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Interview

« Planetarium » : Interview avec Rebecca Zlotowski

Guillaume Richard
Rebecca Zlotowski revient sur plusieurs thèmes clés qui traversent « Planetarium » : la présence des fantômes, le rapport à l'Histoire, les liens qui se créent avec le cinéma ou la circulation du refoulé. Autant de pistes possibles pour se réapproprier un film énigmatique.
Guillaume Richard

« Planetarium », un film de Rebecca Zlotowski (2016)

Coproduit et distribué en Belgique par Les Films du Fleuve, Planetarium, le troisième film de Rebecca Zlotowski après Belle Épine et Grand Central, est une œuvre cérébrale qui construit un réseau complexe de correspondances et de significations. Le spectateur, butant sur de nombreuses images qui semblent vouloir conserver leur mystère, est invité à réfléchir sur chaque détail. Rebecca Zlotowski revient avec nous sur plusieurs thèmes clés qui traversent Planetarium, comme la présence des fantômes, le rapport à l'Histoire, les liens qui se créent avec le cinéma ou la circulation du refoulé. Autant de pistes possibles pour se réapproprier un film énigmatique qui laisse la porte ouverte à de nombreuses interprétations.


En tant que cinéaste, quel rapport entretenez-vous avec les fantômes et les médiums ? Est-ce cela qui est à l'origine de Planetarium ?

J'adorerais dire que je suis connectée au monde des esprits ou que je possède des dons. C'est assez décevant, mais je ne me trouve pas dans un rapport fantaisiste avec le monde. Je suis quelqu'un de profondément rationnel. Tellement rationnel que j'en suis venue à intégrer une part d'irrationnel. Un énoncé est vrai jusqu'à ce qu'il soit falsifié. Le philosophe Karl Popper disait qu'un critère de la vérité était de pouvoir être falsifiée dans le futur. Dans des centaines d'années, nous aurons peut-être développé soixante pour-cent de capacités supplémentaires de notre cerveau. Et matière de télépathie, des choses vont certainement changer et des capacités insoupçonnées seront révélées. J'ai même imaginé un scénario qui débutait dans le futur et où les personnages regardaient dans le passé en s'étonnant de voir les être humains incapables de communiquer avec les morts.

J'intègre donc ces éléments de manière rationnelle. Je n'ai pas eu de contacts avec l'au-delà ou avec des gens qui ont disparu. Pourtant, j'ai connu l'expérience de la mort très jeune, car je suis devenue orpheline quand j'étais encore enfant. Le deuil est rentré très tôt dans ma vie. Lorsqu'on est enfant, et qu'on ne maîtrise pas encore toutes les dimensions de la réalité, on se frotte aux frontières d'une sorte de pensée magique. Les gens qui nous entourent se mettent à disparaître et on cherche à les retrouver, d'une manière ou d'une autre. Cette manière de construire son deuil est ce qui, dans ma vie, s'est le plus rapproché du spiritisme. En même temps, ce n'est pas très éloigné du cinéma. On retrouve l'émerveillement de voir apparaître sur un écran une personne décédée depuis longtemps et qui est vouée à disparaître.

Concevez-vous le cinéma comme un art de la survivance ?

Oui, c'est exactement le mot. La survivance veut fixer le souvenir d'un fantôme mais aussi en fabriquer. On revient ici à l'origine de la photographie, chère à Jean Epstein et à d'autres : la mort au travail. C'est un scanner que l'on passe sur un corps vivant dont on enregistre les moments de disparitions successifs. On fait mourir quelqu'un à partir du moment où on le filme. On retrouve cette idée durant le procès où Korben (Emmanuel Salinger) demande à ne pas être filmé. Il y a une part de morbide, mais un morbide flamboyant, baroque, associé depuis toujours au cinéma et qui me passionne.

Dans cette optique, que cherchiez-vous à montrer à travers l'obsession de Korben pour la captation de l'apparition des fantômes sur la pellicule ?

