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Yû Aoi dans Les Amants Sacrifiés
Rayon vert

« Les Amants sacrifiés » de Kiyoshi Kurosawa : Le virus du soupçon

21 février 2022
Les Amants sacrifiés raconte l'histoire d'une illusion amoureuse ayant pour fond les terrifiants secrets militaires du Japon prêt à se jeter dans la Seconde Guerre mondiale. Une histoire de contamination, de virus et de trahison, donc. Une histoire transversale de la peste, aussi, quand elle relie la guerre bactériologique au soupçon nourri envers l'aimé qui a commencé à ne plus ressembler à celui qu'il a été. Une histoire de cinéma, encore, qui raconte comment la reconstitution historique tient du combo entre fantastique et épouvante quand il a pour foyer l'humanité destructible. Une histoire culturelle, enfin, celle du virus se prolongeant en une infection idéologique quand l'individualisme a pour virulence germinative des amours cyniques, des passions toxiques et des désirs apocalyptiques.
Ghostface se met en scène dans Scream
Esthétique

« Scream » : Mises à mort et mise en scène

18 février 2022
Saga d’horreur « méta » par excellence, celle qui a pratiquement créé le sous-genre, Scream contient en elle-même, et dans chacun de ses épisodes, son propre commentaire. Mais quand les films, par l’intermédiaire de leurs tueurs successifs et de la figure de « Ghostface » semblent disserter à l’envie sur le film de fantômes, la tragédie familiale et, surtout, sur le concept de « mise en scène », ils deviennent des objets d’étude passionnants, malléables et peut-être inépuisables, à côté desquels il serait idiot de passer sans s’y attarder. D’autant plus que chaque nouvel opus, depuis la fin de la trilogie initiale, semble venir apporter un « update » des précédents, afin de mettre à jour la réflexion, un peu comme les rééditions successives d’un ouvrage de référence sur le genre. Dans Scream 5, le dernier en date, le commentaire porte sur la « nouvelle horreur » et les « film fans », et la mise en abyme de la mise en scène ouvre encore sur de nouvelles perspectives d’analyse et d’interprétation, parfois vertigineuses.
L'affiche des Magritte du Cinéma
Chronique

Les Magritte du Cinéma 2022 : Faux raccords

13 février 2022
Crise sanitaire oblige, la onzième cérémonie des Magritte du Cinéma avait pour nouveauté un dispositif alternant une scène avec ses gradins et ses coulisses. Au programme : des faux raccords hilarants, un timing bien trop strict, des textes qui tombent à plat et des séquences tire-larmes dignes d'un télé-crochet. Mais que pouvions-nous attendre d'autre de la télévision dans un pareil contexte, même adapté ?
Stéphane Vilner (Pio Marmaï) dans Enquête sur un scandale d'État
Rayon vert

« Enquête sur un scandale d'État » de Thierry de Peretti : L'indic à distance

12 février 2022
Enquête sur un scandale d'État est le meilleur film français depuis des lustres. Un grand film sur l'État de droit comme rapport social qui, à la fois, se voit (dans des gestus et des habitus, des manières d'être et des mises en scène) et ne se voit pas (c'est le hors-champ, celui du pouvoir qui trace les limites de notre morale civique en bornant notre volonté de savoir). Un grand film parlant, aussi, quand la parole de vérité a pour risque le mensonge et pour noyau le secret, en permettant de distinguer la duplicité des uns (c'est leur machiavélisme, celui d'intérêts savamment cachés) de l'opacité des autres (c'est leur énigme existentielle, celui d'un désir inaccessible). Un grand film sur le semblant, enfin. Autrement dit, un grand film de cinéma sur le cinéma, ses scènes et ses acteurs, qui est après tout un dossier comme un autre.
Jan Bucquoy (Wim Willaert) et sa fille (Alice Dutoit) dans La Dernière tentation des Belges
Esthétique

« La Dernière tentation des Belges » : Film-résurrection de Jan Bucquoy

10 février 2022
Auteur depuis plus de trente ans de films « anarchistes » et « anarchiques », dans lesquels se côtoient des références à gogo (Debord, Godard, …), goût de la provocation et zones floues entre réalité et fiction, Jan Bucquoy ressuscite son cinéma après plus de douze ans d’absence, et ressuscite également par la fiction sa fille Marie, avec laquelle son double fictionnel tient un dialogue dans La Dernière tentation des Belges. Il prolonge ainsi un geste qu’il avait esquissé dans un autre film il y a déjà vingt-deux ans. Livrant ici son film le moins « provoc » et le plus sentimental, Jan Bucquoy accompli son rêve de fondre en un bloc sa vie et son art.
Young-ho (Shin Seokho) ressort de la baignade à la fin d'Introduction
Rayon vert

« Introduction » de Hong Sang-soo : Des vertus curatives du rêve éthylique

7 février 2022
Divisé en trois parties, en trois moments, en trois endroits et en trois étreintes, Introduction réserve une épiphanie de taille pour son personnage principal à la fin de sa troisième partie. Comme dans In Front of Your Face, le film avec lequel il forme une sorte de diptyque « rêvé », Introduction donne une importance particulière à la scène alcoolisée archétypale du cinéma de Hong Sang-soo, et lie celle-ci à la figure du rêve – autre récurrence du cinéaste – tout en conférant à l’une comme à l’autre des vertus curatives.
Sangok (Hye-Young Lee) avec sa sœur dans In Front of Your Face
Rayon vert

