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Pierre Voland Le volet de ma chambre
Interview

« Le volet de ma chambre » : Interview avec Pierre Voland

Aurélie Baijot
Entretien avec Pierre Voland autour du "volet de ma chambre", oeuvre à mi-chemin de l'expérimentation formelle et de la fascination pour la lumière, projetée en janvier 2016 au festival "Les Inattendus" de Lyon et visible en libre accès sur internet...
Aurélie Baijot

Le volet de ma chambre (Pierre Voland, 2014)

Projeté au festival Les Inattendus (Lyon, janvier 2016), Le volet de ma chambre(1) est un film expérimental réalisé par le jeune cinéaste Pierre Voland. Par fragmentation, différentes prises de vues se superposent et s'entrecroisent. Le rythme se dynamise peu à peu, absorbant le spectateur dans un déferlement d'images. Le volet de ma chambre, où l'objet du quotidien devient objet de fascination, puise dans les codes du cinéma structurel. Il valorise davantage la forme et l'aspect graphique que le contenu, avec une attention particulière accordée au rythme et à la luminosité. La narration s'estompe au profit de la manipulation de la matière.


Aurélie Baijot : Qu'est ce qui t'a amené à la création du film Le volet de ma chambre ?

Pierre Voland : D'une part, l'intérêt que j'ai pour le cinéaste Paul Clipson, découvert lors d'une séance de films expérimentaux organisée à la fac de Lyon par Dario Marchiori. C'est un maître de la surimpression. Il travaille en pellicule, super 8 ou 16 mm, et superpose ses images au moment même du tournage. Il rembobine et réutilise le film plusieurs fois, les motifs se réimpriment donc directement les uns sur les autres, ce qui leur donne un côté très abstrait et très formel. Il utilise souvent des bandes sons ambiantes, atmosphériques et noise, en haut volume, composées notamment par le musicien Jefre Cantu-Ledesma. Je me suis rendu compte a posteriori que mon film était très proche d'une séquence de Speaking Corpse, dans laquelle on voit des surimpressions de stores et de fenêtres en noir et blanc.

D'autre part, j'aimais bien la lumière des stores de ma chambre. Quand j'étais petit, ça me fascinait. Le soleil se levait et je la voyais filtrer à travers les ouvertures du volet. À l'image de Paul Clipson, j'ai essayé de faire les surimpressions directement dans la caméra. J'avais un outil qui me permettait de rembobiner le film de quelques images. Pas de beaucoup, car, en Super 8, la cartouche est en plastique. Ce qui signifie que pour faire revenir un film en arrière, il faut un peu le torturer. Le rembobinage ne peut pas se faire en entier. Je me rappelais plus ou moins de ce que j'avais filmé et je filmais à nouveau par dessus. C'est après avoir reçu les bobines que j'ai pu les organiser, recouper dedans, travailler le montage. Il n'y a pas eu de montage digital, je ne me suis aidé de l'ordinateur que pour faire des tests. C'est un peu comme une copie de travail. Je les ai organisées de sorte à former un crescendo, en les structurant et en séparant les blocs d'images par un mouvement panoramique général et vertical sur le volet.

Le titre semble faire contraste avec le contenu du film, en explicitant des images qui pourtant virent vers l'abstraction. Quelles étaient tes intentions ?

Il s'agissait de ne pas chercher à faire de l'esbroufe avec les images, ni à créer un suspens artificiel, comme une blague ou une devinette. En le nommant de cette manière, je dis juste ce que c'est. C'est une forme d'honnêteté. Ce que je recherche dans mes films, c'est un aspect d'étonnement et de ravissement. Mais je ne cherche pas à faire de l'épate. Car aujourd'hui il est très facile de chercher seulement à épater un spectateur ou de l'impressionner avec des images haptiques qui tournent à vide. Ce qui importe réellement dans un film, c'est ta qualité de présence. Ta qualité de présence, peut-être davantage que les images. Le choix du titre vient donc d'une volonté de garder un lien avec le réel, avec le lieu d'où proviennent les images. Le ravissement ne doit pas être coupé du réel, l'un communique avec l'autre.

Comment perçois-tu ta propre présence dans le film ?

C'est un regard fasciné. Le film est une sorte de petit poème conçu à partir d'un regard fasciné sur les volets. Ce que j'aime beaucoup, c'est lorsque le soleil se retrouve un bref instant face à l'objectif et qu'il provoque un éblouissement. C'est quelque chose que je recherche dans ce que je fais, de manière plus générale. Mais aujourd'hui, je le chercherais de façon moins littérale que dans Le volet de ma chambre.

D'autres de tes films peuvent renvoyer à cette idée d'éblouissement ?

Peut-être mon film sur le Jura. Ça ne se manifeste pas de la même façon mais c'est également une recherche mystique, de quelque chose qui est plus grand que nous, qui nous dépasse.

À travers le lieu, en l’occurrence ?

Oui. Ce sont principalement des plans fixes, accompagnés de fragments de voix et de bruits de pas, enregistrés lors des randonnées. Durant le film, je lis des extraits du roman de Chrétien de Troyes, Le chevalier de la charrette. C'est une sorte de quête, où Lancelot tente de retrouver la reine Guenièvre. L'histoire du roman peut être interprétée de différentes manières. D'après moi, c'est une quête amoureuse qui se double d'une dimension mystique. Un renoncement de soi et une dévotion. Par rapport au film, j'aimais bien l'idée que les plans soient fixes et que la narration ne passe principalement que par l'audio. Les personnages, si l'on peut parler de personnages, n'apparaissent pas. C'est au spectateur de se les figurer par lui-même, de se les réapproprier. Ce qui leur donne une posture de retrait, où le lieu prend le dessus.

L'idée est d'introduire le mythe à travers des images qui sont, en apparence, documentaires ?

C'est ça. Il s'agit aussi de dire sans dire, d'introduire quelque chose qui se situe au bord du langage. Le film tient d'un désir du fantastique. D'un côté, il s'agit d'une image fantasmée du Juras. D'un autre côté, il y a aussi le désir de ne pas exclure le réel, tout comme dans Le volet de ma chambre. Par exemple, de ne pas exclure des voitures qui passent dans un plan, ou bien telle zone industrielle qui pourrait apparaître bord cadre. C'est un jeu d'équilibriste.

Nous remercions Pierre Voland pour sa générosité et sa disponibilité. Entretien réalisé en septembre, par Aurélie Baijot.

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