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Mélissa Boros dans la poussière dans Alpha de Julia Ducournau
Critique

« Alpha » de Julia Ducournau : L’adieu au regard

25 août 2025
Si plein de lui-même et de ses effets, quelle place peut laisser Alpha au spectateur ? Julia Ducournau produit un cinéma qui réduit le spectateur à une conscience interprétative et à un inconscient qu’il s’agit de réveiller à grand coup d’images spectaculaires. L'émotion est ainsi asséchée, au même titre que la thématique du harcèlement qui se dissout complètement dans la pulsion du spectaculaire et du tape-à-l’œil.
Perry King et Ken Norton dans Mandingo
Le Majeur en crise

« Mandingo » de Richard Fleischer : Autant en emporte l'Amérique

25 août 2025
Mandingo n'est pas un film aimable. Réalisé par Richard Fleischer, ce drame brutal sur l’esclavage dans le Sud des États-Unis plonge dans les abysses de la déshumanisation systémique avec une crudité rare dans le cinéma hollywoodien. Longtemps accusé d’exploitation sensationnaliste, le film mérite une lecture philosophique plus dense, au croisement de la morale, du pouvoir et de l’animalité pour sauver tout un monde de l'ensilencement.
Renate Reinsve et Inga Ibsdotter Lilleaas s'enlacent dans Valeur sentimentale de Joachim Trier
Critique

« Valeur sentimentale » de Joachim Trier : Arnaque sur la marchandise

18 août 2025
Valeur sentimentale de Joachim Trier pèse très lourd par son académisme qui veut imiter comme un marchand de contrefaçon une certaine idée du « Grand Art ». Pire encore, le film peine à émouvoir, sa dimension affective est quasi nulle, ce qui est un comble pour un film qui se rêve en grande tragédie du XXIème siècle. Le curieux projet de Joachim Trier repose sur une autre économie : démontrer sans aucun talent que les relations d'une famille de nantis ont toujours été au fond liées à des tractations tristes et malsaines.
"Les Biches" de Claude Chabrol (1968)
Rayon vert

Morale de l'honnête homme : Sur quatre films de Claude Chabrol

9 août 2025
Les Biches (1968), un grand film méconnu ; La Femme infidèle (1969), une réussite incontestable : La Décade prodigieuse (1971), un chef-d'œuvre raté mais instructif ; Folies bourgeoises (1976), une merde annoncée : quatre films de Claude Chabrol et autant de preuves que la prodigalité n'est jamais allée sans impasse ni errements. Le cinéaste a travaillé beaucoup en pariant pour le passage dialectique de la quantité à la qualité et le pari lui aura réussi, non seulement parce qu'il est un auteur qui en a consacré la politique au temps de la critique héroïque des Cahiers, mais aussi et surtout parce qu'il n'a jamais cessé d'être un moraliste, aussi sincère que généreux. Claude Chabrol est l'exemple même de l'honnête homme en ayant créé dans un monde de contraintes les conditions de sa liberté. Et la première concerne le matériau sur lequel il a exercé sa lucidité, cette bourgeoisie dont la séduction a envoûté toute la société, et dont les passages à l'acte sont des festins reposant sur le principe de l'exclusion des plus faibles. Ce qui n'inquiète pas est malhonnête, dit-on dans Les Godelureaux (1961). L'honnêteté chabrolienne tient dans une inquiétude persistante, la persévérance d'un inconfort jamais séparé de la joie à faire en donnant à penser, dans le réussi comme le raté.
La famille au complet sur le bateau dans L'Aventura de Sophie Letourneur
Rayon vert

« L’Aventura » de Sophie Letourneur : Souviens-toi l’été dernier

7 août 2025
Avec L’Aventura, Sophie Letourneur creuse le sillon existentiel du volet précédent, celui qui explore la vérité de l’expérience vécue et la parole qui tente de la (re)saisir. Est-ce qu'on vit autant qu’on veut bien le croire ? Les choses nous traversent-elles intensément ? Dans L’Aventura, on se raconte tout, pour pallier au sentiment de rien. Et on n’oublie pas de l’enregistrer, de garder une trace. Ce pari du trivial peut rebuter mais c’est pourtant celui-ci qui fait la grandeur du cinéma de Sophie Letourneur.
Le garçon jouant avec son petit théâtre dans Fanny et Alexandre
Histoires de spectateurs

Petite histoire télévisuelle d'un grand mouvement intérieur

29 juillet 2025
Ce récit raconte la petite histoire télévisuelle d'un grand mouvement intérieur, de la petite enfance jusqu'au premier jour de la puberté qui met fin, historiquement et intimement, à un certain rapport aux images. Cette trajectoire personnelle concerne aussi bien les théories de la réception spectatorielle qu'une forme de microhistoire du cinéma. Une histoire de spectateur donc, où l'inconscient se nourrit d'images pour créer en partie le terreau fantasmatique d'une vie.
Jake Gyllenhaal et Robert Downey Jr. dans la salle de presse dans Zodiac
Rayon vert

« Zodiac » de David Fincher : L'ensilencement du monde

29 juillet 2025
David Fincher, avec Zodiac, signe un thriller policier qui se distingue de l’ordinaire en refusant les ressorts narratifs classiques de résolution, de clôture et de vérité. Là où le genre policier nous a habitués à la victoire de l’ordre sur le chaos, Zodiac s’inscrit dans une logique inverse : celle du vertige de l’énigme. Zodiac en devient une méditation sur la quête de sens dans un monde qui, peut-être, n’en ayant pas, nous délivrerait tout à fait du mal d'en trouver un.
Pedro Pascal et Joaquin Phoenix dans la rue dans Eddington
Rayon vert

