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Une scène de révolte dans Soundtrack to a Coup d’État de Johan Grimonprez
Interview

« Soundtrack to a Coup d’État » : Interview de Johan Grimonprez

Louis Leconte
Soundtrack to a Coup d’État offre un éclairage saisissant sur les événements qui ont entouré l’indépendance du Congo en 1960. La mobilisation et la mise en dialogue d’une quantité impressionnante de documents d’archives – audiovisuels et textuels – permettent à Johan Grimonprez de renverser la perspective occidentale et de faire la lumière sur cette page noire de l’histoire de son pays.
Louis Leconte

« Soundtrack to a Coup d’État », un film de Johan Grimonprez (2024)

Johan Grimonprez est un artiste singulier dans l’univers du cinéma documentaire. Dans une démarche d’archéologue des médias, il questionne les différents régimes d’images – télévisuelles, publicitaires, cinématographiques, propagandistes – par des jeux de réarrangements, d’analogies, et d’associations de cette prolifération audiovisuelle qui accompagne l’histoire moderne de l’humanité. C’est grâce à ces procédés que Grimonprez offre avec Soundtrack to a Coup d’État un éclairage saisissant sur les événements qui ont entouré l’indépendance du Congo en 1960. La mobilisation et la mise en dialogue d’une quantité impressionnante de documents d’archives – audiovisuels et textuels – permettent au cinéaste belge de renverser la perspective occidentale et de faire la lumière sur cette « page noire » de l’histoire de son pays. Depuis l’île grecque sur laquelle il séjourne régulièrement, Johan Grimonprez a accepté de discuter avec nous du travail de longue haleine qui a présidé à la réalisation de ce documentaire musical conjuguant récit intime et grande Histoire.

Qu'est-ce qui a suscité en vous l'envie de travailler sur (et autour de) l’indépendance du Congo ?

J’avais travaillé avec les archives de Nikita Khrouchtchev par le passé pour mon film Double Take (2009) dans lequel Khrouchtchev sert de double à Alfred Hitchcock. Je connaissais l’archive dans laquelle Khrouchtchev claque sa chaussure sur une table de l’assemblée générale des Nations Unies. Ce que j’ignorais, c’est que cet incident était directement lié à l’histoire de notre pays, la Belgique. J’ai alors décidé d’explorer cette « page noire » de notre histoire dont nous ne parlons jamais, si ce n’est en des termes allusifs, et qui fait l’objet de désinformation. Par exemple, on entend souvent dire que Patrice Lumumba était un communiste. Au début du film, je reprends une archive dans laquelle il précise qu’il n’est ni un communiste, ni un capitaliste, simplement un africain qui cherche à obtenir son indépendance et se bat pour que la richesse de son pays profite à sa propre population. Mais il était dans l’intérêt des Belges de labelliser Lumumba comme un communiste, car cela leur garantissait le support des États-Unis. Durant cette période de la fin des années cinquante et du début des années soixante, le Congo est l’épicentre d’enjeux économiques et politiques internationaux. Cette « page noire » de l’histoire belge a été déterminante dans l’évolution des mouvements anti-coloniaux du début des années soixante, et le traitement qu’a subi Patrice Lumumba a servi de prélude à la manière dont l'Occident allait traiter ces mouvements d'indépendance.

Pouvez-vous nous parler du processus de recherche et d’exploration des archives qu’a nécessité la réunion de tous les documents (vidéos, audios, écrits) dont vous vous servez dans Soundtrack to a Coup d’État ? À quel point cette recherche a-t-elle façonné son contenu ainsi que sa structure ?

