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Toutes les publications

Vincent Cassel et Guy Pearce dans le cimetière vandalisé dans Les Linceuls
Critique

« Les Linceuls » de David Cronenberg : Antre ses morts

24 avril 2025
Avec Les Linceuls, David Cronenberg s'est aventuré sous terre, dans les recoins de son antre fantasmatique et de la souffrance engendrée par la disparition de sa femme, pour remonter avec un film magnifique qui invente une nouvelle forme d'expression contemporaine du deuil et de la psyché croisant la matérialité de la mort, les fantasmes et l'évolution des technologies.
Marion Cotillard en reine des neiges dans "La Tour de glace"
BIFFF

Les mondes fermés : Interview de Lucile Hadžihalilović pour « La Tour de glace »

24 avril 2025
En cultivant sa part de mystère, le cinéma de Lucile Hadžihalilović accueille le spectateur afin qu'il y déambule et y réfléchisse, quand bien même il dépeindrait des mondes clos et oppressants. Dans La Tour de glace, la réalisatrice explicite sa relation à l'imaginaire et à l'enfermement qu'il peut produire, tout en perpétuant cette relation ouverte avec son spectateur. Ce sont ces paradoxes et d'autres dont nous avions envie de discuter avec elle lors de son passage au BIFFF.
James Woods dans Videodrome de cronenberg
Esthétique

David Cronenberg avec Lacan : « Je dois donner chair aux verbes puis filmer la chair faute de filmer le verbe ».

22 avril 2025
Depuis ses débuts à la fin des années 60 jusqu'à son dernier film en 2022, David Cronenberg s'est imposé comme un grand réalisateur de films de genre. Si la complexité de son œuvre est largement reconnue, on évoque aussi souvent sa très grande cohérence thématique. Pourtant, à y regarder de plus près, on retrouve à l'origine de chacun de ses films une trame narrative unique dans laquelle il semble systématiquement puiser. Un peu comme si tous les films de Cronenberg racontaient la même histoire selon différents points de vue...
L'homme avec son cheval dans la mer dans Voyage à Gaza de Piero Usberti
Esthétique

« Voyage à Gaza » de Piero Usberti : Le contrechamp des lucioles

17 avril 2025
Voyage à Gaza de Piero Usberti est un chant du cygne scintillant d'une étrange poésie funeste et crépusculaire. Il saisit quelque chose du temps précédant la destruction effective et toujours déjà annoncée des territoires palestiniens. À travers son journal filmé, qui n'est jamais autocentré et qui offre au contraire un saisissant contrechamp aux images médiatiques du conflit, Piero Usberti répond aussi à l'invitation de Jean-Luc Godard à brouiller les frontières entre la fiction qui serait le moyen d'expression d'Israël et le documentaire celui des Palestiniens.
Armande Pigeon au coeur de Bruxelles dans "Aimer perdre"
Interview

Serial galériens : Interview de Lenny et Harpo Guit pour « Aimer perdre »

10 avril 2025
Nous avions découvert les frères Guit au moment de la sortie de leur premier long-métrage, Fils de Plouc, qui faisait souffler un nouveau vent de fraîcheur sur le cinéma belge, terrain sur lequel nous peinons souvent à trouver notre bonheur et des stimulations esthétiques. Leur deuxième film, Aimer perdre, creuse des pistes similaires, telles que le jeu et les influences de la comédie burlesque et potache, mais en prenant pour acquis les transgressions déjà opérées par Fils de plouc, pour mieux faire évoluer l'humour et leur forme de rire.
Julie (Tessa Van den Broeck) à l'entrainement, dans "Julie se tait" de Leonardo Van Dijl
Critique

« Julie se tait » de Leonardo Van Dijl : Silence coupable

10 avril 2025
Comme le titre de l’œuvre de Leonardo Van Dijl l’indique explicitement, la jeune joueuse de tennis Julie (Tessa Van den Broeck) ne parle pas dans le film des sévices de son entraîneur (Laurent Caron). Aveu de faiblesse : le cinéma ne peut être le lieu de la libération de la parole. Il se fait plutôt le porte-voix d’une idée reçue selon laquelle l’art serait principalement le lieu circonscrit de l’intime et de l’indicible. Laissant opportunément les spectateurs dans le flou et son personnage de sainte mutique en pleine lumière, Julie se tait flatte notre regard compassionnel sans apporter de réel éclaircissement quant aux relations d’emprise au sein des structures sociales.
Tom Hanks et Robin Wright s'embrassent dans Here
Histoires de spectateurs

« Here » de Robert Zemeckis : La chambre noire de l'Amérique

10 avril 2025
Le film de Robert Zemeckis, Here, contient tout son programme dans son titre. « Here », ici et maintenant, par son dispositif singulier, entend raconter l'Amérique depuis l'intimité de ceux qui l'ont habité dans le salon d'une maison coloniale. Mais l'histoire est un drame sans unité. Au contraire, Robert Zemeckis, téléologique, entend mettre en ordre les désordres de l'Amérique dans un film qui, à coup de photographies, assassine ses souvenirs.
Marianne Jean-Baptiste, Michele Austin au cimetière dans Deux Sœurs de Mike Leigh.
Rayon vert