« Eddington » d'Ari Aster : Le virus couronné

18 juillet 2025
Il faut parfois faire un petit pas en arrière pour donner à voir l'impasse de l'actuel et la penser pour s'en affranchir. Eddington revient sur la crise de coronavirus dont on croyait cinq ans après être heureusement sorti en s'imposant comme le film le plus contemporain du moment, celui qui a le plus à cœur d'empoigner les maux de l'époque, son vomi que la pandémie n'aura fait qu'épaissir. La fable du monde d'après a du plomb dans l'aile quand hier persévère en donnant l'impression, fautive, qu'il remonte à des années-lumière. La bouffonnerie des discours du « post » s'en trouvera soufflée. On n'est pas contemporain sans déclarer la guerre à l'actuel et tous les moyens sont disponibles, la farce pour désengorger un moment saturé et le western pour clarifier la confusion sans jamais y participer. Ari Aster peut alors reconduire son récit favori, celui des couronnements et des décapitations qui leur sont concentriques.
Magaloche (Adèle Exarchopoulos), en convalescence après une énième vidéo, dans "L'Accident de piano"
Critique

« L’Accident de piano » de Quentin Dupieux : Autoportrait du stakhanoviste fainéant

16 juillet 2025
Dans L'Accident de piano, Quentin Dupieux se révèle dans la misanthropie et l'autoflagellation tout en aspirant à renaître une nouvelle fois des cendres de cet énième jeu de massacre. Abrégeant comme par impuissance l'interview centrale pour bien signifier que les entretiens journalistiques ne mènent à rien, il préfère se livrer tout cru dans un film qui a le mérite d'être honnête, malgré son antipathie tenace.
Sofiko Chiaureli dans Sayat Nova
Esthétique

« Sayat Nova » de Sergueï Paradjanov : Horologion, à la bonne heure

13 juillet 2025
Pour les églises catholiques orientales de rite byzantin, le livre d’heures se dit en grec horologion. La liturgie des Heures, autrement dit le culte public des prières quotidiennes dont l’office fait la scansion des travaux et des saisons, est une horlogerie et le cinéma l’est aussi. Sayat Nova est un livre d’heures selon sa manière, d’exception. Une fête de formes, sons et gestes et figures et couleurs. Une célébration des traditions multiculturelles de Transcaucasie, des tableaux vivants conçus dans l’idée d’un rapport inattendu entre la miniature médiévale et Georges Méliès – le mystère de la vie d’un poète du 18ème siècle, Sayat-Nova, surnommé en Arménie le « roi des chansons ». La puissance de novation de Sayat Nova, hiératique dans sa composition et gorgé d’analogies, est un tapis que l’on teint et foule pour en faire remonter le jus d’ivresse de ses fruits défendus – tout le sang de la vie qu’épanchent les chants de la terre.
Photo d'ambiance du BRIFF 2025 avec le chapiteau sur la Place de Brouckère
BRIFF

« Rano » de Valéry Rosier : Martine à Madagascar (et retour en martyre sur le BRIFF 2025)

4 juillet 2025
Retour en martyre sur la huitième édition du BRIFF, le Brussels International Film Festival, qui s'est tenue du 20 au 28 juin 2025, et sur le film Rano de Valéry Rosier et Farellia Tahina Venance, un film belge en vacances à Madagascar dans lequel Mara Taquin décline sans nuances son personnage-type.
Sylvester Stallone au début du film Rambo
Le Majeur en crise

« Rambo : First Blood » de Ted Kotcheff : Tragédie de l'homme-ruines

4 juillet 2025
Rambo : First Blood n'est pas un simple film d’action musclé. Derrière ses scènes de survie et ses explosions se raconte une tragédie humaine : celle d’un homme en décalage total avec le monde pour lequel il a combattu. Le regard tragique de Rambo porte sur ce qui avait été conçu par l'Amérique, l’édification d’un monde à la mesure de ses rêves et qui ne voit plus soudain, dans tout l’ordre social, non pas un mécanisme atroce mais dépourvu de sens, un monde où chacun croit dominer son cours quand il est leur jouet. Rambo raconte comment s'en libérer.
André et Vera en interview au début de Sous Hypnose de Ernst De Geer
Critique

« Sous Hypnose » de Ernst De Geer : Clown Therapy

21 juin 2025
Sous Hypnose de Ernst De Geer prend le contrepied d'une tendance décadente de la satire scandinave emmenée par Ruben Östlund, dont il est l'anti-Snow Therapy à tous les niveaux. Le film est une comédie de remariage profonde où la clownerie et le chien trouvent toute leur noblesse. Grâce à un double final étonnant et une mise en scène aboutie, Sous Hypnose ne se réduit jamais à cette recherche du malaise ontologique civilisationnel que dépeignent in fine Ruben Östlund et ses bouffons cyniques jusque dans le moindre détail et bien souvent au mépris de toute forme de singularité ou d'altérité.
Tony Leung et Maggie Cheung dans la rue dans In the Mood for Love
Rayon vert

« In the Mood for Love » de Wong Kar-wai : La ballade impossible

21 juin 2025
Méditation sur In the Mood for Love autant que regard de spectateur hanté. Parce qu'on ne parlera jamais d'un film, on n'écrira jamais sur lui, mais depuis lui, à partir du mouvement qu'il nous imprime. Non pas pour l'analyser, mais le prolonger. À partir d'un plan manquant, comme pour l'accompagner, lui qui nous a laissé si seul.
Sally Hawkins et Ollie (Jonah Wren Phillips) se regardent à travers la vitre dans Bring Her Back
Critique

