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Vincent Rottiers, un acteur en quête d'autres images

Thibaut Grégoire
Vincent Rottiers est le genre d'acteur qu'on associe souvent à des rôles précis. Quel rapport entretient-il avec cette image ? Tisse-t-il des liens entre ses différents personnages ?
Thibaut Grégoire

Interview avec Vincent Rottiers

Vincent Rottiers est à l’affiche du premier film de Guérin Van de Vorst, La Part sauvage. Il y incarne le personnage de Ben, jeune homme qui vient de sortir de prison et qui espère renouer avec son fils. Converti à l’Islam, Ben est peu à peu courtisé par un groupuscule recrutant pour le Jihad, et y voit une occasion de partir seul avec son fils, pour la Syrie. Nous avons rencontré Vincent Rottiers lors de son passage à Namur à l’occasion de la présentation du film au FIFF. Nous avons profité de cette rencontre pour lui poser des questions sur son métier d’acteur, après quelques mots promotionnels consacrés à un film dont il est l’atout principal. Les réponses généreuses de l’acteur furent étonnantes de franchise et de lucidité.

Quand vous choisissez de jouer dans un film comme celui-ci, qui est un premier film, est-ce que vous êtes plus dirigé par le sujet, par le personnage ... ?

C’est tout d’abord l’histoire, puis le personnage, la rencontre avec le réalisateur et les conditions de tournage. Mais c’est l’histoire avant tout qui me guide, plus que le personnage. Et il peut aussi y avoir un petit rôle intéressant dans un film qui l’est moins mais dont la scène que j’ai à jouer me parle.

Dans le cas de ce film-ci, qui aborde plusieurs sujets, dont un en particulier qui touche à un fait d’actualité délicat, est-ce que vous le prenez en compte ou bien considérez-vous que ça fait partie de l’histoire que le film raconte et que c’est donc englobé par la fiction ?

Oui, ça fait partie de l’histoire car j’ai l’impression que le vrai sujet du film, c’est l'histoire de ce père qui ne connaît pas son fils et qui va tout faire pour renouer avec lui. Le thème de l’intégrisme et de la tentation d’aller faire le Jihad est un peu comme une toile de fond. Ce sont aussi les lieux du film, le fait qu’il se passe à Molenbeek, qui a un peu déterminé cette toile de fond, même si je pense que Guérin Van de Vorst avait pensé à ce sujet avant que Molenbeek ne se retrouve au coeur de l'actualité. Je trouvais aussi intéressante la manière dont le scénario abordait le sujet, en évitant les clichés et en essayant d’expliquer le mécanisme à l’œuvre dans le recrutement des jeunes musulmans, etc. Mais l’important pour moi était aussi que cela soit dilué dans une fiction et dans une histoire plus universelle d’un père et de son fils. Et puis, le personnage de Ben, que j’interprète, aurait très bien pu tomber dans un autre travers que l’intégrisme religieux. Cela aurait pu être la tentation de l’extrême droite, l’alcoolisme ou que sais-je, mais il se trouve que c’est ce sujet-là qui a été choisi comme décor au récit.

Le personnage a également un point de vue extérieur sur l’intégrisme et le mécanisme de recrutement. Il regarde ça de loin, avec un œil curieux, mais il semble extérieur à la chose. Puis, il est entraîné dans le mouvement, sans que l’on comprenne vraiment où se trouve le point de connexion, pourquoi il tombe dedans...

C’est cela que j’ai bien aimé également dans le scénario, c’est que ça n’aille pas de soi, que ça soit subtil. Le personnage de Ben a un peu le cul entre deux chaises, il faut à la fois qu’il fasse des efforts pour se rapprocher de son fils mais il y a aussi la pression du groupe qui l’amène petit à petit à vouloir partir en Syrie. Ce qui me plaît, c’est que ça vient à lui sans qu’il le contrôle. Il n’y a pas beaucoup de solutions qui s’offrent à lui et le destin veut qu’il soit tombé sur un groupe qui l’entraîne dans cette direction-là. Il y trouve alors une échappatoire, une solution pour enlever son fils et partir avec lui. Ce n’est donc pas tant qu’il soit concerné par la cause religieuse, c’est que c’est une occasion pour lui de partir, de s’extraire de sa condition d’ex-taulard en réinsertion et de récupérer son fils au passage.

Qu’est-ce qui vous pousse à choisir de film en film des personnages qui ont des liens entre eux ? Est-ce que vous essayez de composer une sorte de personnage cohérent, global, que l’on retrouverait d’un film à l’autre ?

