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Interview

« La Transgression selon David Cronenberg » : Interview de Fabien Demangeot

Fabien Demangeot
Avec « La Transgression selon David Cronenberg », notre rédacteur Fabien Demangeot signe un essai synthétique et de vulgarisation autour de l’œuvre du cinéaste canadien. En analysant trois formes de transgression, il reconnecte surtout ses films à ses origines les moins nobles, des sous-genres du film d'horreur aux pratiques pornographiques les plus crues.
Fabien Demangeot

« La Transgression selon David Cronenberg », un livre de Fabien Demangeot publié aux éditions Playlist Society (2021)

La Transgression selon David Cronenberg, un livre de Fabien Demangeot publié chez Playlist Society

Comment s'est déroulée ta rencontre avec le cinéma de David Cronenberg ?

J’ai découvert les films de Cronenberg alors que j’étais encore lycéen. Je passais, à l’époque, un baccalauréat littéraire option cinéma-audiovisuel et j’étais friand de cinéma d’horreur. J’ai grandi avec les slashers de la fin des années 90, avec des films comme Scream, Souviens-toi l’été dernier ou The Faculty. Mon intérêt pour ce genre de cinéma m’a poussé à découvrir des auteurs qui, bien qu’officiant dans le domaine du cinéma de genre, étaient également reconnus par la critique. Il y a eu Wes Craven, Tobe Hooper puis John Carpenter et David Cronenberg. J’ai alors vu La Mouche puis Crash qui m’ont littéralement fasciné. Il me semblait que l’on dépassait le cadre du cinéma horrifique classique. C’était la première fois que le corps monstrueux était mis en scène de cette manière. J’étais encore jeune à l’époque mais je percevais que ce cinéma redéfinissait notre propre rapport à l’esthétique.

Qu'est-ce qui t'a poussé à écrire ce livre ? Avais-tu un but particulier en tête ?

Ce livre est l’aboutissement d’un long travail de recherches. J’ai soutenu, en 2018, une thèse de doctorat en études cinématographiques portant sur l’œuvre de David Cronenberg. Bien que Cronenberg soit, aujourd’hui, considéré comme un cinéaste majeur, aucune thèse universitaire n’avait, jusque-là, été écrite sur lui en France. Il était important pour moi de remédier à ça. Avec ce livre, qui est avant tout un grand travail de vulgarisation, je ne souhaite pas m’adresser spécifiquement à un public d’universitaires, ni même aux aficionados du cinéaste. Mon but premier est de faire découvrir à un lectorat plus large l’œuvre de Cronenberg. J’espère intéresser autant les cinéphiles amateurs de films d’horreur que des gens qui, de manière plus générale, aiment le cinéma. J’avais découvert, quelques temps auparavant, la maison d’édition Playlist Society. J’ai été charmé par le catalogue qu’elle proposait (des ouvrages sur Paul Verhoeven, Tobe Hooper, les studios Ghibli ou encore les sœurs Wachowski) et j'ai tout de suite pensé qu’un livre sur Cronenberg pourrait trouver sa place dans leur collection. J’espère retravailler prochainement avec eux. Je pense qu’un ouvrage critique sur l’œuvre, assez peu commentée en France, de Gregg Araki pourrait être un beau projet.

Il existe une vaste littérature consacrée à David Cronenberg, dont l'essai de Serge Grünberg auquel tu ne fais pas référence. Comment voulais-tu te positionner par rapport à cette somme d'écrits ?

L’essai de Serge Grunberg est un ouvrage majeur de la littérature sur David Cronenberg. Je l’ai énormément consulté mais il me semblait néanmoins nécessaire de m’en détacher afin d’éviter la redite notamment lorsque j’évoque la question du corps qui a été l’objet, dès le début des années 90, de très nombreuses études critiques. Pour moi, le meilleur commentateur de l’œuvre de Cronenberg reste Cronenberg lui-même. Son livre d’entretiens avec Serge Grünberg est une incroyable mine d’informations. Il éclaire son œuvre sans en dévoiler, pour autant, toutes les subtilités. Les films des années 2000 de Cronenberg ont été, par contre, beaucoup moins commentés. Il est étonnant, je trouve, que depuis eXistenZ, le cinéma cronenbergien ait fait l’objet d’aussi peu d’études. Il était important, pour moi, de traiter de cette période plus contemporaine. A dangerous method, Cosmopolis et Maps to the stars figurent, selon moi, parmi les œuvres majeures du cinéaste.