« Bring Her Back » de Danny et Michael Philippou : Hantologie du refoulement

9 juin 2025
Au-delà de son symbolisme appuyé et sa critique réchauffée du familialisme, Bring Her Back de Danny et Michael Philippou porte une hantologie du refoulement. Le refoulement généralisé à l’œuvre, qui se traduit notamment dans la circulation du motif liquide, forme un bouchon entraînant une saturation lourdingue qui déborde dans ses expressions monstrueuses, avant d'être vidée comme on tire la chasse après une douche dorée.
Le soldat sous la neige à la fin de Les Damnés de Roberto Minervini
Rayon vert

« Les Damnés » de Roberto Minervini : Le désert des Tartares

9 juin 2025
Avec Les Damnés, Roberto Minervini ouvre une nouvelle fois les abysses de l’Amérique, d'hier comme d’aujourd’hui. Dans un territoire invisible, aux marges de ses frontières, en pleine Guerre de Sécession, un groupe d'éclaireurs refait l'Ouest d’une nation de damnés condamnés pour l’éternité à s’entre-dévorer.
Jean-Luc Godard ouvre son livre dans Exposé du film annonce du film Scénario
Rayon vert

« Exposé du film annonce du film Scénario » et « Scénarios » de Jean-Luc Godard : L’art de la fugue

5 juin 2025
Le scénario, s’il arrive, ne vient qu’à la fin, dans l’imminence du montage récapitulatif des existences que la mort organise. Tout le cinéma de Jean-Luc Godard, qui s’est levé de bonne heure contre la loi du scénario, ces pages noircies qui ont pour généalogie les faux en écriture des comptabilités macabres, en adopte à la fin des fins le mot, qui ne sera jamais le fin mot de l’histoire. C’est le temps compté des dernières scènes, monter encore pour faire mentir la mort, la prendre de vitesse depuis les ralentissements de la vieillesse. Scénario est le mot de la fin pour autant qu’il promet les images d’après la fin ; à nous, spectatrices et spectateurs, de nous en faire à l’aurore le projecteur.
Jean Dujardin et Marie-Josée Croze près de la mer dans Un Balcon sur la mer
Esthétique

L’autre vertige : Hitchcock chez Nicole Garcia

2 juin 2025
Les aspects hitchcockiens d'Un balcon sur la mer, que Nicole Garcia décrit comme un « thriller des sentiments », n’ont guère été approfondis alors qu'ils sont essentiels à la compréhension de l’enjeu de l’œuvre. Plus précisément, c’est bien Vertigo qui innerve le scénario et la composition de l’image où les moments référentiels sont nombreux et de natures très variées. Un balcon sur la mer ramène ainsi la verticalité structurante de Vertigo à l’horizontal, même et surtout lorsqu’une ascension semble être en jeu. C’est que l’univers filmique de Nicole Garcia, s’il se nourrit du tragique implacable de Vertigo, se refuse pourtant à prendre en charge la nécessité qui gouverne le film d’Hitchcock.
Jean Cocteau dans Le Testament d’Orphée
Esthétique

« Le Sang d’un poète » et « Le Testament d’Orphée » de Jean Cocteau : Trompe-la-mort

2 juin 2025
Avec Le Sang d’un poète, Jean Cocteau blasonne son premier poème en cinéma. Ses mythes s’y projettent dans la nuit étoilée d’une technique merveilleuse accréditant l’irréel du réalisme photographique. Trente ans plus tard, Le Testament d’Orphée inclut le poète dans son propre cabinet de curiosités, ce dédale dans son cœur qui est une fleur d’hibiscus. Si la mythification échappe à la mystification, c’est avec un esprit d’enfance moquant tout sérieux et l’ésotérisme invitant le cinématographe, cet art résurrectionnel, à rejoindre les Mystères d’Éleusis. L’illusionniste a dans son sac à malice tous les tours et trucs, toutes les astuces et les sentences qui sont des formules magiques, tous les semblants qui ne trompent personne, seulement la mort, tous les artifices pour en déjouer l’arrêt en ayant dès lors valeur de trompe-la-mort. « Faites semblant d’être tristes, ô vous, mes amis, puisque le poète fait semblant de mourir. »
Les cinq jeunes mères du film des frères Dardenne
Critique

« Jeunes mères » de Luc et Jean-Pierre Dardenne : Tuer les pères, sauver les mères

24 mai 2025
Après avoir cédé à la tentation du film coup de poing et de la démonstration dans leurs deux films précédents, Luc et Jean-Pierre Dardenne semblent dans un premier temps continuer sur la même voie avec Jeunes mères. Se moulant cette fois-ci dans le cadre téléfilmesque du film choral et dans une mouvance « post-Dalva », les frères déroulent une fois de plus les mécaniques bien rodées de narrations en forme de spirales infernales pour leurs quatre filles mères - chacune représentant un « cas », une situation sociale précise -, tout en persistant également dans leur obsession tenace de tuer le(s) père(s). Mais alors qu'il n'y avait apparemment plus rien à sauver dans ce cinéma devenu déterministe, une éclaircie inespérée advient quand les cinéastes regagnent l'envie de sauver leurs personnages et de leur redonner forme humaine.
Scarlett Johansson à la fenêtre de sa cabane dans Asteroid City
Rayon vert

