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Toutes les publications

Sally Hawkins et Ollie (Jonah Wren Phillips) se regardent à travers la vitre dans Bring Her Back
Critique

« Bring Her Back » de Danny et Michael Philippou : Hantologie du refoulement

9 juin 2025
Au-delà de son symbolisme appuyé et sa critique réchauffée du familialisme, Bring Her Back de Danny et Michael Philippou porte une hantologie du refoulement. Le refoulement généralisé à l’œuvre, qui se traduit notamment dans la circulation du motif liquide, forme un bouchon entraînant une saturation lourdingue qui déborde dans ses expressions monstrueuses, avant d'être vidée comme on tire la chasse après une douche dorée.
Le soldat sous la neige à la fin de Les Damnés de Roberto Minervini
Rayon vert

« Les Damnés » de Roberto Minervini : Le désert des Tartares

9 juin 2025
Avec Les Damnés, Roberto Minervini ouvre une nouvelle fois les abysses de l’Amérique, d'hier comme d’aujourd’hui. Dans un territoire invisible, aux marges de ses frontières, en pleine Guerre de Sécession, un groupe d'éclaireurs refait l'Ouest d’une nation de damnés condamnés pour l’éternité à s’entre-dévorer.
Jean-Luc Godard ouvre son livre dans Exposé du film annonce du film Scénario
Rayon vert

« Exposé du film annonce du film Scénario » et « Scénarios » de Jean-Luc Godard : L’art de la fugue

5 juin 2025
Le scénario, s’il arrive, ne vient qu’à la fin, dans l’imminence du montage récapitulatif des existences que la mort organise. Tout le cinéma de Jean-Luc Godard, qui s’est levé de bonne heure contre la loi du scénario, ces pages noircies qui ont pour généalogie les faux en écriture des comptabilités macabres, en adopte à la fin des fins le mot, qui ne sera jamais le fin mot de l’histoire. C’est le temps compté des dernières scènes, monter encore pour faire mentir la mort, la prendre de vitesse depuis les ralentissements de la vieillesse. Scénario est le mot de la fin pour autant qu’il promet les images d’après la fin ; à nous, spectatrices et spectateurs, de nous en faire à l’aurore le projecteur.
Jean Dujardin et Marie-Josée Croze près de la mer dans Un Balcon sur la mer
Esthétique

L’autre vertige : Hitchcock chez Nicole Garcia

2 juin 2025
Les aspects hitchcockiens d'Un balcon sur la mer, que Nicole Garcia décrit comme un « thriller des sentiments », n’ont guère été approfondis alors qu'ils sont essentiels à la compréhension de l’enjeu de l’œuvre. Plus précisément, c’est bien Vertigo qui innerve le scénario et la composition de l’image où les moments référentiels sont nombreux et de natures très variées. Un balcon sur la mer ramène ainsi la verticalité structurante de Vertigo à l’horizontal, même et surtout lorsqu’une ascension semble être en jeu. C’est que l’univers filmique de Nicole Garcia, s’il se nourrit du tragique implacable de Vertigo, se refuse pourtant à prendre en charge la nécessité qui gouverne le film d’Hitchcock.
Jean Cocteau dans Le Testament d’Orphée
Esthétique

« Le Sang d’un poète » et « Le Testament d’Orphée » de Jean Cocteau : Trompe-la-mort

2 juin 2025
Avec Le Sang d’un poète, Jean Cocteau blasonne son premier poème en cinéma. Ses mythes s’y projettent dans la nuit étoilée d’une technique merveilleuse accréditant l’irréel du réalisme photographique. Trente ans plus tard, Le Testament d’Orphée inclut le poète dans son propre cabinet de curiosités, ce dédale dans son cœur qui est une fleur d’hibiscus. Si la mythification échappe à la mystification, c’est avec un esprit d’enfance moquant tout sérieux et l’ésotérisme invitant le cinématographe, cet art résurrectionnel, à rejoindre les Mystères d’Éleusis. L’illusionniste a dans son sac à malice tous les tours et trucs, toutes les astuces et les sentences qui sont des formules magiques, tous les semblants qui ne trompent personne, seulement la mort, tous les artifices pour en déjouer l’arrêt en ayant dès lors valeur de trompe-la-mort. « Faites semblant d’être tristes, ô vous, mes amis, puisque le poète fait semblant de mourir. »
Les cinq jeunes mères du film des frères Dardenne
Critique

« Jeunes mères » de Luc et Jean-Pierre Dardenne : Tuer les pères, sauver les mères

24 mai 2025
Après avoir cédé à la tentation du film coup de poing et de la démonstration dans leurs deux films précédents, Luc et Jean-Pierre Dardenne semblent dans un premier temps continuer sur la même voie avec Jeunes mères. Se moulant cette fois-ci dans le cadre téléfilmesque du film choral et dans une mouvance « post-Dalva », les frères déroulent une fois de plus les mécaniques bien rodées de narrations en forme de spirales infernales pour leurs quatre filles mères - chacune représentant un « cas », une situation sociale précise -, tout en persistant également dans leur obsession tenace de tuer le(s) père(s). Mais alors qu'il n'y avait apparemment plus rien à sauver dans ce cinéma devenu déterministe, une éclaircie inespérée advient quand les cinéastes regagnent l'envie de sauver leurs personnages et de leur redonner forme humaine.
Scarlett Johansson à la fenêtre de sa cabane dans Asteroid City
Rayon vert

