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Sarah (Karen Gillan) apprend à se battre pour le "Dual" avec son coach (Aaron Paul)
BIFFF

« Dual » : La comédie dépressive selon Riley Stearns

Thibaut Grégoire
Pour son troisième long métrage, Riley Stearns s'aventure sur les terrains balisés de la science-fiction contemporaine et des histoires de clones, mais parvient à couler dans ce moule attendu un récit ambigu et désespéré, tout en y instillant une réelle originalité et en restant fidèle à son style singulier, entre comédie dépressive et humour abstrait. Si Dual semble parfois basculer du côté de la misanthropie, le film se rattrape toujours de justesse par des pirouettes inattendues et des trouvailles ludiques.
Thibaut Grégoire

« Dual », un film de Riley Stearns (2022)

Avec son troisième long métrage, Dual, le moins que l’on puisse dire est que Riley Stearns ne s’est pas rendu la vie facile tant le sujet qu’il y aborde, l’histoire qu’il y raconte, va chercher dans des modèles et des archétypes connus et rabâchés de la science-fiction, qu’elle soit intimiste ou à grand spectacle. Dans Dual donc, on suit le personnage principal, Sarah (Karen Gillan), une trentenaire vaguement dépressive, qui apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable et qui décide, pour faciliter la vie de ses proches après sa disparition, de se faire « remplacer » par une réplique en tous points identique à elle, un clone parfait créé uniquement dans ce but de substitution. Mais heureusement ou malheureusement, Sarah guérit miraculeusement de son mal, ce qui provoque un conflit d’intérêt entre l’original et la copie, voulant tous deux occuper la même place au sein de la société et surtout dans la famille de Sarah — constituée de son mari Peter et de sa mère légèrement encombrante. Pour trancher entre les deux parties, la justice fixe une date pour un duel à mort, lors duquel l’original ou le double devra faire disparaître son alter ego afin de définitivement mériter sa place dans le monde en tant que Sarah.

Si la prémisse de Dual est indéniablement originale dans ses détours et autres « twists », notamment par l’idée du duel, il n’en est pas moins vrai que le film de Riley Stearns s’inscrit dans une lignée de films sur le clonage qui charrie plus ou moins les mêmes problématiques sur l’identité et sur l’éthique. On pense notamment à quelques blockbusters relativement mauvais de la fin des années 90 ou des années 2000, à savoir The Island, À l’aube du sixième jour, à l’épouvantable comédie de Harold Ramis Mes doubles, ma femme et moi, au larmoyant drame « indie » Never Let Me Go, ou encore même à l’un des « twists » les plus marquants du Prestige de Christopher Nolan. Mais si on ne peut vraiment se défaire de tout ce qui a pu être montré par la pop culture au sujet des clones et de la duplication, il n’en demeure pas moins que Dual fait, au moins dans le ton de son écriture, une proposition singulière, en cela qu’elle se rattache beaucoup plus à « l'univers », au style de Riley Stearns, déjà observable dans ses deux précédents longs métrages (Faults et L’Art de l’auto-défense), à savoir un genre à part entière dont il serait le créateur, une sorte de comédie dépressive à l’humour très discret, voire abscons par moments, qui se traduit visuellement par une image assez terme, délavée, et dans laquelle s’immiscent des récits teintés de genre et de surréalisme.

Dans Dual, au-delà de son idée de départ – celle du duel, donc – et du rendu visuel et général du mal-être constant du personnage principal et de son double, c’est également le dénouement final du film qui instille une perversité certaine à l’ensemble de celui-ci. En faisant croire à la Sarah originale qu’elle veut s’enfuir avec elle pour vivre en dehors de cette société qui les oppresse l’une et l’autre, le double l’empoisonne et se présente ensuite au duel en se faisant passer pour la Sarah originale. Avec l’aide de Peter et de la mère de Sarah, le double prend ensuite véritablement la place de l’original. L'opération est validée par la justice et la société dans son ensemble. Mais la dernière scène du film montre le clone en train de fondre en larmes dans sa voiture, alors que la jeune femme vient de prendre un rond-point à contre-sens. Comme elle le confiait plus tôt dans un dialogue entre les deux Sarah, le double a été contaminé par le « blues » de l’original, broyé par une situation sociale et familiale qu’elle ne peut pas ou plus supporter.

On reconnaît une certaine forme d’ironie dans la bonne vieille figure du « cercle vicieux » qu’utilise Riley Stearns pour clôturer de manière adéquate sa comédie humaine grinçante. On peut y voir de la misanthropie, bien entendu, mais le film est assez joueur pour contourner ce travers plus souvent qu’à son tour, et ainsi déjouer les attentes. Par exemple, lorsque Sarah se paie les services d’un coach (Aaron Paul) pour se préparer au combat mortel qui l’attend au duel, et qu’elle se voit dans l’incapacité de le payer au bout de quelques leçons, celui-ci sous-entend qu’elle pourrait le payer en service rendu. On imagine dès lors la plus scabreuse des hypothèses concernant ce fameux service que Sarah pourrait lui rendre, mais dans une scène véritablement drôle – pour le coup –, les « attentes » les plus malsaines se voient retournées comme une crêpe lorsqu'on se rend compte que ce sont des cours de hip-hop que le coach attendait en retour de ses cours de close combat. De la même manière, la scène d’introduction du film apparaît a posteriori comme une sorte de pied de nez ludique adressé au spectateur. On y voit l’acteur Theo James – popularisé en tant que « Quatre » dans la saga SF adolescente des années 2010, Divergente – incarner un double luttant à mort pour obtenir la place de son original, dans ce qui sera la seule véritable scène d’action du film.

Cette manière de subvertir les clichés du genre et de ce que pourrait bien attendre un public « actuel » d’un film de science-fiction sur le clonage, tout comme les clichés du cinéma socio-misanthrope contemporain, fait le sel et la particularité de Dual et du cinéma de Riley Stearns. On serait bien à mal de le ranger dans une catégorie, dans une « case », tant il ne cesse de jouer avec les règles de ces cases et à déjouer les attentes comme les pièges qui semblent maintenant inévitables dans l’une ou l’autre de ces catégories. En cela, on peut très assurément parler de cinéma d’auteur concernant celui de Riley Stearns.


Dual de Riley Stearns était présenté le 5 septembre 2022 dans le cadre de la quarantième édition du BIFFF (Brussels International Fantastic Film Festival).