L’écriture d’un documentaire se déroule la plupart du temps pendant la phase de recherche, et ensuite au montage. Pour moi aussi, l’exploration des archives fut un voyage empli de découvertes – j’ai appris énormément de choses que j’ai ensuite intégrées au film. Par exemple, le fait que Nikita Khrouchtchev ait été le premier à initier une résolution de décolonisation auprès des Nations Unies, tout en invitant plusieurs chefs d'États à venir s’exprimer à ce sujet. À l’époque, les États-Unis se sentaient menacés par la majorité récemment acquise du bloc afro-asiatique à l'Assemblée générale des Nations Unies, après l’intégration aux États Membres de seize États africains, dont le Congo. C’est à ce moment que les Américains ont commencé à envoyer des musiciens de jazz comme ambassadeurs en Afrique, mais aussi à missionner des arm twisters pour acheter des votes à l’Assemblée générale. Dans les archives de l’Université de Columbia consacrées à la recherche diplomatique, nous avons trouvé des documents attestant de la présence d’agents de la CIA comme agents de relations publiques à l’ONU, ce qui est illégal. Dans ces mêmes archives, nous avons trouvé des télégrammes envoyés par William A. M. Burden à la CIA. Burden était président du MoMa (dont le conseil d’administration était truffé d’agents de la CIA) et détenait de parts dans l’Union Minière du Haut-Katanga. Il fut nommé ambassadeur des États-Unis en Belgique par le président Eisenhower. Dans ses télégrammes, Burden explique à la CIA qu’il faut se débarrasser de Patrice Lumumba. Nous avons retrouvé un enregistrement audio (présent dans le film) dans lequel il explique que les Belges avaient dans l’idée d’assassiner Lumumba, et qu’il avait outrepassé son mandat d’ambassadeur en confirmant qu’il s’agissait d’une bonne idée. Cette archive sonore n’avait jamais été dévoilée jusqu’ici.

Une autre archive importante que nous avons visitée est celle du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren, en Belgique. Nous y avons notamment retrouvé l’enregistrement audio d’un discours que Patrice Lumumba avait tenu à l’Université d’Anvers et qui était présumé perdu. En effet, les archives sonores et vidéos des discours de Patrice Lumumba en Belgique étaient supposées avoir été détruites par la Sûreté de l'État Belge. Le Musée royal de l’Afrique centrale travaille également en collaboration avec la Cinémathèque royale de Belgique car de plus en plus d’anciens colons lèguent leurs archives familiales au musée. Nous avons ainsi retrouvé de nombreux films de familles tournés au Congo à l’époque coloniale qui sont très révélateurs. De nombreux films ont été réalisés au Congo et certains d'entre eux sont vraiment magnifiques. Bien sûr, nous avons systématiquement demandé l’autorisation aux familles lorsque nous voulions utiliser ces films.

Il est important de recontextualiser ces archives. Je dis toujours qu'elles sont comme des enfants volés. À l’époque coloniale, les enfants métisses (nés de relations interraciales) étaient volés à leurs parents ; plus tard, il y a eu toute cette discussion autour de la restitution de ces enfants volés. J'ai le sentiment que c'est la même chose pour ces archives, qui sont comme des enfants volés qu'il faut recontextualiser, mais aussi restituer aux Congolais. Si les Congolais veulent effectuer des recherches sur leur propre histoire, ils doivent parfois venir en Belgique pour consulter les archives. Ces archives sont donc en quelque sorte un patrimoine volé.

Au tout début de Soundtrack to a Coup d’État, vous mettez en exergue une archive de Dizzy Gillespie déclarant que le rythme est son business. J'ai le sentiment que cela sert également de note d'intention pour le film, qui est lui aussi largement basé sur le rythme du montage et de la musique.

La façon dont cet extrait de Dizzy Gillespie est monté le met en dialogue avec le fameux extrait de Khrouchtchev claquant sa chaussure à l’Assemblé générale de l’ONU dans un certain rythme. Pour moi, la musique dans le film ne relève pas seulement de l’esthétique, elle est surtout un agent politique. En apprenant que plusieurs musiciens de jazz afro-américains – dont Dizzy Gillespie – avaient été envoyés comme ambassadeurs en Afrique, et que d’autres comme Abbey Lincoln et Max Roach pénétrèrent au Conseil de Sécurité de l’ONU pour condamner l’assassinat de Lumumba, j’ai senti qu’il fallait que je fasse de la musique un personnage à part entière de Soundtrack to a Coup d’État. Je me suis interrogé sur la façon de raconter ces événements historiques autrement, à travers la musique.