« Deux Sœurs » de Mike Leigh : Les crans de la colère

5 avril 2025
Le cinéma de Mike Leigh a la passion des personnages à cran, placidement portraiturés. Chez lui, la placidité du style ne contrevient en rien à l’acidité du trait, qu’elle atténue à sa manière pour en attendrir la pointe dans le polissage de ses durées. Puisqu’à l’écran, les (petites) gens sont à cran, naufragés et rescapés du néolibéralisme entaillés par ce qui socialement les assigne à des places exécrées, toujours prêts à monter d’un cran en se gueulant dessus à défaut de responsables impossibles à trouver, il revient à qui en filme les macérations à mèche lente de savoir les décranter. Deux Sœurs pousse d’un cran l’art du décrantage quand les « dures vérités » lâchées en rafale par l’atrabilaire Pansy à tout son entourage ne sont des éclats de méchanceté qu’à amorcer la décantation de leur jus de colère. Si la colère fait du cœur un moteur à explosion, son entretien abîme aussi le corps et l’esprit de sa porteuse et il appartient à Chantelle, la sœur de Pansy, d’en assurer les involontaires soulagements quand la volonté consiste justement à en vouloir à la terre entière. On est en colère parce qu’on est endeuillé et le deuil commencerait toujours déjà à la naissance en recommençant avec la mort des parents. On naît en colère et endeuillé et Deux Sœurs en approcherait l’intime vérité comme jamais – la colère dont le noyau de hantise est de terreur, l’intolérable vérité de la vie qui est irrémédiable et la culpabilisation d’autant plus infinie qu’elle est sans faute ni expiation.
Issiaka Kane (Nianankoro) donne l’œuf dans le désert dans Yeelen de Souleymane Cissé
Rayon vert

« Yeelen » de Souleymane Cissé : Duel au soleil

27 mars 2025
Yeelen ne conte pas seulement le récit incandescent de générations d’initiés qui, de pères en fils, se font la guerre au nom d’obscures rivalités sorcellaires, il se montre lui-même comme une initiation en vérifiant ainsi la charge transgressive qui lui est fondamentalement associée. En se proposant d’instruire ses spectateurs aux savoirs et rituels secrets du Komo, le film de Souleymane Cissé réussit à tenir les deux bouts du mystère dont il est le fascinant relais : l’initiation (la connaissance élève, elle est transformatrice) et la transgression (la connaissance tue, elle est destructrice), l’aile du Kôrê (le sceptre qui élève et protège) et le Kolonkalanni (le pilon magique qui abat et punit). L’histoire de Yeelen est millénaire et le film date du milieu des années 80, il est d’avant-hier et d’après-demain. Yeelen est un film merveilleux, d’aventures et d’hallucinations, gorgé d’un animisme dont le cinéma redéploie les puissances dans les mélanges de la fable et du documentaire, la captation du réel et son insufflation par des récits en deçà et au-delà de l’Histoire, promises à rayonner encore mille nouvelles années.
La fille dans Den Muso de Souleymane Cissé
Rayon vert

« Den Muso » de Souleymane Cissé : Le silence que la parole outrage

27 mars 2025
Dans les sociétés où règne l'oralité, la parole fait lien et loi et son instrument est la voix. Y vivre sans voix dans le cantonnement de la parole qui manque, c'est être alors sans pouvoir en étant la proie des lions qui s'en disputent la part. Le cinéma est fait pour cela quand il montre que le monde se partage entre des parlants et des muets et si les premiers exercent un pouvoir sur les seconds, ces derniers ne sont pas seulement des êtres d'impuissance, mais les sujets d'une autre puissance en contestant au verbe sa domination. Quand l'œil se met à écouter, le regard se trouve dès lors disposé à voir l'inouï coincé au fond de la gorge tout en participant à faire des bouchons d'oreilles. L'inouï est un non (la voix qui manque n'a pas droit au chapitre), c'est un oui aussi (ce qui se tait est une pensée dont le silence résiste aux moyens de la verbaliser). Avec la fluidité de l'eau que le vent doucement remue, Den Muso La Fille mêle ainsi les registres entre l'éloge et l'élégie, l'observation documentaire et le drame social, la critique politique et la tragédie antique, le cas particulier et son exemplarité générique, son universalité transculturelle et sa singularité quelconque. La plainte de Ténin, la sans-voix, est la complainte de la jeune femme violée par tous ceux qui auront parlé à sa place, et dont la puissance de mort est l'énigme incendiaire d'un désaveu collectif. Le silence que la parole outrage, dans ses droits qui oublient ses devoirs à son égard, déchaîne alors la rage, ses coups de sang asphyxiant les parlants et ses coups de soleil incendiaires. Le cinéma en répond en prenant son parti – celui de Souleymane Cissé, au nom du mystère de son enfance impartie.
Andrés Roca Rey dans l'arène dans Tardes de soledad de Albert Serra
Rayon vert

« Tardes de soledad » d'Albert Serra : La vie ne pèse rien

27 mars 2025
Tardes de soledad d’Albert Serra, ou « Après-midi de solitude » si l’on traduisait mot-à-mot, est un documentaire suivant le matador Andrés Roca Rey au cours de plusieurs combats successifs. Cherchant à représenter ce qu’il y a de plus essentiel dans la corrida, le réalisateur nous propose de nous immerger au cœur de l’arène où, comme le dira l’un des personnages, « la vie ne pèse rien ».
Isabelle Huppert dans La voyageuse de Hong Sang-soo
Rayon vert

« La Voyageuse » de Hong Sang-soo : No workbook !