« Asteroid City » de Wes Anderson : L'harmonie du chaos

24 mai 2025
Asteroid City fracasse le plan stellaire pour nous envoyer des nouvelles sur le sens de la vie. En voici un fragment, astéroïde perdu dans les confins andersonien.
La séquence finale de N'attendez pas trop de la fin du monde de Radu Jude.
Rayon vert

« N'attendez pas trop de la fin du monde » de Radu Jude : Une image sans pluie

24 mai 2025
Au milieu du très long plan fixe qui conclut N’attendez pas trop de la fin du monde de Radu Jude, un détail retient l’attention : Ovidiu se frotte le visage. Plus tard, le spectateur en comprend la raison : il pleut. Pourtant, ces gouttes restent invisibles à son œil. À travers cette bruine se dessine alors une relation paradoxale entre la pluie et la caméra.
Marcielle (Jamilli Correa) avec son père dans la forêt dans Manas
Critique

« Manas » de Marianna Brennand : Magie impossible

18 mai 2025
Manas ne travaille pas sur la double signification possible du mot « mana » en ne filmant aucune forme de spiritualité. Marianna Brennand montre au contraire la réalité crue et impitoyable d'une petite communauté où la mort rode dans sa fatalité indicible. Malgré sa pudeur et ses belles ellipses, Manas reste un film à sujet qui repose sur les standards d'un cinéma psychologico-réaliste post-Dardenne, qui sont d'ailleurs les coproducteurs du film, moins en magiciens qu'en gourous chefs d’entreprise exportateurs de leur modèle de travail.
Reda (Sammy Lechea) face au miroir dans L'Effacement de Karim Moussaoui
Rayon vert

« L'Effacement » de Karim Moussaoui : Ma vie sans moi

18 mai 2025
L'Effacement, c'est l'histoire d'un homme en voie de disparition. Karim Moussaoui en filme le processus, dans une Algérie recomposée, en voie de décomposition. Une logique d'effacement qui, toutefois, n'est pas un anéantissement, mais la seule chance respiratoire de Réda, s'il voulait bien encore se faire les poumons. Dans la vie, on a le souffle qu'on peut, l'endurance qu'on se fait.
Lillian Gish faisant une grimace dans Le Lys Brisé
Esthétique

« Le Lys brisé » de David W. Griffith : Le sourire jaune

18 mai 2025
Avec Le Lys brisé, David W. Griffith prouve qu’il est le premier génie dialecticien de l’histoire du cinéma. Le découpage d’une scène ne la morcelle qu’en raison des détails qui en mortifient la totalité ; ainsi, la vie quotidienne qui s’éparpille en mirages et en coups, et le bouddhisme dont le message de paix se dissout dans les migrations coloniales et les vapeurs opiacées. Le montage parallèle divise la fiction en lignes narratives selon des rapports contraires, la bestialité d’un Anglais, la spiritualité d’un Chinois et une fille terrorisée par le premier quand elle est par le second idolâtrée. Et, quand le montage joue d’alternance, c’est pour converger sur une violence qui répond à la violence, mais non mimétiquement puisqu’au père tuant sa fille par ensauvagement pulsionnel, répond l’homme qui la venge en le tuant avant de retourner sa violence contre lui-même au nom d’un amour que l’interdit racial réprime, mais qu’il sublime en nouvelle religion ne valant que pour elle et lui. Cheng Huan est ainsi dialectiquement passé de l’universel abstrait (le message universel d’amour du bouddhisme) à l’universel concret (l’amour d’une femme accessible seulement dans la mort). David W. Griffith pousse alors le mélodrame racialement convenu au paroxysme de la tragédie des amours qui sont des événements, des aberrations autant que des bonds dans la foi, son génie n’allant pas sans celui de son actrice fétiche, Lillian Gish, qu’il vénère à sa manière. Cheng Huan et Lucy sont frère et sœur de douleur et s’ils font bonne figure, c’est dans le V que forment le masque d’impassibilité de l’homme jaune et celui, forcé, de la fille qui sourit de la même couleur.
Eloy Pohu dans le rôle d'Enzo
Critique

« Enzo » de Laurent Cantet et Robin Campillo : S'effacer par amitié

14 mai 2025
Le dernier film en date de Robin Campillo est aussi et surtout le dernier film tout court de Laurent Cantet, disparu en avril 2024. Endossant la réalisation d'un scénario qu'il a co-écrit, Campillo s'efface derrière les intentions de Cantet et derrière une construction trop dense, trop pleine. Mais derrière l'accumulation de couches mal disposées, derrière ce mur branlant mal égalisé, se cache un film en creux, un film d'amitié sur le départ d'un ami.
Juliette Armanet et Bastien Bouillon dans une scène "type" de la comédie romantique dans "Partir un jour"
Critique

« Partir un jour » d’Amélie Bonnin : Déchanter en chansons

13 mai 2025
Sous des dehors de comédie romantique musicale, derrière un synopsis et une esthétique faisant dangereusement penser à un téléfilm régional, Partir un jour d'Amélie Bonnin - film d'ouverture du 78ème Festival de Cannes - utilise les clichés de la « rom com » et le dispositif de la comédie musicale pour développer un discours sur la fiction, et sur son impact inconscient dans la vie quotidienne et intime des gens. C'est en chantant que l'on déchante et que la comédie se teinte de mélancolie.
La question de la misogynie dans Il était une fois en Amérique de Sergio Leone.
Esthétique

Que faire des chefs-d'œuvre supposément misogynes de l'histoire du cinéma ?

