propos ? On a par exemple beaucoup parlé cette année de Under The Silver Lake qui se construit sur les ruines d'une post-modernité devenue inopérante ou démodée, de manière différente, certes, que The Leftovers. Avez-vous été intéressé par ce film ? Autre cas, voyez-vous des similarités entre The Leftovers et Twin Peaks ? Est-ce que la saison 3 de cette dernière pourrait vous intéresser dans sa manière de traiter à nouveau l’événement Laura Palmer et par les choix aussi bien radicaux qu'inattendus de David Lynch ?
Il se trouve que nous avons beaucoup travaillé ces derniers mois sur les œuvres que vous mentionnez, comme en témoignent une longue étude de la figure mythique du Roi Pêcheur dans Ready Player One de Steven Spielberg et Under the Silver Lake de David Robert Mitchell, ainsi que quatre textes consacrés à Twin Peaks de Mark Frost et David Lynch, dont trois portant uniquement sur la troisième saison (tous les textes sont disponibles à la lecture sur notre site Internet Des Nouvelles du Front cinématographique). D'évidence, il y avait un grand intérêt à prolonger nos réflexions à l'épreuve d'un film exténuant qui a su nous toucher mais seulement à l'arrachée, et d'une série dont la troisième saison constitue pour nous le chef-d'œuvre de David Lynch et l'une des propositions audiovisuelles parmi les plus enthousiasmantes vues ce dernier quart de siècle, pas moins. Concernant Under the Silver Lake, l'ambition est réelle en osant héroïquement s'alourdir de détours référentiels nécessairement alambiqués afin d'épuiser une post-modernité décrite dans ses effets d'addiction et d'intoxication (l'herméneute hipster se jette dans le délire d'interprétation jusqu'au passage initiatique d'une catabase dans les fondations apocalyptiques de Hollywood pour différer la clochardisation) et sauver du cynisme du capitalisme culturel une image et même une seule qui aurait comme le visage de Janet Gaynor dans The 7th Heaven – L'Heure suprême (1927) de Frank Borzage une force faible de rédemption messianique.
Surtout, on se souvient nettement s'être dit d'une seule et même voix : l'année 2017 c'est d'abord et avant toute chose la saison trois de Twin Peaks et la saison trois de The Leftovers. Le bonheur aura été si grand de découvrir dans la foulée de l'ultime saison de la série de Tom Perrotta et Damon Lindelof (la troisième de la série a été diffusée entre avril et juin 2017) l'imprévisible retour de David Lynch à Twin Peaks (la troisième saison de Twin Peaks l'a été sur Showtime entre les mois de mai et septembre de la même année). Et si intensément compliquées auront été nos émotions quand le succès critique plus que mérité du retour à Twin Peaks a relativement participé à éclipser l'authentique réussite artistique du finale The Leftovers. D'autant plus que la seule série à pouvoir prétendre égaler Twin Peaks dans un registre proche est, après Lost, The Leftovers justement. Il y aurait tant de choses à dire, notamment sur des émotions qui sont pour nous des commotions puisqu'elles se vivent à deux, peut-être à l'occasion d'une relance de notre conversation. Il sera alors seulement question ici de vieillesse comme de cet âge qui contre tout jeunisme est si désirable, qui est l'âge d'un dur désir de durer autant partagé par Nora Durst et Kevin Garvey à la fin de The Leftovers que par des acteurs à nouveau réunis un quart de siècle par un cinéaste âgé désormais de 70 ans. Nous avons il y a un an écrit à ce propos un petit texte en hommage à ses deux séries qui constituent pour nous comme deux événements vrais-faux jumeaux : son titre en est « Les vieux fourneaux », son sous-titre « Vieillesse de même dans Twin Peaks et The Leftovers »(8). C'est l'émotion dans la série de Damon Lindelof et Tom Perrotta qui offre aux amoureux aux cheveux salés d'argent l'alliance de la confiance et du silence au principe d'une croyance restaurée dans le monde : je t'aime, ne m'en dis pas plus, je te crois. Et la série de vérifier après Slavoj Zizek que l'aphorisme de wittgenstein selon lequel « sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence » constitue la prescription fondamentale des amoureux. Et puis, c'est l'incommensurable bouleversement d'un retour imprévisible à Twin Peaks, parce qu'il s'est agi rien de moins que de prendre soin du quart de siècle, le nôtre où tous, les personnages comme les spectateurs, nous avons manqué les uns aux autres, tous bloqués pendant vingt-cinq ans dans la salle d'attente de la Red Room à espérer d'improbables retrouvailles qui n'adviennent mais seulement dans l'épreuve de la mort des amis imaginaires ou réels. Et la série de n'être cryptique qu'à valoir comme monument témoin de nos si longues absences et comme crypte dédiée aux amis disparus. « De Twin Peaks à The Leftovers, on n'aura jamais cessé de nourrir notre confiance en l'avenir en clamant : vieillesse, en avant ! » : voilà comment se conclut notre texte, sur l'apologie du temps qui vient qui est le temps qui reste, le temps de la fin jamais déliée du reste, le temps qui reste pour les amoureux – leftovers, left lovers.
Pour la suite du monde...
Pour ne pas conclure, et parce que nous serions vraiment curieux d’entendre où vos pas vous porteront prochainement, pourriez-vous nous dire un mot sur vos projets pour 2019 ?
Assez pour la prolixité, être peu bavard s'impose quant à la suite des choses dans la poursuite du monde. Ne pas en dire plus, sinon qu'il doit y avoir une révolution pour garantir à Jean-Luc Godard la plus révolutionnaire des vieillesses, sinon qu'il faut travailler à rendre justice à l'archipel des films algériens contemporains qui réinventent moins le cinéma national qu'ils ouvrent des lignes de fuite pour un peuple à venir, sinon que doit s'imposer le dernier effort d'écriture consacré à l'un des plus grands cinéastes contemporains qui soit et qui est libanais.
Propos recueillis par Sébastien Barbion et Guillaume Richard en décembre 2018.
Notes