« Juste sous vos yeux » de Hong Sang-soo : Alcool, élixir de vérité rêvée

7 février 2022
Formant une sorte de diptyque avec Introduction, Juste sous vos yeux met en évidence le rôle de l’alcool comme déclencheur narratif et comme révélateur de secrets dans le cinéma de Hong Sang-soo. Il établit également un lien entre la figure de l’alcool et celle du rêve, l’un étant ici la condition de l’autre, idée que développe et pousse encore plus loin Introduction. Donnant l’impression d’une boucle temporelle faisant du surplace, Juste sous vos yeux révèle en réalité beaucoup de secrets, tout en en gardant quelques autres bien cachés.
Colin Farrell et Jamie Foxx dans la nuit argentée de Miami Vice
Esthétique

« Michael Mann : Mirages du contemporain » de Jean-Baptiste Thoret : Leurre de la critique

2 février 2022
Le dernier livre en date de Jean-Baptiste Thoret, Mirages du contemporain, sur le cinéaste Michael Mann, a été reçu par la critique à hauteur de l’attente qu’il avait sans doute suscité, salué unanimement comme un grand livre. Une réception critique, et sous réserve d’inventaire, sous forme d’unanimité des vivats qui a donné le sentiment d’un discours qui ne se résolvait pas à d’autre horloge que celle de Jean-Baptiste Thoret. Rien de plus normal à propos d’un cinéaste qui se serait toujours efforcé d’être à l’heure ? Une réception critique qui parlerait plutôt dans « la » bouche de Jean-Baptiste Thoret, son haleine y faisant l’aller/retour sans rien déranger dans l’air environnant. En effet, jamais l’ouvrage n’a, semble-t-il, fait l’objet d’une discussion au sens latin du terme, discutare, secouer, sauf à l’acclamer, ce qui pose deux problèmes : l’un d’ordre général, celui de l’exercice critique transmué en simple journalisme culturel, cette paresse du journalisme, l’autre, plus particulier, sur la lecture faite par Jean-Baptiste Thoret de l’œuvre du cinéaste à partir de certaines thèses philosophico-politico-économiques classiques, du « capitalisme tardif » d’Ernest Mandel à celle d'Henry David Thoreau et son concept de désobéissance civile, ce qu’il s’agira précisément de reconsidérer en proposant une lecture alternative de certains films du réalisateur, soit à partir des mêmes thèmes que ceux de Jean-Baptiste Thoret, soit à partir de thèmes différents.
Bradley Cooper vend de l'illusion dans Nightmare Alley
Rayon vert

« Nightmare Alley » de Guillermo del Toro : La Malédiction du marchand d’illusions

27 janvier 2022
S’il sera peut-être jugé trop long, imparfait ou mal équilibré par certains, Nightmare Alley est probablement le film le plus personnel de Guillermo del Toro. Le cinéaste y sort littéralement de sa zone de confort, de sa « foire aux monstres », pour finalement mettre en scène ce qui semble être une véritable hantise lui étant propre, un cauchemar éveillé sur sa condition d’artiste et sa crainte d’être dépassé ou englouti par ses propres créations. Dans ce film bicéphale, schizophrène, Guillermo del Toro va jusqu’à refuser d’embrasser visuellement son objet principal, à savoir l’illusion, par peur sans doute de se perdre dans celle-ci, de s’illusionner soi-même ou d’illusionner son spectateur.
Benedict Cumberbatch sur la plaine dans The Power of the Dog
Critique

« The Power of the Dog » de Jane Campion : Que la bête meure et l'homme aussi

21 janvier 2022
1925, le western a atteint son crépuscule, son âge d'or derrière lui. Pourtant ses acteurs rêvent encore de jouer les prolongations même si celles-ci continuent d'exercer leurs mirages à l'encontre de leur désir le plus profond. Une affaire de rayonnement fossile, d'hystérésis. The Power of the Dog est l'histoire d'une révérence, celle qu'il faut tirer à l'adresse du souverain qui intimement sait qu'il est le roi pêcheur d'un royaume de terres vaines. La révérence s'en double cependant d'une autre faite à une conception du cinéma confinée, les simplismes de la thèse moulés dans une manière des plus rigidifiées. Tanner le cuir des clichés, qu'ils soient d'aujourd'hui ou du siècle dernier, est une opération risquée jusqu'au cynisme valorisant l'élimination des retardataires d'un patriarcat en sursis.
Adam Sandler montre un bijou dans Uncut Gems
Critique

« Uncut Gems » de Benny et Joshua Safdie : Le déclin du rêve américain

17 janvier 2022
Après Mad Love in New York (2016) et Good Time (2017), avec lequel, pour ce dernier, les frères Safdie ont obtenu une reconnaissance internationale, le binôme est revenu à la réalisation avec Uncut Gems en 2020. Film attendu, dès lors, le plus abouti, sans doute, avec une star de la comédie, Adam Sandler, les frères Safdie y reprennent pour décor macroscopique New-York la déglinguée comme personnage de premier plan imprimant son rythme aux personnages comme sa loi, New York la déglinguée, avec comme décor microscopique une bijouterie au sein de laquelle les destins se font et se défont sur fond de paris et prêts sur gages afin que son propriétaire (Adam Sandler) reste à flot comme en vie. Jeux de (mal-)chance comme de hasard auxquels s’adonne le propriétaire des lieux, dont l’existence ressemble au barillet plein d’une roulette russe, pistolet en main tenu par Adam Sandler sur la tête du rêve américain.
Alana Haim et Cooper Hoffman dans leur voiture dans Licorice Pizza
Rayon vert

« Licorice Pizza » de Paul Thomas Anderson : Toute affaire cessante, l’amour à contre-courant