11 mai 2025
Le chemin que parcourt un.e cinéphile croise souvent celui d’œuvres érigées en monuments. Inévitablement il arrive que certaines nous dérangent en s’actualisant au contact de notre morale ou nos idées politiques qui semblent en inadéquation. Cette rencontre, souvent volontaire, peut devenir le lieu d’une blessure. Si la légitimité de cette émotion ne peut être remise en cause, que dit-elle réellement du film ? Au hasard : est-il moins bon, car misogyne ? Une question qui en suppose, étant donné ma position sociale, une autre : est-ce un privilège que de pouvoir se le demander ? L’émergence de sensibilité(s) féministe(s) dans nos corps et notre esprit fait parfois état de révolutions tant elles ont le pouvoir de renverser la lecture des œuvres que l’on rencontre. C’est ce qui m’est arrivé devant Il était une fois en Amérique. Un tremblement si profond qu’il m’a semblé nécessaire de l’écrire.
Franck Dubosc dans sa sapinière dans Un ours dans le Jura
Le Majeur en crise

« Un ours dans le Jura » de Franck Dubosc : L'improbable coup de griffe

11 mai 2025
Un ours dans le Jura de Franck Dubosc est une merveille d'humour pince-sans-rire qui donne un bon coup de griffe à la comédie mainstream française. Si son comique manque parfois sa cible, il peut en atteindre d'autres, comme les valeurs traditionnelles, voire même une certaine idée du cinéma d'auteur coup-de-poing.
Le trio masqué dans "Reflet dans un diamant mort" d'Hélène Cattet et Bruno Forzani
Interview

Théorie organique : Interview d'Hélène Cattet et Bruno Forzani pour « Reflet dans un diamant mort »

5 mai 2025
Dans Reflet dans un diamant mort, Hélène Cattet et Bruno Forzani questionnent la figure du héros d'action à travers ses représentations passées et actuelles, par l'intermédiaire du sous-genre de l'Eurospy. Dans cet entretien, nous revenons avec eux sur leur méthode de travail, leurs obsessions d'auteurs et leur cinéphilie, en rapport avec ce film qui explore, encore plus que les précédents, la mise en abyme et le rapport au genre.
Vincent Cassel et Guy Pearce dans le cimetière vandalisé dans Les Linceuls
Rayon vert

« Les Linceuls » de David Cronenberg : Antre ses morts, deuil et nécromancie

24 avril 2025
Avec Les Linceuls, David Cronenberg s'est aventuré sous terre, dans les recoins de son antre fantasmatique et de la souffrance engendrée par la disparition de sa femme, pour remonter avec un film magnifique qui invente une nouvelle forme d'expression contemporaine du deuil et de la psyché croisant la matérialité de la mort, les fantasmes et l'évolution des technologies.
Marion Cotillard en reine des neiges dans "La Tour de glace"
BIFFF

Les mondes fermés : Interview de Lucile Hadžihalilović pour « La Tour de glace »

24 avril 2025
En cultivant sa part de mystère, le cinéma de Lucile Hadžihalilović accueille le spectateur afin qu'il y déambule et y réfléchisse, quand bien même il dépeindrait des mondes clos et oppressants. Dans La Tour de glace, la réalisatrice explicite sa relation à l'imaginaire et à l'enfermement qu'il peut produire, tout en perpétuant cette relation ouverte avec son spectateur. Ce sont ces paradoxes et d'autres dont nous avions envie de discuter avec elle lors de son passage au BIFFF.
James Woods dans Videodrome de cronenberg
Esthétique

David Cronenberg avec Lacan : « Je dois donner chair aux verbes puis filmer la chair faute de filmer le verbe ».

22 avril 2025
Depuis ses débuts à la fin des années 60 jusqu'à son dernier film en 2022, David Cronenberg s'est imposé comme un grand réalisateur de films de genre. Si la complexité de son œuvre est largement reconnue, on évoque aussi souvent sa très grande cohérence thématique. Pourtant, à y regarder de plus près, on retrouve à l'origine de chacun de ses films une trame narrative unique dans laquelle il semble systématiquement puiser. Un peu comme si tous les films de Cronenberg racontaient la même histoire selon différents points de vue...
L'homme avec son cheval dans la mer dans Voyage à Gaza de Piero Usberti
Esthétique

« Voyage à Gaza » de Piero Usberti : Le contrechamp des lucioles

17 avril 2025
Voyage à Gaza de Piero Usberti est un chant du cygne scintillant d'une étrange poésie funeste et crépusculaire. Il saisit quelque chose du temps précédant la destruction effective et toujours déjà annoncée des territoires palestiniens. À travers son journal filmé, qui n'est jamais autocentré et qui offre au contraire un saisissant contrechamp aux images médiatiques du conflit, Piero Usberti répond aussi à l'invitation de Jean-Luc Godard à brouiller les frontières entre la fiction qui serait le moyen d'expression d'Israël et le documentaire celui des Palestiniens.
Armande Pigeon au coeur de Bruxelles dans "Aimer perdre"
Interview

Serial galériens : Interview de Lenny et Harpo Guit pour « Aimer perdre »

10 avril 2025
Nous avions découvert les frères Guit au moment de la sortie de leur premier long-métrage, Fils de Plouc, qui faisait souffler un nouveau vent de fraîcheur sur le cinéma belge, terrain sur lequel nous peinons souvent à trouver notre bonheur et des stimulations esthétiques. Leur deuxième film, Aimer perdre, creuse des pistes similaires, telles que le jeu et les influences de la comédie burlesque et potache, mais en prenant pour acquis les transgressions déjà opérées par Fils de plouc, pour mieux faire évoluer l'humour et leur forme de rire.
Julie (Tessa Van den Broeck) à l'entrainement, dans "Julie se tait" de Leonardo Van Dijl
Critique

