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I Spit On Your Grave de Meir Zarchi
Esthétique

La représentation de la femme dans le « Rape and Revenge »

Fabien Demangeot
Analyse du « rape and revenge movie », sous-genre controversé du cinéma d'horreur qui interroge pourtant nos modes de représentation des genres et de la sexualité. Il permet surtout de questionner l'image de la femme face à celle de la masculinité dominante.
Fabien Demangeot

La représentation de la femme dans le « Rape and Revenge »

Considéré comme un sous-genre du cinéma d'horreur et d'exploitation, le rape and revenge movie puise pourtant ses racines dans le cinéma d'auteur suédois. C'est le film La Source d'Ingmar Bergman, d'ailleurs Oscar du meilleur film étranger en 1961, qui est considéré comme le premier rape and revenge movie de l'histoire du cinéma(1). Dans La Source, qui se déroule en Suède en plein Moyen Âge, une jeune fille est tuée et violée sous les yeux de sa sœur par trois bergers qui trouveront refuge chez les parents de leur victime. Les parents, après avoir appris la vérité, décideront alors de se venger. Si la violence n'est pas directement exposée aux yeux du spectateur, La Source, qui est davantage un drame qu'un film d'horreur, a fixé certaines caractéristiques du rape and revenge movie telles que la construction en trois parties (le viol, le retour, la vengeance) et le fait que la vengeance peut être portée par un tiers (ici la famille).

La dernière maison sur la gauche de Wes Craven
La dernière maison sur la gauche (Wes Craven, 1972)

Une dizaine d'années plus tard, en 1972, Wes Craven, le futur réalisateur des Griffes de la nuit et de Scream, propose une relecture ultra-violente du film de Bergman. L'action est déplacée dans un coin isolé des États-Unis, les bergers sont remplacés par des criminels échappés de prison et la vengeance des parents est beaucoup plus violente et cruelle que dans le film original puisque l'un des assassins se fera même sectionner le pénis à coups de dents par la mère de la victime. Quant à la scène du viol et du meurtre, elle est quasiment filmée en temps réel, ne nous épargnant rien de l'enfer vécu par la jeune femme. Néanmoins, La dernière maison sur la gauche, contrairement aux autres films de Wes Craven, peut difficilement être considéré comme un film d'horreur, du moins au sens premier de son acception. L'assassin n'est pas masqué et ne se présente pas non plus comme une créature monstrueuse, à l'image du croque-mitaine des Griffes de la nuit. Il représente, au contraire, une humanité proche de la nôtre bien qu'elle soit dépourvue de la moindre morale. Au final, l'alibi de la vengeance ne devient, lui aussi, qu'un prétexte pour exposer le sadisme de personnages qui ont perdu toute notion de bien et de mal. Les parents de La dernière maison sur la gauche se montreront aussi barbares que les assassins de leur fille. La vengeance leur permettra d'explorer le côté sombre de leur personnalité. Dans le remake du film de Wes Craven, sorti en 2009, la fille du couple, sauvagement violée et laissée pour morte, réussit à retrouver le chemin de la demeure familiale. Si la jeune fille est sauve, la vengeance des parents sera cependant d'une barbarie encore plus extrême que dans le film original. L'un des agresseurs se retrouvera ainsi avec la tête coincée dans un micro-ondes en fonctionnement jusqu'à l'explosion de son cerveau. Il est intéressant de voir que dans l'Amérique des années 2000, finalement beaucoup plus conservatrice que celle des années 70, la famille reste une valeur sûre. Sauver la jeune fille c'est aussi sauver cette famille qui ne pourra, dans le cas du film original, survivre à l'horreur qu'elle a vécue. À la différence de Wes Craven, Dennis Iliadis, le réalisateur du remake, ne condamne pas ses personnages. Ils ne seront pas, contrairement aux parents du film original, arrêtés par la police. Pour Erwan Desbois, auteur de l'article « La dernière maison sur la gauche : de Bergman aux réactionnaires américains », La dernière maison sur la gauche (2009) délivre un message profondément conservateur puisque la vengeance des parents vient épouser l’espoir d’un retour à l’ordre et d’une restructuration du cocon familial (2). Le rape and revenge movie des années 70 est, quant à lui, beaucoup plus nihiliste.

