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Les acteurs de Braquer Poitiers
FIFF

« Braquer Poitiers » : Interview de Claude Schmitz

Thibaut Grégoire
Claude Schmitz nous explique les secrets de fabrication de son irrésistible « Braquer Poitiers » : le travail avec les acteurs, la porosité entre la fiction et le réel ou encore le rôle décisif du montage.
Thibaut Grégoire

« Braquer Poitiers », un film Claude Schmitz (2018)

Rendre les personnages poreux aux acteurs qui les interprètent, tout en contournant les archétypes avec une subtile drôlerie, fait la force et l’originalité de Braquer Poitiers. Bien qu'il s'agisse sur papier d'un film français, il est réalisé par un belge, Claude Schmitz. Diplômé de l’INSAS, il alterne le théâtre et la réalisation de courts métrages. Braquer Poitiers est né de la rencontre improbable avec l'atypique Wilfrid Ameuille qui a donné naissance à une histoire tout aussi improbable : ce même Wilfrid accepte de laisser deux belges s'installer chez lui pour lui voler son argent. Nous voulions en savoir plus sur ce dernier autant que sur la fabrication du film, le travail avec les autres acteurs et la façon dont le cinéaste a construit la porosité entre le réel et la fiction. Si nous avons pu reprocher au cinéma belge son académisme actuel et une certaine rigidité dans son système de production qui pourrait en être une des causes, le travail de Claude Schmitz, qui repose tant sur l'improvisation au tournage que sur une volonté d'échapper à toute forme de réification, s'impose comme un contre-exemple parfait et inspirant.

Pourquoi avoir choisi le format 4/3 pour l’image et une durée de 60 minutes ?

Concernant la longueur, il faut savoir que le film s’est fait sans financement à la base du projet et sans scénario. Je n’avais donc aucune idée de la durée réelle du film car il n’avait pas été prémédité ni écrit. Braquer Poitiers est donc un film qui s’est inventé au tournage. On en est revenu avec une matière brute qui a finalement débouché sur cette durée-là. On considère donc que c’est la durée qui correspond au film, mais il n’y a pas eu de réflexion a priori sur le format « temps » de celui-ci. C’est lié au mode de production très particulier du film puisque production, à proprement parler, il n’y avait initialement pas. En ce qui concerne le 4/3, on avait envie de faire un film qui évoquait un cinéma des années 70 que j’aime bien, Rohmer entre autres. C’est un format qui est un peu ancien dans ce qu’il produit et ce qu’il évoque. Je voulais aussi travailler sur des images qui aient un caractère de chromos, comme des vignettes. C’est quelque chose qui évoque notamment les films de vacances. C’est pour cela que l’on n’est pas parti sur un format plus répandu aujourd’hui. Il y a aussi une autre raison, c’est qu’on a utilisé une caméra avec un capteur 16mm, qui est vraiment pensée pour le 4/3. C’est donc un combiné de toutes ces raisons, mais c’est principalement pour rendre une atmosphère particulière.

Qui est Wilfrid Ameuille ? Sa personnalité est fortement mise en avant, notamment dans le générique de fin. Comment l’avez-vous trouvé ?

Wilfrid Ameuille et les acteurs de Braquer PoitiersQuand je tournais mon film précédent (Rien sauf l’été, 2017), il est passé presque par hasard sur le tournage. Je l’avais repéré car je me disais qu’il avait quelque chose, tout en sachant qu’il n’était pas comédien. Je savais qu’il dirigeait une chaîne de car wash dans la région de Poitiers. Il s’est vite montré intéressé par ce qu’on faisait et il m’a demandé pourquoi on ne viendrait pas faire quelque chose chez lui. Je lui ai répondu en blaguant qu’il pouvait alors jouer dedans et produire le film. C’est donc parti comme une blague mais c’est vite devenu très sérieux. On s’est recontactés quelques mois plus tard et on a fini par lancer ce film sans narration. Les seules choses que je lui ai dites, c’est que j’allais venir chez lui avec des acteurs qui travaillent avec moi et que je proposais un synopsis tenant en trois lignes. Ce synopsis étant que Wilfrid tient un car wash et se fait braquer par Thomas et Francis, qui sont vite rejoints par leurs copines. On allait donc démarrer avec ça et voir ce qui se passerait. On est parti de la vie de Wilfrid pour y ajouter une donnée fictionnelle, l’histoire des braqueurs. Ce qui est intéressant, c’est que la situation du tournage et celle du film étaient identiques. On était effectivement chez lui, dans sa maison, dans son jardin. On l’envahissait aussi, d’une certaine manière. Il y a donc un endroit où fiction et réalité se sont rencontrées, et on a marché en équilibre entre les deux.

Comment avez-vous choisi les autres comédiens de Braquer Poitiers, notamment le duo belge (Francis Soetens et Thomas Depas) ? Est-ce que ce sont des professionnels ou des amateurs ? Et comment avez-vous travaillé avec eux sur le tournage ?