22 mars 2025
La Voyageuse d’Hong Sang-soo, produit d’une nouvelle collaboration entre le réalisateur coréen et d’Isabelle Huppert (Iris dans le film), se présente comme une étrange promenade de l’actrice. Professeure de français, puis confidente d’un poète-compagnon, le personnage d’Iris erre à l’écran pour nous raconter ce qu’est véritablement le voyage proposé par le cinéma d’Hong Sang-soo.
Paul Newman et Burt Lancaster dans Buffalo Bill et les indiens de Robert Altman
Rayon vert

« Buffalo Bill et les indiens » de Robert Altman : Les bruyants et le muet

22 mars 2025
Tout spectacle n’aurait peut-être pas d’autre message à communiquer que le bruit qu’il fait, le tintamarre de la représentation exprimant la vérité des mensonges tapageurs du représenté. Si les films de Robert Altman sont bruyants, particulièrement Buffalo Bill et les Indiens, c’est pour y donner à entendre le bruit du spectacle par quoi s’instruit sa critique. Le mythologue à l’œil d’aigle sait tendre aussi l’oreille à ce que taisent haut et fort les mythes. Ce qui s’appelait hier démythification et se qualifie de déconstruction aujourd’hui ne suffit pas à comprendre comment la critique du spectacle reste encore du spectacle – à cette différence près, toutefois, qu’elle sait de quoi elle hérite, quels sont les impensés qui en font les limites, quelle tragédie dont l’os perce la croûte des railleries.
Mickey 17 et Mickey 18 côte à côte dans le film de Bong Joon-ho
Le Majeur en crise

« Mickey 17 » de Bong Joon-ho : Théorie de l'assassinat politique

15 mars 2025
Mickey 17, à lire une bonne partie de la critique, serait un film raté. S'il est raté, c'est qu'il s'agissait de penser l'Amérique d'un dératé qui voudrait aujourd'hui conquérir le monde jusqu'à plus souffle, comme un perdu ; penser encore l'Amérique à partir de ses rats comme de ses souris Mickey, qui se demandent chez Bong Joo-ho comment se débarrasser de ce piège à ratons qui a pour nom Trump ? Mickey 17, dans son ratage, ne manque pas sa cible. Il explose ses propres lignes de démarcation pour théoriser un nouveau type d'assassinat politique, le présicide, soit commettre un attentat contre son président en un acte qui ne sera pas manqué. Un film pour réimprimer le rêve de l'Amérique.
Michael Fassbender et Cate Blanchett s'embrassent dans The Insider de Steven Soderbergh
Rayon vert

« The Insider » de Steven Soderbergh : Polygraphe éclairé

13 mars 2025
Il y a une séquence absolument irrésistible dans The Insider, celle du polygraphe, autrement dit le détecteur de mensonge auquel se plie l'entourage professionnel d'un espion pour savoir si un menteur s'y cache. Le polygraphe est un terme polysémique. Le détecteur de mensonge y côtoie en effet une espèce de papillon, ainsi qu'un auteur qui multiplie les domaines d'écriture. Le terme est idoine pour Steven Soderbergh comme pour son scénariste, David Koepp, avec qui il vient d'enchaîner trois films en deux ans : KIMI, Presence et The Insider. L'éclectisme dans la variété des sujets qu'ils aiment tous deux privilégier, au risque de la dispersion et la frivolité, aurait ainsi trouvé dans le polygraphe son meilleur dispositif. Avec le polygraphe, le papillonnage élit sa machine en touchant à sa raison d'être : la lecture paranoïaque des signes redoublée par sa manipulation ludique dès lors que l'on sait tenir à son point de concentration le plus intime. Dans ce monde de séduction vitreuse qu'est l'espionnage où la maîtrise des apparences est un enjeu de luttes, la hantise des fuites a pour fondement la contraction ouvrant les surfaces sur leur point de capiton. À l'ombre de l'OTAN, les relations de bureau ressemblent au fond à toutes les autres, sinon qu'elles y sont plus létales. Les surfaces vitrifiées ne sont désirables qu'à se rendre lisibles grâce aux polygraphes qui, seuls, savent indiquer où se tient le point le plus intime de concentration empêchant alors qu'elles nous frigorifient.
Jamel Debbouze en agent de jours dans Mercato
Esthétique

« Mercato » de Tristan Séguéla : Football Factory

13 mars 2025
Mercato est un film sur le football qui en devient un film de football. Mais si sa logique de construction est calquée sur tous les antagonismes de ce sport, Mercato entend les résoudre finalement. Le film voulait nous faire savoir ce qu'est le football, ses intrigues, ses mœurs. Il veut surtout nous faire croire à ses leurres.
Anne Wiazemsky et Jean-Pierre Léaud Porcherie de Pier Paolo Pasolini
Esthétique

« Porcherie » de Pier Paolo Pasolini : Cannibale on est mal

13 mars 2025
Dans Théorème, Pasolini fait un peu trop l’ange (l’annonciation s’y littéralise avec moins de crudité que de nudité narcissique) ; dans Porcherie, un peu trop la bête (la société y exposerait la cruauté de ses secrets autophages avec une exhibition démonstrative). Janus y a deux visages, de l’ange et de la bête, et leur réversibilité circulaire a pour bouche de lave le cratère partagé du vulcain de l’Etna. L’orifice fulminant auquel un anthropophage des âges barbares offre la tête de sa première victime revient en dernière instance au cinéaste lui-même, en colère contre une époque où la posture révolutionnaire devient un conformisme et où le peuple tant aimé se dissout dans une masse abhorrée, bourgeois et prolétaires tous enrôlés sous la bannière d’un consumérisme néofasciste. L’œuvre de Pier Paolo Pasolini, ainsi Porcherie, est porteuse d’une esthétique cannibale, redoublée d’une métaphysique vitaliste où la vie se mangerait sans produire plus aucun déchet. Manger l’autre, c’est l’aimer en se mangeant soi-même mais cela c’est l’exception, l’hétérogène que remâche l’Histoire, sa goinfrerie ordurière.
Jack Nance dans Eraserhead de David Lynch
Esthétique