À partir de La dernière maison sur la gauche, mais aussi de I spit on your grave de Meir Zarchi, sorti en 1978, le rape and revenge movie a été très vite taxé de misogynie. On a reproché à ces films de flatter les bas instincts du spectateur en montrant explicitement des scènes d'agressions sexuelles et de viols. La vengeance des personnages n'aurait donc d'autre but que d'autoriser l'exposition de violence initiale. Le rape and revenge movie accusé, par de nombreux critiques conservateurs, d'inciter à la violence sexuelle fut néanmoins, par la suite, loué pour ses composantes féministes. En 1992, dans son ouvrage Men, Women and Chainsaws: Gender in the Modern Horror Film, Carol J. Clover a apporté une légitimité imprévue à un cycle de films souvent considérés comme le pire du cinéma d'exploitation. Pour Clover, le rape and revenge movie, tout comme le slasher, favorise une identification du spectateur mâle à la victime et survivante féminine (la Final Girl), à travers un dépassement et un clivage de genre. La victoire de la Final Girl serait donc, pour Clover, un signe de célébration féministe(3).

Ces propos ont été réfutés par d'autres théoriciens qui ont vu, au contraire, dans la vengeance de l'héroïne, le signe de sa désagrégation. Pour Barbara Creed, connue pour son travail sur le monstrueux féminin, la vengeuse violée serait une représentation misogyne de la femme castratrice qui satisfait un fantasme masochiste masculin. Ses deux interprétations ne sont pas, en soi, contradictoires comme l'atteste l'exemple ambigu d'I spit on your grave. Dans le film de Meir Zarchi, une jeune écrivaine sauvagement battue et violée par quatre hommes, qui l'ont laissée pour morte, décide de se venger de ses agresseurs en les assassinant méticuleusement un par un. Elle tentera d'ailleurs de les séduire en leur faisant croire qu'elle a apprécié son viol et qu'elle voudrait recommencer à avoir des rapports sexuels avec certains d'entres eux. I spit on your grave de Meir Zarchi, en plus de mettre en scène un viol d'une grande brutalité, présente des mises à mort particulièrement barbares dont une scène au cours de laquelle l'un des agresseurs se vide de tout son sang dans une baignoire. C'est un film choc qui, tout comme La dernière maison sur la gauche, a connu un remake mais aussi deux suites tout aussi sanglantes en 2010 et 2015. En s'appuyant, plus particulièrement sur l'exemple de I spit on your grave, Rikke Schubart, dans son ouvrage Super Bitches and Action Babes : The Female Hero in Popular Cinema, a démontré que le rape and revenge movie exprime conjointement un désir et une peur de la femme en jouant avec l'idée que la civilisation féministe castrait l'homme(4). Le viol, dans ses films, ne serait pas tant une question de sexe et de plaisir que de pouvoir. Il permettrait une réaffirmation de l'hégémonie masculine à l'encontre de ce qu'elle considère comme un danger : la femme, l'homosexualité et les formes de masculinités moins agressives.

Thriller de Bo Arne Vibenius
Thriller (Bo Arne Vibenius, 1974)

Or le rape and revenge movie provoque parfois l'inverse de ce qu'il escompte lorsque les victimes, comme dans I spit on your grave ou Thriller de Bo Arne Vibenius, dépassent leurs traumatismes pour punir leurs violeurs. La masculinité, ou plutôt une certaine idée de la masculinité, est dès lors mise à mal. La femme violée, comme a pu le démontrer Barbara Creed, dans The Monstrous-Feminine: Film, Feminism, Psychoanalysis, devient castratrice, elle perd son innocence et sa fragilité pour montrer un visage d'agressivité qui peut paraître néfaste(5). Dans Thriller, film suédois datant de 1974, Frigga, une jeune fille, devenue sourde et muette, après avoir été abusée dans son enfance par un pédophile, est séduite par un homme qui la séquestrera, la rendra dépendante à l'héroïne, lui crèvera un œil et l'obligera à se prostituer. Elle finira par se venger en éliminant, un par un, ses clients et son souteneur. Contrairement à La dernière maison sur la gauche et I spit on your grave, le rythme de Thriller est particulièrement lent. Les meurtres sont filmés au ralenti et de brefs inserts pornographiques, doublés par des acteurs de X, confèrent un caractère sordide aux scènes de prostitution. Thriller, bien qu'il soit, à l'instar de ses homologues américains, un film d'exploitation, tend à l'expérimental. Le long-métrage de Vibenius suit, étape par étape, les préparatifs de la vengeance de l'héroïne alors que, dans le rape and revenge movie américain, celle-ci est toujours immédiate. Le spectateur verra ainsi Frigga prendre des cours de kung-fu, de tir au pistolet et de conduite. Celle-ci profitera du peu de temps libre que lui laisse son souteneur pour préparer sa vengeance.