« Asteroid City » de Wes Anderson : L'harmonie du chaos

24 mai 2025
Asteroid City fracasse le plan stellaire pour nous envoyer des nouvelles sur le sens de la vie. En voici un fragment, astéroïde perdu dans les confins andersonien.
La séquence finale de N'attendez pas trop de la fin du monde de Radu Jude.
Rayon vert

« N'attendez pas trop de la fin du monde » de Radu Jude : Une image sans pluie

24 mai 2025
Au milieu du très long plan fixe qui conclut N’attendez pas trop de la fin du monde de Radu Jude, un détail retient l’attention : Ovidiu se frotte le visage. Plus tard, le spectateur en comprend la raison : il pleut. Pourtant, ces gouttes restent invisibles à son œil. À travers cette bruine se dessine alors une relation paradoxale entre la pluie et la caméra.
Marcielle (Jamilli Correa) avec son père dans la forêt dans Manas
Critique

« Manas » de Marianna Brennand : Magie impossible

18 mai 2025
Manas ne travaille pas sur la double signification possible du mot « mana » en ne filmant aucune forme de spiritualité. Marianna Brennand montre au contraire la réalité crue et impitoyable d'une petite communauté où la mort rode dans sa fatalité indicible. Malgré sa pudeur et ses belles ellipses, Manas reste un film à sujet qui repose sur les standards d'un cinéma psychologico-réaliste post-Dardenne, qui sont d'ailleurs les coproducteurs du film, moins en magiciens qu'en gourous chefs d’entreprise exportateurs de leur modèle de travail.
Reda (Sammy Lechea) face au miroir dans L'Effacement de Karim Moussaoui
Rayon vert

« L'Effacement » de Karim Moussaoui : Ma vie sans moi

18 mai 2025
L'Effacement, c'est l'histoire d'un homme en voie de disparition. Karim Moussaoui en filme le processus, dans une Algérie recomposée, en voie de décomposition. Une logique d'effacement qui, toutefois, n'est pas un anéantissement, mais la seule chance respiratoire de Réda, s'il voulait bien encore se faire les poumons. Dans la vie, on a le souffle qu'on peut, l'endurance qu'on se fait.
Lillian Gish faisant une grimace dans Le Lys Brisé
Esthétique

« Le Lys brisé » de David W. Griffith : Le sourire jaune

18 mai 2025
Avec Le Lys brisé, David W. Griffith prouve qu’il est le premier génie dialecticien de l’histoire du cinéma. Le découpage d’une scène ne la morcelle qu’en raison des détails qui en mortifient la totalité ; ainsi, la vie quotidienne qui s’éparpille en mirages et en coups, et le bouddhisme dont le message de paix se dissout dans les migrations coloniales et les vapeurs opiacées. Le montage parallèle divise la fiction en lignes narratives selon des rapports contraires, la bestialité d’un Anglais, la spiritualité d’un Chinois et une fille terrorisée par le premier quand elle est par le second idolâtrée. Et, quand le montage joue d’alternance, c’est pour converger sur une violence qui répond à la violence, mais non mimétiquement puisqu’au père tuant sa fille par ensauvagement pulsionnel, répond l’homme qui la venge en le tuant avant de retourner sa violence contre lui-même au nom d’un amour que l’interdit racial réprime, mais qu’il sublime en nouvelle religion ne valant que pour elle et lui. Cheng Huan est ainsi dialectiquement passé de l’universel abstrait (le message universel d’amour du bouddhisme) à l’universel concret (l’amour d’une femme accessible seulement dans la mort). David W. Griffith pousse alors le mélodrame racialement convenu au paroxysme de la tragédie des amours qui sont des événements, des aberrations autant que des bonds dans la foi, son génie n’allant pas sans celui de son actrice fétiche, Lillian Gish, qu’il vénère à sa manière. Cheng Huan et Lucy sont frère et sœur de douleur et s’ils font bonne figure, c’est dans le V que forment le masque d’impassibilité de l’homme jaune et celui, forcé, de la fille qui sourit de la même couleur.
Eloy Pohu dans le rôle d'Enzo
Critique

« Enzo » de Laurent Cantet et Robin Campillo : S'effacer par amitié

14 mai 2025
Le dernier film en date de Robin Campillo est aussi et surtout le dernier film tout court de Laurent Cantet, disparu en avril 2024. Endossant la réalisation d'un scénario qu'il a co-écrit, Campillo s'efface derrière les intentions de Cantet et derrière une construction trop dense, trop pleine. Mais derrière l'accumulation de couches mal disposées, derrière ce mur branlant mal égalisé, se cache un film en creux, un film d'amitié sur le départ d'un ami.
Juliette Armanet et Bastien Bouillon dans une scène "type" de la comédie romantique dans "Partir un jour"
Critique

« Partir un jour » d’Amélie Bonnin : Déchanter en chansons

13 mai 2025
Sous des dehors de comédie romantique musicale, derrière un synopsis et une esthétique faisant dangereusement penser à un téléfilm régional, Partir un jour d'Amélie Bonnin - film d'ouverture du 78ème Festival de Cannes - utilise les clichés de la « rom com » et le dispositif de la comédie musicale pour développer un discours sur la fiction, et sur son impact inconscient dans la vie quotidienne et intime des gens. C'est en chantant que l'on déchante et que la comédie se teinte de mélancolie.
La question de la misogynie dans Il était une fois en Amérique de Sergio Leone.
Esthétique

Que faire des chefs-d'œuvre supposément misogynes de l'histoire du cinéma ?

