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L'affiche des Magritte du Cinéma
Chronique

Les Magritte du Cinéma 2022 : Faux raccords

Guillaume Richard
Crise sanitaire oblige, la onzième cérémonie des Magritte du Cinéma avait pour nouveauté un dispositif alternant une scène avec ses gradins et ses coulisses. Au programme : des faux raccords hilarants, un timing bien trop strict, des textes qui tombent à plat et des séquences tire-larmes dignes d'un télé-crochet. Mais que pouvions-nous attendre d'autre de la télévision dans un pareil contexte, même adapté ?
Guillaume Richard

Les Magritte du Cinéma 2022 : Ceci fût bien une cérémonie

Après dix ans de cérémonie résumés dans un documentaire hagiographique intitulé Ceci n'est pas un anniversaire, on pouvait craindre le pire pour cette onzième cérémonie des Magritte du Cinéma et on n'a pas été déçu : le cataclysme attendu a dépassé toutes nos espérances en se plantant en beauté sur tous les tableaux. Après le malaise provoqué en 2020 par l'ouverture offerte à l'éternel héros du cinéma belge Pascal Duquenne, déguisé en James Bond, il fallait pouvoir cette année être raccord avec l'actualité. Les organisateurs de la soirée se sont ainsi tout naturellement tournés vers le wokisme. Bah oui, c'est ce qui anime aujourd'hui les débats de société et les revendications sociétales. Très bien, sauf que le mélange proposé reste au stade de la figuration, comme dans un film Disney ou Netflix, et on rit beaucoup lorsque le groupe de Drag Queens termine le show inaugural en appelant à la révolution qui serait en cours (une marche queer seraient même sur le point de prendre d'assaut le stade Roi Baudoin !). Tout ceci n'est pourtant que du visuel, pour reprendre la célèbre expression de Serge Daney. Ce n'est pas ce temps d'image obtenu à la télévision qui va tout à coup redéployer les cartes de la reconnaissance de toute une culture qui attend de sortir de la marge (Iris Brey nous rétorquerait bien sûr que oui, elle qui pense que le cinéma peut empêcher les hommes de devenir des violeurs).

Le malaise est palpable et on ne comprend pas bien ce que font là tous ces travestis dans ce décor épuré et de surcroît mal adapté : une scène principale entourée de gradins où sont installés les nominés et, hors champ, un backstage où les autres invités/privilégiés se pavanent au bruit des bouteilles de champagne. Ce dispositif a été adopté pour des raisons sanitaires. Les années précédentes, une réalisation sobre décalquait son filmage sur celle des César à laquelle elle n'avait rien à envier. Le professionnalisme de la mise en scène cède ici la place à un amateurisme assez incompréhensible. Un des rares tweets autour des Magritte du Cinéma — l'échec sur Twitter est vraiment cuisant alors que la RTBF se présente pourtant comme un média numérique à la pointe de la technologie — demande s'il s'agit des répétitions ou du direct. Effectivement, les raccords entre la scène et les coulisses sont parfois complètement ratés, comme lorsque le beau discours de Thierry Michel, seule éclaircie de la soirée, est entrecoupé par des images de quidams en train de se marrer, l'écran restant même parfois presque vide. Plus généralement, la réalisation abuse de ces raccords sur les personnalités bien connues du cinéma belge (mais quid du spectateur ?) qui en fait s'emmerdent ou affichent une terrible neutralité devant la nullité des textes et des blagues écrits pour les cinq présentateurs du soir, Laurence Bibot, Ingrid Heiderscheidt, Achille Ridolfi, Dena et Bwanga Pilipili, qui dans l'ordre ont quand même réussi à faire diminuer un peu l'impression de malaise constant.

Traditionnellement, les cérémonies semblables aux Magritte du Cinéma offrent l'occasion d'assister à d'honnêtes moments d'émotion. Ici, ce ne fût pas le cas tant de nombreux vainqueurs semblaient mesurés (ou indifférents, à l'image du petit Günter Duret ?) et dépendants de l'intervention de la meneuse des Drag Queens, assise à gauche du pupitre, à qui revenait le bon déroulement de la soirée et dont la mission était d'écourter les discours. L'émotion devait semble-t-il passer ailleurs et plus précisément dans les capsules réalisées avec les cinq réalisateurs nominés au meilleur film. Ceux-ci sont installés dans les sièges du Stockel, un cinéma de Bruxelles, et l'idée est de provoquer volontairement l'émotion de manière putassière, comme dans The Voice par exemple. C'est ainsi que Laura Wandel ou Anne Paulicevich pleurent devant nous, et nous sommes gênés, mais aussi un peu amusés, devant ce dispositif tire-larmes qui contraste avec les discours des gagnants : le choix des raccords est décidément étonnant. Citons encore un autre élément cinématographique recyclé dans ce télé-programme poubelle, la voix-off, tout à fait inopérante sauf lorsqu'elle doit couper un intervenant pour respecter le timing.

Et les films ? Nous en avons dit suffisamment de mal et le lecteur trouvera nos critiques au bas de ce texte. L'absence de prix pour les Intranquilles et Filles de joie n'est pas pour nous déplaire. Adoration méritait sans doute plus. Quant à Un Monde : no comment. Nous n'avons pas écrit sur Une vie démente, qui ne nous a pas intéressé, mais les prix pour les acteurs sont mérités, ni sur Petit Samedi, prix du meilleur documentaire, vu et pas aimé au FIFF. Bien sûr, dans une cérémonie comme celle-ci, on se fiche pas mal du cinéma. Les Magritte du Cinéma 2022 auraient pu être poétiques, ils ont été platement woke, "la cérémonie la plus woke jamais connue"! Même le glamour tant recherché (et critiqué) lors des éditions précédentes est sacrifié à cette cause. Les plans répétitifs sur le square du Mont des Arts éclairé de bleu sont-ils censés nous faire rêver ? L'idée était ailleurs : il fallait relayer le message woke pour que ça aide, comme l'a bien dit Hippolyte Leibovici, le réalisateur primé du meilleur court métrage documentaire, Mother's, qui porte justement sur les Drag Queens bruxellois. La boucle est bouclée et la télévision ne nous aura rien montré d'intéressant dans un dispositif pourtant différent mais mal pensé.

Lire les textes sur les films nominés aux Magritte 2022