Une idée en particulier a présidé à l’élaboration du montage : si des musiciens ont été propulsés malgré eux sur la scène politique, pourquoi les politiciens ne pourraient-ils pas devenir les chanteurs ou les instruments pour des compositions de jazz ? Prenez par exemple la séquence de vote à l’ONU à propos de l’envoi de casques bleus. Cette séquence est rythmée par une composition jazz de Dizzy Gillespie : « Brésil : oui ; Australie : non ; Belgique : abstention », et les votes deviennent en retour les paroles de la musique. Il y a aussi ce que j’appellerais le « jazz interruptus », par exemple, pendant le discours que prononce le Roi Baudouin au Congo durant la cérémonie d’indépendance en 1960. La musique d' Éric Dolphy commente et critique ce discours, par les notes qu’il joue mais aussi par leur interruption. Ensuite vient le discours de Lumumba. Cette séquence est montée en alternance avec les images d’Ambroise Biombo dérobant au Roi son épée pendant sa traversée du boulevard Albert de Léopoldville. Symboliquement, en brandissant cette épée sous le nez du Roi, c’est le Congo qui revendique son indépendance plutôt que de se voir accorder l'indépendance de façon paternaliste.

L'un des aspects les plus réussis de votre film tient précisément dans cette façon de réarranger les images qui furent utilisées ou dissimulées pour promouvoir une vision fallacieuse de l’histoire, de les mettre en relation et de les faire dialoguer avec la musique et les sources écrites pour mettre en lumière la part de vérité qu’elles cachaient jusque-là.

Cela tient dans l’élaboration d’une superposition de couches – une stratification verticale plutôt qu’horizontale. La structure d’un film se compose d'une ligne horizontale à partir de laquelle on élabore des couches verticales. Dans Soundtrack to a Coup d’État, il y a la superposition des images et de la musique, mais il y a aussi la juxtaposition des images entre elles qui participent de cette densification du propos. Par exemple, les images de Patrice Lumumba sont portées par la musique d'Art Blakey et des images du batteur réputé pour l’indépendance remarquable de ses quatre membres lorsqu’il joue de son instrument. Cette juxtaposition participe au commentaire, et plus encore à la sensation de ce qu’est réellement l’indépendance. C’est la juxtaposition qui densifie la stratification et qui fait que nous lisons ces images d’une manière très différente. Cela ouvre un espace-tiers. Et le rythme participe aussi grandement à ce processus : parfois il faut découper les éléments parce que rythmiquement cela fonctionnera mieux.

Une autre manière dont vous utilisez la musique dans Soundtrack to a Coup d’État est de la soustraire totalement. Je pense notamment à cette image d’un musicien en gros plan s'époumonant dans un instrument à vent sans qu’aucun son n’en jaillisse…

Il s’agit de John Coltrane jouant My Favorite Things. La douleur exprimée sur son visage lorsqu’il souffle dans son instrument est tellement parlante en elle-même. Supprimer la musique peut également servir de commentaire sur la douleur que peut représenter le fait d’être réduit au silence. Il y a également cette séquence du discours de Patrice Lumumba, durant la cérémonie d’indépendance du Congo, dans lequel il mentionne la façon dont les congolais ont été traités comme des « sales n***** » ; la musique se coupe, le silence s’installe, ne percent alors plus que les toussotements gênés et la question que Baudouin pose à son voisin : « Était-il censé faire un discours ? ».

Le transport d'un éléphant sur un cargo dans Soundtrack to a Coup d’État
© British Pathé (Photo fournie par Imagine Film Distribution)

Cette séquence spécifique témoigne de l'humour qui teinte le film d’une sorte de distance ironique.

Je pense qu'avec l'ironie, on crée des contradictions. Ce que j'aime vraiment, c'est qu'en plaisantant, on peut contenir les contradictions. Cela permet de superposer les couches du film, de dire une chose et de montrer son contraire en même temps. Il y a aussi beaucoup de choses qui sont racontées par le biais du déni : Allen Dulles, l'ex-directeur adjoint de la CIA, est toujours en train de nier ce qu'il veut vraiment dire et cela devient tellement évident qu’il n'est pas nécessaire de le souligner.

Soundtrack to a Coup d’État est labellisé « documentaire », mais il me semble que dans la manière dont vous construisez votre intrigue, même si celle-ci s’articule autour de faits sourcés, il y a quelque chose de l'ordre de la fiction qui émerge. J'ai le sentiment que c'est particulièrement le cas avec les « acteurs » historiques que vous convoquez : vous en faites des personnages de fiction, avec leur propre personnalité et leurs arcs narratifs qui se déploient au fur et à mesure. Nous vivons avec eux et vivons l'histoire à travers eux, comme s'il s'agissait de personnages de fiction.