11 mai 2025
Le chemin que parcourt un.e cinéphile croise souvent celui d’œuvres érigées en monuments. Inévitablement il arrive que certaines nous dérangent en s’actualisant au contact de notre morale ou nos idées politiques qui semblent en inadéquation. Cette rencontre, souvent volontaire, peut devenir le lieu d’une blessure. Si la légitimité de cette émotion ne peut être remise en cause, que dit-elle réellement du film ? Au hasard : est-il moins bon, car misogyne ? Une question qui en suppose, étant donné ma position sociale, une autre : est-ce un privilège que de pouvoir se le demander ? L’émergence de sensibilité(s) féministe(s) dans nos corps et notre esprit fait parfois état de révolutions tant elles ont le pouvoir de renverser la lecture des œuvres que l’on rencontre. C’est ce qui m’est arrivé devant Il était une fois en Amérique. Un tremblement si profond qu’il m’a semblé nécessaire de l’écrire.
Franck Dubosc dans sa sapinière dans Un ours dans le Jura
Le Majeur en crise

« Un ours dans le Jura » de Franck Dubosc : L'improbable coup de griffe

11 mai 2025
Un ours dans le Jura de Franck Dubosc est une merveille d'humour pince-sans-rire qui donne un bon coup de griffe à la comédie mainstream française. Si son comique manque parfois sa cible, il peut en atteindre d'autres, comme les valeurs traditionnelles, voire même une certaine idée du cinéma d'auteur coup-de-poing.
Le trio masqué dans "Reflet dans un diamant mort" d'Hélène Cattet et Bruno Forzani
Interview

Théorie organique : Interview d'Hélène Cattet et Bruno Forzani pour « Reflet dans un diamant mort »

5 mai 2025
Dans Reflet dans un diamant mort, Hélène Cattet et Bruno Forzani questionnent la figure du héros d'action à travers ses représentations passées et actuelles, par l'intermédiaire du sous-genre de l'Eurospy. Dans cet entretien, nous revenons avec eux sur leur méthode de travail, leurs obsessions d'auteurs et leur cinéphilie, en rapport avec ce film qui explore, encore plus que les précédents, la mise en abyme et le rapport au genre.
Vincent Cassel et Guy Pearce dans le cimetière vandalisé dans Les Linceuls
Rayon vert

« Les Linceuls » de David Cronenberg : Antre ses morts, deuil et nécromancie

24 avril 2025
Avec Les Linceuls, David Cronenberg s'est aventuré sous terre, dans les recoins de son antre fantasmatique et de la souffrance engendrée par la disparition de sa femme, pour remonter avec un film magnifique qui invente une nouvelle forme d'expression contemporaine du deuil et de la psyché croisant la matérialité de la mort, les fantasmes et l'évolution des technologies.
Marion Cotillard en reine des neiges dans "La Tour de glace"
BIFFF

Les mondes fermés : Interview de Lucile Hadžihalilović pour « La Tour de glace »

24 avril 2025
En cultivant sa part de mystère, le cinéma de Lucile Hadžihalilović accueille le spectateur afin qu'il y déambule et y réfléchisse, quand bien même il dépeindrait des mondes clos et oppressants. Dans La Tour de glace, la réalisatrice explicite sa relation à l'imaginaire et à l'enfermement qu'il peut produire, tout en perpétuant cette relation ouverte avec son spectateur. Ce sont ces paradoxes et d'autres dont nous avions envie de discuter avec elle lors de son passage au BIFFF.
James Woods dans Videodrome de cronenberg
Esthétique

David Cronenberg avec Lacan : « Je dois donner chair aux verbes puis filmer la chair faute de filmer le verbe ».

22 avril 2025
Depuis ses débuts à la fin des années 60 jusqu'à son dernier film en 2022, David Cronenberg s'est imposé comme un grand réalisateur de films de genre. Si la complexité de son œuvre est largement reconnue, on évoque aussi souvent sa très grande cohérence thématique. Pourtant, à y regarder de plus près, on retrouve à l'origine de chacun de ses films une trame narrative unique dans laquelle il semble systématiquement puiser. Un peu comme si tous les films de Cronenberg racontaient la même histoire selon différents points de vue...
L'homme avec son cheval dans la mer dans Voyage à Gaza de Piero Usberti
Esthétique

« Voyage à Gaza » de Piero Usberti : Le contrechamp des lucioles

17 avril 2025
Voyage à Gaza de Piero Usberti est un chant du cygne scintillant d'une étrange poésie funeste et crépusculaire. Il saisit quelque chose du temps précédant la destruction effective et toujours déjà annoncée des territoires palestiniens. À travers son journal filmé, qui n'est jamais autocentré et qui offre au contraire un saisissant contrechamp aux images médiatiques du conflit, Piero Usberti répond aussi à l'invitation de Jean-Luc Godard à brouiller les frontières entre la fiction qui serait le moyen d'expression d'Israël et le documentaire celui des Palestiniens.
Armande Pigeon au coeur de Bruxelles dans "Aimer perdre"
Interview

Serial galériens : Interview de Lenny et Harpo Guit pour « Aimer perdre »

10 avril 2025
Nous avions découvert les frères Guit au moment de la sortie de leur premier long-métrage, Fils de Plouc, qui faisait souffler un nouveau vent de fraîcheur sur le cinéma belge, terrain sur lequel nous peinons souvent à trouver notre bonheur et des stimulations esthétiques. Leur deuxième film, Aimer perdre, creuse des pistes similaires, telles que le jeu et les influences de la comédie burlesque et potache, mais en prenant pour acquis les transgressions déjà opérées par Fils de plouc, pour mieux faire évoluer l'humour et leur forme de rire.
Julie (Tessa Van den Broeck) à l'entrainement, dans "Julie se tait" de Leonardo Van Dijl
Critique

