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Le personnage principal de Gatta Cenerentola
Critique

« Gatta Cenerentola » : l’anti-Disney

Tony Mordelet
Anti-Disney par excellence, Gatta Cenerentola ose braver les interdits du genre. Pendant près d’1h30, cette relecture du conte s’affirme comme une version moderne, urbaine, adulte et méditerranéenne du film classique de Walt Disney : Cendrillon est aujourd'hui une héroïne moderne.
Tony Mordelet

« Gatta Cenerentola » (2017), un film de Ivan Cappiello, Dario Sansone, Marino Guarnieri et Alessandro Rak

Le cinéma est un art ingrat. Par sa visibilité et sa popularité, il s’expose inévitablement à la comparaison, que ce soit avec d’autres films, ou bien avec d’autres œuvres, littéraires ou théâtrales. Adapter sur grand écran un classique de la littérature, devenu par la suite un des classiques du cinéma d’animation peut ainsi s’avérer être un véritable coup de poker puisque tout le monde bénéficie d’un élément de comparaison et de moyens critiques pour juger votre œuvre. Gatta Cenerentola, film présenté cette année au Festival Anima, ose pourtant relever le défi. Relecture moderne du conte de Cendrillon, le film s’expose de tous les côtés à la critique. Tout d’abord, face au conte original, que ce soit la première version de Giambattista Basile (napolitain, comme les auteurs du film), ou celle, plus connue, de Charles Perrault. Ensuite, évidemment, il y a le film de Disney qui, lorsqu’on évoque Cendrillon, fait désormais office de référence pour la plupart des gens. Enfin, même si cela concerne surtout les italiens, le film est également basé sur une comédie musicale des années 70.

Une comparaison avec le film de Disney s’avère toutefois la plus probante car, non seulement ce sont deux films d’animation, mais en outre, ce film italien s’affirme comme une véritable antithèse du film de 1950. Dès les premières minutes de Gatta Cenerentola, on sait que l'on s’engage dans quelque chose de radicalement différent. L’élément le plus significatif est le visuel, le style de l’animation. Alors que Disney utilise une animation fluide, ronde et très colorée (en clair, la norme que la firme a contribué à imposer depuis la fin des années 20), on retrouve dans Gatta Cenerentola une animation beaucoup plus hachée, presque pixelisée. On a l’habitude de voir ce type d’animation dans des courts métrages (on pense notamment à The External World de David O’Reilly), mais peu de longs métrages y recourent.

Il ne faut cependant pas voir dans ce parti pris visuel un manque de technique de la part du studio Mad. Leur précédent long métrage, L’Arte della felicita, présenté à Anima il y a 4 ans (où il avait raflé le Prix du public), bien que loin d’être parfait, montrait des qualités visuelles indéniables, et ce en dépit d’un budget dérisoire. Même si beaucoup pourront être dérangés par ce style inhabituel, il faut tout de même essayer de comprendre les raisons de ce choix. En premier lieu, il y a évidemment l’histoire. Par ce style, les réalisateurs cherchent avant tout à se démarquer de l’esthétique de Disney, de l’esthétique du conte de fée. Cette animation saccadée va ainsi accentuer le côté abrupt du film. La ville de Naples est ici l'un des personnages principaux (même si on ne la voit jamais vraiment puisque Gatta Cenerentola se déroule quasi intégralement sur un bateau). Son aspect poisseux et corrompu imprègne le film. Et de cette corruption ressort le mal, la mort. L’animation ne peut dès lors être toute ronde, toute belle ; elle se doit de ressembler à l’histoire qu’elle dépeint. Car, comme la ville de Naples, elle se doit d’être imparfaite pour permettre au spectateur de capter son essence.

L’autre point à mettre en avant est plus historique. Comme évoqué précédemment, le modèle Disney est en place depuis la fin des années 20, début des années 30 (globalement depuis l’avènement des Silly Symphonies). Ce modèle constitue une norme, et ce encore jusqu’à maintenant. L’Europe, contrairement aux Etats-Unis ou au Japon par exemple, n’a pas de modèle préétabli. Sur le vieux continent, où l’auteur est roi, les animateurs doivent trouver les moyens de se démarquer pour contrer la domination américaine, et cela passe inévitablement par des styles inhabituels. Seuls deux pays sont véritablement parvenus jusqu’ici à s’imposer dans l’animation de long métrage : la Grande-Bretagne, principalement avec les studios Aardman, et la France, avec des auteurs comme Sylvain Chomet, Michel Ocelot ou encore René Laloux. On est donc contents de voir que l’Italie tente de se replacer sur la carte de l’animation mondiale. Toutefois, malgré les audaces visuelles dont peuvent faire preuve certains animateurs en Europe ou ailleurs, l’influence de Disney ne s’est pas limitée qu’au style. L’Oncle Walt n’a jamais caché que l’animation devait en premier lieu viser les enfants. Dès lors, depuis la main-mise de Disney sur l’animation, la grande majorité des longs métrages leurs sont destinés, business oblige. Exit donc la violence, le sexe et la mort, et ce quel que soit le pays ou le réalisateur. Hormis quelques francs-tireurs comme Ralph Bakshi, Picha ou Bill Plympton, rares sont ceux qui ont su défier les conventions en place.