14 janvier 2022
Paul Thomas Anderson est un cinéaste de la séduction pour autant qu’il peut en compliquer les manifestations. La séduction et ses complications sont sa grande obsession en l’autorisant à la subtilité consistant à subtiliser ses effets de séduction les mieux maîtrisés au profit d’expressions plus subtiles, vices inhérents et fils cachés des secrets. Licorice Pizza a le génie de mobiliser tous les moyens disponibles pour donner la sensation d’avoir ressuscité l’esprit d’une époque – les seventies – mais à rebrousse-poil de toute nostalgie. Le luxe est une dépense pour rien sinon pour la beauté du geste, la célébration de tous les présents, 1973 et 2021 qui regarde dans le rétroviseur de la jeunesse d’hier en reconnaissant le temps du début de la fin. La séduction est un luxe invitant au secret comme au défi. Ce mystère est la passion des personnages de Paul Thomas Anderson qui s’y adonnent malgré un monde préférant la séduction dans sa version marchande. La débandade d’une société qui a confondu la poursuite du bonheur avec la jouissance individuelle a déjà commencé. L’amour est là pourtant qui promet moins l’enflure des organes qu’un soulèvement de l’être tout entier. La vie quotidienne est la série des affaires courantes ; à contre-courant, toute affaire cessante, l’amour fait courir, diagonales et zébrures, syncopes et lignes brisées – des flèches toujours tirées par Cupidon.
Samba (Stéphane Bak) et Lara (Alice Da Luz Gomes) dans les rues de Bamako dans Twist à Bamako
Critique

« Twist à Bamako » de Robert Guédiguian : Mali qui lui en a pris

11 janvier 2022
Il y a un drame à renvoyer dos à dos socialisme d'hier et islamisme d'aujourd'hui au nom des vieux airs nourrissant la nostalgie, autre colonialisme mais celui-là est culturel, cela ne compterait pas. Robert Guédiguian est pour sa part confiant qu'avec Marx liquidé resterait cependant l'essentiel, l'Amérique des consommations de notre jeunesse, twist again. Voilà ce que raconte Twist à Bamako qui se conclut par un autre twist, celui d'un réalisateur obstiné à faire au cinéma la nique à ses propres idéaux. Le twist tue quand il tient du désaveu, celui d'un matérialisme de pure façade ajointé à un didactisme sans politique. Robert Guédiguian rejoint ainsi Ken Loach et Nanni Moretti dans la triste série des réalisateurs dont les amertumes et déplorations font durer plus que de raison l'agonie de la social-démocratie.
Chérif et Héléna chantent au karaoké du camping dans dans À l'abordage
Rayon vert

Épiphanies 2021 : Tentative de ne pas faire un Top Cinéma Annuel

6 janvier 2022
Les épiphanies sont pour nous autant d'occasions de ne pas faire de top cinéma 2021 : ni hiérarchie, ni jugement de goût, rien que le passage d'affects quelque part entre les écrans de cinéma et les pensées et les corps des spectateurs.
William Tell (Oscar Isaac) joue au poker dans The Card Counter
Rayon vert

« The Card Counter » de Paul Schrader : La main, la donne

5 janvier 2022
Pour Paul Schrader un seul scénario lui tient à cœur, celui du héros fautif dont l’affliction a pour remède le pardon qui pavera sa rédemption. L’obsessionnel est un avatar de Sisyphe dont le mythe a inspiré Albert Camus qui demandait de l’imaginer heureux. Si la faute est la condition de la damnation, elle l’est aussi pour sa libération qui est un bonheur. Les plus beaux films de Paul Schrader sont ceux qui construisent à destination des fautifs et autres damnés de la vie la possibilité du bonheur. Avec The Card Counter, Paul Schrader est sensible à ce qui se joue dans les mains et se tient au bout des doigts. La main a vieilli mais elle s’ouvre désormais à une nouvelle donne, un jeu qui aère des récits souvent comprimés dans les apories du puritanisme et ses transgressions inavouées. La dextérité de l’expert en poker peut alors accueillir la grâce d’un doigté, le toucher qui a besoin d’une vitre, cette membrane fine qui conserve la distance en faisant image, pour rapprocher les mains et les retenir de faire du mal.
Rayon vert

« J'étais à la maison, mais... » d'Angela Schanelec : Vertiges de la feintise

2 janvier 2022
Avec J'étais à la maison, mais..., Angela Schanelec signe un film choral éclaté dans lequel elle prolonge ce qu’elle avait impulsé dans son précédent long-métrage : le récit creuse une ligne somnambule dans laquelle il se perd, la caméra s’attardant sur ces moments de décrochage(s), difficilement nommables, qui viennent trouer le quotidien, la vie citadine, et qui les rendent étrangers à eux-mêmes.
Sylvester Stallone et Dolph Lundgren face à face dans Rocky vs. Drago
Esthétique

« Rocky IV : Rocky vs Drago » de Sylvester Stallone : Revoir l’Amérique

31 décembre 2021
Pour les 35 ans de Rocky IV (1985), Sylvester Stallone, acteur-réalisateur, avait décidé du remontage du film, avec l’idée sous-jacente selon laquelle chacun de ces films devrait être le reflet de sa carrière : Over The Top, au sommet, en 1985, Rocky IV montrait un acteur dans toute son outrance, au faîte de sa gloire, quand Rocky vs Drago, la version remontée (2021), ferait entrer le poids lourd en période de vache maigre, pleine récession/totale dépression, un taux de change hormonal à la baisse, un Rocky frugal version décompression. Question : Rocky IV remonté serait-il un Rocky IV démonté ? Notamment, cette version remaniée, plus intimiste, moins polarisante, ne transmuerait-elle pas Rocky en figure moins populaire, lavant son sel de son gros, Rocky qui avait pourtant été érigé en héros de la classe ouvrière (David Da Silva), l’occasion de repenser dans le même temps le rapport de la figure de Rocky à l’Amérique comme au politique ?
Tony (Ansel Elgort) et Maria (Rachel Zegler) se rencontrent au bal dans West Side Story
Critique