« Eraserhead » de David Lynch : Par tous les trous

6 mars 2025
Bouches, oreilles, fêlures, terrier, crane ouvert : Eraserhead est traversé par des trous, où semblent converger toutes les obsessions de David Lynch. Hanté par le cerveau-effaceur du titre, Henry Spencer doit traverser ses cauchemars et ses monstres. Afin de se sauver de l’oubli, son corps va devoir apprendre à apprivoiser les trous du monde.
Nicolas Cage et Laura Dern s'embrassent dans Sailor et Lula de David Lynch.
La Chambre Verte

« Sailor et Lula » de David Lynch : Les forces du désir

6 mars 2025
L’art de l’acteur est employé dans Sailor et Lula de façon à donner une certaine idée du désir. Là, le désir-souffrance produit par une insigne perversité, ici, le désir-bonheur qu’inspire l’amour le plus simple ; l’un et l’autre se reflètent intensément ou monstrueusement dans le corps des comédiens.
Betty et Rita dans le rêve de Diane, dans "Mulholland Drive"
Rayon vert

« Mulholland Drive » de David Lynch : Un rêve peut en cacher un autre

6 mars 2025
Malgré les apparences, Mulholland Drive est peut-être le film le plus explicatif et rationnel de David Lynch, par-delà sa lecture onirique. Néanmoins, l'auteur y a laissé quelques éléments hétérogènes et fluctuants qui permettent encore d'entretenir le mystère et le potentiel hypnotique du film. Parmi ceux-ci, il y a le clochard du Winkie's, démiurge maléfique ou incarnation du destin, qui continue d'intriguer. Par sa construction en poupée russe et ses rêves enchâssés, le film ne cesse de faire cogiter son spectateur et de le faire participer à ses énigmes ludiques, disséminées par un Lynch plus joueur que jamais.
David Lynch au travail dans David Lynch : The Art Life
Rayon vert

« David Lynch : The Art Life » : Le marin et la sirène

6 mars 2025
Au milieu des années 2010 et après l’expérience radicale d’INLAND EMPIRE, on croyait David Lynch perdu, son nom d’artiste figé en marque déposée des industries du luxe, de la méditation transcendantale et de la musique. Avec David Lynch : The Art Life, on le retrouve en toute simplicité comme il a toujours été, double : habitant (le monde matérialisé de ses fantasmes, celui que présente son atelier) et habité (par des visions surgies d’une enfance où le rêve américain pourtant figuré dans la gentillesse exemplaire de ses parents n’aura jamais cessé d’être retourné sur des envers effrayants). Deux fois habité, donc (comme corps actif et silencieux et comme voix relayant des récits et des visions en off ou au micro). Mais deux fois habitant également (notre monde au sein duquel il se sera constitué le sien propre et ses œuvres représenteraient autant d’accès permettant à n’importe qui d’y entrer). Accompagné de son dernier enfant, la petite Lula qui est sa sirène d’enfance, David Lynch s’y montre en vieux marin qui s’apprête alors à reprendre la mer en repartant du milieu, tout le cosmos et ses océans intersidéraux, tout l’univers qui enflera et s’embrasera à nouveau en recommençant notre sidération, une fois retrouvé l’accès au cœur de la forêt de Twin Peaks.
John Hurt sur le bateau dans Elephant Man de David Lynch
Rayon vert

« Elephant Man » de David Lynch : La déchirure dans l'ordre des choses

6 mars 2025
John Merrick est une déchirure qui parcourt le réel. Il a le pouvoir révélateur de s'infiltrer sous les apparences, et c'est de cette puissance augurale qu'Elephant Man se revendique sans concession aucune pour parler de ce qui fait l'humanité depuis l'époque victorienne comme ce qui fait société, depuis son capitalisme naissant, sa gloire impériale, qui parle encore de notre époque.
Le cri de Laura Palmer à la fin de Twin Peaks
Esthétique

« Laura Palmer » ou Twin Peaks au tribunal de la Sororité cinéphile

6 mars 2025
Avec Laura Palmer - Au pays des miroirs, Louise Van Brabant fait comparaître Twin Peaks devant le tribunal médiatique du jugement post-#MeToo qui consiste à revenir sur des œuvres en vérifiant qu'elles respectent bien la représentation de la femme et brisent les codes du male gaze. Plutôt qu'expérimenter, Louise Van Brabant préfère d'abord juger : on ne répétera jamais assez que cette forme d'esthétique fondée principalement sur le jugement réifie les œuvres quand elle prétend libérer des corps de l'emprise du regard masculin.
Daniel Craig et Drew Starkey au bar dans Queer de Luca Guadagnino
Rayon vert

