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Margot Robbie en Harley Quinn sème le chaos dans Birds of Prey
Critique

« Birds of Prey » de Cathy Yan : L'émancipation d'une anti-héroïne

Fabien Demangeot
« Birds of Prey » n'est pas un énième film de supers-héros (ou de supers-méchants pas si méchants) devant sauver le monde mais le portrait d'une femme qui cherche à s'émanciper. Séparée du Joker, Harley veut désormais exister par elle-même. Considérée par tous les hommes qu'elle croise comme une fille facile ou une idiote, la jeune femme, titulaire d'un doctorat en psychiatrie, ne va pourtant pas cesser de revendiquer son statut d'intellectuelle.
Fabien Demangeot

« Birds of prey », un film de Cathy Yan (2020)

Birds of prey s'ouvre sur une première séquence formidable, un dessin animé à l'esthétique très sixties venant narrer l'histoire d'Harley Quinn, de sa petite enfance à sa rupture avec le Joker. D'emblée, Cathy Yan cherche à se démarquer du travail de David Ayer et de son Suicide Squad si décrié. Birds of prey ne sera pas un énième film de supers-héros (ou de supers-méchants pas si méchants) devant sauver le monde mais le portrait d'une femme qui cherche à s'émanciper. Séparée du Joker, Harley veut désormais exister par elle-même. Considérée par tous les hommes qu'elle croise comme une fille facile ou une idiote, la jeune femme, titulaire d'un doctorat en psychiatrie, ne cesse de revendiquer son statut d'intellectuelle. Harley Quinn a beau être folle, elle est présentée, ou du moins cherche à se présenter, puisque toute la narration du film suit son point de vue, comme une femme libre et intelligente. Elle est, au même titre que certaines princesses Disney contemporaines (Elsa dans La Reine des neiges, Raiponce ou encore Mérida dans Rebelle), un personnage fort et indépendant capable d'affronter le monde sans avoir besoin d'un homme à ses côtés.

En sortant de l'ombre du Joker, qui n'apparaîtra d'ailleurs jamais dans le film, Harley construit progressivement son propre mythe. Elle devient, à l'image du monstre de Frankenstein, l'incarnation de la créature qui s'affranchit de son créateur. Si dans Suicide Squad, la jeune femme, par amour, se jetait dans une cuve d'acide, dans Birds of prey, elle fait littéralement exploser l'usine de produits chimiques dans laquelle elle s'est unie au Joker. Le feu d'artifices qui succède à cette explosion apparaît comme le symbole de sa résurrection. Tel le Phénix qui renaît de ses cendres, Harley se libère de l'emprise nocive de celui qu'elle a jadis aimé. Elle réunit également autour d'elle un groupe de femmes qui refusent de se laisser guider leur conduite. Or, bien que le film de Cathy Yan célèbre la diversité féminine en mettant en scène un nombre assez important de minorités (asiatique, latino, afro-américaine et LGBT), il se plie néanmoins aux clichés sexistes les plus éculés. Les héroïnes de Birds of prey sont jeunes (excepté le personnage de l'agent de police incarnée par Rosie Perez), minces et sexy. Elles changent de chaussures et s'attachent les cheveux quand elles se battent, portent des tenues moulantes et jouent perpétuellement de leur pouvoir de séduction. Elles revendiquent une féminité hautement stéréotypée tout en refusant d'y être totalement réduites comme l'atteste la scène au cours de laquelle Harley brise les jambes d'un homme qui lui avait manqué de respect.

Au même titre que le récent Scandale de Jay Roach, dans lequel on retrouvait également Margot Robbie, Birds of prey est un film de l'ère #metoo dans lequel les hommes, quelles que soient leurs origines socioculturelles, sont présentés comme des êtres absolument abjects. Du capitaine de police s'octroyant les arrestations du lieutenant Renee Montoya, aux truands qui ont massacré la famille de Helena Bertinelli en passant par le vieux cuisinier thaïlandais qui trahit Harley Quinn, difficile de trouver une figure masculine positive dans le film de Cathy Yan. Quant à Ronan Sionis, alias Black Mask, et son acolyte Victor Zsasz, le dépeceur de visages, ils forment un ersatz de couple gay qui confère au film un caractère queer amusant bien que leurs agissements, notamment envers la gente féminine, créent, à plusieurs reprises au cours du film, un certain malaise. Dans une scène particulièrement dérangeante, qui tranche avec le caractère cartoonesque et finalement assez bon enfant de l'ensemble, Ronan Sionis force une jeune femme à danser sur une table avant d'obliger l'homme qui l'accompagne à lui déchirer sa robe. Bien qu'il n'y ait pas d'agressions physiques ni de viol, cette scène d'humiliation sexuelle met à distance le spectateur venu pour voir un divertissement déjanté quelque part entre un épisode de Deadpool et un film soft de Tarantino, d'autant plus que l'histoire de Helena Berinelli, s'entraînant durant des années pour venger les assassins de ses parents, se présente comme une véritable réécriture de Kill Bill.

