« Plaire, aimer et courir vite » : Christophe Honoré et les prisons de la cinéphilie
La cinéphilie, chez Honoré, ne s'assimile-t-elle pas à une forme d'imaginaire policier ? Petite étude des références présentes dans « Plaire, aimer et courir vite » et de la scène de rencontre, qui traduisent peut-être d'abord une recherche de légitimation par le bon goût et une certaine tendance à exclure ceux qui ne le partageraient pas.
« Plaire, aimer et courir vite », un film de Christophe Honoré
Plaire, aimer et courir vite décrit, entre autres, la rencontre et la relation amoureuse naissante entre Jacques, un écrivain parisien installé, et Arthur, un étudiant aux velléités de cinéaste. Autant dire que Christophe Honoré se reconnaît et se livre à travers ses deux personnages principaux qui représentent, au-delà de la base autobiographique dont le film est vraisemblablement le relais, deux stades de la vie de l’auteur, ou deux faces de l’artiste qu’il est devenu aujourd’hui. La rencontre entre ces deux personnages, ces deux faces d’une même pièce, se devait donc d’être un moment clé et un événement où Honoré livrerait quelques éléments pour décrypter son oeuvre et sa personne, lui qui est en quelque sorte le fruit de cette rencontre. La scène de la rencontre est effectivement assez significative puisqu’elle se déroule dans une salle de cinéma qui projette le film La Leçon de piano de Jane Campion. Dans les premiers dialogues que s’échangent Jacques et Arthur, entre quelques badinages de bon aloi, se cachent quelques mots assez emblématiques de la manière dont Honoré semble concevoir le cinéma, la cinéphilie et le goût esthétique en règle générale : tandis qu’Arthur exprime dans un premier temps son peu d’intérêt pour le film de Campion, le qualifiant de « livre d’images », Jacques, après quelques formules de drague réglementaires, lui fait comprendre gentiment mais fermement que le film qu’il est en train de voir est très bon, et qu’il n’est qu’un idiot s’il ne comprend pas ça. Par cette affirmation, Jacques signale clairement à Arthur que s’il ne se conforme pas au bon goût, son propre goût, celui de l’intelligentsia, il n’est même pas question pour Arthur d’envisager un début de relation – qu’elle soit amoureuse, amicale, ou juste conversationnelle – avec lui.
Cette scène est fondatrice car elle semble résumer à elle seule le cinéma de Christophe Honoré, prisonnier d’une cinéphilie fantasmée régie par des impératifs de bon goût, des cris de ralliement et des signes d’appartenance à une caste intellectuelle. Cette cinéphilie formerait ainsi une sorte d'imaginaire policier qui porterait en lui non pas l'émancipation rêvée par le cinéaste, mais les signes d'une tendance à exclure ce qui ne rentre pas dans son moule. Ce que traduit parfaitement la scène de rencontre de Plaire, aimer et courir vite. Bien sûr, si la transmission n’est pas vraiment le centre névralgique de la relation entre les deux personnages, et que cette transmission n’a en fait jamais réellement lieu – ou alors dans les ellipses, dans les interstices de l’histoire contée par les images –, elle est forcément ébauchée avec la rencontre de deux artistes vivant chacun une période charnière de leur parcours : l’apprentissage et la reconnaissance publique. Et la manière dont Honoré conçoit cette transmission serait donc celle-là, une espèce de bienveillance paternaliste d’une génération envers une autre, assortie d’une injonction implicite d’adopter le même habitus qu’elle.
Face à ce constat, on comprend mieux certains tics, certaines répétitions visuelles du cinéma de Christophe Honoré, qui n’a de cesse de citer des références conformes à cet habitus, non seulement par le name-dropping, mais aussi par la « mise en cadre » de quelques-unes de ses marottes littéraires ou cinématographiques. Parmi celles-ci, on retrouve notamment des films apparaissant indirectement à l’écran par l’intermédiaire de leur affiche. Outre le fait de venir appuyer la cinéphilie hautement recommandable de l’auteur, elles entrent idéalement en résonance avec les thématiques que travaille le film. Dans Plaire, aimer et courir vite, outre La Leçon de piano, on peut également remarquer – non pas fugitivement, mais lors de citations visuelles appuyées – celles de The Crying Game, Boy Meets Girl ou encore Querelle. Avec ces citations explicites, Honoré atteste non seulement de son bon goût, de son respect des anciens et des « bons tuyaux » que lui ont refilés ceux-ci en matière de ce qu’il faut aimer ou non, mais aussi de sa conscience de n’être qu’un continuateur, de se situer dans le sillage d’autres artistes ayant avant lui ouvert des pistes qu’il continue de creuser. Cela lui donne indirectement une évidente légitimité artistico-intellectuelle, puisqu’il se compare à ces fameux anciens, à ces auteurs qu’il admire, que d’autres ont admirés avant lui et dont il espère perpétuer l’aura sur les générations futures.
Christophe Honoré serait un peu semblable au personnage de Louis Garrel dans une scène de Dans Paris où ce procédé de citation légitimatrice est précisément utilisé. Dans cette scène, Jonathan, joué par Garrel, marche dans la rue et se retourne pour regarder derrière lui, s’arrêtant précisément entre deux affiches de cinéma mises côte-à-côte. Bien évidemment, il s’agit d’affiches de films dont on imagine qu’Honoré les apprécie et dont il « approuve le contenu ». Ces deux affiches sont celles de Last Days et de A History of Violence, deux films d’auteurs dont la double présence indirecte dans le film d’Honoré est au bénéfice de celui-ci et qui, en plus, attribuent par leurs titres mis bout à bout, une dimension de « jeune tragique » à Jonathan. En tenant compte de la date de sortie du film et de la réalité de l’affichage dans Paris, il aurait tout aussi bien pu s’agir des affiches d’un Harry Potter et d’un Star Wars, mais leur utilisation n’aurait forcément pas eu le même impact, elle n’aurait pas signifié quelque chose du personnage ni, indirectement, de Christophe Honoré. Tout comme Jonathan, Honoré semble pris en tenaille entre des affiches, entre des références écrasantes qui devraient sans cesse signifier quelque chose de lui, de son cinéma ou de ce qu’il veut raconter et mettre en scène dans ses films. Cette cinéphilie de légitimation et d’appartenance apparaît à ce jour – a fortiori à travers la scène de la rencontre dans Plaire, aimer et courir vite – comme son plus gros handicap.
Pour continuer l'analyse d'autres formes d'imaginaires policiers
- Guillaume Richard, « Tim Burton, Policier de l'imaginaire et Fossoyeur de freaks », Le Rayon Vert, 12 septembre 2017.
- Sébastien Barbion, « « La Fiancée du Pirate » : Sorcellerie, Puissance et devenir-femme », Le Rayon Vert, 2 mai 2018.