Je ne pense pas que ces acteurs historiques deviennent des personnages de fiction. En revanche, il y a bien quelque chose de l’ordre de la fiction dans la méthodologie que nous avons employée et les choix que nous avons faits. Nous avons notamment utilisé des archives personnelles de certains protagonistes. La fille d’Andrée Blouin nous a envoyé des bobines de film que nous avons dû développer nous-mêmes, In Koli Jean Bofane nous a transmis ses archives personnelles, et Sergueï Khrouchtchev, le fils de Nikita, nous a envoyé des home movies que nous avons inclus dans le film. À travers ces archives familiales se tisse une connexion très intime avec les acteurs historiques. C’est ce choc entre l’intimité et l’appartenance à la grande Histoire qui peut produire l’impression d’un storytelling fictionnel, mais ça n’est pas de la fiction.

Cela tient aussi à la profondeur de la recherche que nous avons effectuée. Nous avons trouvé des petits détails comme Nikita Khrouchtchev embrassant son chien, ou bien Andrée Blouin passant du temps avec ses enfants dans leur bain ; cela ajoute une dose d’émotionnel au récit – en tout cas, c’est dans cette optique que nous avons monté ces scènes de la sorte. Mais cela ne veut pas dire qu’il s’agit de fiction, cela ressemble à de la fiction. Vous savez, c’est ce que Hitchcock faisait. Dans La Mort aux trousses, l’histoire d’amour est racontée sur fond de guerre froide, et l’acmé de cette histoire a pour décor le mont Rushmore, symbole de la grande Histoire étasunienne. Pour moi, il est très efficace de découper des histoires intimes dans l'histoire globale, car cela permet d'établir des liens plus étroits et de susciter davantage d'émotions. C'est un procédé de fiction, mais je pense qu'il est également intéressant de l'utiliser dans le documentaire.

J'ai lu une critique[1] qui vous reprochait d'être trop partial dans votre façon de raconter ce récit historique. Le journaliste s'offusque du fait que vous dépeignez tous les occidentaux comme des pourris, alors que Khrouchtchev et Lumumba apparaissent comme des saints qui n'ont rien à se reprocher. Qu’en pensez-vous ? Pensez-vous qu'il soit possible de réaliser un tel film de manière impartiale et objective, sans y mettre sa propre vision du monde ?

Nous avons subi un tel lavage de cerveau que lorsque nous sommes confrontés à l'autre point de vue, celui du « méchant », par exemple, nous sommes surpris et cela nous apparaît comme étant biaisé. Mais nous vivons dans un monde biaisé et pour le démanteler, il faut prendre position.

Le récit est raconté de quatre points de vue différents, ceux de In Koli Jean Bofane (écrivain kino-congolais), Andrée Blouin (militante politique de la République centrafricaine), Conor Cruise O’Brien (irlandais, représentant spécial de l’ONU au Congo en 1961), et Nikita Khrouchtchev (dirigeant de l’URSS de l’époque). Pour Khrouchtchev, dès les premières minutes, le film reprend des archives de la population hongroise scandant « Fat red rat wanted for murder » (« gros rat rouge recherché pour meurtre »), établissant d’emblée qu’il n’est pas un saint. Cela n’empêche pas qu’il ait dit devant l’Assemblée générale de l’ONU « Enterrons le colonialisme ! », c’est un fait. Lorsqu’il dénonce la ségrégation et le lynchage raciste qui ont encore cours aux États-Unis à l’époque, c’est aussi la vérité. J’ai d’ailleurs été surpris d’apprendre que Khrouchtchev s’était autant mobilisé contre le colonialisme. Khrouchtchev a été désigné comme le « méchant » de l’Histoire, et j’ai pensé qu’il serait intéressant de faire droit à son point de vue. Cela étant dit, ce n’est pas Khrouchtchev qui a comploté pour faire assassiner Lumumba, ce sont les étasuniens et les Belges – cela doit être dit et le dire ne relève pas du biais idéologique. Il était important pour moi de déjouer le storytelling des occidentaux qui souvent se cachent derrière des signifiants fallacieux. Par exemple, ce n'est pas parce que Malcolm X et Patrice Lumumba étaient socialistes ou communistes qu'ils ont été traqués, mais parce qu'ils étaient noirs et qu'ils revendiquaient leurs droits. C'est quelque chose qui est rarement raconté. En Belgique, la plupart des gens ont encore des préjugés sur Patrice Lumumba. Et Il ne suffit pas de nommer une rue ou une place « Patrice Lumumba » - cela ne dit pas que la rue a été construite avec l'argent de la colonisation.

