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Florence Pugh en pleurs dans Midsommar d'Ari Aster
Critique

« Midsommar » d'Ari Aster : Des vertus immersives de l’archétype et de la référence

Thibaut Grégoire
Pour faciliter l’immersion du spectateur dans les situations vécues par les personnages, accompagnant ceux-ci dans leur descente vers « l’antre de la folie », Ari Aster recourt précisément à des références connues et à des archétypes scénaristiques tels que le trauma initial et la dissémination d’indices.
Thibaut Grégoire

« Midsommar », un film d'Ari Aster (2019)

Parmi les jeunes auteurs américains émergeant actuellement, nombreux sont ceux qui aiment à nommer et dénombrer clairement les diverses influences et références qui ont nourri leur cinéma et donné naissance à leurs films. On peut par exemple relever cette caractéristique chez Barry Jenkins, qui cite régulièrement Claire Denis ou Wong Kar Wai comme des influences majeures sur son œuvre(1). Ari Aster, auteur d’Hérédité et de Midsommar, semble s’inscrire dans cette même démarche et a, dans cet ordre d’idées, partagé récemment une liste de dix films l’ayant inspiré dans l’écriture et la fabrication de Midsommar(2). Curieusement, dans cette liste ne sont pas repris les deux films auxquels font probablement le plus penser Midsommar, dans le fond comme dans la forme. Aster ne nie pas pour autant la filiation de son film avec The Wicker Man de Robin Hardy, avec lequel il partage, dans les grandes lignes, des éléments de scénario, des techniques narratives et un final identique ; ni avec Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, pour son approche pratiquement satirique de l’expédition « anthropologique » à laquelle se livrent les protagonistes. Mais on peut par ailleurs voir dans cette reprise de modèles du passé et de carcans usés une manière de s’ancrer dans des terrains connus pour mieux repartir sur d’autres bases. En d’autres termes, créer du neuf à partir de ce qu’il reste du vieux dans l’inconscient, sinon collectif, au moins cinéphile. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que Midsommar dépasse largement ces deux modèles, englués pour l’un dans une volonté de tout expliquer par le dialogue, comme dans un mauvais roman de gare, et pour l’autre dans celle de choquer à tout prix, par n’importe quel moyen, y compris le ressassement de vieilles images d’Épinal colonialistes, à l’époque encore plus tenaces qu’aujourd’hui. L’argument opposé est d’ailleurs tout aussi recevable : pourquoi s’appuyer virtuellement sur des œuvres mineures inexplicablement surestimées si ce n’est pour affirmer a posteriori sa supériorité vis-à-vis de ces « modèles » prétextes ?

Florence Pugh et Jack Reynor dans la scène de la colline de Midsommar

Ari Aster parvient pourtant à tirer de ces faux modèles le plus intéressant de ce qu’ils recèlent. Par exemple, de The Wicker Man – le moins discutable de ces deux films références – il retient notamment la propension à disséminer à longueur de film des indices quant à la direction que prend celui-ci, tissant par là un lien de plus en plus marqué avec un spectateur sans cesse mis à contribution et sensibilisé à la construction scénaristique d’une montée en puissance dramaturgique. Dans le film de Robin Hardy, ce sont les parties chantées – dont la simple présence au sein d’un film à l’aspect par ailleurs plutôt réaliste est une singularité ou une bizarrerie en soi – qui annoncent progressivement ce vers quoi le film s’achemine. Dans Midsommar, ce sont principalement les représentations graphiques – par l’intermédiaire de fresques peintes ou tissées sur les murs ou sur des tissus tendus un peu partout dans les lieux de la communauté – qui endossent ce rôle, quand ce n’est pas le dialogue lui-même qui annonce clairement ce à quoi il faut s’attendre tout en le faisant passer pour une blague ou une digression hors-propos. Mais cette notion de tissage et ces fresques créées à la main exposant la mythologie à l’œuvre dans Midsommar donnent également une piste sérieuse quant à la démarche d’Ari Aster. En se basant sur des films entrés d’une manière ou d’une autre dans une sorte de mythologie fantasmée du cinéma de genre, il emmène son spectateur dans un terrain potentiellement familier, un terreau référentiel qui lui permet de bâtir sa propre mythologie, celle de son film. Ainsi, la porte d’entrée que propose Midsommar à son spectateur est celle d’un récit potentiellement horrifique dans lequel un groupe d’étudiants en anthropologie – et la petite amie de l’un d’entre eux, Dani, qui les accompagne pour se changer les idées après un drame familial – se voit happé et progressivement détruit par une communauté fermée vouant un culte sectaire aux forces de la nature, en pleine campagne suédoise, là où le soleil ne se couche jamais.

Paradoxalement, cette manière d’ancrer Midsommar dans un terrain connu en lui accolant des figures récurrentes du cinéma qui a pu l’influencer et le nourrir peut également lui conférer une certaine lourdeur, quand bien même cette lourdeur, qu’elle soit psychologique ou symbolique, servirait encore une fois la démarche même du film et de son réalisateur. C’est par exemple le cas du trauma familial qui caractérise le personnage de Dani lors des vingt premières minutes du film. Cet événement traumatique fondateur va influencer par la suite la manière dont Dani réagira aux situations auxquelles elle sera confrontée, la manière dont elle réagira à l’immersion qu’elle expérimentera, cette immersion dans une culture dont les codes renverseront sa propre vision des choses dans un processus la plongeant petit à petit dans un état proche de la folie. L’idée d’immersion est en cela au cœur du film. Elle est à la fois au centre de son processus dramaturgique, plaçant ses personnages, et tout particulièrement celui de Dani, dans une position immersive de plus en plus dangereuse – les menant à la limite de la folie –, qui est aussi proposée au spectateur. Et pour faciliter l’immersion de son spectateur dans les situations vécues par les personnages, accompagnant donc ceux-ci dans leur descente progressive dans « l’antre de la folie », Ari Aster utilise précisément ce recours à des références connues et à des archétypes scénaristiques tels que le trauma initial, la dissémination d’indices, etc. En cela, d’aucun pourrait très aisément le qualifier de « petit malin » tant il excelle à transformer ce qui pourrait être une tare en qualité, à transformer le recours aux clichés ou aux facilités narratives en porte d’entrée, en clé permettant à son spectateur de trouver sa place dans Midsommar et de s’y immerger.

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Des Nouvelles du Front cinématographique, « Ari Aster, roitelet couronné » dans Des Nouvelles du Front [en ligne], 3 août 2019.

Fiche Technique

Réalisation
Ari Aster

Scénario
Ari Aster

Acteurs
Florence Pugh, Jack Reynor, Will Poulter, William Jackson Harper, Vilhelm Blomgren

Genre
Drame, Thriller

Date de sortie
Juillet 2017