« Julie se tait » de Leonardo Van Dijl : Silence coupable

10 avril 2025
Comme le titre de l’œuvre de Leonardo Van Dijl l’indique explicitement, la jeune joueuse de tennis Julie (Tessa Van den Broeck) ne parle pas dans le film des sévices de son entraîneur (Laurent Caron). Aveu de faiblesse : le cinéma ne peut être le lieu de la libération de la parole. Il se fait plutôt le porte-voix d’une idée reçue selon laquelle l’art serait principalement le lieu circonscrit de l’intime et de l’indicible. Laissant opportunément les spectateurs dans le flou et son personnage de sainte mutique en pleine lumière, Julie se tait flatte notre regard compassionnel sans apporter de réel éclaircissement quant aux relations d’emprise au sein des structures sociales.
Tom Hanks et Robin Wright s'embrassent dans Here
Histoires de spectateurs

« Here » de Robert Zemeckis : La chambre noire de l'Amérique

10 avril 2025
Le film de Robert Zemeckis, Here, contient tout son programme dans son titre. « Here », ici et maintenant, par son dispositif singulier, entend raconter l'Amérique depuis l'intimité de ceux qui l'ont habité dans le salon d'une maison coloniale. Mais l'histoire est un drame sans unité. Au contraire, Robert Zemeckis, téléologique, entend mettre en ordre les désordres de l'Amérique dans un film qui, à coup de photographies, assassine ses souvenirs.
Marianne Jean-Baptiste, Michele Austin au cimetière dans Deux Sœurs de Mike Leigh.
Rayon vert

« Deux Sœurs » de Mike Leigh : Les crans de la colère

5 avril 2025
Le cinéma de Mike Leigh a la passion des personnages à cran, placidement portraiturés. Chez lui, la placidité du style ne contrevient en rien à l’acidité du trait, qu’elle atténue à sa manière pour en attendrir la pointe dans le polissage de ses durées. Puisqu’à l’écran, les (petites) gens sont à cran, naufragés et rescapés du néolibéralisme entaillés par ce qui socialement les assigne à des places exécrées, toujours prêts à monter d’un cran en se gueulant dessus à défaut de responsables impossibles à trouver, il revient à qui en filme les macérations à mèche lente de savoir les décranter. Deux Sœurs pousse d’un cran l’art du décrantage quand les « dures vérités » lâchées en rafale par l’atrabilaire Pansy à tout son entourage ne sont des éclats de méchanceté qu’à amorcer la décantation de leur jus de colère. Si la colère fait du cœur un moteur à explosion, son entretien abîme aussi le corps et l’esprit de sa porteuse et il appartient à Chantelle, la sœur de Pansy, d’en assurer les involontaires soulagements quand la volonté consiste justement à en vouloir à la terre entière. On est en colère parce qu’on est endeuillé et le deuil commencerait toujours déjà à la naissance en recommençant avec la mort des parents. On naît en colère et endeuillé et Deux Sœurs en approcherait l’intime vérité comme jamais – la colère dont le noyau de hantise est de terreur, l’intolérable vérité de la vie qui est irrémédiable et la culpabilisation d’autant plus infinie qu’elle est sans faute ni expiation.
Issiaka Kane (Nianankoro) donne l’œuf dans le désert dans Yeelen de Souleymane Cissé
Rayon vert

« Yeelen » de Souleymane Cissé : Duel au soleil

27 mars 2025
Yeelen ne conte pas seulement le récit incandescent de générations d’initiés qui, de pères en fils, se font la guerre au nom d’obscures rivalités sorcellaires, il se montre lui-même comme une initiation en vérifiant ainsi la charge transgressive qui lui est fondamentalement associée. En se proposant d’instruire ses spectateurs aux savoirs et rituels secrets du Komo, le film de Souleymane Cissé réussit à tenir les deux bouts du mystère dont il est le fascinant relais : l’initiation (la connaissance élève, elle est transformatrice) et la transgression (la connaissance tue, elle est destructrice), l’aile du Kôrê (le sceptre qui élève et protège) et le Kolonkalanni (le pilon magique qui abat et punit). L’histoire de Yeelen est millénaire et le film date du milieu des années 80, il est d’avant-hier et d’après-demain. Yeelen est un film merveilleux, d’aventures et d’hallucinations, gorgé d’un animisme dont le cinéma redéploie les puissances dans les mélanges de la fable et du documentaire, la captation du réel et son insufflation par des récits en deçà et au-delà de l’Histoire, promises à rayonner encore mille nouvelles années.
La fille dans Den Muso de Souleymane Cissé
Rayon vert