« Julie se tait » de Leonardo Van Dijl : Silence coupable

10 avril 2025
Comme le titre de l’œuvre de Leonardo Van Dijl l’indique explicitement, la jeune joueuse de tennis Julie (Tessa Van den Broeck) ne parle pas dans le film des sévices de son entraîneur (Laurent Caron). Aveu de faiblesse : le cinéma ne peut être le lieu de la libération de la parole. Il se fait plutôt le porte-voix d’une idée reçue selon laquelle l’art serait principalement le lieu circonscrit de l’intime et de l’indicible. Laissant opportunément les spectateurs dans le flou et son personnage de sainte mutique en pleine lumière, Julie se tait flatte notre regard compassionnel sans apporter de réel éclaircissement quant aux relations d’emprise au sein des structures sociales.
Tom Hanks et Robin Wright s'embrassent dans Here
Histoires de spectateurs

« Here » de Robert Zemeckis : La chambre noire de l'Amérique

10 avril 2025
Le film de Robert Zemeckis, Here, contient tout son programme dans son titre. « Here », ici et maintenant, par son dispositif singulier, entend raconter l'Amérique depuis l'intimité de ceux qui l'ont habité dans le salon d'une maison coloniale. Mais l'histoire est un drame sans unité. Au contraire, Robert Zemeckis, téléologique, entend mettre en ordre les désordres de l'Amérique dans un film qui, à coup de photographies, assassine ses souvenirs.
Marianne Jean-Baptiste, Michele Austin au cimetière dans Deux Sœurs de Mike Leigh.
Rayon vert

« Deux Sœurs » de Mike Leigh : Les crans de la colère

5 avril 2025
Le cinéma de Mike Leigh a la passion des personnages à cran, placidement portraiturés. Chez lui, la placidité du style ne contrevient en rien à l’acidité du trait, qu’elle atténue à sa manière pour en attendrir la pointe dans le polissage de ses durées. Puisqu’à l’écran, les (petites) gens sont à cran, naufragés et rescapés du néolibéralisme entaillés par ce qui socialement les assigne à des places exécrées, toujours prêts à monter d’un cran en se gueulant dessus à défaut de responsables impossibles à trouver, il revient à qui en filme les macérations à mèche lente de savoir les décranter. Deux Sœurs pousse d’un cran l’art du décrantage quand les « dures vérités » lâchées en rafale par l’atrabilaire Pansy à tout son entourage ne sont des éclats de méchanceté qu’à amorcer la décantation de leur jus de colère. Si la colère fait du cœur un moteur à explosion, son entretien abîme aussi le corps et l’esprit de sa porteuse et il appartient à Chantelle, la sœur de Pansy, d’en assurer les involontaires soulagements quand la volonté consiste justement à en vouloir à la terre entière. On est en colère parce qu’on est endeuillé et le deuil commencerait toujours déjà à la naissance en recommençant avec la mort des parents. On naît en colère et endeuillé et Deux Sœurs en approcherait l’intime vérité comme jamais – la colère dont le noyau de hantise est de terreur, l’intolérable vérité de la vie qui est irrémédiable et la culpabilisation d’autant plus infinie qu’elle est sans faute ni expiation.
Issiaka Kane (Nianankoro) donne l’œuf dans le désert dans Yeelen de Souleymane Cissé
Rayon vert

« Yeelen » de Souleymane Cissé : Duel au soleil

27 mars 2025
Yeelen ne conte pas seulement le récit incandescent de générations d’initiés qui, de pères en fils, se font la guerre au nom d’obscures rivalités sorcellaires, il se montre lui-même comme une initiation en vérifiant ainsi la charge transgressive qui lui est fondamentalement associée. En se proposant d’instruire ses spectateurs aux savoirs et rituels secrets du Komo, le film de Souleymane Cissé réussit à tenir les deux bouts du mystère dont il est le fascinant relais : l’initiation (la connaissance élève, elle est transformatrice) et la transgression (la connaissance tue, elle est destructrice), l’aile du Kôrê (le sceptre qui élève et protège) et le Kolonkalanni (le pilon magique qui abat et punit). L’histoire de Yeelen est millénaire et le film date du milieu des années 80, il est d’avant-hier et d’après-demain. Yeelen est un film merveilleux, d’aventures et d’hallucinations, gorgé d’un animisme dont le cinéma redéploie les puissances dans les mélanges de la fable et du documentaire, la captation du réel et son insufflation par des récits en deçà et au-delà de l’Histoire, promises à rayonner encore mille nouvelles années.
La fille dans Den Muso de Souleymane Cissé
Rayon vert

