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Deux élèves au travail dans De Chaque Instant Nicolas Philibert
Critique

« De chaque instant » de Nicolas Philibert : Le pouvoir de la Répétition théâtrale

Thibaut Grégoire
Avec « De chaque instant », Nicolas Philibert compare la formation des infirmiers à une pratique du théâtre divisée en trois temps : la répétition, la représentation et le débriefing. Avec quel message politique et sociétal ?
Thibaut Grégoire

« De chaque instant », un film de Nicolas Philibert (2018)

Dans son dernier film documentaire, De chaque instant, Nicolas Philibert s’intéresse à la formation et aux premiers contacts de jeunes étudiants infirmiers avec la réalité du terrain et du travail en institutions médicales. Ainsi, De chaque instant se divise en trois parties constituant un programme implacable donnant, dans le cadre d’un format « long métrage de cinéma », l’impression de voir défiler devant nos yeux une année d’étude. Le film est donc très logiquement, presque mathématiquement pourrait-on dire, distribué sur trois temps : l’enseignement, la mise en pratique et le retour sur cette mise en pratique. Mais Nicolas Philibert explore une autre distinction entre ses trois parties, par ce qu’il montre et par la manière dont il semble décrire le processus suivi par les étudiants infirmiers. Cette division alternative serait la suivante, et opérerait par une analogie avec la pratique du théâtre : la répétition, la représentation et le débriefing.

Lors de la première partie du film, qui est donc consacrée à l’enseignement, une grande place est déjà accordée à l’idée qu’il va y avoir « représentation ». Les étudiants, tels des acteurs jugés sur la crédibilité de leur performance, seront mis à l’épreuve quant à leur capacité à « se comporter » et à faire bonne figure une fois plongés en situation. Ils auront à faire valoir l’enseignement qui leur aura été dispensé ainsi que leur aptitude à le mettre en pratique. Ainsi, Philibert montre la répétition des gestes, il donne à voir comment les enseignants qui ont intégré ces gestes élémentaires à la profession – faire une piqûre, une prise de sang, prendre le pouls – les transmettent aux postulants infirmiers, pour lesquels ces gestes n’ont encore rien d’évident.

Les élèves dans De Chaque Instant Nicolas Philibert
Les profs et les élèves : l'enseignement, un métier et un théâtre de la Représentation.

De nombreux plans larges sont utilisés par Philibert. Il s'attarde plus sur la transmission de ces gestes entre le corps enseignant et les étudiants à échelle humaine (en filmant la parole ou les comportements des différents intervenants) que sur l'importance de la répétition, cette nécessité d’acquérir des automatismes et une dextérité certaine dans l’exercice de ces gestes, par une mise en scène plus formaliste ou par le montage. Concernant la répétition, on se prend alors à rêver à des plans qui n’existent pas, des plans resserrés sur les mains des enseignants et des apprentis infirmiers, répétant à l’excès les mêmes gestes jusqu’à ce qu’ils commencent à être assimilés. Pour autant, cette idée de répétition et d’assimilation est bel et bien présente. Elle revêt effectivement une dimension théâtrale. En regard de la seconde partie du film – la mise en situation professionnelle des aspirants infirmiers – qui apparaît comme le moment de la représentation, l’enseignement et l’apprentissage des gestes font figure de répétition d’une scène.

Cette idée est d’ailleurs déjà assumée et préfigurée dès le premier chapitre de De chaque instant, dans la partie « enseignement », lorsque les étudiants sont mis en situation, à plusieurs reprises, par leurs professeurs. Une scène montre les étudiants se trouvant devant un cas médical à résoudre, une sorte de jeu de rôle qui se révèle assez vite insoluble, tandis qu’une autre leur fait carrément jouer une situation de crise dans un hôpital à la manière de l’improvisation théâtrale. Ces deux séquences montrent les étudiants comme des acteurs et exposent cette première partie comme une véritable phase de répétition, au sens théâtral du terme. Dans le même ordre d’idée, la dernière partie du film prend en charge le retour sur la « représentation ». Il s’agit du moment où les étudiants se retrouvent devant un référent scolaire pour revenir sur leur stage en immersion, montré lors de la seconde partie. Ce débriefing est l’occasion d’un moment de relâchement, lors duquel la pression retombe, de manière parfois spectaculaire, par l’entremise de crises de larmes ou de déballages affectifs. Comme après un effort intense, certains étudiants relâchent tout leur stress et la pression emmagasinée, sous le regard et avec l’accompagnement bienveillant des professeurs. C’est aussi l’occasion de revenir sur les points forts et les points faibles de cette expérience, comme après une répétition générale, pour corriger les erreurs.

Dans ses trois parties, De chaque instant met l’accent sur cette notion de correction. Ce qui est fait peut ainsi être constamment amélioré. C’est probablement quelque chose qui est intrinsèque à la méthode pédagogique employée par les enseignants, mais cette recherche constante de la perfectibilité ne va pas sans celles de la maîtrise des gestes et de la maîtrise de soi, qui sont constamment liées à une autre idée, toute aussi importante : celle de paraître et d’avoir l’air de contrôler les événements. Qu’un film documentaire, ayant pour but de restituer une partie du réel avec le plus d’honnêteté possible, s’attache autant aux notions de répétition et de représentation est extrêmement parlant. Cela dit aussi quelque chose d’une société et d’une époque données, dans lesquelles la maîtrise des situations, l’obsession du contrôle et des protocoles, jusque dans la fictionalisation de la réalité la plus rude et la plus quotidienne, a pris le dessus sur l’épreuve du réel et l’expérience.

Fiche Technique

Réalisation
Nicolas Philibert

Scénario
Nicolas Philibert

Durée
1h35

Genre
Documentaire

Date de sortie
2018