Quand on s'intéresse à ce que tu as écrit, que ce soit tes livres ou tes textes pour Le Rayon Vert, on retrouve chez toi un goût pour les (sous-)genres marginaux du cinéma mais aussi de la pornographie. C'est un peu ta marque de fabrique. Comment t'es venu cet intérêt ? Penses-tu, d'une certaine manière, qu'on n'ose pas assez écrire et penser à partir de ce matériau qui n'est pas noble ?

J’ai toujours été intéressé par tout ce qui relève du champ de la transgression. Lors de mes études de lettres, j’ai découvert de nombreux auteurs (Sade, Georges Bataille et Alain Robbe-Grillet entre autres) pour qui le fantasme ne semble borné à aucune limite. Je me suis demandé, au départ, ce qui m’attirait dans cette littérature de l’extrême d’autant plus que je ne partage pas forcément l’imaginaire érotique de ces écrivains. Or, il me semble que ce n’est pas tant la sexualité qui m’intéresse que son côté frénétique. Les auteurs que j’aime, en littérature comme au cinéma, cherchent perpétuellement à franchir les limites que celles-ci soient éthiques ou esthétiques. Je trouve qu’il est passionnant d’aller à l’encontre des modèles préétablis, cela permet d’explorer les zones les plus sombres de la psyché humaine. Il y a, en effet, dans notre société, une certaine forme d’hypocrisie. De nombreuses personnes consomment de la pornographie mais refusent de l’admettre. Elles dénoncent son caractère extrême, le fait que la femme y soit traitée comme un objet alors que cela appartient à leurs propres goûts personnels. Je suis contre toute forme de censure. Je comprends que l’on dénigre certains types de représentation, d’autant plus que le modèle pornographique contemporain réifie totalement le corps féminin, mais je crois que tout peut être acceptable du moment où l’on ne porte pas atteinte à la dignité humaine.

La pornographie est décriée mais elle est omniprésente dans les médias. J’avais écrit, il y a quelques années, un petit essai, paru en auto-édition, sur le gore porn. J’y démontrais que la pornographie, même la plus violente, était devenue une sorte de norme et qu’il n’était pas étonnant de voir des chanteuses pop comme Rihanna utiliser, dans leurs clips, une imagerie pornographique extrême relevant à la fois de l’esthétique BDSM et du snuff movie. J’ai l’impression que, depuis quelques années, ces objets d’études tendent à sortir un peu de la marginalité dans laquelle ils étaient enfermés. On commence à prendre en compte, notamment dans le milieu universitaire, le fait qu’il y a, dans le domaine du gore comme dans celui de la pornographie, des œuvres dignes d’intérêt, tant sur le plan formel que thématique, mais aussi de vrais auteurs comme Bruce Labruce, Maria Beatty ou encore Peter de Rome. Les éditions Rouge Profond ont également sorti des ouvrages très intéressants sur le cinéma de genre. Je pense notamment à l’excellent livre de Pascal Françaix sur le torture porn que j’utilise pour le cours que je donne à mes étudiants sur les sous-genres de l’horreur.

De ce point de vue, ce qui me semble être le point fort du livre, c'est la façon de connecter le cinéma de Cronenberg à tous ces sous-genres dévalués et souvent méprisés de par leur nature. Tu parles, sans te soucier de la crudité de ton langage, d'hentaï, de bukkake ou de scatophilie.

Beaucoup de commentateurs de l’œuvre de Cronenberg ont interrogé la dimension sexuelle de ses films mais très peu ont osé le faire en employant une terminologie et un vocabulaire précis. Je ne sais pas s’il s’agit d’une forme d’autocensure mais il était, pour moi, impossible d’occulter cette dimension spécifique du cinéma cronenbergien. Les créatures reptiliennes du Festin Nu, les aliments répugnants d’eXistenZ ou encore les liquides et sécrétions blanchâtres qui coulent des lèvres des héros de Crimes of the future et de La Mouche appartiennent à un imaginaire pornographique de l’extrême d’autant plus troublant qu’il n’est jamais directement présenté comme tel.

