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Florent Dorin est "Le Visiteur du futur"
BIFFF

« Le Visiteur du futur » de François Descraques : La schizophrénie du second degré

Thibaut Grégoire
Version "cinéma" d'une web-série à l'humour décalé dans la veine de Kaamelott, Le Visiteur du futur apparaît comme un produit éminemment schizophrène, peinant à se trouver entre un second degré constant et une véritable ambition de film de SF. C'est paradoxalement dans un emprunt à un autre film de série B, lors de son climax, que le film se pose enfin et parvient à susciter une émotion au premier degré, jusqu'alors inespérée.
Thibaut Grégoire

« Le Visiteur du futur », un film de François Descraques (2022)

Ce n’est pas peu dire que nous n’attendions rien de particulier du Visiteur du futur, ce film de science-fiction français dont nous avions vu la bande-annonce de trop nombreuses fois au gré des séances. Énième tentative de l’industrie du cinéma « grand public » français de faire de la SF, ce film qui, pour nous, sortait de nulle part, semblait vouloir mêler un habillage visuel léché lorgnant du côté de superproductions américaines, ou de films post-apocalyptiques dans l’ère du temps qui pullulent désormais sur les plateformes VOD, à un humour franchouillard tendance Canal+, un peu à la manière de Kaamelott et de sa manie de vouloir faire du spectaculaire avec de l’humour de café-théâtre. Quelle ne fut pas notre surprise – mais pas tant que ça, en fait – de découvrir, lors de la présentation du film au BIFFF (Brussels International Film Festival) que Le Visiteur du futur était en réalité initialement une web-série humoristique, datant du début des années 2010 et ayant accumulé à l’époque une solide « fanbase », à tel point que les créatifs à la tête de cette sympathique farce se virent démarcher par des producteurs de cinéma pour en élargir l’écran – et le public par la même occasion. Près de dix ans plus tard, François Descraques livre donc la version cinéma – après une apparemment très longue gestation – et le résultat nous en est livré aujourd’hui.

Dès la première scène du film, dans laquelle on découvre avec perplexité les désormais célèbres McFly et Carlito faire mumuse avec la « star » de la web-série Florent Dorin, dans une très longue mais finalement assez drôle scène de tergiversation que l’on croirait tout droit sortie de Kaamelott ou d’un sketch des Nuls, on se rend bien compte que la partie « humour » risque de largement l’emporter sur la partie « ambition formelle », même si on n’était pas non plus totalement dupe et que nous n’espérions pas un grand film de SF à la française. Pourtant – et c’est sans doute là que Le Visiteur du futur est finalement plus intéressant que prévu –, l’humour « décalé » hérité donc d’Alexandre Astier, des Nuls, et bien avant ça des Monty Python tout de même, ne cesse de se confronter tout du long du film à une véritable volonté de « faire cinéma », laquelle fonctionne un peu comme un habillage purement graphique de film « post-apo », conférant une forme de crédibilité « de genre » à l’ensemble. Ce qui finit par interpeller et titiller à la vision du film, c’est le véritable état de schizophrénie constante dans lequel il se plonge pour mener de front deux ambitions : celle d’un film constamment « drôle » et celle d’un vrai récit de SF à base de paradoxe temporel. Si Le Visiteur du futur témoigne d’une volonté manifeste de conserver le public initial de la web-série, féru de son humour, tout en ouvrant cet univers à d’autres possibilités que permettrait une production plus conséquente et un grand écran, cette démarche s’inscrit aussi dans un mouvement général de « porosité » entre les styles, les genres et les types de récits.

L'ambition "cinéma" du "Visiteur du futur"
© Pyramide Productions

Dans cet élan schizophrène qui semble gouverner Le Visiteur du futur, on peut aussi noter le greffage à l’univers initial et à la troupe de la web-série d’éléments phagocytants et tenaces issus de l’industrie du cinéma grand public et/ou du star system. C’est ainsi que l’on retrouve au casting du film, et dans l’un des rôles principaux, un acteur apparemment « bankable » du moment, à savoir Arnaud Ducret, comédien « multicarte » étant passé par le stand-up, le téléfilm – parmi ses « faits d’armes », avoir incarné pour le petit écran le meurtrier présumé Xavier Dupont de Ligonnès ou encore le père du chanteur disparu Grégory Lemarchal – et par quelques mastodontes de la comédie française commerciale – Les Profs 1 et 2. On imagine très bien que ce genre d’ajout au casting soit une sorte de caution pour rassurer les investisseurs, un peu comme une valeur sûre à laquelle se raccrocher – et sur laquelle la faute pourra éventuellement être mise en cas de plantage du film.

Mais dans cet étrange produit hybride qu'est Le Visiteur du futur, exemple type des expériences de savant fou auxquelles se livre actuellement l’industrie du cinéma populaire français – on pourrait mettre dedans également le film Kaamelott, le navet patrimonial Notre-Dame brûle ou encore l’Aline de Valérie Lemercier –, subsiste tout de même quelque chose de singulier, d’un univers à part entière, et, contre toute attente, une émotion au premier degré, dans la toute dernière partie du film. Paradoxalement, il s’agit d’un « twist » scénaristique emprunté à une série B du début des années 2000 (L’Effet Papillon d’Eric Bress et J. Mackye Gruber), dans laquelle un personnage voyageant dans le temps décidait de tout bonnement se retirer de l’équation à un moment t très antérieur aux événements sujets au paradoxe temporel. Dans Le Visiteur du futur, un personnage prend la même décision, mais l’emprunt, conscient ou pas, n’est pas vraiment gênant car il produit ici un autre effet, celui d’introduire durant ce qui est véritablement le climax du film, de l’émotion au premier degré, en somme un peu de stabilité dans un film qui se cherche par ailleurs constamment entre second degré et récit de SF vaguement « sérieux ». Un instant, Le Visiteur du futur se pose, semble s’être trouvé, et reste en place dans cet état-là pour raconter quelque chose, faire exister un instant des personnages qui ressemblaient jusqu’alors à des effigies cartoonesques ou à des prétextes constants à vannes en tous genres. Même si c’est au final assez peu, au regard de l’entièreté d’un film par ailleurs inégal, parfois drôle, souvent convenu, ce petit éclair, ce « rayon vert », justifierait presque à lui seul l’existence du film et de ce texte.


Le Visiteur du futur de François Descraques était présenté en avant-première à la quarantième édition du BIFFF (Brussels International Fantastic Film Festival), le 31 août dernier.