« Queer » de Luca Guadagnino : Les larmes d’Ouroboros

28 février 2025
L’autre est la plus dure des drogues, la drogue parfaite comme un crime est parfait. L’exhibitionnisme est une pharmacie pour junkies quand le narcissisme, le piège du moi pris dans la glace de l’autre, est la maladie la plus addictive. Le pédé hystérique que William Burroughs était, qui se disait moins gay que désincarné, aura eu pour tâche immense de se faire le festin du queer dont nous sommes toutes et tous les sujets : tous les malades impuissants à renoncer à l’autre, ce remède en tant qu’il est d’abord un poison – un pharmakon. Queer de Luca Guadagnino en triture les formes comme des organes infectés, l’abondance et la débandade, les cannibalisations fantasmées et l’or dur de ses déchets. Le queer de l’être sexué fait des manières et gesticule, il se désarticule lui-même en sachant ne jamais remédier à l’autre, ce virus. Le maniériste survit ainsi à ses modèles dont il s’éprend en les malmenant puisque ceux-là le malmènent déjà comme n’importe qui survit au passage de l’autre et son désir, avec sa poche à venin au bout de l’aiguillon. Survivre à l’autre, ce cannibale innocent, cet involontaire parasite est l’affaire d’une vie et elle a en cinéma ses formes et le jeu des forces qui les déforment, poussée et contre-poussée, prolapsus cordial après les ruptures de ligament croisé. L’éclectisme suit comme si changer de peau donnait à sauver la sienne. La garde-robe habille les secrets les mieux gardés quand les larmes d’Éros sont celles d’Ouroboros.
Callina Lang près de la fenêtre de sa chambre dans Presence de Steven Soderbergh.
Esthétique

« Presence » de Steven Soderbergh : Chimère du rêve américain

22 février 2025
Que peut bien manifester l'invisible ? Rien, sinon une présence chez Steven Soderbergh dans son dernier film au titre évocateur : Presence. Une présence particulière, qui, apparaissant fait apparaître dans le même temps, qui se manifestant manifeste instamment quelque chose, l'irruption d'un événement, pour (re-)faire famille, pour repenser la possibilité même de (re-)faire Amérique.
Mahin (Lily Farhadpour) et Faramarz (Esmail Mehrabi) boivent dans la cour dans Mon gâteau préféré
Histoires de spectateurs

« Mon gâteau préféré » de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha : Jardin suspendu

17 février 2025
Mon gâteau préféré de Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha permet de prendre un bon bol d'air face à la machine d'oppression politique et esthétique du cinéma iranien contemporain qui domine la production exportée chez nous. Ce cinéma est un poids lourd à la tête dure qui, paradoxalement, met KO le spectateur et broie bien souvent ses personnages. À l'exception de sa fin décevante, Mon gâteau préféré offre tout le contraire, et tisse même un lien inattendu avec Le Déjeuner, un tableau de Claude Monet.
Adrien Brody en contre-plongée dans la nuit dans The Brutalist
Rayon vert

« The Brutalist » de Brady Corbet : Biopic sinistré

15 février 2025
The Brutalist, troisième film du réalisateur américain Brady Corbet, a au premier abord de quoi rebuter. Fresque grandiloquente de 3h30 sur un artiste incompris, mangé par le capitalisme américain, du déjà-vu au carré. Et en surface c’est bien cela, mais dans son squelette seulement, que le réalisateur nous appelle à dépasser pour saisir une matière bien plus contrariée. Toutefois Corbet ne travaille pas qu’un vernis, sous lequel se cacherait à la vue de tous, la pourriture. Il rentre au cœur de la machine symbolique et la pirate de l’intérieur. Le rêve américain n’a pas été perverti, la perversion est justement ce qui le constitue.
Timothée Chalamet en Bob Dylan dans Un parfait inconnu
Critique

« Un parfait inconnu » de James Mangold : L'Amérique sidérale

13 février 2025
Pour une bonne partie de la critique, Un parfait inconnu de James Mangold, serait un non-biopic sur Bob Dylan. Un film sur un inconnu qui le demeurera. Un parfait inconnu serait donc un drôle de film. Un film qui n'a pas de programme, qui refuse le programme prévisible du biopic, pour en déjouer les pièges. Il faut dire au contraire que cette absence de programme tient lieu de programme. Elle parle de l'Amérique d'aujourd'hui, une surface plane, lisse, un désert où prospère tranquillement la vermine.
Les trois actrices principales de Les Graines du figuier sauvage
Critique

« Les Graines du figuier sauvage » de Mohammad Rasoulof : Penser l'ennemi, affronter son esthétique

8 février 2025
Les Graines du figuier sauvage n'est pas le film que l'on croit. Son sujet, fort, écrase toute velléité formelle. Définitivement, le sujet des Graines du figuier sauvage exerce sa loi, une souveraineté totalitaire. Irrévérencieux dans sa note d'intention à l'égard de la théocratie iranienne, le film se montre bien pieux à l'égard des genres du thriller et de l'horreur qu'il emprunte. Mohammad Rasoulof voulait contester l'ordre établi. Il le réinstalle sur l'autel de son esthétique. Un cinéma du confort. Un cinéma touristique.
Gilles Deleuze face à Claire Parnet dans L'Abécédaire de Gilles Deleuze
Esthétique

« L'Abécédaire de Gilles Deleuze » : L'internel à la télé

7 février 2025
Un abécédaire pour bifurquer dans la matière concrète, gaie et labyrinthique de la philosophie, ses concepts et ses affects, depuis le foyer du corps miné par la maladie de qui lui aura dévolu sa vie. Une émission de télévision en forme de séance de spiritisme. Retrouvé dans les faveurs du direct, avec ses claps et ses fins de bobine, toutes les failles de l'image par lesquelles recommencer ce qui ne s'énonce que dans des différences de potentiel et des rapports d'intensité, le génie spirite du cinéma aura permis à la télévision d'en faire tourner la table – la télé tournée et retournée au microsillon de la pensée de Gilles Deleuze. Deleuze à la télé, c'est une image de l'internel dont l'idée reviendrait à Charles Péguy quand l'instant coïncide avec l'éternité qui n'est plus extérieure au temps, mais interne à lui. L'internel dit l'événement quand le confort domestique de la télé peut enfin vibrer du dehors de la pensée.
Tous les personnages de Je suis toujours là de Walter Salles sur la plage.
Critique