Les films de David Cronenberg sont indémodables. Ils ne vieillissent pas tant ils semblent toujours connectés à une forme de futur. Tu dis d'abord qu'ils résistent aux jugements moraux. Pourrait-on dire aujourd'hui qu'ils apportent de la nuance dans notre monde 2.0 où la bien-pensance prend de plus en plus de place ? Ou bien faut-il faire des concessions sur certains points ?

Dans Vidéodrome, Cronenberg interrogeait l’influence des images ultra-violentes et pornographiques sur l’homme. Les émissions pour adultes, diffusées à la télévision, devenaient proprement contaminantes. Or, et c’est là toute l’ambiguïté du cinéma cronenbergien, cette contamination permettrait l’émergence d’un état supérieur, la nouvelle chair. Aujourd’hui, et plus que jamais à l’ère d’internet, il est facile de tomber sur toutes sortes de vidéos trash. Tout le monde n’est évidemment pas en capacité de recevoir ce type d’images. Il n’est, par exemple, pas tolérable qu’un enfant tombe sur de la pornographie d’autant plus si celle-ci expose des pratiques violentes ou dégradantes. Cronenberg se moque de cette problématique, sans doute parce que la morale ne l’intéresse pas ou peu. Pour lui, les formes de sexualité, jugées déviantes, peuvent d’ailleurs être perçues comme de nouvelles formes d’amour. Dans ses entretiens avec Serge Grünberg, le cinéaste était revenu sur des pratiques telles que la scarification, la mutilation et l’échangisme qui remettent, selon lui, en question une conception totalement sclérosée des relations amoureuses. Si je suis globalement d’accord avec ce que dit Cronenberg, je pense qu’il faut néanmoins nuancer ses propos. Il convient de faire la part des choses, ne pas être davantage dans la répression que dans la surexposition.

Tu cites, à ce sujet, Jean Baudrillard (p.122) et ses mots éclairants à propos de Crash : "Nulle part n'affleure ce regard moral, le jugement critique qui fait encore partie de la fonctionnalité du vieux monde". Le cinéma, selon toi, est-il encore trop attaché à ce vieux monde ?

Je crois que le cinéma est, en effet, encore trop attaché à ce vieux monde. On ne peut pas se défaire totalement de la morale. Ceci n’est pas, pour autant, un mal. La qualité d’une œuvre ne se limite pas à cette composante. Le cinéma n’a pas à être plus moral qu’immoral ou même amoral. Beaucoup de critiques considèrent, par exemple, Michael Haneke comme un cinéaste moralisateur. On peut le penser mais ça ne l’empêche pas, pour autant, d’être un immense metteur en scène. Le Ruban blanc et Amour sont, selon moi, deux très grands films.

Je suis également très sensible à l’esthétique. Pour moi, un film n’a pas besoin d’avoir une histoire pour être réussi. Chez des formalistes comme Tarkovski ou Béla Tarr, ou même, dans une certaine mesure, Terrence Malick, on se moque de suivre une histoire, on est juste hypnotisé par la beauté des plans qui s’offrent à nous, ce sont de véritables tableaux de maîtres en mouvement.

La réussite d’un long-métrage ne dépend donc pas forcément de la qualité de son scénario. Des films comme Enter the Void et Love de Gaspar Noé, sont formellement très intéressants bien qu’ils ne tiennent pas vraiment la route sur le plan narratif. Réalisés par quelqu’un d’autre, ils seraient d’ailleurs, sans doute, de très mauvais films.

Dans le même ordre d'idée, et comme tu le soulignes bien dans ton texte sur Cosmopolis publié sur Le Rayon Vert, David Cronenberg n'est pas un cinéaste dit "réaliste". Une nouvelle fois, on retrouve ta conception du cinéma et tes goûts, portés sur un cinéma comme art du faux et de l'illusion. Au fond, tu sembles moins t'intéresser à un cinéma de l'authenticité, du réel et documentaire. Pourquoi cette distinction, ce choix ?