C'est un lien très naïf et littéral. L'idée était de présenter un producteur, ou plutôt une sorte de réalisateur boulimique dans lequel je pouvais me projeter, témoin d'un événement extraordinaire - une présence qui vient le visiter - qu'il veut capter à travers le cinéma. Il cherche ensuite à fabriquer une caméra pour parvenir à cette fin. Il se trouve qu'avec mon chef opérateur George Lechaptois, nous cherchions aussi un moyen formel pour filmer cette histoire. Nous sommes tombés sur une caméra exceptionnelle, l'Alexa 65, un des tout derniers modèles de technologie numérique, qui nous permettait d'avoir le même rendu qu'un 70mm en pellicule. Un parallèle s'est installé entre la fabrication du film et l'obsession de Korben. Nous étions dans un même état d'excitation permanent à utiliser cette nouvelle technologie. Du point de vue du récit, la correspondance entre le spiritisme et le cinéma est évidemment large. Il y a les spectres bien sûr, mais aussi la séance et, surtout, le fait d'invoquer des images autant que des visages.

Paradoxalement, cette présence de l'occulte dans Planetarium reste enfouie au cœur du récit. Le film ne bascule jamais dans le fantastique alors que tout y prédestinait. D'autres pistes n'aboutissent également sur rien de tangible. Ces choix laissent une impression étrange : le(s) secret(s) reste(nt) à jamais inaccessibles.

On en revient à ce que je disais plus haut à propos du fantastique et du spiritisme. Il y a quelque chose dans Planetarium qui doit palier un dépit. Les fantômes qui apparaissent à l'écran n'existent pas vraiment. Je dirais qu'il est plutôt question d'un refoulement, d'une circulation du refoulé à travers les personnages et le récit. Le fantôme qui vient visiter Korben représente aussi bien un traumatisme enfoui qu'une pulsion sexuelle inavouée. Donc il y a du libidinal, mais il est aussi question d'un rendez-vous avec le futur, avec la mort annoncée de Korben qui plane sur tout le film. La veste en cuir que porte le fantôme peut rappeler l'uniforme de la Gestapo, bien que ce soit un rapprochement complètement inconscient et qui s'est décidé après une discussion avec la costumière. Tout a été mis en place pour amener et construire de l'inconscient dans le film.

Les trois personnages principaux donnent en effet l'impression d'être connecté à leur avenir, et à la catastrophe qui s'annonce (la Shoah), plutôt qu'à un monde de spectres.

Ils sont connectés à cette catastrophe sans la voir. J'ai beaucoup travaillé sur le contraste à mettre en scène des personnages censés être extra lucides mais qui sont en réalité aveugles. Kate (Lily-Rose Depp) voit venir sa propre fin et pas seulement les horreurs de l'Histoire. Parmi les trois personnages, il y en a un qui se projette dans son passé sans jamais voir le présent (Korben). Il y en a un autre qui est tout entier dans le futur de sa prochaine disparition (Kate). Le seul personnage qui évolue dans le présent est Laura (Natalie Portman). Dans cette scène où les autres personnages se retournent vers elle face caméra et qu'un cache en médaillon filtre l'image, elle se met à deviner que quelque chose de grave va se produire. C'est la seule scène de Planetarium où la menace s'exprime dans le présent et qu'un des personnages en saisit l'arrivée imminente.

Natalie Portman dans Planetarium

Laura n'a ni les dons de sa sœur, ni la personnalité d'un Korben. Elle semble être à la recherche d'elle-même sans jamais trouver une place. Pourquoi avoir utilisé comme point d'ancrage ce personnage sans réelle profondeur ?

C'est effectivement un risque que prend Planetarium. Les personnages de Korben et de Kate sont extraordinairement empathiques. Il n'est pas difficile de s'identifier aux projets fous du premier ou à cette jeune fille fragile possédant un don qui la consume. À l'opposé, un personnage comme celui de Laura, qui se positionne à distance, qui met du temps à réagir aux situations, qui aime sans aimer profondément, est atypique et peut laisser de nombreux spectateurs sur le carreau. C'était important pour moi que le cœur du film soit tenu par un personnage d'observatrice qui, de surcroît, s'abandonne dans et par le cinéma. Après avoir beaucoup parlé de Planetarium ces derniers mois, j'en suis venue à concevoir le personnage de Natalie Portman comme une représentation du spectateur et de ce que j'attends de lui. C'est-à-dire quelqu'un qui, au départ, serait profondément vissé, verrouillé, difficile d'accès, pour ensuite progressivement, grâce au cinéma, s'abandonner à des émotions qu'il ne connaissait pas auparavant, parce qu'il arrive à en voir davantage et à être plus vivant.