« Je suis toujours là » de Walter Salles : Réenchanter la dictature

1 février 2025
Je suis toujours là de Walter Salles avait semble-t-il pour ambition de filmer l’histoire d’un père disparu sous la dictature brésilienne des années 70. Il n’en sera jamais rien. Dans un discours rance, il se fait l’agent complice de toutes les autocraties, décide de se débarrasser du corps du disparu, pour nous délivrer sa philosophie morale et politique dans un film mou à tendance (droite) dure.
Vincent Lindon et ses fils dans Jouer avec le Feu
Critique

« Jouer avec le Feu » de Delphine et Muriel Coulin : Déclarer sa flamme à l'extrême-droite

31 janvier 2025
Jouer avec le Feu de Delphine et Muriel Coulin voulait nous alerter sur l'extrême-droitisation en cours de la société française, quand le mal, par effet de contagion, gagnerait un peu partout. Mais quand elles croient avoir réalisé un film dénonçant la montée de l'extrême-droite parmi la jeunesse, elles en reconduisent aux principes, sur le plan scénaristique comme de la mise en scène. Un film contre ? Un film tout contre.
Christopher Abbott métamorphosé face à Julia Garner dans Wolf Man
Rayon vert

« Wolf Man » de Leigh Whannell : L'Heure de l'homme

18 janvier 2025
Wolf Man n'est pas tout à fait un film de loup-garou. Ou du moins ce n'est pas le film attendu. Grâce à un travail habile sur la perception, il déplie un récit reposant sur le caractère contingent de la mort qui figure d'abord la lutte d'un homme contre l'animalité pour ne jamais lui céder le pas. Le film surprend par sa déchirante irréversibilité et son attention pour ce qui résiste avant la perte : il sonne l'heure de l'homme plutôt que celle du loup.
Abou Sangare dans L'Histoire de Souleymane
Critique

« L'Histoire de Souleymane » de Boris Lojkine : Politique du bon immigré

18 janvier 2025
L'Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine, n'est pas le film que l'on croit. En apparence humaniste, il déshumanise en permanence. En filmant le parcours d'un immigré clandestin en quête de papiers, il délègue finalement au spectateur le choix d'en décider. Il partage ainsi le même sale petit secret que tous les droitards attardés, n'accorder droit de cité qu'aux bons immigrés. Un travail de discrimination s'opère, qui révèle le caractère mensonger du film. Il se voudrait humaniste. Il fait la chose la moins humaniste possible : juger.
Victoire Song dans Cent mille milliards de Virgil Vernier
Rayon vert

« Cent mille milliards » de Virgil Vernier : À l'Avent

11 janvier 2025
Cent mille milliards est un conte diaphane sur les solitudes à qui ne revient plus que le soin de légender, un autre essai en filigrane sur la postmodernité qui est le temps de la fin des temps, indéfiniment. Le film de Virgil Vernier serait à sa façon ambivalente, de ne pas y toucher ou bien d’appuyer trop fort, un calendrier de l’Avent pour faire patienter les enfants avant la parousie qui sera leur vraie fête – le temps d’après qui sera le temps qui reste, et dont l’unique opération consistera, après tous les abattements existentiels, en un désœuvrement généralisé.
Bjorn Andresen la nuit dans Mort à Venise
Rayon vert

« Mort à Venise » de Luchino Visconti : L’incontact entre les êtres

11 janvier 2025
Adaptation de la nouvelle de Thomas Mann, Mort à Venise (Luchino Visconti, 1971) concentre dans l’intensité du regard toute la complexité de cette relation à la fois subversive et prude, sensuelle mais sans contact, entre un jeune adolescent et un compositeur mourant. Par là, il laisse entrevoir des horizons spirituels qui dépassent les barrières sociales et morales entre les individus et les générations.
La fin du film Los Delincuentes de Rodrigo Moreno.
Rayon vert

Les Épiphanies : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma 2024

5 janvier 2025
Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2024 des meilleurs films de l'année : ni hiérarchie, le moins de jugement de goût possible, que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.
Lily-Rose Depp approchée par la main de Nosferatu dans le film de Robert Eggers
Critique

« Nosferatu » de Robert Eggers : They are cumming

31 décembre 2024
Robert Eggers offre un nouveau lifting à Nosferatu en l'opérant par la chirurgie esthétique de l'horreur graphique. Devenir propriétaire d'un tel patrimoine était un héritage trop lourd pour le cinéaste qui s'égare dans le contraste entre un catéchisme ambiant et la jouissance sexuelle, deux aspects qui finissent par devenir grotesques.
Pauvre bûcheronne vient de recueillir le bébé dans "La Plus précieuse des marchandises"
Esthétique

« La Plus précieuse des marchandises » de Michel Hazanavicius : Le conte d'un fossoyeur

15 décembre 2024
Retour, sous la forme d'une dyade, sur la La Plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius et la manière dont le film représente la Shoah. Par une double opération simplificatrice, celle du conte et celle du dessin, La Plus précieuse des marchandises se heurte de plein fouet aux problématiques de la représentation de la Shoah. Dans sa première partie, le film opte pour l'illustration pittoresque d'un récit d'adoption mis en parallèle avec le hors-champ de la guerre et des camps, tandis qu'il se vautre lors de la deuxième dans une dépiction horrifique des corps de déportés. Cette obscénité en deux temps est encore alourdie par la figure du fossoyeur présente dans le film et dans la posture de fossoyeur qu'adopte une nouvelle fois Michel Hazanavicius pour triturer ce qui a trait à la mort, afin de réussir son tour de passe-passe et émouvoir le spectateur.
Becca (Olivia DeJonge) se filme dans le miroir dans The Visit
Esthétique