Mon réalisateur préféré est Éric Rohmer. Certains peuvent le percevoir comme un cinéaste du réel or, à mon avis, son cinéma n’est pas plus réaliste que celui de Cronenberg. Sa direction d’acteur et le caractère très littéraire de ses dialogues créent un effet de décalage avec l’aspect naturaliste des thèmes abordés et c’est justement cette recherche d’une vérité affleurant derrière l’artifice qui le rend, pour moi, passionnant. J’aime, malgré tout, le cinéma dit réaliste, contrairement à ce que mes publications peuvent dire de mes goûts. Comme Cronenberg qui a décerné, en 1999, la palme d’or à Rosetta, j’apprécie, par exemple, énormément le cinéma des frères Dardenne. Disons que, pour moi, il y a autant, voire peut-être plus, de vérité dans le cinéma de réalisateurs comme Lynch ou Weerasethakul que dans celui de Ken Loach. L’inconscient et le monde du rêve, omniprésents chez Cronenberg, appartiennent à un autre degré de notre réalité auquel je suis, sans doute, davantage sensible.

Vers la fin du livre, tu fais référence plus ouvertement à Freud et à la psychanalyse. Jusque là, il était possible de sans passer et de faire des films de Cronenberg des machines autonomes qui n'ont rien à voir avec une reproduction de la structure de l'inconscient. D'ailleurs, tu reprends certains symboles, par exemple ceux d'ordre phalliques, sans les lier à cette "grille de lecture". Or, il est difficile de dissocier Cronenberg de la psychanalyse. Comment conçois-tu ce lien ?

La posture de Cronenberg vis-à-vis de la psychanalyse est assez paradoxale. Dans des films comme Chromosome 3 et Maps to the stars, le cinéaste critique une certaine conception de la psychanalyse à travers des personnages de gourous manipulateurs qui semblent ne pas réellement se soucier du bien-être de leurs patients. Les théories freudiennes, bien que l’on puisse les juger profondément archaïques, nourrissent pourtant son œuvre. Je pense notamment aux thèmes des traumatismes dans la petite enfance et de la sexualité infantile que l’on trouve dans Spider et A dangerous method. Son premier court-métrage Transfer mettait déjà en scène, sous un mode volontairement ironique, la confrontation entre un psychiatre et son patient. Pour Cronenberg, il s’agissait même ici d’une vision surréaliste de la psychanalyse. Il y a donc une forme de fascination de sa part pour le domaine de l’inconscient, et la psychiatrie, mais aussi, vis-à-vis de ces mêmes sujets, une certaine distanciation ironique.

Je ne te suis pas sur le lien que tu établis avec Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche. Le surhomme, s'il se défait bien du cadre moral dans lequel il se trouve, ne "jouit pas de sa toute-puissance physique" (p.17). Le surhomme dépasse l'homme en niant son nihilisme et ses passions tristes en disant "oui" à la vie, en étant toujours dans l'affirmation et la légèreté. Je ne pense pas que les personnages de Cronenberg possèdent cette légèreté et soient dans un rapport d'affirmation avec la vie. Cronenberg propose plutôt un post-humanisme où l'espèce humaine existerait sous des formes hybrides (comme tu le soulignes bien), ce qui n'est pas la même chose.

J’ai l’impression que, dans certains de ses films, Cronenberg dépasse largement la question du post-humanisme. La fusion fantasmée des deux frères de Faux-Semblants et la nouvelle chair de Vidéodrome apparaissent surtout comme des métamorphoses psychiques. L’enveloppe charnelle n’importe plus, il s’agit donc bien ici d’un dépassement de l’homme et pas seulement de nouvelles formes d’incarnation. Il est vrai que la référence nietzschéenne ne fonctionne pas dans tous les films de Cronenberg mais plusieurs de ses personnages possèdent, à mon avis, une certaine légèreté et sont justement dans un rapport d’affirmation avec la vie. Dans Frissons, les contaminés ne cherchent, par exemple, qu’à jouir de leurs corps tandis que dans La Mouche, cette idée d’une transgression de l’humain passe, comme chez Nietzsche, par un acte d’autodépassement. Seth Brundle, à la fin du film, souhaite aller au-delà de la chair, il veut dépasser la matière pour atteindre un nouvel état de plénitude. Cronenberg a affirmé, à plusieurs reprises, notamment lors d’une interview pour L’Express, en 2002, pour la sortie de Spider, avoir beaucoup lu Nietzsche. J’imagine que l’idée de surhomme, bien qu’elle ne soit pas totalement incarnée dans son œuvre, a eu une certaine influence sur lui.