Vous avez ponctué Soundtrack to a Coup d’État de trois ou quatre publicités qui entrent en résonance avec les événements historiques que vous évoquez (comme le lien entre les batteries au lithium utilisées dans les voitures Tesla et les conflits autour des mines congolaises d'où provenait ce lithium dans les années 1950), pourquoi ?

Pour la publicité iPhone, nous l’avons choisie car elle met littéralement en scène un appel à se réveiller, ce qui ironiquement servait bien le propos du film. À la suite de cette publicité, nous faisons apparaître à l’écran – dans la même typographie que celle utilisée par Apple – la statistique des femmes violées dans la région depuis 1999. Initialement, le montant s’élevait à 42.000, mais au moment de finaliser le film nous avons mis à jour le montant qui s’élevait à plus de 80.000. Mais ce montant ne représente jamais qu’une petite proportion du nombre réel de viols commis, il doit être multiplié par un facteur X. Au Congo, le viol est utilisé dans de nombreux villages pour faire fuir les habitants et faciliter l’accès aux ressources. Dans le film La Cité de la joie (1992) apparaît une carte qui démontre la corrélation exacte entre zones minières et nombre de viols. Je n’insiste pas sur ces iPhones ou ces Teslas, mais il me semble que si je vous demande votre interprétation… Je ne pense pas devoir l’expliquer. Pour moi, Soundtrack to a Coup d’État montre ce que représente ce moment initial de l’indépendance du Congo en 1960 et qu’au fond, rien n’a changé : les puissances économiques actuelles traitent toujours le pays avec paternalisme et condescendance.

Il semble clair que Soundtrack to a Coup d’État a demandé une quantité de travail incroyable. Combien de temps a duré la réalisation du film, du début à la fin ?

J'étais encore en train d’accompagner la sortie de Shadow World, mon précédent film, lorsque j’ai commencé à écrire Soundtrack to a Coup d’État, donc l'écriture a pris un certain temps. Je dirais deux ans de recherche et d'écriture, puis quatre ans et demi de montage. J'ai invité un certain nombre de personnes au studio. Des artistes, mais aussi des universitaires et des chercheurs étrangers qui m'ont donné leur avis sur le film. Je tenais vraiment à ce que les détails soient corrects. Par exemple, j'ai eu une discussion de quatre heures avec Ludo De Witte (historien et sociologue belge) qui m'a conseillé d'être prudent lorsque j’évoquais Dag Hammarskjöld (Secrétaire général de l’ONU à l’époque) parce que nous ne connaissons toujours pas la vérité sur son implication dans les événements, même si de nombreux éléments indiquent qu'il était directement impliqué dans la chute de Lumumba. Les universitaires ont donc joué un rôle crucial dans la vérification et le contrôle des informations. J'ai appris du film précédent que si l'on peut étayer des détails avec deux ou trois sources, alors on peut raisonnablement les intégrer au film. Et si j'ai décidé d'ajouter les références de toutes les citations et données mises en avant, c'est aussi pour dire « vous pouvez penser que c'est biaisé, mais voici les sources, faites vos recherches ».

Quelle a été la réception publique et critique du film ? Y a-t-il eu des frictions dans les pays critiqués comme la Belgique ou les États-Unis ?

C’est le minimum auquel je m’attendais. Mais j’ai particulièrement apprécié la projection du film au cinéma Vendôme (à Bruxelles) en présence de Zap Mama et In Koli Jean Bofane. J’étais très content de la réception du film, bien qu’il ait suscité de vives discussions, car le fait que la communauté congolaise s’approprie le film, c’est ce qui compte le plus à mes yeux. Soundtrack to a Coup d’État sera d’ailleurs bientôt projeté à Kinshasa. Pareil pour les États-Unis : lorsque la communauté afro-américaine réagit de manière très forte, c’est ce qui me plaît le plus. Cela me rassure lorsqu’ils perçoivent le film comme ne parlant pas pour eux, mais avec eux, ce qui fait une grande différence.