« Den Muso » de Souleymane Cissé : Le silence que la parole outrage

27 mars 2025
Dans les sociétés où règne l'oralité, la parole fait lien et loi et son instrument est la voix. Y vivre sans voix dans le cantonnement de la parole qui manque, c'est être alors sans pouvoir en étant la proie des lions qui s'en disputent la part. Le cinéma est fait pour cela quand il montre que le monde se partage entre des parlants et des muets et si les premiers exercent un pouvoir sur les seconds, ces derniers ne sont pas seulement des êtres d'impuissance, mais les sujets d'une autre puissance en contestant au verbe sa domination. Quand l'œil se met à écouter, le regard se trouve dès lors disposé à voir l'inouï coincé au fond de la gorge tout en participant à faire des bouchons d'oreilles. L'inouï est un non (la voix qui manque n'a pas droit au chapitre), c'est un oui aussi (ce qui se tait est une pensée dont le silence résiste aux moyens de la verbaliser). Avec la fluidité de l'eau que le vent doucement remue, Den Muso La Fille mêle ainsi les registres entre l'éloge et l'élégie, l'observation documentaire et le drame social, la critique politique et la tragédie antique, le cas particulier et son exemplarité générique, son universalité transculturelle et sa singularité quelconque. La plainte de Ténin, la sans-voix, est la complainte de la jeune femme violée par tous ceux qui auront parlé à sa place, et dont la puissance de mort est l'énigme incendiaire d'un désaveu collectif. Le silence que la parole outrage, dans ses droits qui oublient ses devoirs à son égard, déchaîne alors la rage, ses coups de sang asphyxiant les parlants et ses coups de soleil incendiaires. Le cinéma en répond en prenant son parti – celui de Souleymane Cissé, au nom du mystère de son enfance impartie.
Andrés Roca Rey dans l'arène dans Tardes de soledad de Albert Serra
Rayon vert

« Tardes de soledad » d'Albert Serra : La vie ne pèse rien

27 mars 2025
Tardes de soledad d’Albert Serra, ou « Après-midi de solitude » si l’on traduisait mot-à-mot, est un documentaire suivant le matador Andrés Roca Rey au cours de plusieurs combats successifs. Cherchant à représenter ce qu’il y a de plus essentiel dans la corrida, le réalisateur nous propose de nous immerger au cœur de l’arène où, comme le dira l’un des personnages, « la vie ne pèse rien ».
Isabelle Huppert dans La voyageuse de Hong Sang-soo
Rayon vert

« La Voyageuse » de Hong Sang-soo : No workbook !

22 mars 2025
La Voyageuse d’Hong Sang-soo, produit d’une nouvelle collaboration entre le réalisateur coréen et d’Isabelle Huppert (Iris dans le film), se présente comme une étrange promenade de l’actrice. Professeure de français, puis confidente d’un poète-compagnon, le personnage d’Iris erre à l’écran pour nous raconter ce qu’est véritablement le voyage proposé par le cinéma d’Hong Sang-soo.
Paul Newman et Burt Lancaster dans Buffalo Bill et les indiens de Robert Altman
Rayon vert

« Buffalo Bill et les indiens » de Robert Altman : Les bruyants et le muet

22 mars 2025
Tout spectacle n’aurait peut-être pas d’autre message à communiquer que le bruit qu’il fait, le tintamarre de la représentation exprimant la vérité des mensonges tapageurs du représenté. Si les films de Robert Altman sont bruyants, particulièrement Buffalo Bill et les Indiens, c’est pour y donner à entendre le bruit du spectacle par quoi s’instruit sa critique. Le mythologue à l’œil d’aigle sait tendre aussi l’oreille à ce que taisent haut et fort les mythes. Ce qui s’appelait hier démythification et se qualifie de déconstruction aujourd’hui ne suffit pas à comprendre comment la critique du spectacle reste encore du spectacle – à cette différence près, toutefois, qu’elle sait de quoi elle hérite, quels sont les impensés qui en font les limites, quelle tragédie dont l’os perce la croûte des railleries.
Mickey 17 et Mickey 18 côte à côte dans le film de Bong Joon-ho
Le Majeur en crise

« Mickey 17 » de Bong Joon-ho : Théorie de l'assassinat politique

15 mars 2025
Mickey 17, à lire une bonne partie de la critique, serait un film raté. S'il est raté, c'est qu'il s'agissait de penser l'Amérique d'un dératé qui voudrait aujourd'hui conquérir le monde jusqu'à plus souffle, comme un perdu ; penser encore l'Amérique à partir de ses rats comme de ses souris Mickey, qui se demandent chez Bong Joo-ho comment se débarrasser de ce piège à ratons qui a pour nom Trump ? Mickey 17, dans son ratage, ne manque pas sa cible. Il explose ses propres lignes de démarcation pour théoriser un nouveau type d'assassinat politique, le présicide, soit commettre un attentat contre son président en un acte qui ne sera pas manqué. Un film pour réimprimer le rêve de l'Amérique.
Michael Fassbender et Cate Blanchett s'embrassent dans The Insider de Steven Soderbergh
Rayon vert

« The Insider » de Steven Soderbergh : Polygraphe éclairé

13 mars 2025
Il y a une séquence absolument irrésistible dans The Insider, celle du polygraphe, autrement dit le détecteur de mensonge auquel se plie l'entourage professionnel d'un espion pour savoir si un menteur s'y cache. Le polygraphe est un terme polysémique. Le détecteur de mensonge y côtoie en effet une espèce de papillon, ainsi qu'un auteur qui multiplie les domaines d'écriture. Le terme est idoine pour Steven Soderbergh comme pour son scénariste, David Koepp, avec qui il vient d'enchaîner trois films en deux ans : KIMI, Presence et The Insider. L'éclectisme dans la variété des sujets qu'ils aiment tous deux privilégier, au risque de la dispersion et la frivolité, aurait ainsi trouvé dans le polygraphe son meilleur dispositif. Avec le polygraphe, le papillonnage élit sa machine en touchant à sa raison d'être : la lecture paranoïaque des signes redoublée par sa manipulation ludique dès lors que l'on sait tenir à son point de concentration le plus intime. Dans ce monde de séduction vitreuse qu'est l'espionnage où la maîtrise des apparences est un enjeu de luttes, la hantise des fuites a pour fondement la contraction ouvrant les surfaces sur leur point de capiton. À l'ombre de l'OTAN, les relations de bureau ressemblent au fond à toutes les autres, sinon qu'elles y sont plus létales. Les surfaces vitrifiées ne sont désirables qu'à se rendre lisibles grâce aux polygraphes qui, seuls, savent indiquer où se tient le point le plus intime de concentration empêchant alors qu'elles nous frigorifient.
Jamel Debbouze en agent de jours dans Mercato
Esthétique