« West Side Story » de Steven Spielberg : Consensuel, colossal

27 décembre 2021
West Side Story : l'entreprise interroge mais on ne s'étonne pas longtemps que Steven Spielberg en ait initié le remake, lui qui incarne la jonction entre la fin de l'âge classique hollywoodien et le devenir-disneyien de l'industrie du divertissement. L'opération de cinéphilie est alourdie par les manières publicitaires de son artificier qui croit bon d'en rajouter, toujours plus, toujours trop, sur l'appariement parfois ballot des nouvelles conventions sociétales. Si la version de 2021 gagne en lucidité sur un processus de gentrification relégué dans le hors-champ de la version de 1961, les ruines urbaines abritent les mêmes schémas spielbergiens, adolescents refusant de grandir dans un monde post-apocalyptique, qui disent la vérité d'une culture saturée quand elle n'a pas d'autre objet qu'elle-même.
Le couple sur sa terrasse dans 143 rue du désert
Rayon vert

« 143 rue du désert » d’Hassen Ferhani : La tôlière du désert

20 décembre 2021
143 rue du désert est le dernier film d’Hassen Ferhani. Un film au titre prodigieux : 143 rue du désert... Un titre non pas tant oxymorique qu’oxymétrique, ouvert sur l’immensité de sa question, qui serait celle d’un enfant : 143 est-il un nombre possible dans le désert, quand bien même les Arabes auraient inventé ce qui en fait les chiffres ? Existe-t-il simplement des rues dans le désert ? Et, si tel est le cas, où mènent-elles ? Au 143 ? Mais où se trouve le 142, dès lors, où rencontrer le 144 ? Du côté gauche, du côté droit de la rue ? Nulle part. Car sur cette rue, n’existe qu’un seul numéro. Le 143. Il faut alors s’y arrêter. Nul ne peut faire autrement que d’y être amené, comme passent chez Malika, dans le désert, tous ceux qui empruntent cette route à l’allure infinie, qui ne cesse pas simplement d’interroger l’Algérie mais un pays dont les dimensions repoussent les questions de chacun aux confins.
Bill Murray, Dan Aykroyd, Harold Ramis et Ernie Hudson luttent contre Gozer dans SOS Fantomes
Critique

« SOS Fantômes » : Hantologie fascistoïde

15 décembre 2021
Existerait-il des germes fascistoïdes à la base de la saga SOS Fantômes ? Derrière la comédie et le fun, analyse d'une logistique de la mort et de la neutralisation de l'autre quand celle-ci n'a pas pour but de sauver le monde.
Gilles Lellouche en pleine intervention en banlieue dans BAC Nord
Critique

« BAC Nord » de Cédric Jimenez : L’excrémenteur

10 décembre 2021
BAC Nord a-t-il un point de vue sur « la banlieue », celle des quartiers nord de Marseille ? De droite, répond une partie des commentateurs dans un geste qui se voudrait critico-salvateur. Plutôt, s’il fait à droite, et pas à côté, c’est pour lâcher sa grosse commission, comme le chien d’Antoine, dans le film, ferait sur le trottoir d’un Sud que Nino Ferrer ne reconnaîtrait même plus. BAC Nord laisse ainsi sa marchandise, des récréments-pas-que-canins versus la drogue verte olive des trafiquants. Il faudrait donc en remonter jusqu’au côlon du film pour s’apercevoir que ce qu’il cancérise de son propos n’est pas simplement « la banlieue » mais d’abord et avant tout son propre discours, comme la police crapuleuse qu’il souhaitait pourtant réhabiliter ardemment. Ou comment à vouloir rehausser ses principes comme lui refaire une beauté, faire du visage de la police un agrément, Cédric Jimenez se confond en excréments.
Des migrants regardent leur maison bruler dans la jungle de Calais dans L’Héroïque lande, la frontière brûle
Esthétique

« L’Héroïque lande, la frontière brûle » d’Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz : Le nouveau monde est une jungle

4 décembre 2021
Surgie des cendres du Centre de Sangatte en 2002, la jungle est d’abord un monstre d’État produit d’une série de dispositions juridiques adoptées entre la France et le Royaume-Uni. C’est aussi un mot de passe adopté par tous les migrants exilés, les demandeurs d’asile et les réfugiés ayant élu un mot à la fois pashto et persan (jangal) pour apparenter ce lieu de vie à une forêt recoupant en effet les bois situés à proximité du port de Calais. La jungle est le nom commun d’une impropriété générique, le dehors qui tient autant de la zone de non-droit que fabrique le droit que de l’interzone où l’humanité rejoue à chaque seconde ses origines en bricolant de nouveaux usages du monde. L’Héroïque lande raconte l’épopée de personne, pop épopée scandée de ses cantiques transatlantiques et n’importe qui pourra s’y reconnaître en y reconnaissant le chant impersonnel de l’en-commun dont la vérité dit ceci : qui est ici est d’ici.
La jungle de Calais dans Fugitif où cours-tu ?
Rayon vert