« Den Muso » de Souleymane Cissé : Le silence que la parole outrage

27 mars 2025
Dans les sociétés où règne l'oralité, la parole fait lien et loi et son instrument est la voix. Y vivre sans voix dans le cantonnement de la parole qui manque, c'est être alors sans pouvoir en étant la proie des lions qui s'en disputent la part. Le cinéma est fait pour cela quand il montre que le monde se partage entre des parlants et des muets et si les premiers exercent un pouvoir sur les seconds, ces derniers ne sont pas seulement des êtres d'impuissance, mais les sujets d'une autre puissance en contestant au verbe sa domination. Quand l'œil se met à écouter, le regard se trouve dès lors disposé à voir l'inouï coincé au fond de la gorge tout en participant à faire des bouchons d'oreilles. L'inouï est un non (la voix qui manque n'a pas droit au chapitre), c'est un oui aussi (ce qui se tait est une pensée dont le silence résiste aux moyens de la verbaliser). Avec la fluidité de l'eau que le vent doucement remue, Den Muso La Fille mêle ainsi les registres entre l'éloge et l'élégie, l'observation documentaire et le drame social, la critique politique et la tragédie antique, le cas particulier et son exemplarité générique, son universalité transculturelle et sa singularité quelconque. La plainte de Ténin, la sans-voix, est la complainte de la jeune femme violée par tous ceux qui auront parlé à sa place, et dont la puissance de mort est l'énigme incendiaire d'un désaveu collectif. Le silence que la parole outrage, dans ses droits qui oublient ses devoirs à son égard, déchaîne alors la rage, ses coups de sang asphyxiant les parlants et ses coups de soleil incendiaires. Le cinéma en répond en prenant son parti – celui de Souleymane Cissé, au nom du mystère de son enfance impartie.
Andrés Roca Rey dans l'arène dans Tardes de soledad de Albert Serra
Rayon vert

« Tardes de soledad » d'Albert Serra : La vie ne pèse rien

27 mars 2025
Tardes de soledad d’Albert Serra, ou « Après-midi de solitude » si l’on traduisait mot-à-mot, est un documentaire suivant le matador Andrés Roca Rey au cours de plusieurs combats successifs. Cherchant à représenter ce qu’il y a de plus essentiel dans la corrida, le réalisateur nous propose de nous immerger au cœur de l’arène où, comme le dira l’un des personnages, « la vie ne pèse rien ».
Isabelle Huppert dans La voyageuse de Hong Sang-soo
Rayon vert

« La Voyageuse » de Hong Sang-soo : No workbook !

22 mars 2025
La Voyageuse d’Hong Sang-soo, produit d’une nouvelle collaboration entre le réalisateur coréen et d’Isabelle Huppert (Iris dans le film), se présente comme une étrange promenade de l’actrice. Professeure de français, puis confidente d’un poète-compagnon, le personnage d’Iris erre à l’écran pour nous raconter ce qu’est véritablement le voyage proposé par le cinéma d’Hong Sang-soo.
Paul Newman et Burt Lancaster dans Buffalo Bill et les indiens de Robert Altman
Rayon vert

« Buffalo Bill et les indiens » de Robert Altman : Les bruyants et le muet

22 mars 2025
Tout spectacle n’aurait peut-être pas d’autre message à communiquer que le bruit qu’il fait, le tintamarre de la représentation exprimant la vérité des mensonges tapageurs du représenté. Si les films de Robert Altman sont bruyants, particulièrement Buffalo Bill et les Indiens, c’est pour y donner à entendre le bruit du spectacle par quoi s’instruit sa critique. Le mythologue à l’œil d’aigle sait tendre aussi l’oreille à ce que taisent haut et fort les mythes. Ce qui s’appelait hier démythification et se qualifie de déconstruction aujourd’hui ne suffit pas à comprendre comment la critique du spectacle reste encore du spectacle – à cette différence près, toutefois, qu’elle sait de quoi elle hérite, quels sont les impensés qui en font les limites, quelle tragédie dont l’os perce la croûte des railleries.
Mickey 17 et Mickey 18 côte à côte dans le film de Bong Joon-ho
Le Majeur en crise

« Mickey 17 » de Bong Joon-ho : Théorie de l'assassinat politique

15 mars 2025
Mickey 17, à lire une bonne partie de la critique, serait un film raté. S'il est raté, c'est qu'il s'agissait de penser l'Amérique d'un dératé qui voudrait aujourd'hui conquérir le monde jusqu'à plus souffle, comme un perdu ; penser encore l'Amérique à partir de ses rats comme de ses souris Mickey, qui se demandent chez Bong Joo-ho comment se débarrasser de ce piège à ratons qui a pour nom Trump ? Mickey 17, dans son ratage, ne manque pas sa cible. Il explose ses propres lignes de démarcation pour théoriser un nouveau type d'assassinat politique, le présicide, soit commettre un attentat contre son président en un acte qui ne sera pas manqué. Un film pour réimprimer le rêve de l'Amérique.
Michael Fassbender et Cate Blanchett s'embrassent dans The Insider de Steven Soderbergh
Rayon vert

« The Insider » de Steven Soderbergh : Polygraphe éclairé

13 mars 2025
Il y a une séquence absolument irrésistible dans The Insider, celle du polygraphe, autrement dit le détecteur de mensonge auquel se plie l'entourage professionnel d'un espion pour savoir si un menteur s'y cache. Le polygraphe est un terme polysémique. Le détecteur de mensonge y côtoie en effet une espèce de papillon, ainsi qu'un auteur qui multiplie les domaines d'écriture. Le terme est idoine pour Steven Soderbergh comme pour son scénariste, David Koepp, avec qui il vient d'enchaîner trois films en deux ans : KIMI, Presence et The Insider. L'éclectisme dans la variété des sujets qu'ils aiment tous deux privilégier, au risque de la dispersion et la frivolité, aurait ainsi trouvé dans le polygraphe son meilleur dispositif. Avec le polygraphe, le papillonnage élit sa machine en touchant à sa raison d'être : la lecture paranoïaque des signes redoublée par sa manipulation ludique dès lors que l'on sait tenir à son point de concentration le plus intime. Dans ce monde de séduction vitreuse qu'est l'espionnage où la maîtrise des apparences est un enjeu de luttes, la hantise des fuites a pour fondement la contraction ouvrant les surfaces sur leur point de capiton. À l'ombre de l'OTAN, les relations de bureau ressemblent au fond à toutes les autres, sinon qu'elles y sont plus létales. Les surfaces vitrifiées ne sont désirables qu'à se rendre lisibles grâce aux polygraphes qui, seuls, savent indiquer où se tient le point le plus intime de concentration empêchant alors qu'elles nous frigorifient.
Jamel Debbouze en agent de jours dans Mercato
Esthétique