Non, pas du tout. En fait, je n’ai pas vraiment l’opportunité de choisir. Le problème, c’est que les scénarios qu’on m’envoie sont toujours dans le même registre, dramatique et un peu dur. On m’envoie très peu de comédies, par exemple. Personnellement, je serais partant pour faire plein de choses différentes, dans tous les genres possibles et imaginables, du film d’horreur à la comédie musicale... Mais voilà, c’est connu que quand les gens vous voient dans tel registre, ils ont du mal à vous imaginer dans quelque chose de totalement différent. C’est la profession qui est comme ça et qui est régie par cet état d’esprit. Après, j’opère évidemment un choix parmi tout ce qu’on me propose, et à partir de là, ça dépend donc de quelques variables : l’intérêt du scénario, le contact avec le réalisateur, etc. Mais je suis finalement très dépendant de ce qu’on m’envoie et de l’image qu’ont de moi les réalisateurs. Maintenant, c’est aussi intéressant de travailler comme ça, d’une certaine manière. Je ne me plains pas car j’ai du travail et si on me disait que je devais continuer à fonctionner de cette manière, à être cantonné à ce type de rôles toute ma vie, je le ferais sans hésiter.

Vincent Rottiers dans Valentin Valentin

Il y a eu par exemple votre rôle dans Valentin Valentin, qui était un peu différent des autres choses que vous avez faites...

Oui, mais là encore, ça a commencé comme d’habitude puisqu’on m’avait d’abord proposé le rôle de celui qui tue Valentin (rôle finalement joué par Félix Moati). Et comme on m’avait sollicité parallèlement pour le rôle principal d'un téléfilm, j’ai fait valoir cela en disant que le choix serait vite fait entre un rôle principal et un rôle secondaire, mais que si on me proposait le rôle de Valentin, le problème ne se poserait plus et que j’accepterais directement. J’ai donc rencontré Pascal Thomas dans cette optique mais il a fallu se battre, d’une certaine manière, parce que ce n’était pas évident pour lui que je puisse faire ce type de rôles et que je sois crédible dedans. Après, même si le film n’a pas vraiment marché, j’ai eu de bons retours sur ma prestation, donc j’imagine que je pourrais tout à fait refaire ce genre de rôles, dans un style ressemblant plus à celui du « jeune premier ». Mais je n’ai pas eu de nouvelles propositions qui ont suivi cette direction-là, malheureusement.

Comme vous êtes confronté à cette réalité d’être cantonné à un certain type de rôles, est-ce que vous essayez, à travers ces personnages qui se ressemblent, qui sont connectés entre eux, de faire passer une vérité intime, quelque chose de vous-même ?

Je pense qu’on apporte toujours des choses de nous dans les rôles. J’y mets du mien mais j’essaie aussi de m’éloigner de la personne que je suis. Effectivement, dans la façon de marcher, dans les réactions physiques, c’est totalement moi qu’on voit à l’écran. Mais j’essaie par contre de ne pas toujours parler de la même manière. Il faut trouver cet équilibre entre livrer des choses de soi et en inventer de nouvelles.

Est-ce que cet équilibre se trouve également au contact des autres acteurs, dans la manière de s’adapter à leur débit, à leurs attitudes ?

Oui, c’est dans les petites différences que ça se joue. Évidemment, dans le cas de La Part Sauvage, le fait de jouer avec un enfant (Simon Caudry) implique de s’adapter beaucoup à lui. Le travail n’est pas le même qu’avec un adulte. Puis, même avec des acteurs professionnels, on peut soit se trouver devant quelqu’un qui est dans l’immédiateté, soit devant quelqu’un qui a besoin de plus de travail, qui a besoin de se chercher pour être à l’aise. Personnellement, je m’adapte assez facilement à toutes ces situations. Dans La Part sauvage, pour le coup, j’ai l’impression que l’on était un peu tous dans le même registre. Que ce soit Johan Libéreau, Walid Afkir ou Sébastien Houbani, ce sont des acteurs qui ont, il me semble, la même approche que moi, très instinctive.

Quand il s’agit de films de groupe comme celui-ci ou encore Nocturama, cette notion de groupe prime-t-elle dans le travail d’acteur ? Comment était géré le groupe dans Nocturama, par exemple ?