« Mercato » de Tristan Séguéla : Football Factory

13 mars 2025
Mercato est un film sur le football qui en devient un film de football. Mais si sa logique de construction est calquée sur tous les antagonismes de ce sport, Mercato entend les résoudre finalement. Le film voulait nous faire savoir ce qu'est le football, ses intrigues, ses mœurs. Il veut surtout nous faire croire à ses leurres.
Anne Wiazemsky et Jean-Pierre Léaud Porcherie de Pier Paolo Pasolini
Esthétique

« Porcherie » de Pier Paolo Pasolini : Cannibale on est mal

13 mars 2025
Dans Théorème, Pasolini fait un peu trop l’ange (l’annonciation s’y littéralise avec moins de crudité que de nudité narcissique) ; dans Porcherie, un peu trop la bête (la société y exposerait la cruauté de ses secrets autophages avec une exhibition démonstrative). Janus y a deux visages, de l’ange et de la bête, et leur réversibilité circulaire a pour bouche de lave le cratère partagé du vulcain de l’Etna. L’orifice fulminant auquel un anthropophage des âges barbares offre la tête de sa première victime revient en dernière instance au cinéaste lui-même, en colère contre une époque où la posture révolutionnaire devient un conformisme et où le peuple tant aimé se dissout dans une masse abhorrée, bourgeois et prolétaires tous enrôlés sous la bannière d’un consumérisme néofasciste. L’œuvre de Pier Paolo Pasolini, ainsi Porcherie, est porteuse d’une esthétique cannibale, redoublée d’une métaphysique vitaliste où la vie se mangerait sans produire plus aucun déchet. Manger l’autre, c’est l’aimer en se mangeant soi-même mais cela c’est l’exception, l’hétérogène que remâche l’Histoire, sa goinfrerie ordurière.
Jack Nance dans Eraserhead de David Lynch
Esthétique

« Eraserhead » de David Lynch : Par tous les trous

6 mars 2025
Bouches, oreilles, fêlures, terrier, crane ouvert : Eraserhead est traversé par des trous, où semblent converger toutes les obsessions de David Lynch. Hanté par le cerveau-effaceur du titre, Henry Spencer doit traverser ses cauchemars et ses monstres. Afin de se sauver de l’oubli, son corps va devoir apprendre à apprivoiser les trous du monde.
Nicolas Cage et Laura Dern s'embrassent dans Sailor et Lula de David Lynch.
La Chambre Verte

« Sailor et Lula » de David Lynch : Les forces du désir

6 mars 2025
L’art de l’acteur est employé dans Sailor et Lula de façon à donner une certaine idée du désir. Là, le désir-souffrance produit par une insigne perversité, ici, le désir-bonheur qu’inspire l’amour le plus simple ; l’un et l’autre se reflètent intensément ou monstrueusement dans le corps des comédiens.
Betty et Rita dans le rêve de Diane, dans "Mulholland Drive"
Rayon vert

« Mulholland Drive » de David Lynch : Un rêve peut en cacher un autre

6 mars 2025
Malgré les apparences, Mulholland Drive est peut-être le film le plus explicatif et rationnel de David Lynch, par-delà sa lecture onirique. Néanmoins, l'auteur y a laissé quelques éléments hétérogènes et fluctuants qui permettent encore d'entretenir le mystère et le potentiel hypnotique du film. Parmi ceux-ci, il y a le clochard du Winkie's, démiurge maléfique ou incarnation du destin, qui continue d'intriguer. Par sa construction en poupée russe et ses rêves enchâssés, le film ne cesse de faire cogiter son spectateur et de le faire participer à ses énigmes ludiques, disséminées par un Lynch plus joueur que jamais.
David Lynch au travail dans David Lynch : The Art Life
Rayon vert

« David Lynch : The Art Life » : Le marin et la sirène

6 mars 2025
Au milieu des années 2010 et après l’expérience radicale d’INLAND EMPIRE, on croyait David Lynch perdu, son nom d’artiste figé en marque déposée des industries du luxe, de la méditation transcendantale et de la musique. Avec David Lynch : The Art Life, on le retrouve en toute simplicité comme il a toujours été, double : habitant (le monde matérialisé de ses fantasmes, celui que présente son atelier) et habité (par des visions surgies d’une enfance où le rêve américain pourtant figuré dans la gentillesse exemplaire de ses parents n’aura jamais cessé d’être retourné sur des envers effrayants). Deux fois habité, donc (comme corps actif et silencieux et comme voix relayant des récits et des visions en off ou au micro). Mais deux fois habitant également (notre monde au sein duquel il se sera constitué le sien propre et ses œuvres représenteraient autant d’accès permettant à n’importe qui d’y entrer). Accompagné de son dernier enfant, la petite Lula qui est sa sirène d’enfance, David Lynch s’y montre en vieux marin qui s’apprête alors à reprendre la mer en repartant du milieu, tout le cosmos et ses océans intersidéraux, tout l’univers qui enflera et s’embrasera à nouveau en recommençant notre sidération, une fois retrouvé l’accès au cœur de la forêt de Twin Peaks.
John Hurt sur le bateau dans Elephant Man de David Lynch
Rayon vert

