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La mère d'Éric Caravaca dans Carré 35
Critique

Tout révéler : « Carré 35 » d'Eric Caravaca

Thibaut Grégoire
Hanté depuis toujours par la mort d’une sœur qu’il n’a pas connue et dont on lui a longtemps caché l’existence et les circonstances de la mort, Eric Caravaca essaye de révéler le secret de famille qui a marqué sa propre histoire. Quelle pourrait être la place du spectateur dans cette enquête familiale ?
Thibaut Grégoire

Carré 35, un film de Éric Caravaca (2018)

Hanté depuis toujours par la mort d’une sœur qu’il n’a pas connue et dont on lui a longtemps caché l’existence et les circonstances de la mort, Eric Caravaca essaye de révéler, couche par couche, mais de manière définitive, ce secret de famille qui a marqué sa propre histoire, sans en connaître les tenants et les aboutissants. Dans Carré 35, il décide donc, entre autres choses, de « confronter » ses parents en les mettant face à une caméra et en leur posant des questions sur cet enfant qu’ils ont perdu en bas âge. À cela se mêle une enquête sur les lieux importants de cette histoire qu’il cherche à révéler, notamment la tombe de sa sœur, dans le « carré 35 » du Cimetière français de Casablanca.

La démarche de Caravaca est assez unilatérale et elle apparaît clairement à la fin de la vision du film : c’est celle de ne plus rien cacher, de tout rendre visible, à n’importe quel prix. Pour cet homme marqué par le secret et une forme de mystification organisée par ses parents envers lui et sa fratrie, il devient primordial d’effacer toute sorte de non-dit et de dissimulation. Cela passe donc par l’exposition progressive de cette intimité familiale qui lui est peut-être difficile de révéler, mais qui est encore plus difficile à appréhender par le spectateur, lequel se voit être mis dans une position inconfortable, témoin extérieur et non-participatif de quelque chose qui ne le concerne a priori pas.

Peu importe la sincérité qui la porte, une telle démarche soulève toujours des questions et des problématiques liées à l’éthique et au cinéma, à propos de ce qu’il faut montrer ou non. Caravaca fait le choix univoque de tout montrer, mais ne le fait pas sans se poser de questions sur le statut des images. Il s’interroge par exemple sur sa pulsion de filmer le corps de son père, quelques instants après sa mort, mais décide finalement de montrer ces images tout en posant la question du tabou. L’image est choquante mais n’est pas totalement gratuite, justement parce que cette question est posée.

Par contre, lorsqu’il décide de montrer des images d’enfants handicapés filmés par les nazis, et dont il dit lui-même qu’elles « font froid dans le dos », son dispositif atteint ses limites, et le projet de « tout révéler » apparaît comme impossible ou indécent. Cette indécence apparaît en réalité également dans les « confrontations » qu’il organise avec ses parents, et cela, dès les premières minutes du film. La manière douce et sans violence apparente de Caravaca de « bousculer » ses parents cache en fait une vraie violence intrinsèque au dispositif. Le fait même de placer une caméra devant une personne et de lui demander de se livrer est un acte d’agression.

Bien sûr, le film n’est pas « obscène » et le taxer d’obscénité serait maladroit, puisqu’il pose en son sein des questions liées à cette obscénité, au tabou, à la violence de la confrontation et de la révélation, mais il n’en est pas moins problématique car il peut aussi être vu au premier degré, comme un drame familial « émouvant », et cette réception-là du film se ferait au détriment des questions qu’il pose lui-même sur le statut des images et sur la démarche de monstration totale.

Fiche Technique

Réalisation
Éric Caravaca

Durée
1h07

Genre
Documentaire

Date de sortie
Novembre 2017