Laura est également très pudique. Votre traitement de la sexualité se situe presque à l'opposé de votre film précédent, Grand Central, où le désir charnel s’appropriait les corps. Qu'est-ce qui vous a intéressé dans ce changement de cap ?

Plus je fais de films, plus j'ai des difficultés à accepter la simulation de la sexualité. Je pense me diriger vers ce que faisait Bruno Dumont à ses débuts, une sexualité frontale et non simulée. Dans Planetarium, il y a d'ailleurs un petit film pornographique que projette l'amant de Kate. C'est un vrai film que j'ai tourné avec des acteurs pornos, et ce fût aussi le premier coup de manivelle du tournage ! C'est la première fois que je filmais des vrais sexes en érection et des fellations. D'une certaine manière, Planetarium est donc mon film le plus ouvertement sexuel. Je ne veux donc plus recourir à des simulations. Ici, cela fut plus compliqué d'opérer ce virage avec Natalie Portman ou Lily-Rose Depp au casting. On sait qu'il y a des aspects de la sensualité qu'on ne pourra pas aller chercher. Est-ce une forme d'auto-censure ? Peut-être tout simplement que ce n'est pas le sujet du film, mais bien plus la croyance, l'esprit... Je dirais que Planetarium construit d'abord un trajet mental.

Votre film tisse effectivement beaucoup de liens. Chaque détail compte et s'imbrique dans des correspondances complexes.

C'est le côté cérébral de Planetarium. On peut prendre beaucoup de plaisir à décortiquer les significations possibles de chaque élément. J'ai beaucoup pensé à Paul Thomas Anderson, pour The Master surtout, et à Lynch. La manière dont Anderson fabrique ses films me passionne. The Master n'est pas un film très sensuel, et en même temps il y a des scènes très puissantes.

Pourriez-vous par exemple revenir sur la correspondance entre les deux plans de ciel étoilé qui ouvrent et ferment le film ?

Le premier est un cyclone qu'on a troué et éclairé par derrière. J'ai ensuite tourné un panorama en travelling qui crée l'illusion d'un ciel étoilé. Il surplombe une maquette de train qui exhibe toute son artificialité. C'est une ouverture de conte assez traditionnelle. J'ai en fait pensé au début du Dracula de Francis Ford Coppola. La mise en place est faite en carton-pâte : des ombres chinoises rejouent le drame et la cruauté d'une époque avec une étonnante simplicité. Le ciel étoilé final, pour sa part, rappelle que nous sommes dans un "film dans le film". Planetarium se termine dans la fiction. En l’occurrence celle dans laquelle tourne Laura, et qu'on soupçonne être un film de propagande pas très réussi. Ce qui m'a semblé bouleversant dans ce plan où elle contemple ce mur recouvert d'étoiles en papier, c'est que Laura trouve là sa façon de survivre : le cinéma. La seule vie qui vaut la peine d'être vécue est celle qu'on mène au cinéma. Les deux ciels étoilés sont en ce sens les deux marque-pages du film. On passe d'un ciel artificiel et désincarné à un ciel en carton-pâte qui traduit une réelle foi dans le cinéma.

D'où vient le titre, Planetarium ?

Il symbolisait la forme même du film. Un endroit dans le noir dans lequel on éteint la lumière, comme au cinéma, et où se mettent à scintiller des constellations. Si on connaît leur nom, on les voit. Si ce n'est pas le cas, ce sont juste des étoiles qui brillent sans signification particulière. C'est à la fois beau et menaçant, un rapport d'échelle qui nous inquiète et nous attire : c'est artificiel et, pourtant, ça ressemble à quelque chose qu'on connaît.

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Guillaume Richard, « Une fille facile de Rebecca Zlotowski : Les chants de Zahia » dans Le Rayon Vert, 27 août 2019.

Fiche Technique

Réalisation
Rebecca Zlotowski

Scénario
Robin Campillo, Rebecca Zlotowski

Acteurs
Natalie Portman, Lily-Rose Depp, Emmanuel Salinger, Pierre Salvadori, Louis Garrel

Durée
1h45

Genre
Drame

Date de sortie
Novembre 2016