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Neil Bennett (Tim Roth) prend le soleil sur la plage dans Sundown
BRIFF

« Sundown » : Interview de Michel Franco

Guillaume Richard
De passage à Bruxelles pour la cinquième édition du BRIFF, Michel Franco présentait Sundown, qui est peut-être, avec Chronic, son film le plus doux et le plus abouti.
Guillaume Richard

« Sundown », un film de Michel Franco (2021)

Il n'est pas exagéré de dire que Michel Franco est devenu une des têtes de turc d'une partie de la cinéphilie française qui lui reproche sa misanthropie, son "radicalisme chic" (comme ils disent) ou sa pornographie de la misère humaine. Avec Sundown, Michel Franco réalise peut-être, avec Chronic, son film le plus abouti et le plus doux, même si la violence et la critique sociétale ne sont pas absentes. L'argument de la misanthropie ne tient plus, ou du moins il ne vaut pas pour l'ensemble de sa filmographie. On repense à ces mots de François Bégaudeau à propos de Chronic parus dans Transfuge : "Qui ne voit, qui ne persiste à ne pas voir que la tenace froideur du cinéma de Franco procède d'une tendresse supérieure, accomplie ?". S'il y a peut-être quelque chose qui unit les films de Michel Franco, ce serait la recherche, toute thérapeutique, de l'apaisement. En ce sens, il pourrait être influencé par Apichatpong Weerasethakul, on le lui a demandé comme beaucoup d'autres choses : sa supposée misanthropie, sa conception de la lutte des classes, son usage du son et de la musique, sa relation avec Tim Roth ou encore son avis sur le méta-cinéma et la notion de "film coup de poing". Il revient même avec humour sur la célèbre vidéo où Nanni Moretti le critique férocement.


Après Nouvel Ordre, qui est un film très noir, aviez-vous besoin avec Sundown de faire un film plus calme et lumineux ?

J'ai tourné Sundown avant la sortie de Nouvel Ordre. Je ne dirais pas que mes films sont liés entre eux car je tourne en fonction de ce qui me travaille sur le moment, donc sans penser à ce que j'ai pu faire auparavant même si évidemment des liens existent entre mes films. Je ne réfléchis pas de cette manière. Sundown est en effet un film plus intimiste mais le challenge fut vraiment de faire venir ces acteurs anglais à Acapulco et de tourner sur la plage sans contrôles.

Vous êtes ici moins intéressé par la mise à l'épreuve d'un tabou ou d'une très problématique question morale.

À nouveau, je ne connecte pas mes films entre eux aussi profondément. Nouvel Ordre évoquait la rupture et les conflits au sein d'un pays tandis que Sundown porte sur la rupture qui se produit chez un homme. Ce sont deux films différents que je n'ai pas conçus en dialogue.

Il y a beaucoup de scènes tournées en extérieur dans Sundown, et en tout cas plus que dans beaucoup de vos films qui enferment les personnages dans un cadre donné.

Ce film est en effet plus en relation avec la nature et les rapports qu'entretient le personnage avec le monde qui l'entoure. Il est souvent à la mer et est plongé dans un ensemble de sons. C'est une histoire plus organique.

Est-ce une direction que vous allez suivre dans le futur ?

Je ne pense pas. Je ne réfléchis pas de cette façon, en comparant mes films, mais toujours en réfléchissant sur ce que je veux faire sur le moment.

Que représente pour vous Tim Roth ? Qu'apporte-t-il à votre cinéma ?

Tim Roth est évidemment un acteur très talentueux mais aussi un ami proche. Nous nous connaissons très bien mutuellement et nous nous poussons l'un l'autre à relever de nouveaux challenges. C'est un processus très intime qui ne relève plus simplement de la direction d'acteur. Et de manière générale, je ne dirige de toute façon pas beaucoup les acteurs. Je leur accorde beaucoup d'espace pour qu'ils puissent s'exprimer. Mon travail avec Tim Roth est donc intime et c'est une chance car c'est un des meilleurs acteurs au monde, avec un visage fantastique et une présence. Je suis vraiment chanceux de l'avoir à mes côtés et de continuer à tourner avec lui.

À la fin de Sundown, on apprend que le personnage de Tim Roth souffre d'un cancer. Pourquoi avoir fait ce choix dans un film qui était jusque-là lumineux et apaisé ?