Dans le rape and revenge movie, la femme réutilise les propres armes des hommes pour se venger. Elle a recours à une violence dépourvue de limite puisqu'elle humilie, mutile et massacre. Dans le récent American Mary des sœurs Soska, en 2012, l'héroïne, une étudiante en chirurgie qui travaille clandestinement dans le domaine des modifications corporelles, se venge de l'un de ses enseignants, qui a profité d'une soirée pour la droguer et la violer, en faisant de lui le cobaye de ses expériences. D'une barbarie sans limite, la jeune femme lui arrachera les membres, lui coudra la bouche et le castrera. Le film des sœurs Soska, connues du milieu underground pour leur participation au film Regoregitated Sacrifice de Lucifer Valentine, est davantage un torture porn qu'un rape and revenge movie. Le caractère immédiat de la vengeance a laissé place ici à de longues scènes de torture, l'héroïne préférant faire durer, sur plusieurs semaines, le supplice de son agresseur. Si, comme on a pu le voir précédemment, il est possible, pour reprendre les propos de Carol J. Clover, de voir, dans ces films, une révolte et même une victoire du féminisme, on peut aussi les interpréter comme le constat d'un échec, le féminin ne faisant qu'imiter le masculin dans ce qu'il a de plus négatif. Mais en exposant les plus bas instincts de l'Homme, le rape and revenge movie ne ferait peut-être qu'illustrer les propos du Marquis de Sade qui a toujours affirmé la primauté de la nature sur la culture et la société. Chez Sade, l'homme est foncièrement mauvais puisqu'il ne répond à rien d'autre qu'à ses pulsions. Dans le rape and revenge movie, les personnages, bourreaux comme victimes, assouvissent, eux-aussi, leurs fantasmes les plus déviants. L'idée de vengeance est, dès lors, déplacée puisque l'excès de violence vient mettre en avant le caractère démesurément pervers de l'être humain.

Bien que le rape and revenge movie demeure un sous-genre à part entière du film d'horreur (les scènes de mises à mort, les viols et les tortures, même elliptiques, le rattachant, dans une certaine mesure, au torture porn), de nombreux films, dans des registres pourtant totalement différents, en reprennent certains éléments. On peut évoquer, en 1971, Les Chiens de paille de Sam Peckinpah, film sur la vengeance d'un couple agressé par les habitants du village dans lequel ils viennent d'emménager, ou plus récemment Elle de Paul Verhoeven, avec Isabelle Huppert et Laurent Lafitte, film dans lequel le viol n'est pas présenté comme un réel traumatisme puisque le personnage principal joue avec son agresseur à une sorte de jeu du chat et de la souris particulièrement ambigu qui débouchera néanmoins sur une forme de vengeance(6). Certains films, antérieurs aux années 70 et hors de la culture américaine ou même européenne, peuvent également être perçus comme d'authentiques rape and revenge movie. C'est notamment le cas de Quand l'embryon part braconner du réalisateur japonais Koji Wakamatsu, spécialiste du pinku eiga (film érotique à tendance sadomasochiste) qui, en 1966, mettait en scène un homme qui enlève et séquestre l'une de ses employées pour se venger du mal qu'ont pu lui faire d'autres femmes par le passé. Or la victime, comme dans le rape and revenge movie traditionnel, réussira à s'en sortir et rendra possible l'inversion des rôles bien que la vengeance ne se clôt pas par un meurtre et que le film ne présente, à proprement parler, aucune scène de viol, remplacée ici par des tortures et agressions de nature cependant sexuelle. Contrairement au slasher ou même à certains torture porn comme Saw, le rape and revenge movie ne prend également jamais l'allure d'un récit ou d'une enquête policière. On ne cherche pas à trouver l'identité de l’assassin ou du violeur. Le spectateur sait tout dès le début du film et la vengeance est, comme on a pu s'en rendre compte, la composante principale du scénario.

The Bunny Game d'Adam Rehmeier
The Bunny Game (Adam Rehmeier, 2012)