Personnellement, j’étais un peu exclu du groupe de Nocturama, car mon personnage intervenait principalement au début et à la fin. Dans ce cas-là, j’ai vraiment accepté pour le scénario et pour Bertrand Bonello. Par rapport au groupe, j’ai fait pas mal de répétitions avec eux. J’avais aussi été sur les castings pour donner la réplique aux acteurs, et c’est même à partir de là que Bertrand Bonello a pensé à moi pour le personnage que j’ai finalement interprété. Je me souviens qu’au début, j’avais des questions sur le scénario car je ne comprenais pas pourquoi ce groupe de jeunes, qui venait de commettre un attentat, se cloîtrait dans un grand magasin en plein Paris et restait là au lieu de fuir. Puis j’ai compris qu’il y avait un côté allégorique, pas forcément vraisemblable, au cœur du film. Par exemple, la scène musicale, où l’un des jeunes se déguise et chante New York, New York, ça ne donnait pas grand-chose au scénario. J’avais du mal à l’imaginer et à comprendre son utilité. Et puis, dans le film, c’est finalement une des plus belles scènes. Comme quoi, il ne faut pas non plus s’arrêter à l’impression que peut donner la lecture d’un scénario. La rencontre avec le metteur en scène, pour comprendre sa sensibilité, est très importante. Même si, dans ce cas-là, l’histoire était aussi pour beaucoup dans ma décision de faire le film. Ça me faisait plaisir de voir des jeunes, d’âges et de milieux très différents, réunis par un certain ras-le-bol du système. Même si ce qu’ils font est évidemment répréhensible et pas cautionnable, je trouve que ce cri, « y en a marre », est tout de même salutaire.

Vincent Rottiers dans Dheepan

Comment expliquez-vous que, parfois, lorsque vous tenez un rôle moins important dans un film, votre prestation marque tout de même les esprits, que ce soit dans Nocturama, dans Deephan ou encore, dans une moindre mesure, dans L’Écume des jours ?

Je pense vraiment qu’il n’y a pas de petits rôles. On peut avoir une seule scène dans un film et marquer les esprits. Par exemple, en tant que spectateur, quand je pense à Un prophète, je songe immédiatement à Reda Kateb, qui pourtant n’a pratiquement qu’une scène dans le film. Ça ne s’explique pas mais ça a vraiment à voir avec la consistance du rôle et, aussi, d'une certaine manière, avec l’aura du réalisateur. Je sais que j’ai beaucoup moins de retours concernant Renoir, dans lequel j’ai pourtant le rôle principal, que sur Deephan de Jacques Audiard, dans lequel je ne tiens qu’un second rôle. C’est une réalité. Après, c’est sûr que j’aurais tout aussi bien pu être mauvais dans le film, et on ne m’en aurait pas parlé, ou pas de la même manière. Donc j’imagine que je suis également un peu responsable de ça, de cet emballement, à ma petite échelle personnelle.

Parmi les différents réalisateurs avec lesquels vous avez travaillé, lequel vous a le plus impressionné par sa méthode et sa direction d’acteur ? Qu’est-ce que vous cherchez dans le rapport avec un metteur en scène, par rapport à cette notion de direction d’acteur ?

Je pense que mon expérience la plus forte, en tant qu’acteur, ça reste toujours la toute première, sur Les Diables de Christophe Ruggia. Parce qu’il nous parlait tout le temps avant les prises pour nous aider à nous concentrer. Par la suite, j’ai appris à faire ça par moi-même sur les autres tournages que j’ai pu faire. Mais Christophe Ruggia est vraiment le seul réalisateur que j’ai vu travailler de cette manière. Après, chaque cinéaste à sa méthode bien à lui : certains parlent aux acteurs avant la prise, d’autres après, d’autres encore pas du tout car ils estiment peut-être que l’acteur est assez intelligent pour trouver son jeu par lui-même.... Mais encore une fois, j’arrive assez bien à m’adapter à toutes ces méthodes différentes. Il n’y a que sur un seul tournage que j’ai eu vraiment plus de mal, celui de Qu’un seul tienne, les autres suivront de Lea Fehner, parce qu’elle nous faisait refaire les prises un nombre incalculable de fois et que ça m’a presque rendu fou. Mais après, je comprends aussi tout à fait que c’était son premier film, qu’elle était probablement soumise à plus de stress, etc. Mais pour ce qui est d’un réalisateur qui m’a vraiment marqué, je reste sur Christophe Ruggia, peut-être parce que c’était ma première fois sur un plateau et que c’était un rôle vraiment dur qui m’a forgé en tant qu’acteur. Je pense que je ne serais pas le seul à citer Les Diables en exemple. Adèle Haenel, qui partageait l’affiche avec moi, répondrait probablement la même chose.


Entretien réalisé par Thibaut Grégoire le 5 octobre, au Théâtre de Namur