Anti-Disney par excellence, Gatta Cenerentola ose braver les interdits du genre. Pendant près d’1h30, l’œuvre s’affirme comme une version moderne, urbaine, adulte et méditerranéenne du film de Disney. Le terme méditerranéen a d’ailleurs toute son importance ici. Outre le fait qu’il désigne clairement le pays de production du film, il rappelle aussi les différences de caractère entre le puritanisme américain et la liberté des méridionaux. Les auteurs se permettent ainsi beaucoup plus d’audaces que leurs cousins de la firme aux grandes oreilles. Cela risque de choquer un certain nombre de personnes (notamment ceux qui viennent avec leurs enfants en pensant voir une simple relecture du classique de Disney), mais les spectateurs les plus avertis apprécieront sûrement de voir un film qui les prend au sérieux, qui n’édulcore pas l’histoire, et qui ose montrer ce que les autres films d’animation ne montrent pas.

Affirmant constamment son « italianité », Gatta Cenerentola abuse des clichés (tout comme le faisait d’ailleurs Disney avec les clichés du conte de fées) : personnages ostentatoires, vulgarité, personnages sexués, costumes clinquants,... Les méchants de l’histoire sont d’ailleurs des modèles du genre, que ce soit le personnage du Roi, outrancier et manipulateur, ou bien celui de la belle-mère, sorte de Bloody Mama guidant ses filles meurtrières selon son bon-vouloir. Les scènes de chant dans le film sont assez significatives de cet état d’esprit. Alors que chez Disney, les personnages chantent (trop ?) pour dévoiler leurs émotions, ici, toutes les scènes de chants se font sur scène, devant un public. Les personnages sont clairement dans une optique de monstration, de spectacle constant car leurs motivations perfides les empêchent de dévoiler pleinement leurs sentiments.

Pour dévoiler les sentiments de leurs personnages, les auteurs préfèrent avoir recours aux hologrammes qui sillonnent le bateau. Ces apparitions furtives, révélatrices du passé, apportent à Gatta Cenerentola une dimension atemporelle. Coincés entre le modernisme des hologrammes et les décors sombres et crasseux du bateau (on est parfois proche du Steampunk dans les chambres), les personnages vivent dans un monde à part, coupés du monde, tout comme Naples peut l’être avec la corruption qui y règne. Cette transition entre l’ancien monde (représenté par « Le Roi », désireux de maintenir le trafic de drogue dans la ville) et le nouveau monde est d’ailleurs au centre du film, puisqu’elle entraîne la mort du père de Cendrillon, inventeur de génie désireux de voir sa ville renaître de ses cendres.

Impossible dans ce cadre de conserver la féerie de Disney avec des animaux qui chantent, une marraine aux pouvoirs magiques, et des pantoufles de verre. Le seul animal chantant que l’on retrouvera dans Gatta Cenerentola est un merle, et il chante faux. La marraine la fée n’existe pas plus que le prince. On ne se fait guère d’illusions dans ce monde en perdition. Cendrillon a bien un ange gardien, mais celui-ci est juste un adjuvant, un policier. Cendrillon, en héroïne moderne, se venge finalement elle-même en tuant l’assassin de son père. Pas de fin à l’eau de rose ou de happy end ici. Tout se finit dans un bain de sang et sous une explosion, comme pour nettoyer la ville de toute sa corruption. C’est peut-être d’ailleurs le seul point commun entre ces deux œuvres qui tentent finalement, à leur manière, de nous montrer que, derrière les nuages, il faut toujours avoir un peu d’espoir.

Découvrez une autre adaptation du conte…

Fiche Technique

Réalisation
Ivan Cappiello, Dario Sansone, Marino Guarnieri et Alessandro Rak

Scénario
Ivan Cappiello, Dario Sansone, Marino Guarnieri et Alessandro Rak

Genre
Animation

Date de sortie
2017