À part les deux filles (Hélène Bressiant et Lucie Guien), il n’y a pas d’acteurs professionnels. Mais il se trouve que ces comédiens non-professionnels qui sont dans le film travaillent depuis longtemps avec moi au théâtre puisque, au théâtre également, je travaille beaucoup avec des gens qui ne sont pas comédiens de formation. J’ai fait pas mal de spectacles avec eux et c’est le troisième film qu’on fait ensemble. Ça se fait naturellement, je collabore avec eux sur le long cours. Et comme Braquer Poitiers est typiquement un projet de dispositif, sans scénario, il faut vraiment choisir les bonnes personnes en espérant qu’il se passera quelque chose. Toute la difficulté étant d’imaginer une configuration entre plusieurs personnes en espérant que cette configuration fasse naître une affection et des rapports intéressants pour le film.

Comment avez-vous travaillé les différentes séquences ? Je pense par exemple à une scène dans laquelle le personnage de Francis chante une chanson de Jacques Brel en continu. Comment est-ce que ces scènes apparaissent ? Est-ce que ce sont les comédiens qui les apportent ? Permettent-elles de valoriser un personnage, un comédien ?

Concernant cette scène en particulier, il se trouve que Francis a été chanteur de rue pendant des années, et que c’est donc quelque chose qui revient assez naturellement chez lui. Mais dans une scène comme celle-là, pour la prendre en exemple, j’étais parti du principe que tout ce qui allait se passer sur le tournage était potentiellement matière à fiction. Donc quand on faisait des repas entre nous, on continuait à tourner. Et là, il se trouve que de la musique passait pendant le repas, dans des petits baffles, et Francis s’est mis à chanter sur une chanson de Brel. Mais la caméra tournait déjà depuis un bon moment. Comme il n’y avait pas de scénario, je ne me suis pas dit que telle scène allait être celle de tel personnage : j’essayais simplement de capter des moments qui soient intéressants et riches.

Grâce à ce procédé, vous avez probablement eu beaucoup de matière filmée. Comment avez-vous géré cela par rapport à la durée finale du film ? Avez-vous cherché à atteindre une forme d'épure en vidant le film de certains de ses enjeux pour vous concentrer sur des moments en particulier et, par là, contourner la lenteur, l’ennui ?

On revient effectivement de ce type de tournage avec une matière conséquente et c’est véritablement au moment du montage que Braquer Poitiers s’est écrit. On a donc passé beaucoup de temps au montage à essayer de trouver un certain équilibre entre les scènes. Comme aucune scène n’est découpée, comme ce sont de longs plans ininterrompus, on a le choix de commencer une scène à tel endroit et de la terminer à tel autre, mais on n’a pas la possibilité de faire grand-chose à l’intérieur. C’est donc un travail assez fastidieux. Il faut essayer de trouver quel bloc fonctionne avec tel autre bloc, comment ça s’articule ensemble, comment ça s’équilibre ou se confronte. Il y a donc à la fois beaucoup de matière et pas tant que ça puisque beaucoup de choses filmées au tournage se retrouvent dans le film, mais par morceaux, par petits bouts prélevés. Il peut y avoir une scène de dix minutes de laquelle on ne va garder qu’une seule minute. Les points d’entrée et de sortie sont donc parfois compliqués à trouver.

On retrouve dans le film des clichés bien définis qui sont attachés aux personnages, par exemple les deux jeunes de banlieue qui dealent et fument des joints, ou encore le belge grande gueule avec un accent prononcé. Avez-vous cherché à jouer avec cette série de clichés ?

Quand j’avais proposé le projet aux gens, au début, j’avais apporté un synopsis qui était vraiment très mauvais, potentiellement ce qu’il y avait de pire à faire, à savoir mettre deux belges avec deux cagoles et de multiplier les duos très typés. Sur le papier, cela peut donner la comédie la plus mauvaise qui soit, mais je m’étais dit que ce serait intéressant de partir de ce point de départ et de chercher une humanité là-dedans. On part d’archétypes mais il y a quelque chose qui se passe car c’est porté par des gens qui, finalement, sont assez proches de ces archétypes et des personnages qu’ils interprètent. Il fallait que quelque chose de sincère se dégage de cela par-delà toute caricature. Par exemple, la comédie au sens strict ne m’intéresse pas forcément, même si je pense que Braquer Poitiers est drôle par beaucoup d’aspects. Mais cet aspect comique devait être contrebalancé par quelque chose de plus fort, par quelque chose que les gens portent en eux. J’ai donc fait en sorte que ces personnages, qui sont des archétypes, restent poreux aux êtres qui les interprètent. Ça laisse beaucoup de marge de manœuvre car, finalement, je ne dirigeais presque pas les acteurs, je leur donnais très peu d’indications, voire pas du tout.

Propos recueillis au 33ème Festival International du Film Francophone de Namur

Fiche Technique

Réalisation
Claude Schmitz

Acteurs
Wilfrid Ameuille, Francis Soetens, Thomas Depas, Lucie Guien, Hélène Bressiant, Marc Barbé, Olivier Zanotti, Bilal Aya

Genre
Comédie

Date de sortie
2018