« The Visit » de M. Night Shyamalan : Politique du found footage

15 décembre 2024
The Visit a souvent été perçu comme une petite renaissance de M. Night Shyamalan qui s’était égaré dans des productions fumeuses à gros budget. Force est de constater que l’économie de moyens propre au found footage le stimule. Mais loin de se plier aux règles tacites de ce sous-genre horrifique, il les renouvelle avec brio. Cette fois, les esprits maléfiques sont renvoyés au fond du grenier et les corps restent. La caméra n’est pas abandonnée au sol par des disparus, elle s’accroche aux mains des vivants. Le temps d’un improbable séjour chez des grands-parents perdus, les postures et impostures des personnages s’évanouissent et des transformations s’opèrent.
Christophe Ntakabanyura dans Planque ordinaire d'Emmanuel Gomez de Araujo
Le Majeur en crise

« Planque ordinaire » d'Emmanuel Gomes de Araujo : Métaphysique de la police

15 décembre 2024
Au scénario, Bob H. B. El Khayrat, à la réalisation, Emmanuel Gomes de Araujo. À l'arrivée, prochainement diffusé sur OCS, en compétition au Festival International du Film Indépendant de Marseille (SMR13), un court-métrage, Planque ordinaire, qui en dit long sur le cinéma comme sur ce qui fait cité, soit le genre policier, le banlieue-film, l'action policière, le visage de quelques jeunes de banlieue, la société : le monde entier contenu dans un grain de silice, un météore qui fracasse le plan stellaire. En voici les retombées, quelques particules de poussières éclairées par sa lumière.
Anna Karina et son courtisan dans Vivre sa vie de Jean-Luc Godard
Rayon vert

« Vivre sa vie » de Jean-Luc Godard : Des touches sur la bouche

14 décembre 2024
Dans le générique de Vivre sa vie, le visage de Nana/Anna Karina, point nodal des douze tableaux et l’heure et demie du long-métrage, nous chuchote de prêter attention aux jeux de langage à venir : des circulations entre image et lettre, parole et silence, voix intérieure et extérieure. En d’autres mots : que peut la bouche des actrices et acteurs de cinéma ?
Edward (Sebastian Stan) après sa transformation dans "A Different Man"
La Chambre Verte

« A Different Man » d’Aaron Schimberg : L'acteur démasqué

6 décembre 2024
Convoquant des références et influences aussi nobles et éparses que David Lynch, Tsai Ming-liang, La Belle et la bête ou encore Cyrano de Bergerac, A Different Man d'Aaron Schimberg dépasse le récit psychanalytique de remplacement et son aspect autobiographique crypté pour charrier une réflexion sur l'acteur et son (sur)jeu, en regard de ce qu'impliquent aujourd'hui les performances dites "à Oscars" d'acteurs grimés à contre-emploi, en termes d'éthique et de représentativité.
Lesia (Ghjuvanna Benedetti) dans la campagne corse dans Le Royaume de Julien Colonna
Rayon vert

« Le Royaume » de Julien Colonna : À la table des morts

6 décembre 2024
Le Royaume est un fantasme qui permet de survivre à une réalité brutale : celle des règlements de comptes entre mafieux corses. En pleine cavale, un père, chef de gang (Saveriu Santucci) et sa fille intrépide (Ghjuvanna Benedetti) apprennent à se connaître et cherchent à préserver leur relation chèrement conquise. Peu de choses à voir du côté de ce domaine rebattu de l’amour filial. Mais à la marge du film de Julien Colonna, sous le regard fasciné de l’adolescente, apparaît une Cour d’hommes secrets autrement plus intéressante. Au sein de cette assemblée qui respire la mort se trouve réellement le royaume du temps suspendu qui s’affranchit d’un temps cyclique des exécutions sommaires ainsi que des passages obligés d’une histoire convenue.
Carlos Chahine sur la route dans le désert dans La Vallée de Ghassan Salhab.
Rayon vert

« La Vallée » de Ghassan Salhab : Uncivil War

30 novembre 2024
La Vallée, c'est le sommet du style de Ghassan Salhab, la pointe de la rose dont l'éclosion en signe les stigmates. Son site est pourtant évasé, trouvé dans la plaine de la Bekaa, cette antre qui met à distance deux montagnes : à l’ouest le Mont Liban, à l’est l’Anti-Liban. Deuxième volet d'un triptyque, ouvert avec La Montagne (2010) et clos avec La Rivière (2019), La Vallée s'ouvre au passage intervallaire d’un amnésique, l’ange annonciateur à son corps défendant de la catastrophe qui vient en ne cessant pas de revenir depuis l'origine. L'ange est terrible en l'étant du Neutre, déployant avec sa mémoire perdue et ses ailes de géant la désactivation de tout ce qui fait l'ordinaire du désastre en cours. La Vallée est une annonciation qui a vu l'avenir qui nous échoit comme le présent du pire, la guerre civile et ses incivilités mondiales. L'ange de l’Histoire fait pourtant tourbillonner des phénomènes originaires, ces roses de personne que tous nous sommes en ne faisant que passer sur terre, tantôt pour la cribler de roses malades ou meurtrières, tantôt pour y rejoindre le limon fertile d'un nouveau monde.
Une photo dans l'autobiographie L'Encre de Chine de Ghassan Salhab
Rayon vert