« Fugitif où cours-tu ? » d’Élisabeth Perceval et Nicolas Klotz : Fugue de vie

4 décembre 2021
Le temps a passé depuis les évacuations de mars et octobre 2016 mais l’événement insiste dans une persistance rétinienne qui se prolonge en diplopie. Voir double, dans le poème épique du contemporain en train de se faire et se défaire avec L’Héroïque lande et dans l’élégie mélancolique de l’après-coup qu’est Fugitif où cours-tu ?, c’est marquer l’écart en remarquant sa signature parallactique. On vérifiera qu’avec la parallaxe la différence relève moins d’une relation entre les choses que des choses mêmes, jamais identiques à elles-mêmes. La jungle est le signifiant même de cette division politique, le nom qui dit en même temps la brutalisation étatique des conditions d’existence imposées aux plus faibles et la forêt sauvage où les survivants marronnent en bricolant les formes-de-vie qui réinventent la vraie vie.
Tilda Swinton dans Memoria
Critique

« Memoria » d’Apichatpong Weerasethakul : Un bruit qui rend fou

30 novembre 2021
Memoria est le film du bruit qui rend fou parce qu'il est celui d'un cri étouffé, le cri réprimé de l'exilé dont la tête explose, le trou dans la tête par où manque le pays natal qui fuit partout. Memoria c'est malheureusement aussi le trou mais sans la trouée, le bang qui ouvre en fracassant avant de s'évanouir dans les murmures de tropes et réflexes ressassés, la dérive téléguidée qui n'excède aucune des conventions d'un cinéaste replié sur ses idiosyncrasies. Memoria raconte l'histoire d'un échec mais celui-ci s'assume comme tel, l'échec d'une incapacité à s'inscrire dans un territoire particulier et d'une préférence finale pour les étoiles.
Une scène de fête dans A propos de Nice
Esthétique

L'atlante Jean Vigo

29 novembre 2021
Quatre films, deux courts, un moyen, un long-métrage : un archipel. Partout l'eau y ruisselle, piscine, fleuve et mers. Partout le mouvement abonde, dans les corps et entre eux, dans les images et dans leurs intervalles, partout des machines en surrégime, tout un dévergondage pour une écume poétique dont la mousse déborde en abordant les rivages du sonore. Pourtant l'archipel a pris l'eau en s'apparentant longtemps à l'Atlantide, de la censure de Zéro de conduite jusqu'à l'après-guerre à la mutilation de L'Atalante dont l'intégrité n'a été retrouvée qu'après plusieurs décennies. En cinq ans, l'œuvre météorique de Jean Vigo mort à 29 ans récapitule l'immense génie du cinéma muet avec l'enfance balbutiante du cinéma parlant.
Min Oo allongé le long de la rivière dans Blissfully Yours
Esthétique

« Blissfully Yours » d'Apichatpong Weerasethakul : Le choc des civilisations n’aura pas lieu

28 novembre 2021
Le transfontiérisme est-il la solution trouvée au clash civilisationnel théorisée un temps par Samuel Huntington ? Une terre liftée, toutes cicatrices effacées, d’où le Mal aurait miraculeusement disparu ? Bien au contraire, dans Blissfully Yours, la permanence du vivant n’est possible que sous réserve de l’existence de frontières, qui inaugure un geste politique fort : ce n’est pas l’abolition des frontières qui permettrait de tenir cette promesse, mais au contraire la pleine et entière reconnaissance de celles-ci qui, loin de forclore l’espace et le temps, autoriseraient un passage permanent entre le spirituel et le temporel, le terrestre et le céleste, l’urbanité et la nature, l’amour et la sexualité, la vie et la mort, autorisant le rendez-vous de toutes les civilisations.
NTM en concert dans Suprêmes
Critique

« Suprêmes » d’Audrey Estrougo : La banlieue se cache pour mourir

26 novembre 2021
Suprêmes, film cerise sur le ghetto (Mafia K’1 Fry), est un biopic sur les débuts du groupe de rap français NTM, aux accents délibérés de « banlieue-film », un cinéma qui n’entend pas simplement être biographique mais critique. Un banlieue-film qui, cependant, finit par s’avaler dans son génie, produisant un son malheureusement trop attendu, trop entendu, qui sous couvert de dresser un constat social, ne libère pas le regard du « ghetto » à la française, mais en redouble comme il en capitonne les murs. Un film sur NTM qui le viderait de NTM, le déposséderait de la possibilité de son île : un cinéma qui priverait chacun du « monde de demain ».
Jenjira Pongpas assise dans le cimetière dans Cemetery of Splendour
Esthétique

« Cemetery of Splendour » d’Apichatpong Weerasethakul : Sur les strates poétiques d’une réalité onirique

16 novembre 2021
Par-delà le rêve et la réalité, Cemetery of Splendour est l'exploration poétique d'un monde à la fois immuable et en perpétuelle anamorphose. Le motif du palimpseste constitue la structure à la fois narrative et architecturale d'un film qui célèbre la puissance de l'imaginaire face à un régime politique oppresseur. En abolissant les frontières entre l'humain et le divin, le sommeil et l'éveil ou encore l'immensément grand et l'immensément petit, Weerasethakul appelle le spectateur à simplement contempler ce qui se trouve en face de lui.
Le soldat couché dans la forêt dans Tropical Malady
Rayon vert

« Tropical Malady » d'Apichatpong Weerasethakul : La thérapie de la jungle

16 novembre 2021
Tropical Malady d'Apichatpong Weerasethakul raconte l'histoire d'une déception amoureuse dont la guérison s'effectuera dans la jungle. Si le film est scindé en deux parties, il n'en demeure pas moins uni par la recherche d'un antidote qui prendra la forme d'une quête spirituelle et thérapeutique.
Dans la grotte d'Oncle Boonmee
Esthétique