« Elephant Man » de David Lynch : La déchirure dans l'ordre des choses

6 mars 2025
John Merrick est une déchirure qui parcourt le réel. Il a le pouvoir révélateur de s'infiltrer sous les apparences, et c'est de cette puissance augurale qu'Elephant Man se revendique sans concession aucune pour parler de ce qui fait l'humanité depuis l'époque victorienne comme ce qui fait société, depuis son capitalisme naissant, sa gloire impériale, qui parle encore de notre époque.
Le cri de Laura Palmer à la fin de Twin Peaks
Esthétique

« Laura Palmer » ou Twin Peaks au tribunal de la Sororité cinéphile

6 mars 2025
Avec Laura Palmer - Au pays des miroirs, Louise Van Brabant fait comparaître Twin Peaks devant le tribunal médiatique du jugement post-#MeToo qui consiste à revenir sur des œuvres en vérifiant qu'elles respectent bien la représentation de la femme et brisent les codes du male gaze. Plutôt qu'expérimenter, Louise Van Brabant préfère d'abord juger : on ne répétera jamais assez que cette forme d'esthétique fondée principalement sur le jugement réifie les œuvres quand elle prétend libérer des corps de l'emprise du regard masculin.
Daniel Craig et Drew Starkey au bar dans Queer de Luca Guadagnino
Rayon vert

« Queer » de Luca Guadagnino : Les larmes d’Ouroboros

28 février 2025
L’autre est la plus dure des drogues, la drogue parfaite comme un crime est parfait. L’exhibitionnisme est une pharmacie pour junkies quand le narcissisme, le piège du moi pris dans la glace de l’autre, est la maladie la plus addictive. Le pédé hystérique que William Burroughs était, qui se disait moins gay que désincarné, aura eu pour tâche immense de se faire le festin du queer dont nous sommes toutes et tous les sujets : tous les malades impuissants à renoncer à l’autre, ce remède en tant qu’il est d’abord un poison – un pharmakon. Queer de Luca Guadagnino en triture les formes comme des organes infectés, l’abondance et la débandade, les cannibalisations fantasmées et l’or dur de ses déchets. Le queer de l’être sexué fait des manières et gesticule, il se désarticule lui-même en sachant ne jamais remédier à l’autre, ce virus. Le maniériste survit ainsi à ses modèles dont il s’éprend en les malmenant puisque ceux-là le malmènent déjà comme n’importe qui survit au passage de l’autre et son désir, avec sa poche à venin au bout de l’aiguillon. Survivre à l’autre, ce cannibale innocent, cet involontaire parasite est l’affaire d’une vie et elle a en cinéma ses formes et le jeu des forces qui les déforment, poussée et contre-poussée, prolapsus cordial après les ruptures de ligament croisé. L’éclectisme suit comme si changer de peau donnait à sauver la sienne. La garde-robe habille les secrets les mieux gardés quand les larmes d’Éros sont celles d’Ouroboros.
Callina Lang près de la fenêtre de sa chambre dans Presence de Steven Soderbergh.
Esthétique

« Presence » de Steven Soderbergh : Chimère du rêve américain

22 février 2025
Que peut bien manifester l'invisible ? Rien, sinon une présence chez Steven Soderbergh dans son dernier film au titre évocateur : Presence. Une présence particulière, qui, apparaissant fait apparaître dans le même temps, qui se manifestant manifeste instamment quelque chose, l'irruption d'un événement, pour (re-)faire famille, pour repenser la possibilité même de (re-)faire Amérique.
Mahin (Lily Farhadpour) et Faramarz (Esmail Mehrabi) boivent dans la cour dans Mon gâteau préféré
Histoires de spectateurs

« Mon gâteau préféré » de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha : Jardin suspendu

17 février 2025
Mon gâteau préféré de Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha permet de prendre un bon bol d'air face à la machine d'oppression politique et esthétique du cinéma iranien contemporain qui domine la production exportée chez nous. Ce cinéma est un poids lourd à la tête dure qui, paradoxalement, met KO le spectateur et broie bien souvent ses personnages. À l'exception de sa fin décevante, Mon gâteau préféré offre tout le contraire, et tisse même un lien inattendu avec Le Déjeuner, un tableau de Claude Monet.
Adrien Brody en contre-plongée dans la nuit dans The Brutalist
Rayon vert

« The Brutalist » de Brady Corbet : Biopic sinistré

15 février 2025
The Brutalist, troisième film du réalisateur américain Brady Corbet, a au premier abord de quoi rebuter. Fresque grandiloquente de 3h30 sur un artiste incompris, mangé par le capitalisme américain, du déjà-vu au carré. Et en surface c’est bien cela, mais dans son squelette seulement, que le réalisateur nous appelle à dépasser pour saisir une matière bien plus contrariée. Toutefois Corbet ne travaille pas qu’un vernis, sous lequel se cacherait à la vue de tous, la pourriture. Il rentre au cœur de la machine symbolique et la pirate de l’intérieur. Le rêve américain n’a pas été perverti, la perversion est justement ce qui le constitue.
Timothée Chalamet en Bob Dylan dans Un parfait inconnu
Critique

