« Lui » de Guillaume Canet : Et moi, et moi, et moi…
Dans sa dernière fiction autocentrée, Lui, Guillaume Canet se met doublement en scène au cœur d’un casting de comédiens usuels du cinéma français « grand public », qu’il utilise comme autant de poupées parlantes uniquement bonnes à le mettre en valeur, « lui », et à débiter ses mots d’auteur. Cet ersatz d’un mauvais film de Bertrand Blier aurait dû s’appeler Moi, tant il ne tourne qu’autour de la personne de l’acteur-réalisateur.
« Lui », un film de Guillaume Canet (2021)
Devant Lui, le nouveau film de l’acteur-réalisateur Guillaume Canet – déjà son septième long métrage en tant que réalisateur – et au regard de ses précédents, s’impose d’emblée une question : où diable se cache la personnalité du Guillaume Canet « cinéaste » ? Difficile en effet de faire plus disparates que le thriller « à l’américaine » avec Ne le dis à personne, le film choral populo dans la lignée d’un Yves Robert qu’est Les Petits mouchoirs, le sous-Scorsese avec Blood Ties, l’auto-fiction parodique de Rock'n Roll, et cette copie conforme d’un mauvais – est-ce un pléonasme ? - Bertrand Blier que constitue Lui. Pour être honnête, ce n’est pas tout à fait exact car il y a bien un lien entre Rock'n Roll et Lui : la tendance manifeste de Guillaume Canet au ressassement égocentré.
Dans Lui, Guillaume Canet incarne un compositeur de musiques de films qui a décidé de se retirer dans une maison isolée en « province » pour y trouver l’inspiration et la tranquillité. On comprend assez vite qu’il s’est récemment disputé avec sa femme et que cet isolement est aussi une manière de fuir les problèmes que rencontre son couple. Très vite, dans la maison qu’il occupe, il se met à entendre des bruits bizarres provenant du grenier. Cette prémisse déjà pétrie de clichés – Canet fera d’ailleurs fort opportunément dire à l’un de ses personnages que « l’artiste qui s’isole pour trouver l’inspiration, c’est un cliché » – est celle d’un huis clos dans tout ce qu’il a de plus attendu, avec comme base potentielle un thriller, voire celle d’un film d’horreur centré sur un ou deux personnages, d’un jeu du chat et de la souris. À la limite, pourquoi pas, ce serait encore un nouveau genre abordé par le Canet « cinéaste » dans son apparente recherche de diversification.
Mais très vite, le film dévie vers autre chose, quand commence à être convoquée auprès du compositeur toute une série de personnages « fantasmés », venant lui donner la réplique en tant que vues/projections de son esprit, dans un défilé se révélant très vite fatiguant. Comme le compositeur convoque, pour de faux, ses proches, Canet convoque pour de vrai des acteurs et actrices qu’il n’utilise que comme des pantins, des ectoplasmes parlants. Le compositeur leur fait dire ce qu’il veut – comme le feront remarquer plusieurs d’entre eux – et Guillaume Canet place également ses « bons mots » d’auteur dans la bouche de ceux qu’il semble considérer comme ses poupées parlantes. Il fait par exemple dire des atrocités à sa maîtresse (Laeticia Casta) qui s’étonne ensuite d’être aussi vulgaire, ou encore fait coucher sa femme (Virginie Efira) avec son meilleur ami (Matthieu Kassovitz) tout en jouant le mâle blessé. Il convoque également sa mère (Nathalie Baye) pour jouer très brièvement l’une ou l’autre scène d’hystérie, ou bien son père (Patrick Chesnais), pour incarner le vieux beauf caricatural. Dans une scène particulièrement déplaisante, il balance même Laetitia Casta par-dessus bord d’un voilier, son programme fantasmatique permettant bien évidemment à son personnage de faire tout et n’importe quoi, y compris d’infliger des violences à autrui.
Dans cette orgie de scènes « truculentes » et de bons mots en veux-tu en voilà, il y a tout de même un mystère, à savoir les bruits inquiétants provenant du grenier. Quand l’auteur de ces bruits finit par se révéler, il ne peut évidemment s’agir que d’une seule personne : Canet lui-même incarnant ici la part sombre du compositeur, le « connard » tapi en lui comme il le dit si bien, celui qui est responsable de tout son malheur. Ce ne peut pas être le « héros » lui-même qui en est responsable, qui dit des insanités à sa femme, qui trompe allègrement celle-ci, qui « gâche tout » à tout bout de champ, c’est forcément son alter ego maléfique, dont il va falloir au choix accepter l’existence ou s'en débarrasser. Ne sachant pas quelle solution choisir, il finira par faire les deux, dans une dernière partie grand-guignolesque (le film l'est déjà en soi), lors de laquelle il sera une nouvelle fois le centre du monde et de l’attention, et où les femmes n’interviendront par exemple que pour le consoler et/ou lui pardonner, dans l’une ou l’autre de ses « incarnations ». Le gentil Canet sera racheté, mais également le méchant. Le « connard » sera toléré une dernière fois avant de tout de même disparaître à jamais, pour que tout rentre dans l’ordre et que le personnage comme l’acteur redeviennent « sympathiques ».
Qu’un film aussi égocentrique s’appelle Lui est soit un pied de nez de plaisantin (le film paraît pourtant bien sérieux), soit de la pure idiotie (tant ce nanar sidère par sa médiocrité). Pour s’assumer pleinement, le film devrait s’appeler Moi puisqu’il ne tourne qu’autour de son auteur-interprète. D’ailleurs, dans une scène où le personnage fantasme sa propre mort et voit sa femme et ses enfants se recueillir sur sa tombe, le nom qui apparaît sur la pierre tombale est bel et bien « Moi ». Dans ce moment de vérité, Guillaume Canet avoue franchement son projet de fiction autocentrée – un film de « moi », par « moi » et pour « moi », qui parle de « moi » - bien qu’il n’ait pas eu le culot de faire trôner triomphalement ce « moi » sur l’affiche de son film, ce qui aurait été pour le coup d’une totale transparence.