« Oncle Boonmee » d’Apichatpong Weerasethakul : Quand le cinéma se souvient de ses vies antérieures

16 novembre 2021
Par l’intermédiaire de son personnage principal et par la mise en scène de ses vies antérieures, Apichatpong Weerasethakul décline le retour aux origines et l’étend au cinéma dans son ensemble ainsi qu’à son propre cinéma. Si Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures montre les vies antérieures de son personnage principal, il expose également les siennes en tant qu’il appartient à un art dont l’histoire et les origines ressurgissent par intermittence en son sein.
Une femme dort dans un film de l'installation Periphery of the Night
Esthétique

« Periphery of the Night » d'Apichatpong Weerasethakul : Expérimenter l’espace et le temps

15 novembre 2021
« Periphery of the Night » est autant une invitation à garder les yeux ouverts qu'à les fermer. Le visiteur, porté par le rythme envoûtant des vidéos projetées, circule à l'intérieur de différentes salles qui lui permettront de créer, à son tour, sa propre narration. La contemplation amène ici à la création d'une multiplicité d'œuvres mentales défiant les lois du temps et de l'espace.
Nanni Moretti et Margherita Buy dans Tre Piani
Rayon vert

« Tre Piani » de Nanni Moretti : Reconstruire les histoires et colmater les brèches

14 novembre 2021
Dans le travail d’adaptation pour passer des trois étages du roman d’Eshkol Nevo aux trois périodes délimitant les différentes parties de son film, Nanni Moretti a déployé toute une dialectique de la reconstruction et de la réparation. Ce sont dans les brèches d’un film peut être trop académique, peut-être trop « psychologique », qu’apparaît le ciment commun à tous les édifices de son cinéma.
Jenjira Pongpas et Maiyatan Techaparn dans Mekong Hotel
Rayon vert

« Mekong Hotel » d'Apichatpong Weerasethakul : La dernière fois que j’ai vu le Mékong

13 novembre 2021
Mekong Hotel prolonge avec modestie un geste de cinéma, ample et précieux parce que rêvé quand le rêve enveloppe les peuples qui dorment dans l’attente fébrile de leur réveil. Rêver que les films sont des embarcations pour des voyages immobiles vers de mystérieuses contrées, pays antiques et nations mythiques, terres réémergentes après avoir été liquidées. Rêver en commun qu’il y a un autre monde à portée de mains et dans les viscères des rêveurs. Rêver des mondes oubliés et engloutis pour mieux s'en ressouvenir à l'avenir, là où l’on voit depuis l’horizon meurtri de l’Asie du sud-est une autre Atlantide – l’éden insituable des rêveurs en commun qui tient tout à la fois de la serre tropicale, du jardin d’essai et du Navire Night.
Lucie Zhang et Makita Samba discutent dans Les Olympiades
Critique

« Les Olympiades » de Jacques Audiard : Fluide glacial

12 novembre 2021
L'heure serait venue, celle de la réforme et son autocritique certaine. Jacques Audiard admet de faire débander les archétypes d'un virilisme dont souffrent les hommes qui ont la masculinité en excès pour prendre le pouls de l'époque qui est à la redéfinition souple et relâchée des relations entre les genres. Si l'Olympe a pour horizon de séduction la fluidité, c'est dans Les Olympiades une patinoire de béton sur laquelle glissent des figures allègres coiffant les promesses d'un libéralisme de la jouissance au poteau des normes d'un conservatisme de glace. Les figures libres se révèlent imposées quand la fluidité ne liquide en rien la ligne dure du consensus, avec l'amour féminin sauvant de la jouissance masculine et le deuil rappelant au sujet les devoirs symboliques de la filiation.
Valeria Bruni-Tedeschi et Pio Marmaï à l'hôpital dans La Fracture
Critique

« La Fracture » de Catherine Corsini : Bobos partout, cinéma nulle part

11 novembre 2021
La France va mal, la France a mal, elle a des bobos partout, amours à la dérive, Gilets jaunes en colère, hôpital en danger. Une métaphore servira en la circonstance de suture, la fracture qui appelle des réparations appropriées. Mais la chirurgie de La Fracture est une médecine à la Knock qui ne prend soin de rien quand le social en galère est un raffut de demandes ramenées aux plus petits dénominateurs communs, le bordel et l'hystérie. Le cinéma d'auteur en replâtrage des bobos du social n'a pas alors d'autre volonté que de mettre KO assis son spectateur.
Valérie Lemercier sur scène dans Aline
Critique

« Aline » de Valérie Lemercier : Comique biopic

8 novembre 2021
Biopic musical qui se décale vers la comédie ou comédie qui se décale vers le biopic musical, le film de Valérie Lemercier sur Céline Dion s’éloigne singulièrement de la satire ou de la parodie que l’on pouvait attendre ou craindre, et affirme son étrangeté, sa bizarrerie, à la fois par son refus systématique de la moquerie et par la composition « monstrueuse » du personnage d’Aline.
Mike (Clint Eastwood) s'occupe de son cheval au ranch dans Cry Macho
Critique

« Cry Macho » de Clint Eastwood : Et la mort n’aura pas d’empire...