L'idée de la maladie traverse Sundown. Elle est toujours là et le spectateur peut s'en rendre compte et la percevoir dès le début. Quand j'ai écrit le film, je considérais depuis le début que le personnage était malade et que tout ce qui suit était lié à ça.

La famille de Neil Bennett (Tim Roth) prend le soleil dans Sundown
© Visuel fourni par le Brussels International Film Festival (BRIFF)

Sundown est donc toujours travaillé par une certaine idée de la mort. Est-ce cela que vous avez voulu transmettre dans le titre du film, qui marque l'arrivée des ténèbres ?

Oui, exactement, sans que cela ait une connotation négative. Cela marque la fin de quelque chose.

Il y a dans une partie de vos films une recherche de l'apaisement et une série de références aux soins médicaux. C'est quelque chose d'étonnant et peut-être contradictoire car beaucoup de critiques vous reprochent d'être misanthrope.

C'est toujours intéressant d'entendre la réaction des gens mais je ne me considère pas comme un cinéaste misanthrope. Je pense au contraire que j'aime la vie et mes personnages. Je me bats toujours à ma manière pour en tirer le meilleur parti. Ce que vous dites à propos de la médecine relève pour moi de l'illusion car notre fin est inéluctable et c'est en vain qu'on cherche à la combattre. Mais je crois fermement en la vie et je veux faire de mon mieux pour en parler.

En France, une partie de la critique cinéphile, comme les Cahiers du cinéma par exemple, vous considère néanmoins comme un misanthrope. Ils ont fait de vous une de leurs têtes de turc.

Je ne lis pas beaucoup les critiques mais je sais que mes films divisent toujours. Et j'en suis ravi. Je n'aime pas trop les réalisateurs qui font des films pour plaire au plus grand monde. C'est ridicule et pourtant c'est une façon dont beaucoup de cinéastes travaillent aujourd'hui.

Avez-vous vu la vidéo de Konbini où Nanni Moretti parle de vous ?

Oui (rires). Je trouve ça très flatteur. Ça m'a donné envie de prendre un café avec lui pour en discuter ! Mais j'ai d'abord trouvé ça très drôle...

C'est au fond une réaction attendue de sa part puisqu'il avait déjà été très critique à propos de Michael Haneke au moment de Funny Games. Que pensez-vous de ses films et de l'évolution de son cinéma ces dernières années ?

Bien sûr, c'est un réalisateur très talentueux. Je pense que nous jouons tous à un jeu. Le cinéma est un jeu, parfois un jeu trop sérieux que nous devrions pas prendre comme tel. J'aime la façon dont Moretti entretient son rapport au cinéma. Donc je suis flatté, oui. Vous savez, ce n'est pas parce que quelqu'un dit quelque chose de très négatif sur mes films que je vais arrêter d'en faire. Je m'en fiche pas mal, au fond, qu'on me dise cela.

Sur ce point de l'apaisement, j'aimerais vous proposer une comparaison avec Apichatpong Weerasethakul, même si vos films sont bien sûr très différents. Lui aussi a beaucoup travaillé les questions du soin et de la thérapie. Avez-vous vu Blissfully yours, qui me fait penser par certains aspects à Sundown, ou avez-vous été influencé en partie par son travail ?

Non, je n'ai pas vu Blissfully yours. J'aimerais être influencé par Apichatpong car c'est un cinéaste unique, il n'y a vraiment personne d'autre comme lui. J'aimerais croire qu'en regardant ses films, quelque chose est resté en moi. J'aimerais mais ce n'est pas le cas car je n'ai jamais pris le temps d'analyser ses films, donc je ne peux pas vous répondre par l'affirmative, même sur le point de vue médical où il pourrait y avoir des correspondances.

Il n'y a pas de musique dans Sundown. Pourquoi ce choix ? Contrairement à certains de vos films plus percutants où il n'y en a pas, elle aurait été ici justifiée et en lien avec la recherche d'apaisement du personnage.

Je ne voyais pas la nécessité d'ajouter de la musique. Je ne l'utilise qu'en cas de besoin et c'est très rare. Cela ne s'est d'ailleurs produit que quelques fois dans mes huit films. Je pense qu'il faut l'utiliser que s'il y a une bonne raison de le faire et c'est une décision à prendre qui doit être réfléchie.

Il y a par exemple de la musique dans Daniel & Ana.