Bien qu'étant l'un des sous-genres les plus contestables, d'un point de vue éthique, du cinéma d'exploitation, le rape and revenge movie a influencé tout un pan du cinéma d'horreur contemporain. La représentation du viol est devenue l'un des éléments principaux de ces catégories cinématographiques marginales rendues populaires par internet telles que le fake snuff. Dans les vidéos de fake snuff, les tortures et mises à mort des jeunes femmes sont toujours précédées d'un viol. La monstruosité passe forcément par la sexualité. Le fake snuff, mais aussi le genre plus populaire du torture porn, ne laissent cependant aucune place à la vengeance. L'agonie des victimes, surtout des très jeunes femmes, n'aurait comme seul but que d'exciter les désirs sadiques des spectateurs. Dans son ouvrage Torture porn : l'horreur postmoderne, Pascal Françaix avait néanmoins nuancé cette idée. Comme pour le rape and revenge movie, le torture porn interrogerait, selon lui, la féminité, la masculinité et le rapport au corps pour en déconstruire les images les plus classiques(7). Ainsi dans des films underground comme Nf713 de Michael Stamp et The Bunny Game d'Adam Rehmeier, les tortures subies par les victimes féminines se muent en pratiques sadomasochistes. En acceptant d'être réellement maltraitées à l'écran, les actrices de ces deux films confèrent un caractère volontairement pornographique à un genre qui, contrairement à ce que son nom indique, mêle rarement torture et sexualité. Nf713 et The Bunny Game, en mettant en scène la sexualité masochiste réelle de ses actrices, et non de ses personnages, créent le malaise. Ce sont des films qui attisent, à travers les personnages des bourreaux, des désirs masochistes sadiques empreints d'une puissante misogynie. Dans ces deux longs-métrages, la femme, en plus d'être maltraitée, est perpétuellement rabaissée et humiliée. La réalité du fantasme masochiste féminin se heurte ici à des représentations stéréotypées provenant de l'industrie de la pornographie. Difficile de dire à quel public ces deux films pétris d'ambiguïtés s'adressent réellement. Sont-ils une réaffirmation du désir féminin sous toutes ses formes ou une condamnation de cette même sexualité ? Dans The Bunny Game, l'héroïne est une prostituée toxicomane qui, selon les dires d'Adam Rehmeier, le réalisateur du film, aurait fait, tout au long de sa vie, les mauvais choix. La torture devient ici une manière pour l'Homme de punir la Femme pour ses péchés. Au final, bien qu'il puisse aisément être considéré comme misogyne, le torture porn underground se rapproche du rape and revenge movie puisqu'il met en scène des corps de femmes souffrants et utilise l'argument moral pour justifier toutes les exactions représentées à l'écran. Ainsi l'héroïne de Nf713 est torturée parce qu'elle a trahi un secret d'état tandis que les personnages masculins de I spit on your grave et de Thriller sont mis à mort à cause des viols qu'ils ont commis. Difficile, malgré la conviction des actrices dans l'affirmation de leur masochisme, de considérer The Bunny Game et Nf713 comme des films féministes. Contrairement aux rape and revenge movies évoqués précédemment, ils n'y a jamais, dans ces deux films, de retournement de situation. Les victimes et les bourreaux n'échangent jamais leur place.

Le rape and revenge movie, contrairement au torture porn, met à mal certaines représentations archaïques de la virilité. Il se présente même, comme a pu le démontrer Noël Burch, dans son ouvrage De la beauté des latrines : pour réhabiliter le sens au cinéma et ailleurs, comme l'une des sources d'inspiration majeures d'un cinéma mainstream dans lequel la femme est à fois héroïne et criminelle(8). Thelma et Louise de Ridley Scott, Kill Bill de Quentin Tarantino ou encore Showgirls de Paul Verhoeven en sont les exemples les plus probants. Si ces films réussissent sans problème le test de Bechdel, ils peuvent aussi être perçus, et pour des raisons similaires à celles évoquées à propos du rape and revenge movie, comme profondément misogynes. Le fait que les réalisateurs des films évoqués soient des hommes vient également questionner nos propres modes de réceptions. Finalement, la vengeance féminine, telle qu'elle est exposée dans le rape and revenge movie mais aussi plus généralement au cinéma, répond toujours aux mêmes critères. Elle se doit d'être à la fois une angoisse et un fantasme masculin. Virginie Despentes, avec Baise-moi, est, peut-être, l'une des rares cinéastes à avoir renversé les codes du rape and revenge movie. Ses deux héroïnes, comme a pu le souligner Guillaume Guéraud, dans son ouvrage Les héroïnes de cinéma sont plus courageuses que moi, tuent des hommes pour une simple réplique grossière(9). Violées et maltraitées par le passé, elles ont décidé de ne plus rien pardonner aux hommes. Leur démarche, plus radicale encore, est une revendication féministe extrême. Baise-moi inverse toutes les tendances, la misogynie a été remplacée par la misandrie et la violence n'est plus synonyme de vengeance. Elle n'est que le reflet dégradé d'une société patriarcale en pleine implosion.

Poursuivre la lecture : Femmes toutes-puissantes, Rape and Revenge movie et Torture porn

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