5 novembre 2021
Cry Macho, film somme mais non pas testamentaire du cinéma de Clint Eastwood, révèle la vérité de son diamant, en un autoportrait cinématographique, à travers les thèmes de l’enfance et de la question de la mort autant que par la forme qu’il emprunte, qui redéfinissent les contours de son libertarianisme sur le plan existentiel et politique. Cinéma monde, aurait sans doute dit Serge Daney, à partir de la vie d’une cellule, un journal intime qui n’en demeurerait pas à l’entre soi, qui s’ouvrirait au grand soir.
Jacques Dutronc dans Van Gogh
Rayon vert

« Van Gogh » de Maurice Pialat : Dans le ventre, la mitraille

4 novembre 2021
La peinture est invivable. C’est ainsi que tend la main au peintre consacré après sa mort un cinéaste ayant vécu, comme une balle logée dans le ventre, la blessure originelle de la peinture abandonnée. L’homme du ressentiment est celui d’une demande de reconnaissance impossible à satisfaire parce qu’elle est le fruit d’une blessure qui jamais ne cesse de suppurer. Le ressentiment est le moment du négatif mais il s’agit pourtant d’en tirer une énergie créatrice. Le vitalisme peut ainsi rédimer le ressentiment quand il tient tant à la vie, toute la vie, y compris ses lacunes, ses défauts et ses béances, sachant que le mal est fait autant que l’amour existe. Avec Maurice Pialat, j’ai mal donc j’existe et mourir consiste à en avoir fini avec la douleur de vivre. La peinture est invivable, on n’en vit pas mais c’est avec elle qu’il faut tenter de vivre. Van Gogh s’approprie les derniers jours de la vie du peintre à partir du faisceau des douleurs logées dans son ventre, existentielles, artistiques et historiques, douleurs des frères que l’art et son commerce opposent, des rivalités recuites comme d’un pays hanté par des violences fratricides.
Hakan à son toboggan dans "All-In"
Critique

« All-In » de Volkan Üce : Surmonter le nihilisme

1 novembre 2021
Dans All-In, son second long métrage, Volkan Üce place sa caméra dans un hôtel « all-inclusive » en Turquie et suit plus particulièrement deux jeunes hommes faisant des expériences contradictoires de ce microcosme qui recrée des rapports de force et de classes constitutifs de la société dans son ensemble. À travers le regard blasé de Hakan et l'innocence d'Ismaïl, All-In s'achemine vers une fin en forme de conclusion moraliste, lors de laquelle les deux « héros » auront au moins tiré quelque chose de positif : la possibilité de « surmonter le nihilisme ».
L'orchestre en scène dans la publicité « Let's Grab a Beer »
Esthétique

« Let's Grab a Beer » de David Fincher : Le Fond de la bouteille

28 octobre 2021
Fincher, les femmes, la ville ; prenons une bière et tentons un retour modeste sur l'énigme, son insistance ; parlons librement de ce très beau dernier film, la publicité Let's Grab a Beer, passionnant exercice d'une possible simplicité nouvelle. Ou : qui peut le plus peut le moins, sans perdre pour autant en importance.
Marguerite de Carrouges (Jodie Comer) dans l'ombre dans Le Dernier duel
Critique

« Le Dernier duel » de Ridley Scott : Deux hommes, une femme, trois perspectives

26 octobre 2021
Que le fracas guerrier et viril des armes n’assourdisse pas la plainte d’une femme ; qu’au contraire une parole féminine fasse retentir le différend fondant le choc des armures et des épées, des lances et des boucliers, voilà ce dont Le Dernier duel fait la promesse avant d’y revenir au nom des impératifs du spectacle. Les jugements ordaliques sont aussi ceux de la critique du film historique qui a fait croire qu’il compterait jusqu’à trois au nom de l’éthique des vérités féminines avant de revenir au duel des vieilles rivalités masculines et mimétiques.
Jesse Eisenberg, Dakota Fanning et Peter Sarsgaard en voiture dans Night Moves
Rayon vert

« Night Moves » de Kelly Reichardt : La radicalité en eaux troubles

20 octobre 2021
S’il est difficile de résumer un film de Kelly Reichardt par un seul et unique geste, c’est que la cinéaste prend un malin plaisir à repeupler des territoires que le spectateur ne connaît que trop bien (le western, le road movie, le thriller politique) pour mieux le dérouter, et ce à la faveur d’un rythme qu’elle étire ou d’un suspens qu’elle démotive. Dans Night Moves, trois militants écologistes décident d’entreprendre la destruction d’un barrage de l’Oregon, qui menace la biodiversité locale. Au rebours de toute tension proprement narrative, Reichardt explore, au travers de cette petite communauté humaine en quête d’idéal et d’action politique, les contradictions de l’intime et du vivant.
Nora (Maya Vanderbeque) en cours dans son école dans Un monde
Critique

« Un monde » de Laura Wandel : L'asphyxie en partage

18 octobre 2021
Si Un Monde peut par moments faire illusion, notamment lorsqu'il convoque le spectre d'Ana Torrent de L'Esprit de la ruche, il n'est au final qu'un film coup de poing de plus reposant sur un dispositif soi-disant ingénieux mais au fond éculé, et une fin qui a pour seul but d'envoyer une bonne claque au spectateur. Il est vraiment dommage qu'une jeune cinéaste annoncée comme prometteuse réalise un premier film comme celui-là dont une seule vision suffit déjà péniblement à faire le tour.
Les ouvriers en colère dans Bayan ko
Le Majeur en crise

« Bayan ko » de Lino Brocka : La colère dont on ne revient pas

17 octobre 2021
Dans Bayan ko, l'urgence à filmer coûte que coûte, filmer pour raconter (Lino Brocka est à lui tout seul un studio de cinéma) et documenter (le cinéaste philippin n'en est pas moins une chaîne de télévision), ne s'oppose pas à la prodigalité des situations et la fureur critique file à vive allure en se déchaînant avec une vraie générosité narrative. Le didactisme a l'intelligence de ne pas se satisfaire des tropismes militants en voyant plus loin que le bout du nez de la prise de conscience, qui est le fond tragique des existences dévastées par une colère plus grande qu'elles. Le fond des affections dont on ne revient pas et qui est un malheur irrémédiable – un mal intraitable, celui de l'antagonisme, ce reste inassimilable.
Daniel London et Will Oldham autour d'un feu dans la forêt dans Old Joy
Rayon vert