« Un parfait inconnu » de James Mangold : L'Amérique sidérale

13 février 2025
Pour une bonne partie de la critique, Un parfait inconnu de James Mangold, serait un non-biopic sur Bob Dylan. Un film sur un inconnu qui le demeurera. Un parfait inconnu serait donc un drôle de film. Un film qui n'a pas de programme, qui refuse le programme prévisible du biopic, pour en déjouer les pièges. Il faut dire au contraire que cette absence de programme tient lieu de programme. Elle parle de l'Amérique d'aujourd'hui, une surface plane, lisse, un désert où prospère tranquillement la vermine.
Les trois actrices principales de Les Graines du figuier sauvage
Critique

« Les Graines du figuier sauvage » de Mohammad Rasoulof : Penser l'ennemi, affronter son esthétique

8 février 2025
Les Graines du figuier sauvage n'est pas le film que l'on croit. Son sujet, fort, écrase toute velléité formelle. Définitivement, le sujet des Graines du figuier sauvage exerce sa loi, une souveraineté totalitaire. Irrévérencieux dans sa note d'intention à l'égard de la théocratie iranienne, le film se montre bien pieux à l'égard des genres du thriller et de l'horreur qu'il emprunte. Mohammad Rasoulof voulait contester l'ordre établi. Il le réinstalle sur l'autel de son esthétique. Un cinéma du confort. Un cinéma touristique.
Gilles Deleuze face à Claire Parnet dans L'Abécédaire de Gilles Deleuze
Esthétique

« L'Abécédaire de Gilles Deleuze » : L'internel à la télé

7 février 2025
Un abécédaire pour bifurquer dans la matière concrète, gaie et labyrinthique de la philosophie, ses concepts et ses affects, depuis le foyer du corps miné par la maladie de qui lui aura dévolu sa vie. Une émission de télévision en forme de séance de spiritisme. Retrouvé dans les faveurs du direct, avec ses claps et ses fins de bobine, toutes les failles de l'image par lesquelles recommencer ce qui ne s'énonce que dans des différences de potentiel et des rapports d'intensité, le génie spirite du cinéma aura permis à la télévision d'en faire tourner la table – la télé tournée et retournée au microsillon de la pensée de Gilles Deleuze. Deleuze à la télé, c'est une image de l'internel dont l'idée reviendrait à Charles Péguy quand l'instant coïncide avec l'éternité qui n'est plus extérieure au temps, mais interne à lui. L'internel dit l'événement quand le confort domestique de la télé peut enfin vibrer du dehors de la pensée.
Tous les personnages de Je suis toujours là de Walter Salles sur la plage.
Critique

« Je suis toujours là » de Walter Salles : Réenchanter la dictature

1 février 2025
Je suis toujours là de Walter Salles avait semble-t-il pour ambition de filmer l’histoire d’un père disparu sous la dictature brésilienne des années 70. Il n’en sera jamais rien. Dans un discours rance, il se fait l’agent complice de toutes les autocraties, décide de se débarrasser du corps du disparu, pour nous délivrer sa philosophie morale et politique dans un film mou à tendance (droite) dure.
Vincent Lindon et ses fils dans Jouer avec le Feu
Critique

« Jouer avec le Feu » de Delphine et Muriel Coulin : Déclarer sa flamme à l'extrême-droite

31 janvier 2025
Jouer avec le Feu de Delphine et Muriel Coulin voulait nous alerter sur l'extrême-droitisation en cours de la société française, quand le mal, par effet de contagion, gagnerait un peu partout. Mais quand elles croient avoir réalisé un film dénonçant la montée de l'extrême-droite parmi la jeunesse, elles en reconduisent aux principes, sur le plan scénaristique comme de la mise en scène. Un film contre ? Un film tout contre.
Christopher Abbott métamorphosé face à Julia Garner dans Wolf Man
Rayon vert

« Wolf Man » de Leigh Whannell : L'Heure de l'homme

18 janvier 2025
Wolf Man n'est pas tout à fait un film de loup-garou. Ou du moins ce n'est pas le film attendu. Grâce à un travail habile sur la perception, il déplie un récit reposant sur le caractère contingent de la mort qui figure d'abord la lutte d'un homme contre l'animalité pour ne jamais lui céder le pas. Le film surprend par sa déchirante irréversibilité et son attention pour ce qui résiste avant la perte : il sonne l'heure de l'homme plutôt que celle du loup.
Abou Sangare dans L'Histoire de Souleymane
Critique

« L'Histoire de Souleymane » de Boris Lojkine : Politique du bon immigré

18 janvier 2025
L'Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine, n'est pas le film que l'on croit. En apparence humaniste, il déshumanise en permanence. En filmant le parcours d'un immigré clandestin en quête de papiers, il délègue finalement au spectateur le choix d'en décider. Il partage ainsi le même sale petit secret que tous les droitards attardés, n'accorder droit de cité qu'aux bons immigrés. Un travail de discrimination s'opère, qui révèle le caractère mensonger du film. Il se voudrait humaniste. Il fait la chose la moins humaniste possible : juger.
Victoire Song dans Cent mille milliards de Virgil Vernier
Rayon vert

« Cent mille milliards » de Virgil Vernier : À l'Avent

11 janvier 2025
Cent mille milliards est un conte diaphane sur les solitudes à qui ne revient plus que le soin de légender, un autre essai en filigrane sur la postmodernité qui est le temps de la fin des temps, indéfiniment. Le film de Virgil Vernier serait à sa façon ambivalente, de ne pas y toucher ou bien d’appuyer trop fort, un calendrier de l’Avent pour faire patienter les enfants avant la parousie qui sera leur vraie fête – le temps d’après qui sera le temps qui reste, et dont l’unique opération consistera, après tous les abattements existentiels, en un désœuvrement généralisé.
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