Margot Robbie en Harley Quinn avec sa bande sèmant le chaos dans Birds of Prey
© Claudette Barius - 2019 Warner Bros. Entertainment Inc.

Ce court passage apparaît presque comme une anomalie au sein d'un film qui ne traite jamais directement de la question de la violence faite aux femmes alors qu'Harley Quinn, dans les comics des années 90, était très souvent maltraitée par le Joker(1). Au même titre que la Wonder Woman de Patty Jenkins, l’anti-héroïne de Birds of prey est à la fois une guerrière, capable de se battre contre n'importe qui, et une midinette incapable de se détacher de l'homme qu'elle a aimé. Arborant, même après sa séparation avec le Joker, un pendentif doré en forme de J, la jeune femme ne s'affranchira jamais complètement de celui qui l'a façonnée. Comme le Joker, Harley Quinn, ou Arlequin, est un clown qui aime faire le mal. Son maquillage outrancier, ses tenues bariolées et ses animaux de compagnie (une hyène et un castor empaillé en tutu) en font cependant un personnage bien plus amusant qu'effrayant. Contrairement au Joker, qui réussit l'exploit d'être aussi drôle qu'angoissant (Jack Nicholson dans le premier Batman de Tim Burton jouait parfaitement sur les deux tableaux), Harley est condamnée à n'être qu'un second rôle comique. Si son sadisme n'est pas totalement occultée, son évolution psychologique, comme dans Suicide Squad, suit un chemin bien trop balisé, à mille lieues de la complexité des comics DC.

Dans Birds of prey, Harley s'en prend exclusivement à des truands. Lorsqu'elle attaque la police, ce n'est pas avec de vraies armes mais avec des fusils qui envoient des paillettes et des nez de clown. Cathy Yan ne cherche pas la polémique. Contrairement au récent Joker de Todd Phillips, les représentants de la justice, bien qu'ils soient ridiculisés, ne sont jamais anéantis. Moins transgressif que les comics dont il est librement adapté, Birds of prey peine à trouver l'équilibre entre blockbuster calibré grand public et revenge movie. La réunion de tous les personnages féminins, dans le parc d'attraction du Joker, lors des vingt dernières minutes du film, donne néanmoins lieu à des scènes d'action parfaitement calibrées dans un environnement visuel détonant qui rappelle le cinéma de Tim Burton. On pourra toutefois regretter que ce personnage iconique, brillamment interprété par Margot Robbie, soit devenu, au final, si inoffensif. Alors que Black Canary, Renee et Huntress créeront une milice pour combattre le crime, Harley, en montant sa propre affaire, deviendra une sorte de Working Girl bien ancrée dans le monde économique d'aujourd'hui. Grande sœur de substitution de la jeune Cassandra, elle se montrera également, à plusieurs reprises au cours du film, étonnamment sensible.

Bien que le traitement du personnage manque de nuances et que l'ensemble, malgré ses accès de violence graphique, reste assez sage, Birds of prey n'en demeure pas moins une étrange réussite. À l'image du sandwich indigeste dont raffole Harley, le film est un mélange assez jouissif de comédie pop décomplexée et d'action movie qui se sert d'artifices scénaristiques aujourd'hui totalement éculés (retours en arrière et structure narrative éclatée) pour mieux revendiquer sa filiation avec le cinéma volontairement décalé de Quentin Tarantino et de Guy Ritchie. Au niveau esthétique, le film est un trip visuel qui évoque autant le travail photographique de David Lachapelle qu'un vidéo clip MTV. Dans ses meilleurs moments, le film se rapprocherait même de Spring Breakers d'Harmony Korine avec lequel il partage, au-delà de son goût pour les couleurs fluo, une même poétique de la défonce. Comme les étudiantes frivoles du long-métrage de Korine, Harley et ses copines sont souvent sous l'emprise d'alcool, de drogues ou de médicaments. Leurs perceptions dérèglent perpétuellement le rythme d'un film qui tend, dans sa dernière partie, à virer au jeu vidéo. Birds of prey est un divertissement audacieux qui recèle de moments d'anthologie (que l'on songe à Harley s'imaginant en Marylin en train de chanter diamonds are a girl's best friend ou aux nombreuses courses-poursuites effrénées et burlesques qui jalonnent le film) mais qui peine à être réellement subversif. On peut, en effet, regretter que le film, contrairement au Joker de Todd Phillips, n'aborde qu'en surface les thèmes de la corruption des élites et de la misère sociale. Malgré ces réserves, Birds of prey est un divertissement de haute volée, un blockbuster gentiment trash et décalé supérieur à la majorité des adaptations de comics contemporaines.

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Des Nouvelles du Front cinématographique, « Joker de Todd Phillips : Pitreries du nihilisme », Le Rayon Vert, 17 octobre 2019.

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