« Old Joy » de Kelly Reichardt : Héros du quotidien

16 octobre 2021
Comment se sauver ? Existe-t-il simplement une issue ? Oui ! En ne se sauvant pas, raconte Old Joy, de Kelly Reichardt. En acceptant l’idée que l’échappée se trouve en soi, le soi étant toujours-déjà ailleurs, en voyage. Le combat à mener, dès lors, se fait au quotidien, depuis le quotidien, dans le quotidien. Old Joy, de Kelly Reichardt, délivre les armes qui font les héros de ces petits riens, les héros du quotidien.
Rayon vert

« La Dernière Piste » de Kelly Reichardt : Les voix oubliées du western

15 octobre 2021
Dans La Dernière Piste, l’Ouest mythique existe d'abord par la voix éloquente de Meek, guidant en vain trois familles dans l’Oregon le jour, conteur d’exploits probablement faux ou mythifiés la nuit. Face à cette parole hégémonique du trappeur qui a façonné la légende, Kelly Reichardt propose un contrepoint en plusieurs voix oubliées dans le grand récit du Far West : celles des femmes, de l’Indien et de la terre. Surtout, La Dernière Piste est un film qui se tait, la meilleure réponse à Meek restant le silence.
Julie (Renate Reinsve) court dans la rue dans Julie (en 12 chapitres)
Critique

« Julie (en 12 chapitres) » de Joachim Trier : J’aurais voulu être un artiste

15 octobre 2021
Avec sa voix-off littéraire et sa construction romanesque en chapitres, Julie (en 12 chapitres) s’affirme en tant qu’objet hautement « artistique » pour livrer une vision de l’artiste à la fois sombre et élitiste, teintée de misanthropie. En suivant son héroïne Julie à travers toute une série d’atermoiements, de choix successifs et contradictoires la menant, au final, à s’extraire du monde pour mieux l’observer, Joachim Trier théorise sur la figure de l’artiste « hors-sol » et s’empêtre dans une posture altière et méprisante.
Tralala joue du banjo dans la rue dans Tralala
La Chambre Verte

« Tralala » d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu : La Grâce de ne pas être soi-même

14 octobre 2021
Au départ d’une forme de comédie musicale, d’une maxime qui donne son impulsion au film (« Ne soyez pas vous-même ») et d’un décor faisant cohabiter le mystique et le kitsch, à savoir la ville de Lourdes, Tralala des frères Larrieu développe une réflexion sur l’acteur tout en triturant les références religieuses, la musique et les conditions même de son tournage.
Henri Chomette, Jeux des reflets et de la vitesse (1923-1925)
Esthétique

« Passages du cinéma » de Prosper Hillairet : De l’essence du cinéma

12 octobre 2021
L’âge d’or du cinéma, pour certains, c’était avant. Le muet, un cinéma d’implosion et d’explosion, qui se serait rétracté ensuite. Serge Daney. Mais d’aucuns jureront que ce sera avant tout Murnau, tout Murnau, plus tard Ford, Antonioni, Rossellini, dans une certaine mesure, au début. Pour d’autres encore, l’âge d’or, ce sera après, en une ressaisie en avant. Godard. Le plus beau film : celui qui n’a pas encore été réalisé. Chaque époque fait ainsi son lit, arrange son âge d’or, sans regard toujours rétrospectif, ces revues qui inventent le film du mois, la photographie du mois, ce qu’ont pratiqué les Cahiers du cinéma. Quel peut bien être le coup de cœur du mois ? Mais s’il n’y avait pas de battements par minute un mois durant, ni même une année? Si un mois passait, une année, où ne se produirait aucun contact, rien à voir, un trou noir, se demandait encore Serge Daney à l’inauguration de Trafic, en 1992, que faire ? « Rapatrier son objet d’amour », disait un poème d’Ezra Pound en ouverture de la revue. Rapatrier son regard, autant, en se (re-)demandant de quoi le cinéma est-il le nom, le désembuer de toutes ces images prises dans la rétine, en lisant l’ouvrage de Prosper Hillairet, Passages du cinéma.
Simon et les enfants dansant au camping dans La Vraie famille
FIFF

« La Vraie famille » de Fabien Gorgeart : Le paradis perdu des familles de cœur

8 octobre 2021
La Vraie famille raconte l'histoire déchirante d'une séparation en utilisant, pour le meilleur et pour le pire, les grandes ficelles du mélo. Mais grâce à son honnêteté et ses choix narratifs, le film de Fabien Gorgeart s'impose comme une tentative honorable du genre.
Guillaume Canet au piano dans Lui
Critique

« Lui » de Guillaume Canet : Et moi, et moi, et moi…

6 octobre 2021
Dans sa dernière fiction autocentrée, Lui, Guillaume Canet se met doublement en scène au cœur d’un casting de comédiens usuels du cinéma français « grand public », qu’il utilise comme autant de poupées parlantes uniquement bonnes à le mettre en valeur, « lui », et à débiter ses mots d’auteur. Cet ersatz d’un mauvais film de Bertrand Blier aurait dû s’appeler Moi, tant il ne tourne qu’autour de la personne de l’acteur-réalisateur.