« L'Encre de Chine » de Ghassan Salhab : Dans le cœur, une lampe-tempête

30 novembre 2024
Le cœur d'un homme est une chambre obscure dont les douleurs font les alcôves d'un essai de cinéma. Ses battements marquent alors l'arythmie des grondements du monde de l'autre côté de la montagne. La poétique des assemblages à distance va jusqu'à montrer sa cordialité au point où attaquer frôle l'attaque cardiaque. L'Encre de Chine ? Un fourbis d'indices – ses osselets – pour fourbir l'indicible – le témoignage impossible, son os le plus secret. Fourbis comme les affaires d'un soldat ou un livre de Michel Leiris qui fait constellation avec d'autres, Biffures, Fibrilles, Fissures, Frêle Bruit, afin de déjouer la règle du jeu autobiographique. Le « portrait chinois » d'un cinéaste libanais fraie parmi les titres obscurs des histoires dont leur porteur sait qu'ils forment l'arrière-plan, lointain et éclatant, de ses épanouissements évanouis, la tempête de sable où les promesses et les adieux sont inséparables. Si loin sont de ces histoires ; si proche, en est leur ange gardien, le cœur meurtri mais toujours cordial. Ce qui résiste au témoignage témoigne de cette résistance dont il nous faudra savoir hériter – la résistance poétique du témoignage d'une incorporation à une politique de la résistance armée. Il n'y a de poésie qu'à fourbir ses armes depuis les porcheries qui nous obligent à y résister. Un cœur meurtri peut alors y exhiber, sans mot dire, la lampe-tempête qui en fait l'horlogerie.
Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal dans le chalet dans Simple comme Sylvain
Le Majeur en crise

« Simple comme Sylvain » de Monia Chokri : La reproduction cliché

30 novembre 2024
Dès le titre une promesse nous est faite. Celle d’avoir conscience du poids qui pèse sur l’exploration des conflits de classe dans une relation romantique, de flirter avec les lieux communs pour les délier de leurs intimes vérités. Malheureusement elle n’est pas tenue. Simple comme Sylvain, pour un film se revendiquant à ce point du réel, se révèle fuyant, préférant, inlassablement, à chaque intersection rester sur ses rails de peur de toute collision. Pourtant, « le réel c’est quand on se cogne ».
Le personnage principal du documentaire L'Homme aux mille visages
Le Majeur en crise

« L'Homme aux mille visages » de Sonia Kronlund : Logique du cinéma roublard, sophistique du cinéma mouchard

29 novembre 2024
Dans son docu-fiction L'Homme aux mille visages, salué par la critique, Sonia Kronlund n'est ni une Mata Hari dans la vraie vie, ni un James Bond de comédie, encore moins Ethan Hunt, un Impossible missionné de pacotille. Elle est la commère du village à l'heure des réseaux sociaux, une justicière prise au jeu de sa propre comédie. Elle croyait rendre l'honneur perdu à des femmes trompées par un homme-caméléon aux identités multiples, elle les trahit en usant des moyens de l'infâme qu'il s'agissait pourtant de condamner. Un film qui devient l'agent complice du mâle. Enquête sur un film qui se voulait au-dessus de tout soupçon.
Gonçalo Waddington dans Grand Tour de Miguel Gomes
Interview

« Grand Tour » : Interview de Miguel Gomes

21 novembre 2024
La présentation de Grand Tour au Festival du Film de Gand nous a donné l’occasion de nous entretenir avec Miguel Gomes. Le réalisateur portugais nous a parlé de son besoin d’associer fiction et réalité, de l’innocence perdue du spectateur de cinéma qu’il cherche à retrouver, de sa méthode de travail qui cultive l’incertitude et, plus largement, de sa vision du cinéma et du rôle des cinéastes.
Sebastian Stan (Donald Trump) et Jeremy Strong dans la voiture dans The Apprentice
Le Majeur en crise

« The Apprentice » de Ali Abbasi : Donald Trump origins

21 novembre 2024
Les caméras du monde entier se sont récemment braquées sur le président des États-Unis reconduit. Résultat d’une élection au cours de laquelle le candidat des Républicains n’a cessé de se mettre en scène avec un tempérament fantasque et jusqu’au-boutiste (Trump au McDonald’s, Trump dans un camion-poubelle…). En comparaison avec ces hallucinantes images médiatiques, The Apprentice détonne. Évitant de sombrer dans la surenchère propre à son sujet, le film trop peu vu et commenté d’Ali Abbasi brille par son calme et sa retenue, à la mesure de l’interprétation juste de Sebastian Stan qui se garde bien de singer son modèle, une discrète bouche en cul de poule pour seule évocation flagrante. En relatant les débuts de Donald Trump dans le monde des affaires, The Apprentice parvient à faire le récit intime d’un homme qui se veut sans intimité, à la fois fossoyeur et héritier direct de l’ancienne classe dirigeante américaine.
Mikey Madison danse en boîte de nuit dans Anora
Critique

« Anora » de Sean Baker : Politique de l'ordre moral

16 novembre 2024
Vendu comme Ouf par ses producteurs, un film à aller en voir en couple, Anora est un film d'auteur moralisateur. Il ne tendait pas à juger son personnage. Il termine sa course furieuse épuisé, dans un paternalisme gaucho-prédicateur. Ou comment depuis l'anti-chambre du rêve américain, Sean Baker, sermonneur, le reconduit dans ses effets, dans un apologue édifiant.
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