« Mercato » de Tristan Séguéla : Football Factory

13 mars 2025
Mercato est un film sur le football qui en devient un film de football. Mais si sa logique de construction est calquée sur tous les antagonismes de ce sport, Mercato entend les résoudre finalement. Le film voulait nous faire savoir ce qu'est le football, ses intrigues, ses mœurs. Il veut surtout nous faire croire à ses leurres.
Anne Wiazemsky et Jean-Pierre Léaud Porcherie de Pier Paolo Pasolini
Esthétique

« Porcherie » de Pier Paolo Pasolini : Cannibale on est mal

13 mars 2025
Dans Théorème, Pasolini fait un peu trop l’ange (l’annonciation s’y littéralise avec moins de crudité que de nudité narcissique) ; dans Porcherie, un peu trop la bête (la société y exposerait la cruauté de ses secrets autophages avec une exhibition démonstrative). Janus y a deux visages, de l’ange et de la bête, et leur réversibilité circulaire a pour bouche de lave le cratère partagé du vulcain de l’Etna. L’orifice fulminant auquel un anthropophage des âges barbares offre la tête de sa première victime revient en dernière instance au cinéaste lui-même, en colère contre une époque où la posture révolutionnaire devient un conformisme et où le peuple tant aimé se dissout dans une masse abhorrée, bourgeois et prolétaires tous enrôlés sous la bannière d’un consumérisme néofasciste. L’œuvre de Pier Paolo Pasolini, ainsi Porcherie, est porteuse d’une esthétique cannibale, redoublée d’une métaphysique vitaliste où la vie se mangerait sans produire plus aucun déchet. Manger l’autre, c’est l’aimer en se mangeant soi-même mais cela c’est l’exception, l’hétérogène que remâche l’Histoire, sa goinfrerie ordurière.
Jack Nance dans Eraserhead de David Lynch
Esthétique

« Eraserhead » de David Lynch : Par tous les trous

6 mars 2025
Bouches, oreilles, fêlures, terrier, crane ouvert : Eraserhead est traversé par des trous, où semblent converger toutes les obsessions de David Lynch. Hanté par le cerveau-effaceur du titre, Henry Spencer doit traverser ses cauchemars et ses monstres. Afin de se sauver de l’oubli, son corps va devoir apprendre à apprivoiser les trous du monde.
Nicolas Cage et Laura Dern s'embrassent dans Sailor et Lula de David Lynch.
La Chambre Verte

« Sailor et Lula » de David Lynch : Les forces du désir

6 mars 2025
L’art de l’acteur est employé dans Sailor et Lula de façon à donner une certaine idée du désir. Là, le désir-souffrance produit par une insigne perversité, ici, le désir-bonheur qu’inspire l’amour le plus simple ; l’un et l’autre se reflètent intensément ou monstrueusement dans le corps des comédiens.
Betty et Rita dans le rêve de Diane, dans "Mulholland Drive"
Rayon vert

« Mulholland Drive » de David Lynch : Un rêve peut en cacher un autre

6 mars 2025
Malgré les apparences, Mulholland Drive est peut-être le film le plus explicatif et rationnel de David Lynch, par-delà sa lecture onirique. Néanmoins, l'auteur y a laissé quelques éléments hétérogènes et fluctuants qui permettent encore d'entretenir le mystère et le potentiel hypnotique du film. Parmi ceux-ci, il y a le clochard du Winkie's, démiurge maléfique ou incarnation du destin, qui continue d'intriguer. Par sa construction en poupée russe et ses rêves enchâssés, le film ne cesse de faire cogiter son spectateur et de le faire participer à ses énigmes ludiques, disséminées par un Lynch plus joueur que jamais.
David Lynch au travail dans David Lynch : The Art Life
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« David Lynch : The Art Life » : Le marin et la sirène

6 mars 2025
Au milieu des années 2010 et après l’expérience radicale d’INLAND EMPIRE, on croyait David Lynch perdu, son nom d’artiste figé en marque déposée des industries du luxe, de la méditation transcendantale et de la musique. Avec David Lynch : The Art Life, on le retrouve en toute simplicité comme il a toujours été, double : habitant (le monde matérialisé de ses fantasmes, celui que présente son atelier) et habité (par des visions surgies d’une enfance où le rêve américain pourtant figuré dans la gentillesse exemplaire de ses parents n’aura jamais cessé d’être retourné sur des envers effrayants). Deux fois habité, donc (comme corps actif et silencieux et comme voix relayant des récits et des visions en off ou au micro). Mais deux fois habitant également (notre monde au sein duquel il se sera constitué le sien propre et ses œuvres représenteraient autant d’accès permettant à n’importe qui d’y entrer). Accompagné de son dernier enfant, la petite Lula qui est sa sirène d’enfance, David Lynch s’y montre en vieux marin qui s’apprête alors à reprendre la mer en repartant du milieu, tout le cosmos et ses océans intersidéraux, tout l’univers qui enflera et s’embrasera à nouveau en recommençant notre sidération, une fois retrouvé l’accès au cœur de la forêt de Twin Peaks.
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