Oui, dans ce cas je trouve que son utilisation avait un sens. C'est une belle symphonie de Felix Mendelssohn que j'utilise quatre fois, y compris dans les génériques. Je pense que le morceau aide le film en lui apportant une respiration bienvenue.

Berenice (Iazua Larios) dans la chambre de Tim Roth dans Sundown
© Visuel fourni par le Brussels International Film Festival (BRIFF)

Dans certains de vos films, le générique final est silencieux. N'est-ce pas un procédé un peu lourd et peu stimulant qui vient assommer le spectateur ?

Non, mon but, en tout cas dans Sundown où il y a le son de la mer sur le générique final, c'est de rester au contact du sentiment de fin qui approche. Dans Después de Lucía, on entend aussi la mer et le bruit du moteur qui produit certes un effet différent. Il y a aussi les tambours dans Nouvel Ordre. Si de la musique devait s'imposer, je le ferais.

Que pensez-vous du concept de "film coup de poing" ? Est-ce parfois cet effet que vous recherchez dans vos films ?

Je ne pense pas faire ça mais j'aime provoquer des sensations fortes. C'est ce que j'aime quand je regarde un film : je n'aime pas quand ça tourne autour du pot et quand je perds mon temps. Nous vivons dans un monde difficile et les films devraient aussi refléter ça. D'une certaine manière, c'est un peu ridicule de vouloir éviter de regarder cela en face. Certaines personnes voient les films comme un moyen d'échapper à la réalité, tant mieux pour eux, mais ce n'est pas ce qui m'intéresse au cinéma.

Il y a cependant toujours de la violence dans Sundown. Était-il important pour vous de continuer à critiquer cet aspect problématique de la société mexicaine ?

Oui, nous sommes encore en plein dedans et la seule façon de changer les choses, de s'améliorer, c'est de regarder les choses en face et d'être critique à ce sujet.

La situation est-elle pire qu'à vos débuts ?

Oui, c'est un fait et elle ne cesse d'empirer car la violence se développe de tous les côtés.

Quelle est aujourd'hui votre vision de la lutte de classes, une thématique chère à votre cinéma ? On la retrouve bien sûr dans Sundown malgré la recherche d'apaisement dont nous parlions plus haut.

Je pense que la situation, là aussi, s'aggrave de jour en jour, et pas seulement au Mexique mais dans le monde entier. Je pense qu'il s'agit d'un des plus gros challenges auquel l'humanité doit faire face et pourtant nous échouons à trouver des solutions. Les choses se sont encore empirées avec la pandémie et personne ne sait pour l'instant comment faire pour s'en sortir. Et certainement pas les gouvernements qui sont loin d'être à la hauteur. Nous vivons dans un monde très dur. Et encore, on ne parle pas de ce qui se passe en Afrique et dans plein d'autres pays où les besoins les plus élémentaires ne sont pas pris en charge. Vous devriez envoyer quelques gros titres à Nanni Moretti pour lui rappeler dans quel monde il vit (rires) !

Vous citez souvent comme référence Michael Haneke mais il n'y a pas chez vous de réflexion ou de méta-réflexion sur le cinéma et les images. Est-ce quelque chose qui pourrait vous intéresser dans le futur ?

Peut-être que cela pourrait apparaître dans un film que je vais tourner prochainement mais je ne réfléchis pas de cette manière car je me laisse guider par ce que je ressens. Je trouve ça néanmoins intéressant mais il faudrait trouver un bon angle pour l'aborder car beaucoup de choses ont déjà été faites. Mais c'est intéressant surtout maintenant avec le monde numérique que ne connaissait pas Haneke à l'époque. Aujourd'hui, le digital est partout. C'est un cauchemar.

Quelle étape de la création d'un film préférez-vous ?

J'aime voir les acteurs, professionnels ou non, se mettre à jouer les dialogues que j'ai écrits pour eux. C'est toujours très excitant de voir passer des choses écrites sur le papier à la réalité.

Dans le futur, que souhaiteriez-vous améliorer et/ou apprendre de nouveau ?

On veut toujours trouver quelque chose de différent à exprimer. C'est vraiment un grand défi de ne pas se répéter et de pousser le médium dans de nouvelles directions, ce que font généralement les grands cinéastes.


Entretien réalisé au Brussels International Film Festival (BRIFF), le 29 juin 2022.

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