Comment vois-tu le retour à la réalisation de Cronenberg, et qu'en attends-tu ?

Je suis peut-être pessimiste mais je crains que Cronenberg ne revienne plus jamais à la réalisation. Le projet d’adaptation de son roman Consumés, en mini-série, ne paraît d’ailleurs plus d’actualité. Consumés est un roman qui va bien plus loin que n’importe quel film du cinéaste en ce qui concerne la représentation du corps et de la sexualité. Avec ce livre, c’est comme si Cronenberg nous disait qu’il était impossible, pour lui, de revenir au genre du Body Horror. Je trouve néanmoins que le tournant qu’a pris son cinéma, dans les années 2000, à partir de Spider, est résolument passionnant. Il est rare qu’un cinéaste réussisse à se réinventer tout en restant aussi cohérent. Il est vrai qu’un retour à l’horreur organique me réjouirait mais j’ai aussi l’impression, qu’aujourd’hui, tout cela aurait beaucoup moins de sens. Nous sommes saturés, depuis les années 2000, d’images gores. Pour les spectateurs de notre époque, notamment les amateurs de cinéma de genre, la métamorphose de Seth Brundle, dans La Mouche, n’a plus grand-chose de choquant ou de subversif. Le fait que Cronenberg ait délaissé ce type de représentations, à l’heure où le torture porn, avec des œuvres comme Saw et Hostel, a connu son heure de gloire, ne me semble d’ailleurs pas anodin.

Vois-tu des héritiers ou une continuation de son œuvre ? Dans une certaine mesure, depuis l'arrivée du numérique et son nouveau rapport au réel (large question), un cinéma de l'illusion et du faux n'est-il pas en train de perdre du terrain ?

Il est encore trop tôt pour dire si le fils de David Cronenberg, Brandon Cronenberg, réussira à perpétuer son œuvre. Je n’ai pas encore vu Possessor, son deuxième film, présenté cette année à Gérardmer, mais on trouvait, dans Antiviral, bon nombre de thématiques chères à l’œuvre de son père. Cependant, même s’il y avait, dans Antiviral, des idées très intéressantes, le film manquait cruellement de personnalité. Il apparaissait comme une redite des films les plus marquants du maître du Body Horror. Si certains jeunes cinéastes, comme Julia Ducournau, avec Grave, revendiquent leur filiation avec Cronenberg, il me semble que des cinéastes queer, comme Bertrand Mandico et Yann Gonzalez, dans leur manière de mettre en scène des sexualités alternatives et des corps mutants fortement érotisés, peuvent être perçus comme les véritables héritiers du réalisateur de Crash. Dans Les garçons sauvages de Mandico, les plantes phalliques sécrètent un liquide blanc qui rappelle le sperme coulant des antennes des créatures reptiliennes du Festin Nu tandis que le court-métrage Les îles de Yann Gonzales s’ouvre sur une scène de sexe très cru entre un jeune couple et une créature monstrueuse. Ces deux cinéastes, comme Cronenberg en son temps, interrogent les notions, au combien subjectives, de beau et de laid. Ils créent, eux-aussi, une nouvelle forme de pornographie que l’on peut qualifier de tératologique.

Je n’ai pas l’impression que le cinéma de l’illusion soit en train de connaître un certain déclin bien que des réalisateurs aussi passionnants que David Lynch ou Nicolas Winding Refn semblent avoir délaissé le grand écran pour la télévision. Certaines séries télévisées apparaissent aujourd’hui comme de véritables films de cinéma. La troisième saison de Twin Peaks est, sans doute, l’une des œuvres les plus folles et audacieuses de Lynch. Les séries télévisées, que l’on songe aussi à Now Apocalypse de Gregg Araki, à Top of the Lake de Jane Campion, ou encore à Euphoria de Sam Levinson, sont peut-être l’avenir d’un certain type de cinéma. Grâce à ce format, des réalisateurs de grand talent peuvent laisser plus librement cours à leur imagination et développer ainsi des nouvelles formes de narration plus complexes et ambitieuses. Dans cette optique, un retour de Cronenberg, derrière le petit écran, serait sans doute une chance !

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